Jay'la et l'Histicide

Chapitre 9 : Une Réunion entre Amis au Creux de Ruines Poisseuses

2718 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a environ 1 an

Cuiwen fonctionnait à l'instinct. Il lui suffisait d’un “je-ne-sais-quoi” qui lui soufflait intérieurement de se méfier de tel ou tel individu pour échapper au désagrément de ce qu’on appelait dans le jargon un “ sacré coup de pute.” Pourtant, elle venait d’en subir un beau. Celui-là, elle ne l’avait pas vu venir. Elle avait baissé sa garde. Les avertissements délirants de Xer prenaient maintenant tout leur sens. 


— Ardtman ? articula-t-elle d’une voix hésitante. Et Xer ? Et les autres, qu’est ce que tu leur as fait ?


— Ils vont bien, assura Ardtman qui ne détourna pas son arbalète pour autant. Je les ai enfermé dans la chambre n°2. Ils sont furieux mais en bonne santé. Quant à Xer, il a essayé de me désarmer. Ne t’inquiète pas, sa blessure n’est pas mortelle et je ne l’ai qu’assommé. Maintenant ne fais pas d’histoires, s’il-te-plaît : jettes tes armes, Weny. 


— Je t'interdis de m'appeler comme ça ! 


— Comme tu veux, mais jette-les quand -même. Allez !


— Tu n’oserais pas me tuer. 


— Fais attention : ce seraient  des dernières paroles très ironiques.  


Cuiwen avança d’un pas, le regard fixé dans les yeux dans son ancien ami.  Le doigt d'Ardtman se crispa sur la détente, sans oser la presser.  Un rictus victorieux étira les lèvres de Cuiwen.


—  Bon, j’aurais peut-être des scrupules à te tuer, avoua Ardtman. Mais pas à t’estropier, si tu fais la difficile. 


Joignant le geste à la parole, il baissa légèrement son arme et visa les genoux de Cuiwen. Bravache, elle avança son pied, amorçant un pas supplémentaire. Pourtant, il suffisait d’un “je-ne-sais-quoi”... Il disait vrai. Son rictus s'effaça.


Elle jetta à terre son arc et son étui, plus brutalement qu’elle ne l’aurait souhaité. Elle dégaina le couteau qu’elle portait à la hanche. Avait-elle le temps de le lancer à la tronche de ce mufle avant que son carreau ne fende l’air ? Avec dans la balance sa capacité future à marcher sur deux jambes, le jeu n’en valait pas la chandelle. Cuiwen le laissa tomber d’un geste désinvolte. Il ne lui restait que sa fierté blessée à opposer à l’arbalète du félon. 


— Bien. Merci. Nous allons maintenant pouvoir attendre calmement nos invités.


Les questions se mélangeaient dans sa tête. Une, en particulier, lui traversa l’esprit :


— Mais pourquoi ?


— Parce que je ne compte pas passer le reste de ma vie à épousseter au pinceau de vieilles ruines humides. J’en ai marre, marre, je n’ai pas vu grandir mes gosses et ça m'a coûté mon mariage. Je veux pouvoir prendre ma retraite mais pour ça, j’ai besoin d’argent. Heureusement, j'ai découvert un tuyau qui peut rapporter gros. Très gros. Tout aurait pu se dérouler sans problème, mais non ! Il a fallu que tu débarques à l'improviste pour prévenir tout le monde que Jay’la arrivait. J’ai dû me débrouiller pour reprendre les choses en main. Maintenant, on en est là. Uuwej et Jaalih sont morts par ta faute. 


— Jay’la ? C’est qui ça ? Et comment ça c’est ma faute ? Tu nous vends à des hors-la-loi et c’est à cause de moi que des gens meurent ? C’est toi, espèce de sale petit égoïste ! Tu crois que tout ça vaut le coup? Je comprends mieux pourquoi Sabine t’as largué ; Je comprends mieux pourquoi JE t’ai largué ! 


— Ah ! Ça c’est petit ! Je te rappelle que c’était d’un commun accord. 


Au sol, Xer remuait doucement. Il poussa un gémissement lorsqu’il tenta en vain de se redresser. Sans réfléchir, Cuiwen s’élança l’aider mais d’un mouvement d’arbalète, Ardtman la rappela à l’ordre. Elle le fusilla du regard. 


Des pas résonnèrent bruyamment au-dessus de leurs têtes, depuis l’extérieur de la pyramide. Le remue-ménage approchait. 


— Ohé ! Par ici ! C’est Ardtman Pierre-Sèche, vous pouvez entrer ! Tous les défenseurs sont neutralisés. 


— C’est vous, Ardtman Pierre-Sèche ? demanda d’une voix éraillée un dunmer sinistre dont le visage en lame de couteau apparut au sommet de l’échelle. 


— C’est exact, bienvenue. Xolothl est à vous. 


Le dunmer jaugea un instant la situation. Ses yeux, deux fentes étroites de métal en fusion, sautèrent d’Ardtman à Cuiwen, de Cuiwen à Xer qui, à présent assis, se frottait le crâne d’un air hagard. Le sang coulait toujours de son cou, mais moins qu’avant. Il commençait à sécher à la surface de ses écailles. 


— Il n’y a qu’eux deux ? Et le reste ?


— J’ai réussi à les enfermer  dans une salle. Ils ne poseront pas de problèmes. 


Le dunmer poussa un sifflement au timbre modulé. Quelques instants plus tard, le reste de la bande descendit l’échelle à la queue-leu-leu et se répandit dans le hall de la pyramide. 


— Je vous avais prévenue, madame Cuiwen…


— Je sais, Xer. Désolée. Ça va ? 


— Pas trop. Mais ça passera.


Les brigands se divisaient pour moitié en dunmers, pour l’autre en hommes râblés que Cuiwen jugeait venir de Cyrodiil. Ils portaient des bottes crottées, des vêtements informes et décolorés. Du cuir, de la broigne, de la toile épaisse imperméabilisée, un assemblage hétéroclite de mailles et de pièces d’armures mouchetées de rouille. 


Leurs muscles étaient noueux, leurs visages burinés, mangés de barbe. Tous portaient des cicatrices et la même lueur dans le regard, celle de chiens sauvages qui ont trop longtemps contemplé la mort pour s’en émouvoir. 


— Où est Jay’la ? demanda Ardtman.


— Elle arrive. Elle a préféré s’assurer personnellement que les environs ne réservaient plus de surprises. 


Il reposa son arbalète contre le mur, mais Cuiwen ne bougea pas pour autant. Ses complices avaient pris le relais. Une muraille humaine armée jusqu’aux dents se dressait autour de Xer et elle. Elle ne laissait aucun échappatoire. 


Leur arsenal, simple et sans fioritures, se composait de fauchons, de hachettes, de javelines, de poignards en grand nombre, de petits boucliers circulaires et de quelques arcs et arbalètes. Leurs airs de brutes indiquaient qu’ils savaient s’en servir et le feraient sans hésiter. 


Un impérial émacié approcha son nez de celui de Cuiwen. Ses cheveux coupés ras grisonnaient sous le casque de légionnaire terni coiffé sur sa tête. Des morceaux gluants de chique de tabac tapissaient ses dents jaunes et inégales, dévoilées par un sourire cruel. 


Cutlexecuh-Ta-Xolothl ne sentait pas la rose, mais la surpopulation du hall empirait désormais les choses. Cette espèce de brute à deux pas seulement de son nez n’arrangeait rien non plus. Cuiwen fronça les narines, écoeurée par l’odeur rance de son haleine fétide, par les relents de vieille boue fermentée qui émanaient de chaque pore de sa peau, de chaque fibre de ses vêtements détrempés, comme s’il sortait d’une séance de natation dans une mare d’excréments. Elle ne le jugeait pas, ceci dit. Elle aussi devait embaumer à peu près le même parfum. 


L’homme renifla bruyamment. Cuiwen loucha sur la hachette dangereusement aiguisée, qu’il baladait un peu trop proche de son corps à son goût. Son cœur se mit à cogner sensiblement plus fort dans sa poitrine. Elle tâcha de n’en rien montrer. 



— C’toi la drôlesse qu’a esquinté Cletus ? 


Cletus ? Qui ça ? s’étonna Cuiwen avant de se rappeler que tout à l’heure, l’une de ses flèches avait fait mouche et que la victime était bel et bien un être humain qui portait un nom. Que d’autres appréciaient. 


— Euh, je crois bien…


Le bandit fronça les sourcils. D’un geste brusque, il brandit sa hachette par-dessus le crâne de Cuiwen. Elle sauta en arrière, les dents serrées, les yeux fermés, les bras dressés devant elle, bouclier dérisoire face à la mort. L’homme ne frappa pas. Il cracha. Satisfait du sursaut de sa victime, il baissa son arme et tourna les talons. Il balança au passage un coup de pied dans l’arc de Cuiwen, qui gisait abandonné sur le sol à côté de son couteau. 


— Ne refaites plus jamais ça, gronda Ardtman. 


— Ta gueule, toi ! rétorqua Cuiwen du tac-au tac. 


Les bandits exploraient la salle, farfouillaient dans les affaires des chercheurs. Cuiwen ravala la bile qu’elle rêvait de leur déverser.


L’un des dunmers, accroupi près du feu, souleva le couvercle de la marmite et,  troquant sa lame contre une cuillère, goûta du bout des lèvres une gorgée du sempiternel ragoût. 


— Ôtez vos sales pattes, ce n’est pas pour vous.


— Servez-vous, c’est là pour ça, coupa sèchement Ardtman. Vous devez être affamés. 


Cuiwen s’imagina lui fourrer la tête dans la marmite. Son sang brûlait dans ses veines. Elle observa, impuissante, les envahisseurs se servir avec des murmures satisfaits de pleines bolées des patates qu’elle avait elle-même épluchées. A la vue de ce spectacle, son ventre ne manqua pas de lui rappeler l’heure du repas différée par cet imprévu. 


L’échelle remua bruyamment. Une nouvelle fournée entrait dans la pyramide. Un bandit dunmer tout d’abord, puis un impérial blanc comme un linge qui descendit l’échelle lentement, barreau après barreau, à gestes tremblants. Il grognait, râlait chaque fois que son poids se reportait sur sa jambe gauche, dont le haut de la cuisse s’ornait d’un épais bandage, que le sang commençait à imbiber. 


Zut, ce fameux Cletus vivait encore. Avec un peu de chance, une infection finirait le travail entamé par sa flèche. 


Quelqu'un aida Cletus à descendre les derniers barreaux de l’échelle. Le blessé se laissa tomber contre un mur proche en gémissant, les doigts crispés  sur sa cuisse meurtrie. 


Vint ensuite un argonien résigné. Il ne portait pas d’armes, seulement un grossier pagne gris enroulé autour de ses hanches. Il ne prêtait aucune attention aux brutes sanguinaires, mais prenait le temps de jeter sans cesse des regards ébahis sur chacune des  pierres de Cutlexecuh-Ta-Xolothl. Ce regard, Cuiwen le connaissait bien. Elle avait posé le même sur ces ruines en les découvrant une semaine auparavant. C’était le regard d’amour d’un passionné, qui remarquait et comprenait les infinis détails qui rendaient ce lieu exceptionnel. 


— Maître Teramzu, enchantée de vous rencontrer ! Vos travaux sont une inspiration pour moi. Je suis soulagée de voir que vous allez bien. Ces rustres ne vous ont pas malmené ? 


Teramzu sursauta. Aucun lien ne le retenait et Cuiwen ne décelait aucune blessure visible à la surface de son corps. L’homme qui avait assisté Cletus fit de même pour lui d’une main aimable. Personne ne le menaçait et le vieil érudit ne montrait aucun signe de vouloir s’échapper.


— Mademoiselle Cuiwen ?  dit-il d’une voix traînante. Je ne m’attendais pas à vous rencontrer ici. 


— Je suis venue vous sauver ! 


Teramzu jeta un regard circulaire sur le hall, envahi de hors-la-loi. Cuiwen rougit.


— Oui, bon , je sais : il y a encore quelques détails à régler en la matière. 


— Pourquoi n’avez-vous pas simplement prévenu les autorités, plutôt que de vous mettre en danger ? 


— J’ai improvisé…


En entendant le nom de “Jay’la”, Cuiwen s’était évidemment figurée une khajiite. Elle se l’imaginait comme le reste de sa bande : une marginale, une chose coriace comme du vieux cuir, tannée par les épreuves et par les éléments ; le poil rêche, le visage dur, couturé et imprégné de la cruauté nécessaire pour plier les soudards à sa volonté. 


Quand elle aperçu la femme-chat perchée sur les barreaux de l’échelle, rien n’était plus faux : Jay’la – car Cuiwen devinait que c’était elle qui descendait maintenant – était svelte, se mouvait avec grâce et élégance. Elle ne possédait aucune arme. Aucune de visible, tout du moins. Elle était propre, aussi. Enfin, à peu près : une épaisse vase noirâtre engluait ses bottes, maculait ses braies et tachait son long imperméable beige, humide de pluie. Mais son poil fauve, lisse et soigneux, luisait impeccablement. Son visage gracile aux grands yeux dorés s’ornait d’un exotique chapeau de paille, décoré de rubans et d’une fleur carmin. Des bagues brillaient autour de ses doigts, des bracelets autour de ses poignets, des colliers autour de son cou et par-dessus le marché, elle portait du vernis à ongles à ses griffes proprement limées. Du vernis à ongles !


Ardtman lui serra la main. 


— Je suis ravi d’enfin vous rencontrer en personne, Jay’la. 


— Celle-ci partage ce plaisir, monsieur Pierre-Sèche. Tout s’est-il déroulé comme prévu ? 


Une dernière personne fit irruption dans la pyramide. Cuiwen manqua de tomber à la renverse, les cheveux hérissés sur son crâne : Un tigre, hirsute, énorme comme un ours. Il sauta tout en douceur au pied de l’échelle et malgré sa masse, aucun son ne le trahit à l’impact. Sa longue queue se balançait doucement dans son sillage comme un serpent hypnotique. Les battements du cœur de Cuiwen, un instant suspendus, reprirent lentement leur rythme normal ; jusqu'à ce qu’il ne pousse un grondement guttural dans sa direction qui dévoila une armée de crocs longs comme son avant-bras. Les épaules basses, l’arrière-train levé, les oreilles couchées,  il se glissa tout près d’elle et de Xer. L’argonien recula jusqu'à se retrouver collé au mur, recroquevillé jusqu'à se fondre dans la pierre. La bête tourna vers lui la fente étroite de ses pupilles. Il huma son sang. Et se lécha les babines. 


Les bandits ignoraient cette arme sur pattes, visiblement blasés par l’habitude de sa présence. Pas Ardtman, se rassura Cuiwen. Le traître pâlissait. Ses yeux écarquillés ne parvenaient à se détacher des crocs acérés du félin. 


— Pas tout à fait, mais tout est sous contrôle. Cette bosmer et cet argonien voulaient sauver Teramzu et sachant que vous viendriez ici, vous ont devancés pour nous prévenir.  J’ai dû agir pour éviter un bain de sang. Les autres membres de l’expédition ne causeront aucun problème, je les ai enfermés. Ils sont dans la chambre nº 2. Je… je vais vous montrer sur le plan. 


La voix d’Ardtman tremblait. Bien fait. Ce salaud méritait bien son caca-culotte. Mais c’était face à Cuiwen que se dressait le fauve. Vers elle qu’il découvrait sa gueule hérissée de couteaux. Elle sentit son dos heurter le mur. Et ne pouvait reculer d’avantage. 


—  Excellent travail. Salamandre, va avec Jax, Brethyl et Martial t’assurer que prisonniers ne peuvent s’évader. 


— Mais ne leur faites pas de mal, hein ? s’inquiéta Ardtman. Tout est sous contrôle, je vous l’assure, la violence n’est pas nécessaire. 


— Elle ne le sera pas si personne ne joue plus les fortes têtes. Rhendon, occupe-toi de la blessure de Cletus. Et soigne aussi celle de l’argonien. La khajiite n’est pas rancunière. Monsieur Pierre-Sèche, expliquez à celle-ci comment trouver Folfoliol. Il est temps de se mettre au travail. 

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