Les enfants de Bordeciel
Chapitre 3 - Rivebois
Le soleil, qui avait atteint son zénith lorsque Hunfen s'était mis en route avec Ralof et Hadvar, était maintenant sur le point de disparaître derrière les montagnes environnantes. Cette marche avait été l’une des plus éprouvantes que le jeune garçon ait jamais entreprise, d’autant plus qu'elle avait été interrompue par une attaque de bêtes sauvages. Hunfen avait tenté d’utiliser son sort de flammes pour se défendre, mais sa concentration n’était pas encore assez rapide, et les deux adultes avaient rapidement éliminé la menace avant qu'il ne puisse libérer sa magie. Les jambes douloureuses et l'estomac criant famine, Hunfen ressentit un soulagement profond en voyant enfin le village de Rivebois se profiler à quelques centaines de mètres, promettant repos et réconfort après cette longue journée.
Le village, niché dans une clairière au bord de la rivière, entouré de majestueux sapins qui bordaient la région montagneuse, dégageait une atmosphère paisible. Les villageois, absorbés par leurs tâches quotidiennes, ne semblaient pas avoir remarqué le danger imminent. Hunfen pouvait entendre le rythme régulier des coups de marteau du forgeron et les grincements des lames de la scierie, accompagnés par le murmure de l'eau s'écoulant sur la roue du moulin. Rien n'indiquait que le dragon avait survolé ces lieux, ou alors il n’avait pas trouvé d’intérêt à les attaquer.
Tandis que le trio franchissait les portes de Rivebois, une femme blonde à l'allure robuste se précipita en leur direction depuis la scierie. « Ralof ! » s'exclama-t-elle en l'enlaçant chaleureusement. « Qu’est-ce que tu fais ici, frangin ? Tu n’étais pas aux côtés d'Ulfric ? Hod ! Viens voir qui est là !» appela-t-elle en direction de la scierie, d’où un homme blond et trapu sortit à son tour. Elle se figea en reconnaissant le légionnaire. « Bonjour, Hadvar, » le salua-t-elle plus froidement. Hadvar lui rendit son salut d’un signe de tête, tout aussi distant.
Le forgeron, un homme à la carrure imposante, arborant une barbe et des cheveux blond cendré parsemés de marques de brûlures, ainsi qu'un tablier marqué par de longues journées de travail, s'approcha à son tour. « Quelle surprise ! » s'exclama-t-il après les avoir salués. « Hadvar, l'as-tu fait prisonnier ? » demanda-t-il, curieux, en désignant Ralof.
Le sombrage éclata de rire. « Je l'étais, Alvor, mais je ne le suis plus !
— C'est une longue histoire, mon oncle, » éluda Hadvar.
Gerdur les observa un instant. « Par les Neuf, on dirait que vous avez été au feu ! Qu’est-ce qui vous est arrivé ? Et qui est cet enfant ? »
Hadvar et Ralof échangèrent un regard avant de se tourner vers Hunfen. « Voici Hunfen, dit Ralof. Nous l'avons rencontré à Helgen...
— Helgen ?! s’exclama Gerdur, surprise. Mais la ville est pleine d’impériaux ! Qu’est-il arrivé là-bas ?
— Un dragon, Gerdur, répondit son frère, le visage grave. Un dragon a détruit Helgen, et nous l'avons vu se diriger par ici. »
Les yeux de Gerdur et d'Alvor s'écarquillèrent à la mention du dragon. « Un dragon ? répéta Alvor, incrédule. Cela fait des millénaires qu'on n'a pas vu de dragon en Bordeciel ! Et même alors, ce ne sont que des légendes, non ? »
Gerdur hocha la tête, tout aussi stupéfaite. « Les légendes ont souvent un fond de vérité, Alvor. Et s'ils disent vrai, alors nous devons prendre cette menace au sérieux. Mais d'abord, vous avez tous besoin de vous reposer et de manger quelque chose. » Elle s’accroupit à hauteur de Hunfen, les yeux emplis de compassion. « Tu as dû être terrifié, petit ! dit-elle doucement. Viens, nous allons t'offrir un endroit pour te reposer et te remettre de tout ça. »
Alvor acquiesca. « Oui, venez chez moi. Il y a assez de place pour nous tous ! »
Alors qu'ils se préparaient à suivre le forgeron, une vieille femme apparut un peu plus loin, les cheveux en bataille et le regard exalté. Elle cria d'une voix tremblante : « Un grand dragon noir ! Je l'ai vu, il a survolé le village ! »
Un jeune homme aux cheveux blonds accourut vers elle, l'air embarrassé et inquiet. « Mère, calme-toi, s'il te plaît. Tu sais bien que les dragons n'existent plus que dans les légendes. Rentre à la maison et repose-toi. »
Hunfen observa la scène, une pointe de tristesse le gagnant. Il percevait la détresse des adultes présents, sans en comprendre entièrement la cause. Gerdur et Alvor échangèrent un regard inquiet, tandis que Ralof et Hadvar restaient silencieux. Le jeune homme jeta un regard d'excuse vers le groupe, puis prit doucement sa mère par le bras et l'éloigna, tandis qu’elle continuait de marmonner à propos du dragon noir.
Alvor finit par briser le silence. « Bon, ne restons pas ici. Venez chez moi, nous pourrons discuter de tout cela autour d'un bon feu et d'une soupe chaude. »
oOo
Une fois à l’intérieur de la maison d’Alvor, l’inquiétude des adultes se faisait palpable. Ils s'installèrent autour de la table, et Alvor prit la parole, s'adressant à Ralof et Hadvar. « Parlez-nous de ce dragon que vous avez vu à Helgen. A quoi ressemblait-il ? »
Les deux soldats échangèrent un regard avant de répondre. « C'était une créature immense, avec des écailles sombres, presque noires, et des yeux rougeoyants, » déclara Hadvar d'une voix grave.
Ralof hocha la tête en signe d'acquiescement. « Oui, et il était incroyablement puissant. Il a détruit Helgen en un rien de temps. »
Alvor fronça les sourcils, visiblement préoccupé. « Ce que Hilde a dit tout à l'heure... Son "grand dragon noir", cela correspond à votre description, et à une légende que mon grand-père me racontait quand j'étais enfant. Une prophétie des Parchemins des Anciens, parlant du retour d'Alduin. »
Sigrid, l’épouse d’Alvor, acquiesça, son visage marqué par l'inquiétude. « Moi aussi, j'en ai entendu parler. La prophétie dit quelque chose comme : "Des ailes noires dans le froid, quand une guerre fratricide sera déclarée. Alduin, fléau des rois, ancienne ombre libérée, de sa faim, le monde, il avalera." »
Hadvar déglutit difficilement avant de poursuivre. « Les prophéties des Parchemins des Anciens sont toujours mystérieuses, mais celle-ci est particulièrement troublante. Un héraut de la fin des temps ? »
Hunfen écoutait attentivement, essayant de comprendre les implications de cette prophétie. Le simple nom d’Alduin faisait courir un frisson glacé le long de sa colonne vertébrale. Instinctivement, ce nom lui évoquait des images de destruction, de dévoration et de domination implacable. Un sentiment de terreur viscérale le saisit, plus profond encore que la peur qu’il avait ressentie face au dragon à Helgen. Peut-être était-ce un contrecoup des événements traumatisants qu’il avait vécus, mais quelque chose dans ce nom éveillait une terreur ancestrale en lui, comme si cette menace avait été gravée dans ses os. Les adultes autour de la table semblaient eux aussi de plus en plus nerveux.
Gerdur se tourna vers Ralof, la voix empreinte d’inquiétude. « Pourquoi étais-tu à Helgen ? Tu étais censé être auprès d'Ulfric, n'est-ce pas ? »
Ralof baissa les yeux, hésitant un instant avant de répondre. « Nous sommes tombés dans une embuscade tendue par les Impériaux. La bataille a été brève et nous avons été capturés. Ils nous ont enmenés directement à Helgen pour y être exécutés, sans procès.
— C'est exact, confirma Hadvar. Le général Tullius lui-même a orchestré l'opération. J’étais présent lors de l'affrontement, sous les ordres de ma capitaine. »
Gerdur acquiesça, inquiète pour son frère. Hunfen repensa à la capitaine qui avait tenté de le tuer durant leur fuite. Il n’aurait jamais cru qu’une créature puisse le terrifier davantage que cette femme, avant que le dragon n’apparaisse. Il décida de partager son histoire.
« La capitaine… elle voulait me tuer, même après que le général Tullius a ordonné de m'enfermer, elle a essayé de me poignarder. Et, quand on fuyait le dragon avec Ralof, elle m’a donné un grand coup d’épée, mais Ralof l’a repoussée juste à temps. J’ai eu si peur que… j’ai lancé un sort de flammes sur elle, sans le vouloir. »
La tension dans la pièce devint palpable. Les visages des adultes se fermèrent en entendant le récit d’Hunfen. Gerdur et Hod échangèrent un regard inquiet, tandis qu'Alvor et Sigrid semblaient scandalisés par les actes de la capitaine.
Ralof posa une main réconfortante sur l'épaule d'Hunfen, et termina l’histoire : « Ce sort m'a laissé une ouverture, et j’ai pu la blesser. Ensuite, l'entrée du fort s'est effondrée. On a échappé de justesse. Elle n'a pas survécu. »
Hadvar semblait mal à l'aise à l’évocation de l'incident. « Je n'éprouvais aucune fierté à servir sous ses ordres, avoua-t-il. Une rumeur courait parmi les hommes, il parait que sa famille avait été tuée par des Sombrages. Sa soif de vengeance avait pris le pas sur son commandement. »
Il poussa un soupir avant de poursuivre : « Quant au général Tullius, je ne sais pas ce qu'il est advenu de lui. Il dirigeait la défense contre Alduin. J'espère sincèrement qu'il a survécu. »
Ralof hocha la tête en signe d'acquiescement. « Je n'ai pas non plus revu Ulfric. Mais je suis persuadé qu'il a réussi à s'échapper. »
Hunfen partageait l'espoir des deux hommes, se disant que des chefs de guerre tels qu'eux parvenaient toujours à survivre, même face à des situations aussi périlleuses.
oOo
Le lendemain matin, Hunfen se réveilla à l’aube, trop excité pour rester au lit. Les événements de la veille tournaient encore dans son esprit. Sortant de la maison, il aperçut Alvor, déjà au travail à son établi. En s’approchant pour l’observer à l’œuvre, il réalisa que le forgeron travaillait sur sa propre armure de cuir.
« Bonjour, jeune homme ! On dirait que tu es tombé du lit, » plaisanta Alvor en apercevant l'enfant. Il tendit le vêtement de cuir à Hunfen en ajoutant : « Tiens, essaie-la. Je l'ai ajustée pour qu'elle te convienne mieux. »
Hunfen enfila la protection, qui lui allait désormais parfaitement. « Merci, Alvor. » répondit-il en souriant, reconnaissant.
Ils furent rejoints par les autres tandis qu'Alvor effectuait les dernières retouches. Gerdur les salua et annonça : « Il faut que quelqu'un aille informer le jarl Balgruuf de l'attaque du dragon. Qu'il s'agisse d'Alduin ou non, nous aurons besoin de renforts !
— Blancherive est restée neutre dans cette guerre, répondit Hadvar avec regret. Ni Ralof, ni moi ne serons autorisés à entrer. »
Alvor hocha la tête. « Delphine, la tenancière de l'auberge du Géant Endormi, doit se rendre à Blancherive ce matin. Nous pourrions saisir cette opportunité. Hunfen, tu as été témoin de l'attaque. Accepterais-tu d'accompagner Delphine et d'aller prévenir le jarl ? »
Hunfen hésita un instant, surpris qu'on lui confie une telle mission. Il était désireux d’aider les vollageois, mais un grand nombre de questions assaillaient son esprit. Il finit par répondre : « Oui, d’accord ! Mais comment est-ce qu’on le rencontre ? Il faut demander à qui ? Et qu’est-ce que je dois lui dire exactement ?
— Ne t'inquiète pas, Hunfen, répondit Gerdur d’une voix douce et rassurante. Delphine te guidera à Blancherive et t'aidera à demander audience au jarl. Raconte-lui simplement ce que tu as vu à Helgen, et que le dragon se dirigeait par ici. »
Rassuré, Hunfen acquiesça, déterminé à relever le défi.
« Je suis sûre que tu seras à la hauteur, Hunfen. Nous comptons sur toi. » ajouta-t-elle avec un sourire confiant.
Le groupe se rendit à l’auberge, qui se trouvait non loin. C’était une longère de bois semblable aux autres bâtiments du village, distinguée seulement par l’enseigne accrochée à l’entrée. À proximité se trouvait un cheval attelé à une charrette. À l’intérieur, ils trouvèrent Delphine en train de préparer ses affaires pour le voyage. Cette Brétonne d'âge mûr arborait un visage dur et des cheveux blonds noués en queue de cheval, lui donnant un air sévère.
« Delphine, dit Gerdur, voici Hunfen. Il doit se rendre à Blancherive pour parler au jarl Balgruuf. Nous pensions qu'il pourrait t'accompagner. »
Delphine jeta un coup d’oeil à Hunfen et hocha la tête. « Bien sûr, je suis prête à partir. Nous ferons route ensemble. »
Hunfen ressentit un mélange d'excitation et d'appréhension à l'idée de se rendre à Blancherive pratiquement seul, mais il savait que c'était important et qu'il devait le faire. Serrant les dents, il se prépara pour le voyage.
Hadvar et Ralof, debout côte à côte, affichaient des expressions graves, conscientes de l’importance de la situation. Le légionnaire prit la parole en premier, posant un regard empreint de tristesse sur Hunfen : « Je dois retourner à Solitude pour faire mon rapport au général Tullius. Nous avons besoin de renforts pour affronter cette menace. »
Ralof hocha la tête, ajoutant d'un ton grave : « Et moi, je vais retourner à Vendeaume pour faire mon rapport à Ulfric Sombrage. La situation est plus critique que jamais. »
Les deux hommes se regardèrent un instant, une profonde compréhension mutuelle passant entre eux. « J'espère qu'on ne se croisera pas sur le champ de bataille, l'ami », dit Ralof avec un léger sourire amer.
Hadvar esquissa un sourire triste. « Moi aussi, Ralof. Prends soin de toi. »
Les adieux étaient empreints d'émotion alors que chacun se préparait à partir pour ses destinations respectives. Hadvar et Ralof adressèrent à Hunfen quelques mots d'encouragement.
« N'oublie pas de continuer à t'entraîner avec ton sort de flammes, Hunfen, conseilla Hadvar avec un sourire. Mais fais attention à ne pas brûler la forêt !
— Oui, on a déjà assez de problèmes comme ça ! ajouta Ralof en riant. Prends soin de toi, petit ! »
Alvor s'approcha d'Hunfen et lui tendit une dague bien aiguisée. « Tiens, je te donne ceci. On ne sait jamais ce que tu pourrais rencontrer sur ton chemin. Prends soin de cette arme, et elle te protégera ! »
Hunfen accepta la dague avec gratitude, les yeux brillants. « Merci, Alvor. Je ferai attention. »
Après des adieux brefs mais sincères, chacun partit dans une direction différente. Hunfen, armé de sa nouvelle dague et vêtu de son armure ajustée, se sentait prêt à affronter les défis qui l’attendaient. Delphine prit la longe du cheval, et ensemble, ils se mirent en route vers Blancherive, le cœur du jeune garçon partagé entre l'excitation et la détermination.