Les enfants de Bordeciel
Chapitre 2 – La fuite
Pénétrant dans le fort à la suite de Ralof, Hunfen mit quelques instants à s’adapter à l’obscurité soudaine. La pièce circulaire était presque vide, à l’exception d’un soldat Sombrage, affalé contre le mur. La traînée de sang qui menait au corps inerte laissait deviner que l’homme, grièvement blessé, avait cherché refuge ici avant de succomber à ses blessures.
« Gunjar… » murmura Ralof, les yeux empreints de tristesse. « Repose en paix, frère. »
Il se tourna vers Hunfen et, d’un geste rapide, trancha ses liens. Puis, il saisit la hache de guerre que Gunjar avait laissée et la tendit au jeune garçon. « Tiens, garde-la. Tu en auras besoin. »
Hunfen attrapa l’arme, mais elle était bien trop lourde pour lui. Il tenta de la soulever, mais dut se rendre à l’évidence : il était incapable de la manier correctement.
Soudain, des voix en approche interrompirent leur moment de répit. Ralof fit signe à Hunfen de se mettre à couvert, avant de se dissimuler lui-même. Abandonnant la hache, l’enfant se cacha derrière le Sombrage.
« Le reste des hommes tente encore de repousser la créature. Ne devrions-nous pas leur prêter main-forte, Capitaine ? » demanda une voix ferme mais respectueuse. Une voix féminine répondit sèchement : « Nous avons des prisonniers en fuite, et c’est notre priorité ! Comment ces maudits rebelles ont-ils réussi un tel tour de force ? Nous devons les retrouver et en finir ! »
Hunfen se recroquevilla dans sa cachette, le cœur battant à tout rompre. C’était la capitaine impériale, et elle voulait toujours les éliminer, lui y compris ! Il ferma les yeux, tentant de calmer sa respiration, et se concentra sur sa magie, comme s’il s’apprêtait à allumer un feu. Peut-être, cette fois-ci, pourrait-il utiliser ses flammes pour se défendre si les choses tournaient mal.
La capitaine fit irruption dans la pièce, accompagnée d’Hadvar. Ce dernier restait silencieux, une lueur de désapprobation dans le regard. En apercevant Ralof, elle dégaina son épée et se précipita vers lui. « Avec moi, soldat ! » cria-t-elle en attaquant. Le Sombrage para le coup et tenta de répliquer, mais sa frappe fut absorbée par la solide armure de la capitaine. Leurs armes s’entrechoquèrent à plusieurs reprises, créant un ballet d’étincelles, tandis qu’Hadvar, épée en main, intervenait avec moins d’ardeur.
Après un moment, la capitaine remarqua Hunfen, dissimulé dans l’ombre. « Tiens, tiens ! On n’en avait pas fini ! » lança-t-elle avec un sourire cruel, s’avançant vers lui, laissant Hadvar seul face à Ralof. Elle leva son épée, prête à porter un coup mortel. Terrifié, Hunfen poussa un cri et tendit ses mains pour se protéger. La lame s’abattit, mais fut déviée in extremis par la hache de Ralof. Le choc des armes fit voler l’épée de la capitaine contre le mur, à quelques centimètres du visage de l’enfant. Par réflexe, Hunfen ferma les yeux avec force, cherchant à repousser la menace. Un grondement menaçant envahit soudain ses oreilles, suivi d’une lumière vive qui traversa ses paupières fermées. Ouvrant les yeux, il vit à travers ses doigts la capitaine impériale se protéger d’un bras contre un jet de flammes. Il comprit alors qu’il avait, malgré lui, déchaîné sa magie.
Déstabilisée par l’assaut inattendu, la capitaine laissa une ouverture dans sa défense. Ralof, le visage crispé par la rage, en profita pour porter un coup puissant qui l’atteignit. Lâchant son épée, la capitaine fléchit un genou et s’appuya contre le mur, une main pressant son flanc endolori. Hunfen, assis contre le mur, tentait de reculer en poussant sur ses pieds, terrifié.
« Elle… elle a essayé… de me tuer… encore… » balbutia-t-il, paniqué. « Là… juste maintenant… et avant… pendant l’exécution… Le général… il a dit… Elle m’a emmené à l’écart… Elle a sorti une dague… J’ai eu peur… Puis le dragon… est arrivé… Je me suis échappé… Mais elle… elle était là… Et j’ai eu… si peur ! »
Les larmes dévalaient sur ses joues, tandis qu’un profond soulagement l’envahissait. Il se sentait honteux de pleurer ainsi devant ces adultes, mais il ne pouvait retenir l’émotion qui le submergeait.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, Hunfen vit la capitaine étendue sur le côté, ne s’appuyant plus que sur son coude. Elle fixait Hadvar avec mépris, alors que celui-ci avait rangé son épée. « Battez-vous… Traître ! » articula-t-elle avec difficulté. Hadvar se redressa, son maintien impeccable contrastant avec la colère glaciale qui se lisait sur son visage.
« Ne m’appelez pas traître ! » rétorqua-t-il avec froideur. « Vous avez désobéi à un ordre direct du Général. Vous avez abandonné vos hommes ! Et maintenant, ça ? »
Le légionnaire serrait fermement le pommeau de son épée, tentant de maîtriser sa fureur. La capitaine, le souffle court, était visiblement affaiblie, mais la rage brillait toujours dans ses yeux. « Qu’importe… Ces chiens de Sombrages méritent de… »
Soudain, une secousse violente ébranla le sol, fissurant les murs autour d’eux. Ralof, empoignant Hunfen, s’écria : « Au fond ! » et se précipita plus profondément dans le fort. Ils venaient à peine de quitter la pièce lorsqu’un fracas assourdissant retentit. L’entrée du bâtiment n’était plus qu’un amas de pierres.
« Bon sang ! Ce dragon n’arrête donc jamais ?! » s’exclama le Sombrage en reposant l’enfant. Il scruta l’entrée du fort, désormais obstruée par des débris. À côté, Hadvar se relevait péniblement, le souffle court après avoir échappé de justesse à l’effondrement. Les deux hommes, bien que soulagés d’avoir évité un sort funeste, avaient les traits tendus. La capitaine impériale, quant à elle, gisait sous les décombres.
Les deux guerriers s’étaient adossés à un mur, reprenant leur souffle. Ralof lança un regard en coin à Hadvar, un sourire ironique sur les lèvres. « Ça faisait un bail, hein, Hadvar ? J’aurais jamais cru te revoir dans des circonstances pareilles ! »
Hadvar esquissa un sourire en retour. « En effet, Ralof. Il semblerait que le destin ait un sens de l’humour assez particulier. »
Ralof se mit à rire doucement. « Toujours aussi guindé et impeccable, hein ? Enfin, sauf maintenant ! »
Hadvar jeta un coup d’œil à son armure, souillée et endommagée par l’attaque de la ville. « Toi, ça ne change pas grand-chose, répliqua-t-il en riant à son tour. Tu as toujours ce côté négligé qui te va si bien. Mais je dois admettre que cette aventure n’a pas arrangé mon apparence non plus. »
Hunfen, épuisé et désorienté, observait les deux hommes, perplexe. Comment pouvaient-ils plaisanter après tout ce qu’ils venaient de vivre ? Il devina que ces guerriers se connaissaient depuis longtemps, partageant des souvenirs forgés par les batailles. Leur légèreté temporaire lui offrait un répit, un semblant de normalité au milieu du chaos.
« Le gamin a un sacré don pour la magie, surtout pour un Nordique de son âge », remarqua soudainement Ralof, en jetant un coup d’œil à Hunfen.
Hadvar acquiesça. « C’est vrai, ce sort de flammes est impressionnant pour un enfant qui n’a jamais été formé par un mage. Comment t’appelles-tu, garçon ? »
Hunfen, malgré l’angoisse qui continuait de le tenailler, sentit une pointe de fierté à l’entente de ces compliments. Jamais il n’aurait cru que ce simple sort, utilisé pour allumer des feux de camp, puisse être considéré comme un talent, encore moins comme une arme. « Je… je m’appelle Hunfen », répondit-il timidement.
Ralof reprit la parole, son ton redevenant sérieux : « Maintenant qu’on est coincés ici, il faut trouver un moyen de sortir. Hadvar, tu connais une autre sortie ? »
« Oui », répondit le légionnaire en hochant la tête. « Le fort comporte une sortie annexe qui mène à une grotte. C’est notre meilleure option pour nous échapper. »
« Je te suis », approuva Ralof. « Tu crois que d’autres ont réussi à se réfugier ici ? »
« C’est possible », admit Hadvar, pensif. « Écoute, pour ne pas éveiller les soupçons, si on croise des Sombrages, je te donnerai mon épée et je ferai semblant d’être ton prisonnier. Et si on tombe sur des Impériaux… »
« On inverse les rôles ! » compléta Ralof, amusé. « Bonne idée ! À mon avis, tout le monde cherche à fuir, mais on ne sait jamais… »
Hunfen, luttant contre la fatigue, sentit ses paupières s’alourdir. Il se battit pour rester éveillé, mais l’épuisement finit par l’emporter. Bercé par les voix des deux hommes élaborant leur plan, il s’endormit profondément, épuisé par les épreuves de la journée.
oOo
Lorsque Hunfen rouvrit les yeux, une lumière vive se profilait à quelques mètres, signalant la sortie de la grotte. Reprenant ses esprits, il réalisa qu’il était porté sur le dos de Ralof. Gêné, il se redressa légèrement.
« Je suis désolé… » balbutia l’enfant, honteux. « Je ne voulais pas m’endormir… »
« Ne t’inquiète pas, petit », le rassura Ralof en le déposant au sol. « Après une journée pareille, c’est normal que tu sois épuisé. »
Hadvar acquiesça, un sourire bienveillant sur les lèvres. « Repose-toi quand tu en as besoin, Hunfen. Il nous reste encore du chemin à parcourir. »
En sortant de la grotte, Hunfen leva les yeux vers le ciel et aperçut le dragon qui s’éloignait vers le nord-est. Ralof et Hadvar échangèrent un regard inquiet.
« Il va vers Rivebois… » murmura Ralof, l’anxiété palpable dans sa voix.
« C’est notre village d’enfance », expliqua Hadvar à l’enfant, les yeux fixés sur la silhouette du dragon. « Nos familles sont là-bas, nous devons les avertir ! »
Hunfen hocha la tête, comprenant l’urgence de la situation. Il se demanda ce que son propre père faisait à cet instant. Le cherchait-il désespérément, ou avait-il dû fuir pour sa propre sécurité ? Ces pensées torturaient l’esprit du jeune garçon, mais il savait qu’il devait se concentrer sur le présent. Il n’avait nulle part où aller, alors suivre Hadvar et Ralof était sa meilleure option.
« Je viens avec vous », déclara-t-il avec détermination. « Peut-être que mon père est passé par là en me cherchant… »
Ralof posa une main réconfortante sur l’épaule du garçon. « Bien sûr, Hunfen. On t’aidera à le retrouver. Mais d’abord, il faut avertir les gens de Rivebois. »
Hadvar jeta un dernier coup d’œil à la vallée en contrebas, où une petite rivière serpentait paisiblement. « Il nous faudra traverser la forêt. Espérons que le dragon ne frappera pas immédiatement. »
Hunfen sentit l’appréhension monter en lui, mais il savait qu’il devait rester fort. Inspirant profondément, il calma son cœur affolé.
« D’accord », dit-il, sa voix légèrement tremblante mais résolue. « Allons-y. »
Ralof et Hadvar échangèrent un regard amusé, mais empreint de respect. Ils pouvaient voir en Hunfen un courage naissant, une force intérieure qui ne demandait qu’à s’affirmer. « Très bien, Hunfen. Reste près de nous », déclara Ralof, avant de s’engager sur le sentier qui descendait vers la vallée. Hadvar le suivit, jetant un regard rassurant à l’enfant. Hunfen, bien qu’encore terrifié par l’incertitude de ce qui les attendait, se prépara à marcher aux côtés de ses nouveaux compagnons, résolu à retrouver son père et à prouver sa valeur dans ce monde impitoyable.