Les enfants de Bordeciel

Chapitre 16 : Du rififi à Fort-Ivar

2987 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/07/2024 23:42

Lydia avançait difficilement en direction de la maison de Narfi, chaque pas semblant plus lourd que le précédent. Le poids mort du bandit était écrasant, et elle sentait les muscles de ses épaules et de son dos brûler sous l’effort. La rigidité du corps le transformait en un fardeau inflexible, rendant chaque ajustement difficile et maladroit. Le contact avec la froideur de sa charge provoquait une sensation dérangeante, presque inhumaine. Le sang à peine séché se mêlait à d’autres substances malodorantes que le cadavre ne pouvait plus retenir. Les effluves douces-acres de la putréfaction naissante achevaient de remplir l’air environnant, menaçant à tout instant de retourner l’estomac de la guerrière.

Elle jeta un coup d’œil à Aventus, qui marchait silencieusement à ses côtés. Les traits marqués par la fatigue et la résignation, que Lydia avait déjà observé chez bien des adultes marqués par la guerre civile, s’affichaient incongrûment sur le visage du jeune garçon. Dans cette contrée, la violence épargnait rarement les innocents, surtout depuis les troubles entre impériaux et sombrages, mais il restait difficile d’accepter qu’un enfant doive y faire face si tôt.

« Comment tu te sens ? » demanda-t-elle dans un murmure, espérant réconforter le jeune garçon.

Aventus leva les yeux, surprise de cette sollicitude. « Je… je vais bien », répondit-il, sa voix trahissant pourtant une certaine détresse.

Quand Aventus avait proposé de l’aider à transporter le corps, Lydia avait catégoriquement refusé. Elle savait que, malgré les épreuves qu’il avait déjà endurées, chaque geste supplémentaire le plongerait un peu plus dans les ténèbres. Il ne fallait pas qu’il touche encore à ce corps, qu’il porte ce fardeau, ni physiquement, ni mentalement. Le récit que le jeune garçon avait fait de son affrontement avec le bandit renforçait encore la conviction de la guerrière : malgré la naïveté des explications de l’enfant, Lydia avait parfaitement compris les intentions initiales du bandit. Ce genre d’horreurs était monnaie courante en ce monde, mais elle n’en éprouvait pas moins un dégoût viscéral.

Le silence retomba entre eux, seulement brisé par le craquement des feuilles mortes sous leurs pieds et le lointain hurlement d’un loup. En tant que huscarl, Lydia savait que son devoir primordial était de protéger Hunfen de tout danger, de l’éloigner autant que possible de toute menace potentielle. Logiquement, cela impliquait de le tenir à distance d’Aventus. Bien que ce dernier fût encore un enfant, il n’en demeurait pas moins un assassin en formation, et il était préférable de préserver Hunfen de toute influence de la Confrérie Noire. Pourtant, elle ne pouvait s’y résoudre. La fuite précipitée hors de Vendeaume, après l’enlèvement d’Aventus, avait été un déchirement pour elle. Son instinct primal lui avait dicté de se lancer à la poursuite des ravisseurs et de tous les passer au fil de l’épée, mais son devoir l’avait contrainte à assurer d’abord la sécurité de Hunfen, même contre la volonté de ce dernier. Et le jeune orphelin en avait par la suite payé le prix.

Ils atteignirent enfin le seuil de la maison. Hunfen les attendait devant la porte, l’inquiétude marquée sur son visage. Lydia sentit son cœur se serrer. Instinctivement, elle voulut protéger l’innocence du jeune garçon, repousser encore un peu la dure réalité qui les entourait. Blêmissant légèrement, elle raffermit sa prise sur le corps et se positionna de manière à masquer l’horrible spectacle. D’un pas discret mais calculé, elle se plaça devant le jeune Nordique, formant un rempart protecteur entre lui et le cadavre ensanglanté.

« Hunfen, Aventus, restez dehors un moment », ordonna-t-elle doucement.

Lydia poussa la porte de la maison de Narfi du pied, la refermant doucement derrière elle. Elle posa délicatement le corps du bandit à côté de la cheminée, le plaçant sur le tas de vieux meubles et de tissus inflammables que Hunfen avait amassé plus tôt. La rigidité du cadavre rendait chaque mouvement laborieux, mais elle s’efforçait de rester silencieuse pour ne pas alerter Narfi, qui se trouvait dans un coin de la pièce, assis sur un tabouret, les yeux fixés sur un point invisible devant lui. L’homme ne réagit pas à l’entrée de Lydia. Il semblait perdu dans ses pensées, comme détaché de la réalité. Lydia ressentit un pincement au cœur en le voyant dans cet état, mais elle savait qu’elle devait rester concentrée. Le plan devait se dérouler sans accroc pour assurer la sécurité de Hunfen et d’Aventus.

Elle tira un vieux drap poussiéreux d’un meuble renversé et l’étendit soigneusement sur le bandit, prenant soin de bien cacher tout signe de violence. La vue du sang sur le plancher la fit grimacer, mais ce détail resterait moins traumatisant pour les enfants que la vue du corps lui-même, s’ils venaient à regarder dans cette direction. Une fois satisfaite de sa mise en place, elle se tourna vers Narfi dont les traits restaient marqués par la fatigue et la confusion. La guerrière en vint à se demander si l’homme, dont l’esprit restait très simple, comprenait vraiment ce qui était en train de se passer. Elle s’approcha doucement, s’accroupissant pour être à son niveau.

« Narfi, dit-elle d’une voix douce mais ferme, nous allons partir bientôt. Hunfen et Aventus vont rester avec toi un moment, le temps que je revienne avec des provisions. D’accord ? »

Narfi cligna des yeux, émergeant lentement de ses pensées comme s’il sortait d’un profond sommeil. Il hocha la tête en silence, son regard restant vague et absent. Lydia soupira légèrement et se redressa. Cet homme serait-il vraiment capable, lorsque le moment viendrait, de jouer son rôle et de feindre d’être quelqu’un d’autre ? Ce n’était pas le moment de s’y attarder. Jetant un dernier coup d’œil à la cheminée et au bûcher improvisé, elle s’assura une ultime fois que tout était en ordre. Elle se dirigea ensuite vers la porte et l’ouvrit, laissant entrer un souffle d’air frais qui apporta un bref répit à l’atmosphère oppressante.

« Hunfen, Aventus, vous pouvez entrer maintenant, » appela-t-elle à travers l’encadrement de la porte.

Les deux garçons se levèrent et s’approchèrent prudemment. Hunfen, visiblement le plus inquiet des deux, scrutait Lydia de ses yeux anxieux, essayant de comprendre ce qui se passait réellement à l’intérieur. Il avait certes une idée de la situation, mais semblait tenter, sans succès, de se représenter les détails. Aventus, quant à lui, affichait une expression résolue, comme s’il avait déjà accepté la nécessité des parties les plus dérangeantes du plan. Il semblait presque indifférent à la violence qui les entourait, une maturité sombre marquant ses traits juvéniles.

« Restez avec Narfi et ne touchez à rien, leur ordonna Lydia. Je vais à Fort-Ivar acheter des provisions pour le voyage. Je serai vite de retour. »

Hunfen hocha la tête, tentant de masquer son inquiétude, tandis qu’Aventus restait silencieux, observant Lydia avec un regard perçant. Elle sortit de la maison, prenant soin de refermer la porte derrière elle, laissant les enfants et Narfi à l’intérieur.

oOo

Lydia avançait d’un pas décidé vers le centre du village, ses pensées tourbillonnant autour des derniers détails de leur plan. Atteindre Faillaise sans trahir leur point de départ imposait d’éviter les chariots, les contraignant à un voyage à pied qui durerait deux bonnes journées. Ils devraient sans doute camper pour la nuit et se relayer pour monter la garde, prêts à faire face à toute éventualité, notamment les attaques de bandits. La situation était périlleuse : elle était la seule adulte capable de combattre. Narfi, avec sa constitution frêle et ses réflexes lents, ne pourrait même pas se défendre. La guerrière détestait l’admettre, mais il serait prudent de confier un tour de garde à Hunfen. Avec son Thu’um, il pourrait créer un effet de surprise suffisant pour échapper à un assaillant ou même le blesser, offrant à Lydia le temps d’intervenir. Quant à Aventus, elle devrait évaluer ses capacités en situation réelle. Visiblement, la Confrérie Noire lui avait enseigné quelques rudiments de défense personnelle — le bandit mort dans la cabane en était la preuve. Peut-être pourrait-il également participer aux tours de garde nocturne. Mais avant tout, elle devait se procurer suffisamment de provisions pour le voyage.

Alors qu’elle s’apprêtait à payer, un frisson de peur la traversa. De l’autre côté du marché, une haute silhouette encapuchonnée, drapée dans un manteau sombre brodé d’argent, interrogeait les villageois avec une autorité menaçante. Que faisait le Thalmor ici ? Ces maudits elfes venaient-ils désormais traquer les adorateurs de Talos jusque dans ces villages reculés ? Lydia, s’efforçant de ne pas attirer l’attention, se rapprocha d’un étal voisin, feignant l'indifférence tout en tendant l'oreille. L’agent, visiblement frustré par le manque de précision des réponses qu’il obtenait, harcelait un villageois avec insistance. L’angoisse de Lydia monta d'un cran. Elle devait comprendre ce qui se tramait, tout en restant aussi invisible que possible.

« Je vous l’ai déjà dit, je ne sais rien de cet Enfant-de-Dragon, répétait le villageois, apeuré. Il y a tous les jours des pèlerins qui montent les Sept-Mille marches ! Je ne sais pas s’il en fait partie, je ne sais même pas à quoi il ressemble ! »

Hunfen. Le Thalmor recherchait Hunfen. Lydia s’efforça de calmer la panique qui menaçait de la submerger. Elle savait qu’elle devait faire preuve de prudence. Elle fit semblant de se diriger vers un étal plus proche, feignant de s’intéresser aux tissus exposés. Malheureusement, le regard acéré de l’agent la repéra, et il se dirigea vers elle, sa démarche rigide et son visage empreint d’arrogance.

« Vous, Nordique, que savez-vous de l’Enfant-de-Dragon ? Répondez ! » demanda-t-il d’un ton brusque.

Lydia feignit la surprise, relevant la tête avec une expression innocente. « L’Enfant-de-Dragon ? Oh, comme tout le monde, j’ai entendu les Grises-Barbes l’appeler il y a, quoi, une quinzaine de jours ? Il doit déjà être auprès d’eux maintenant. »

Le Thalmor la scruta un instant, pesant ses mots. « Vous supposez donc qu’il est déjà au Haut Hrotgar ? » demanda-t-il, ses yeux se plissant de suspicion.

« Certainement, c’est un immense honneur de répondre à l’appel, vous savez ? Je ne vois pas pourquoi il traînerait », répondit Lydia avec un léger haussement d’épaules. Intérieurement, son cœur battait la chamade. Elle devait rassembler les provisions et retourner auprès des enfants au plus vite. Hunfen devait être éloigné de cet endroit sans délai. L’agent, exaspéré, poussa un bref soupir et se détourna d’elle, se dirigeant vers le début des Sept-Mille Marches.

Alors que la guerrière s’éloignait, une voix forte retentit sur la place :

« Vous, là ! C’est vous, celui qu’ils appellent l’Enfant-de-Dragon ? »

Lydia se retourna brusquement en direction de la voix. Deux silhouettes grotesques se tenaient au centre du marché. Leurs robes brunes leur donnaient une vague allure de prêtres, mais les masques d’os blanc et poli, sculptés en des formes inhumaines, évoquaient un culte daedrique. Leurs orbites creuses laissaient jaillir des regards intenses et déments. Lydia distingua les reflets de leurs yeux, brûlant d’une lueur fanatique, fixés à cet instant sur l’agent du Thalmor. L’elfe releva la tête, ses yeux dorés brillants de méfiance. « Qui êtes-vous ? demanda-t-il, ses mains se levant légèrement, prêtes à faire jaillir un sort. Que voulez-vous à l’Enfant-de-Dragon ? »

Les nouveaux venus ne répondirent pas immédiatement. Ils s’avancèrent d’un pas, leurs robes bruissant sinistrement, avant que l’un d’eux ne prenne la parole d’une voix grave, empreinte d’une ferveur presque sacrée : « Ainsi, c’est bien toi, imposteur. Tes mensonges ne trompent personne ! Tu n’es qu’une ombre pâle face à la lumière de Miraak, le seul vrai Enfant-de-Dragon. Quand il reviendra, tous verront et s’inclineront ! »

Lydia sentit une vague de froid la traverser. Qui était ce Miraak ? Elle n’avait jamais entendu parler de lui, mais ces fanatiques semblaient déterminés et dangereux. Avant qu’elle ne puisse agir, le Thalmor, visiblement irrité, se redressa de toute sa hauteur et lança d’un ton tranchant : « Vous êtes fous ! Je ne sais pas de quoi vous parlez.

— Tes mensonges ne t’épargneront pas ! » cria le deuxième fanatique en levant les mains. Une boule de feu jaillit de ses paumes, se dirigeant droit vers le Thalmor. Ce dernier dressa de justesse un bouclier magique contre lequel l’attaque explosa, et répliqua d’un geste fluide avec un éclair destructeur.

Le combat éclata dans une explosion de lumière et de flammes. Lydia évita de justesse une boule de feu qui alla s’écraser contre un étal, l’embrasant instantanément. Les hurlements et le chaos qui s’ensuivirent donnèrent à Lydia l’opportunité de se faufiler discrètement hors de la mêlée. Elle se glissa derrière un bâtiment, cherchant à éviter les flammes et les débris projetés par les sorts destructeurs échangés entre le Thalmor et les fanatiques de Miraak. Ses pensées tourbillonnaient alors qu’elle tentait de garder son calme : il fallait se dépêcher.

Lydia retourna rapidement à la cabane de Narfi, son esprit concentré sur la sécurité des enfants. En entrant, elle trouva Hunfen et Aventus, visiblement nerveux mais indemnes. Hunfen se précipita vers elle, les yeux grands ouverts de peur et d’inquiétude.

« Lydia, qu’est-ce qui se passe dehors ? » demanda-t-il, sa voix tremblante.

— Je ne sais pas au juste, répondit-elle précipitamment, mais nous devons mettre notre plan en action immédiatement. Aventus, Narfi, prenez les affaires. Hunfen, j’ai besoin de tes flammes pour allumer l’incendie. »

Hunfen déglutit avec difficulté, mais hocha la tête, conscient de la gravité de la situation. Il se concentra, rassemblant sa magie, tandis que Lydia et Aventus veillaient à ce que tout fût en place. Narfi, confus mais obéissant, les observait avec une anxiété palpable. Lydia jetait des coups d’œil nerveux par la fenêtre, s’assurant que le chaos du village voisin ne vint pas les perturber.

« Vas-y, Hunfen », murmura-t-elle doucement. Le jeune garçon leva les mains et, avec une concentration intense, invoqua un puissant jet de flammes qui jaillit de ses paumes. Le feu embrasa instantanément le tas de bois et de meubles. Les flammes se propagèrent rapidement, enveloppant le corps du bandit en quelques instants. Alors que l’odeur âcre de la fumée envahissait la pièce, Lydia ressentit un soulagement à l’idée que l’odeur de mort émanant du cadavre fût désormais masquée. Peut-être Hunfen ne l’avait-il pas remarquée ? Dehors, le bruit des combats et des cris des villageois se faisaient de plus en plus fort, ajoutant à la tension de l’instant.

Le brasier se propagea rapidement, obligeant le groupe à fuir la maison en toute hâte. Les flammes s'échappaient des ouvertures, engloutissant rapidement toute la bâtisse. Une fois dehors, Lydia ordonna au groupe de se mettre en route sans perdre une seconde. La fumée dense et les crépitements des flammes les poursuivaient, rappelant l’urgence de leur fuite. Cependant, Aventus s'arrêta brusquement et fit demi-tour, avant d'extraire de la fournaise un morceau de bois carbonisé.

« Aventus, qu’est-ce que tu fais ? Nous devons partir immédiatement ! » s’écria Lydia, jetant des regards inquiets vers le village en proie aux flammes et aux cris de panique.

— Juste une seconde, Lydia », répondit Aventus avec détermination. Il s’agenouilla devant la cabane en feu et frotta le morceau de bois au sol, laissant une marque noirâtre sur la terre. C’était une main ouverte, dessinée à la hâte mais parfaitement identifiable : La Main Noire.

« La Confrérie Noire ne pourra pas dire que je n’ai pas accompli ma mission, comme ça ! »

Lydia regarda avec impatience, mais comprit l’importance de ce geste. Elle se tourna vers Hunfen et Narfi, leur faisant signe de rester prêts à partir. « Dépêche-toi, Aventus. Nous ne pouvons pas rester ici plus longtemps. »

Aventus termina son dessin, se relevant rapidement pour rejoindre le groupe. Ensemble, ils se mirent en marche, s’éloignant rapidement du village en flammes en évitant tout contact avec les gardes ou les villageois paniqués. Le chemin vers Faillaise serait long, mais la sécurité était leur priorité.


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