Les enfants de Bordeciel
Chapitre 19 : Sarcasmes et révélations
3740 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 18/08/2024 20:07
Chapitre 19 – Sarcasmes et révélations
Aventus émergea sur la place du marché après une course folle à travers les rues de Faillaise, suivi de près par Babette dont l’exaspération se lisait sur le visage. Elle agrippa l’épaule de son apprenti en s’écriant : « Qu’est-ce que tu ne comprends pas dans ‘Allons nous mettre à l’abri’ ? »
Mais le jeune Impérial n’écoutait pas. Il se figea, les yeux écarquillés d’horreur devant la scène qui se déroulait face à lui. Le dragon de glace, immense et redoutable, dominait l’espace de toute sa hauteur, ses ailes déployées obscurcissant le ciel déjà couvert. Lydia se précipitait vers la créature en poussant un hurlement de rage, épée dégainée, bientôt imitée par les gardes de la ville. Sur le reste de la place, des fragments de glace tranchants jonchaient le sol, signes de l’attaque mortelle que le monstre venait de déchaîner. Et là, au milieu des débris et du chaos, Hunfen gisait immobile, couvert de givre, le visage ensanglanté.
Un cri d’effroi s’échappa de la gorge d’Aventus. Hunfen, son ami, celui qui apparaissait toujours aux moments les plus critiques, était maintenant à la merci de ce monstre. Il se précipita vers lui, sans réfléchir, ignorant le danger imminent que représentait encore la créature.
« Hunfen ! Non ! » hurla-t-il, tombant à genoux près du corps frêle et engourdi par le froid.
Babette avança en marchant paisiblement, son visage juvénile dissimulant mal son amusement. Elle s’arrêta à quelques pas d’Aventus, observant la scène avec un sourire narquois.
« Tu arrives trop tard, mon jeune élève, déclara-t-elle en croisant les bras et en prenant un air faussement consterné. Ton ami vient de se transformer en une jolie statue de glace. Le petit garçon est devenu un grand glaçon ! »
Aventus leva des yeux désespérés vers elle, suppliant. « Babette, je t’en prie… Aide-le. Il est en train de mourir ! »
Babette haussa les épaules, prenant un air pensif, exagérément indécise. « Hmm… L’aider ? Pourquoi faire ? Il l’a bien cherché, tu ne crois pas ? Après tout, à se jeter ainsi sur un dragon à mains nues, il avait peut-être envie de visiter Sovngarde ? »
Aventus sentit la colère monter en lui, mêlée à la terreur. « Je t’en supplie, Babette ! cria-t-il. C’est mon ami ! »
Babette soupira théâtralement, levant les yeux au ciel comme si elle cédait à contrecœur. « Oh, très bien, très bien ! » Elle s’agenouilla finalement près de Hunfen, son dédain ne faiblissant pas un instant. « Mais soyons bien clairs, je fais ça uniquement parce que je suis d’humeur généreuse aujourd’hui. Ne compte pas sur moi la prochaine fois qu’une tête brûlée se fait givrer. »
Avec une rapidité déconcertante, Babette sortit une bourse en cuir de sa ceinture et en tira plusieurs fioles de verre remplies de liquides aux couleurs vives. Elle les observa un instant et se saisit de l’une d’entre elles. Aventus, le cœur battant, retint son souffle, ignorant le vacarme de la bataille voisine.
« Bon, voyons voir… murmura l’assassine tout en débouchant la potion, qui laissa échapper un parfum âcre et pénétrant. Cet idiot a de la chance d’être un Nordique. Leur résistance naturelle au froid frise l’absurde. Ne t’inquiète pas, je vais arranger ça. Je vais essayer, du moins… »
Elle versa délicatement la potion sur les plaies de l’enfant, le liquide s’infiltrant dans les blessures avec une rapidité alarmante. Babette marmonna quelques mots incompréhensibles, un léger sourire flottant sur ses lèvres tandis qu’elle travaillait.
« Ton ami n’est la bougie la plus lumineuse du chandelier, n’est-ce pas ?, poursuivit-elle en jetant un regard en coin à Aventus. Se lancer sur un dragon comme ça… À quel point faut-il être stupide ? Avec un peu de chance, cette histoire lui inculquera peut-être quelques notions de prudence… S’il s’en remet, cela va sans dire. » Elle tapota doucement la joue de l’enfant, comme pour le réprimander d’une bêtise infantile. « Allons, petit imbécile, tu n’as pas encore fini de vivre ! »
Aventus regardait la scène, déchiré entre l’espoir et la peur. Un garde passa au-dessus d’eux en vol plané et s’écrasa contre une bâtisse sans qu’il n’y prête attention : Hunfen semblait toujours inconscient, mais à son grand soulagement, la couleur revenait peu à peu sur son visage pâle. Ses paupières tressaillirent et ses lèvres se mirent à remuer, mais Babette lui fourra une nouvelle potion dans la bouche.
« Ah non, tu ne vas pas te mettre à parler maintenant, protesta-t-elle d’une voix aussi douce que sarcastique. Tais-toi et dors ! Tu serviras tes jérémiades à quelqu’un d’autre. »
Hunfen eut à peine le temps de gémir avant que ses paupières ne se referment à nouveau, l’effet de la potion le plongeant dans un sommeil profond. Babette se redressa, époussetant nonchalamment sa robe. Elle jeta un coup d’œil à la bataille, où Lydia s’acharnait sur le crâne du dragon, ponctuant chaque coup d’épée d’un hurlement primitif, puis tourna son regard espiègle vers son apprenti, qui la fixait avec une expression d’incrédulité mêlée de soulagement.
« Voilà, dit-elle en souriant, il est hors de danger. Enfin, pour l’instant. Je ne pourrai rien faire s’il a une autre fulgurance de ce genre, comme aller affronter un mammouth avec une cuillère en bois ! »
Aventus, tremblant encore de la peur qu’il avait ressentie en voyant son ami si proche de la mort, baissa les yeux, partagé entre la gratitude et l’indignation. « Merci… Babette », articula-t-il finalement à contrecœur.
Elle lui lança un regard moqueur. « Oh, ne me remercie pas trop vite ! Après tout, c’est grâce à toi si nous en sommes rendus ici, n’est-ce pas ? Peut-être que si tu ne t’étais pas ‘attardé’ à Fort-Ivar… » Elle fit un geste vague en direction du champ de bataille voisin, où la garde poussait des cris triomphaux autour du dragon gisant au sol. « …ni toi ni ton ami n’auriez assisté à tout ce bazar. »
Aventus serra les poings, scandalisé par l’injustice du raisonnement de Babette, dont il percevait malgré tout une part de vérité. Toute cette situation, du voyage à Faillaise jusqu’à l’incident avec le dragon, n’aurait peut-être pas eu lieu si lui-même avait fait d’autres choix. Mais il était trop tard pour revenir en arrière.
Un flux éthéré, qui avait jailli du dragon mort, fondit en Hunfen. Le phénomène, à peine visible pour le commun des mortels, n’échappa pas au regard acéré de Babette. « Eh bien, eh bien… murmura-t-elle d’un ton presque admiratif en tournant les yeux vers le corps du dragon qui finissait de se consumer, le destin a vraiment un sens de l’humour tordu ! » Elle secoua la tête, amusée par la situation.
Son attention fut détournée par des bruits de pas précipités. Lydia accourait dans leur direction, le regard enflammé par la colère et l’épuisement, et l’armure souillée du sang du dragon. En apercevant Babette penchée sur Hunfen, elle bondit à leur hauteur, méfiance et inquiétude dessinées sur son visage.
« Qui es-tu ? » demanda-t-elle d’un ton sec, la main sur la garde de son épée. « Que fais-tu à ce garçon ? »
Babette releva la tête, souriant avec une innocence feinte qui ne trompait personne. « Moi ? Je suis la petite grande-sœur d’Aventus ! » répondit-elle en mimant des guillemets.
Lydia, épuisée mais toujours aux aguets, maintint sa main sur la garde de son épée, prête à dégainer au moindre signe de menace. Elle scruta Babette avec une attention accrue, chaque mot pesé avec soin. « La sœur d’Aventus, hein ?, répéta-t-elle d’un ton suspicieux, et qu’est-ce que ta famille veut à Hunfen ? »
Babette esquissa un sourire en coin, sa voix teintée de son habituelle ironie. « Oh, n’ayez crainte, noble guerrière. Je viens juste de sauver la vie de votre petit protégé, mais uniquement parce qu’Aventus m’a supplié !, précisa-t-elle avec un éclat moqueur dans le regard, Ce n’est pas dans mes habitudes de distribuer des actes de bonté, mais disons que c’est son jour de chance. »
Lydia ne baissa pas sa garde, mais un soupir de soulagement échappa de ses lèvres. Elle jeta un coup d’œil à Hunfen, toujours inconscient, mais dont le visage avait repris des couleurs et la respiration était devenue paisible. Elle s’agenouilla pour le prendre dans ses bras, son expression se radoucissant tandis qu’elle observait son jeune protégé. « Je vais le ramener à Honorem pour qu’il se repose. Il a besoin de soins et de sécurité. »
Babette acquiesça nonchalamment, en haussant les épaules. « Faites donc ! De toute façon, cela ne me concerne plus, et j’ai mes propres affaires à régler avec Aventus. »
Lydia jeta un regard vers le garçon impérial, qui semblait partagé entre la culpabilité et la peur de retourner auprès de la Confrérie Noire. « Ne vous inquiétez pas pour lui, sourit Babette, le prends toujours bien soin de mes apprentis ! »
La vampire s’approcha d’un pas mesuré et s’assura que Hunfen était toujours inconscient avant de laisser un murmure narquois s’échapper de ses lèvres : « Au fait… Ne soyez pas étonnés de ne pas voir Narfi à Blancherive. J’ai corrigé moi-même l’initiative malheureuse de mon jeune élève. » Elle jeta un coup d’œil à Aventus, dont le visage blêmit. « Disons que Narfi a pris une autre route. Aventus s’en est juste tiré avec une bonne remontrance cette fois-ci. »
Lydia sentit une vague de dégoût la traverser, mais elle ne répondit pas. Sans un autre mot, elle tourna les talons, emportant Hunfen avec elle. Babette, de son côté, saisit Aventus par le bras, l’entraînant dans une direction opposée, un sourire énigmatique toujours accroché à ses lèvres.
oOo
Babette avançait d’un pas rapide à travers les rues de Faillaise, sa petite main tirant fermement sur le bras d’Aventus. Leurs pas résonnaient sur les pavés, se réverbérant entre les habitations qui portaient les marques de la fureur du dragon. Quelques habitants, encore sous le choc, sortaient timidement de leurs refuges, jetant des regards horrifiés aux décombres éparpillés çà et là. Malgré l'urgence apparente, une lueur d'amusement cruel scintillait dans les yeux d'enfant de Babette. Aventus, quant à lui, serrait les poings. Les récents événements le hantaient, une tension insidieuse grimpait en lui à chaque pas.
Tout à coup, il s’arrêta net, les muscles tendus. Une voix familière venait de l’appeler :
« Hé, Aventus ! C’est toi ? »
Aventus pivota, découvrant François Beaufort et Hroar, leurs visages illuminés d’un large sourire. Essoufflés mais ravis, les deux garçons avaient dû s’échapper de l'orphelinat, comme à leur habitude, profitant probablement du chaos qui régnait encore dans la ville. Le sourire crispé d’Aventus trahissait son trouble. Il avait toujours apprécié la compagnie de ses camarades à l'orphelinat, et leur apparition inattendue lui réchauffait le cœur. Mais la présence de Babette à ses côtés refroidissait son enthousiasme. La Confrérie Noire était dangereusement proche de ceux qu’il considérait comme ses amis.
« Qu’est-ce que vous faites là ? » demanda-t-il en essayant de masquer son agitation avec un ton léger.
François haussa les épaules, un éclat de malice dans les yeux. « On voulait voir le dragon ! Mais Constance nous a enfermés dans la cave ! » Il marqua une pause, fronçant les sourcils, ses lèvres se tordant en une moue contrariée. « On n’a rien vu du tout ! Juste le bruit… C’était vraiment un dragon de glace ? »
Aventus hocha la tête, son regard se portant brièvement vers Babette, qui levait les yeux au ciel avec une exagération théâtrale.
« Vous avez raté un sacré spectacle, les gars. » dit-il en tentant d’adopter un ton détaché, mais une ombre traversa ses yeux à l'évocation de la créature. « C’était un dragon de glace, oui. Un monstre terrible. Il a presque… » Aventus marqua une pause, sentant une boule se former dans sa gorge. « Il a failli tuer Hunfen. »
Hroar, qui jusqu'alors écoutait avec une attention captivée, ouvrit grand les yeux, incrédule. « Hunfen ? Il est ici ? Il t’a retrouvé alors ? Il est revenu aussi ? »
Aventus acquiesça. « Oui, il a voulu affronter le dragon, il a été gravement blessé. Je crois qu’on l’a ramené à l’orphelinat pour qu’il se repose. Vous le verrez sans doute quand vous rentrerez. »
Les visages de François et Hroar s’assombrirent un instant, l’information se frayant lentement un chemin dans leurs esprits. Mais bientôt, leur expression se teinta d’une curiosité enfantine, toujours avide de découvrir plus, de comprendre les mystères du monde des adultes.
François s'approcha un peu plus, jetant un coup d'œil méfiant autour de lui avant de se pencher vers Aventus. « T’as l’air de bien aller, toi. » dit-t-il, une pointe d'admiration perçant dans sa voix. « C’est qui cette fille ? »
Aventus lança un regard furtif à Babette qui esquissa un sourire énigmatique. « Je... j'ai été adopté. Babette, c’est ma nouvelle sœur. Mais, écoutez… ne dites à personne à l'orphelinat que je suis revenu à Faillaise, d'accord ? »
Hroar secoua la tête avec véhémence, tandis que François jetait un regard en biais vers Babette, l'air sceptique mais intrigué. « On dira rien, t’inquiète. » promit-il.
François et Hroar se lancèrent un regard complice, comme s’ils avaient partagé un secret inavouable, avant que François ne se penche de nouveau vers Aventus, cette fois encore plus bas. « On a quelque chose à te raconter. »
Aventus leva un sourcil, intrigué. « Quoi donc ? »
François jeta un coup d'œil autour d’eux pour s'assurer que personne ne les écoutait, puis chuchota, presque théâtralement : « Monsieur Brynjolf nous entraîne ! »
Aventus faillit éclater de rire devant l'excitation à peine contenue de ses amis. « Vous entraîne ? À quoi, exactement ? »
« À tout ! » s'exclama Hroar, incapable de contenir son enthousiasme. « À se faufiler sans se faire voir, à crocheter les serrures, et même à faire les poches sans se faire attraper ! »
Aventus les regarda, à la fois amusé et perplexe. De ce qu’il en savait, Bryjnolf marchait dans toutes sortes de combines louches. Voulait-il recruter ses amis pour ses petites affaires ? Il soupira silencieusement : cela ne serait jamais pire que ce que lui-même faisait désormais. « Et vous êtes bons, alors ? » demanda-t-il.
François hocha la tête avec fierté. « On commence à s'en sortir ! Mais tu ne croiras jamais ce qu’on a fait ! »
Aventus, piqué par la curiosité, les invita d’un geste à continuer. « Dites-moi. »
Hroar prit une grande inspiration avant de parler à toute vitesse. « On a filé Monsieur Brynjolf pour s’entraîner, et il ne nous a même pas vu ! Il est allé dans un coin caché de l’auberge du Dard de l’Abeille. Il avait rendez-vous avec Maven Roncenoir. On a tout entendu ! »
Les yeux d’Aventus s’écarquillèrent. Maven Roncenoir ? C’était la femme qui avait la plus grande maison de la ville après le château du jarl. C’était la plus riche de tout Faillaise, et elle avait la réputation d’avoir son nez dans toutes les affaires de la ville. Et du peu qu’il en avait compris, elle n’était pas appréciée de beaucoup de monde.
« Qu’est-ce qu’elle disait ? » demanda-t-il, ses paumes devenant moites sous l'effet d'une tension qu'il n'avait pas prévue.
François et Hroar échangèrent un regard conspirateur avant que François ne reprenne, sa voix un peu plus basse qu’avant. « Elle était furieuse. À cause de la mort de Grelod. Apparemment, Grelod était son amie, et elle l’avait placée à la tête de l’orphelinat exprès ! Elle a dit qu’avec Grelod, il y avait plein de débrouillards à l’orphelinat, que la Guilde des Voleurs pourrait recruter ! »
Aventus sentit un frisson glacé parcourir son dos. Grelod… une amie de Maven Roncenoir ? L’idée était répugnante, mais cela expliquait beaucoup de choses. Les méthodes cruelles de Grelod n'étaient pas seulement de la malveillance gratuite. Elles faisaient partie d'un plan bien plus sinistre. Et ses amis… Ne voyaient-ils pas qu’ils étaient les fruits de ce plan ?
« Du coup, c’est vous ça, les débrouillards !, remarqua-t-il plus sèchement qu’il ne l’aurait voulu. Et vous allez quand même suivre Bryjnolf ?
— C’est… C’est vrai ?, murmura Hroar, les yeux brillant d’excitation. Tu crois que monsieur Bryjnolf va vraiment nous faire intégrer la Guilde ? »
Aventus laissa s’échapper un soupir frustré, mais décida de ne pas insister. «Bon, et ils ont dit autre chose ? » murmura-t-il, craignant presque la réponse.
Hroar se pencha encore plus près, la voix teintée d’un mélange de confusion et d’horreur. « Ouais… Quelque chose de bizarre… Monsieur Bryjnolf a dit qu’avec Grelod, il y avait des enfants trop violents pour la Guilde des Voleurs, mais elle a répondu que ce n’était pas grave parce qu’ils pouvaient servir pour une autre amie à elle, Astrid je crois. Mais on ne sait pas qui c’est. »
Aventus se figea. Le nom d’Astrid fit l’effet d’un coup de poing dans son estomac. Sa rage l’inonda, bouillonnant comme de la lave. Grelod, Maven, Astrid… Lui aussi n’était finalement qu’un pion dans leurs machinations. Mais avant qu’il ne puisse réagit, Babette, qui jusque-là avait laissé les garçons converser, glissa doucement sa main sur l'épaule d’Aventus et serra. Ses yeux, bien que doux en apparence, portaient une lueur d’avertissement.
« Nous avons assez traîné, mon cher frère, dit-elle d’un ton mielleux mais ferme. Il est temps de rentrer ; maman va s’inquiéter. »
Aventus comprit immédiatement le message. Serrant les dents, il hocha la tête, l’esprit toujours en ébullition, mais conscient de la nécessité de mettre un terme à la conversation. Il se tourna vers François et Hroar, leur adressant un sourire mélancolique.
« Écoutez… je dois y aller. Merci pour tout ce que vous m’avez dit. Veillez sur Hunfen, d’accord ? Je lui en doit une ! »
François sembla vouloir protester, mais Aventus tendit la main, lui faisant comprendre qu’il était temps de se séparer. Le blond la serra à contrecœur. « On se revoit bientôt, les gars. Et n’oubliez pas… ne dites à personne que j’étais ici. »
Alors que les deux compères se détournaient, échangeant des murmures animés sur ce qu’ils allaient raconter à Hunfen, Aventus serra les poings, luttant contre l’envie de hurler. La révélation sur Maven Roncenoir le rongeait de l’intérieur. Il était furieux, contre elle, contre Astrid, contre lui-même de s’être fait ainsi berner. Il ne put s’empêcher de jeter un dernier coup d'œil en arrière vers ses amis, qui s'éloignaient en courant, eux aussi pris dans l’engrenage. Il emboîta finalement le pas de Babette, pour quitter la ville. Les ruelles de Faillaise se refermèrent sur eux, engloutissant les dernières traces de l’enfance d’Aventus.
oOo
Le charriot secouait légèrement tandis qu’il roulait sur le chemin menant à Épervine. Aventus était resté silencieux pendant tout le trajet, son esprit absorbé par la révélation de ses amis et par la colère qui grondait en lui. Lorsque, à la demande de Babette, le charriot s’arrêta pour les déposer quelques centaine de mètres avant l’entrée d’Épervine, il sauta à terre et fit quelques pas, les poings serrés. Babette le suivit du regard, un sourire sarcastique flottant sur ses lèvres. Le chariot redémarra et disparut dans un détour du chemin forestier.
Enfin, n’y tenant plus, Aventus explosa. « Je vais la tuer ! » hurla-t-il, sa voix résonnant dans l’air frais du soir, chargé de haine. « Je vais tuer Astrid ! »
Babette, toujours aussi imperturbable, croisa les bras et haussa un sourcil, un amusement cruel brillant dans ses yeux. « Oh, c’est adorable, dit-elle avec un ton de moquerie. Mais avant ça, sois gentil et va me cueillir des givreboises, d’accord ? J’adore en grignoter pendant que je regarde un enfant se faire massacrer. » Elle marqua une pause, ses yeux se plantant dans ceux d’Aventus. « Parce que si tu affrontes Astrid maintenant, c’est tout ce qu’il va advenir de toi : un joli spectacle et un petit en-cas pour moi. »
Aventus resta figé, la respiration haletante, tandis que la vérité cruelle des paroles de Babette s’imposait à lui. Il n’était pas encore prêt. Pas maintenant. Mais un jour… Oh, un jour, il la tuerait. Il tuerait Astrid et tous ceux qui s’étaient joués de lui. Mais pour l’instant, il devait attendre, se préparer, et devenir plus fort.