Jay'la et l'Histicide

Chapitre 3 : Cuiwen

2398 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a presque 3 ans

Pour espérer rencontrer Teramzu, il fallait le mériter. A partir de Fort-Tempête, une ancienne route impériale aujourd’hui envahie de végétation serpentait vers le sud-est. Une fois atteint Verglade, il fallait emprunter en pirogue un réseau labyrinthique de rivières et ruisseaux. Même un voyageur habitué risquait de se perdre au milieu de ces méandres dont le cours variait sans cesse à mesure que de nouveaux bras se formaient, se tarissaient, sans cesse se déplaçaient. Le voyageur arrivait alors, si les monstres ou la fièvre des marais ne l’avaient pas déjà emporté, à un misérable hameaux anonyme dont nulle carte ne faisait mention. C’était à quelques encablures de là, dans une petite clairière ouverte à la machette, que l’extravagant érudit solitaire vivait volontairement isolé de toute civilisation. 


Tout ces efforts, Cuiwen était prête à les relever pour le privilège de rencontrer un savant de cette envergure. Il y avait tant à apprendre de sa bouche. L’aventurière bosmer avait essayé des années durant de prendre rendez-vous, mais Teramzu filtrait scrupuleusement ses rares invités. Il n’en acceptait que très exceptionnellement. Chacun de ses courriers étaient resté lettre morte. Cuiwen avait fini par oublier ce projet, jusqu’au jour où par l’intermédiaire du Cercle des Historiens de Fort-Tempête, elle avait apprit avec stupeur que l’argonien souhaitait discuter avec elle de sujets dont ils partageaient un commun intérêt. 


Il fallait mentionner que Cuiwen, après avoir longuement exploré les antiques cités dwemers du nord, hautement contribué à l’état actuel de la recherche concernant les ruines nèdes en Martelfell, rempli de fabuleux vestiges ayléides les étagères des musées des organisations qui finançaient ses recherches, entreprenait à présent les fouilles d’anciens sites argoniens. Ses travaux avaient éveillé l'attention de Teramzu et Cuiwen avait plus que hâte de faire sa connaissance, consciente du rare privilège qu’il lui accordait. A condition d’arriver jusqu’à lui…


Plutôt grande pour ceux de sa race, Cuiwen était une elfe athlétique, autant à l’aise dans les étendues sauvages où se cachaient généralement les sites de fouilles que dans les couloirs des universités qu’elle hantait entre chacune de ses expéditions. Le gel et le soleil avaient halé son teint au fil des ans, durcit ses traits. Le maniement de la pelle, parfois de l’épée, avait couvert ses mains de cals. Nul cheveux blancs ne poussait encore dans son épaisse tignasse sombre et frisée mais elle apparaissait tout de même bien plus vieille que son âge véritable. Et se vexait facilement lorsqu’on le lui rappelait. 


Ecaille-de-Tortue, recteur de Fort-Tempête, l’avait bien prévenue que le cadre de vie de Teramzu serait inversement proportionnel à son prestige académique. Cuiwen ne ressentit donc aucune surprise que son guide argonien n’échoue leur pirogue devant une minuscule cabane de boue séchée construite à même la berge humide ; seulement un peu d'étonnement devant l’incroyable humilité du savant, alors même que le luxueux confort des institutions académiques lui tendait les bras pour peu qu’il accepta.  


— Monsieur Teramzu ? appela Cuiwen, sans trop savoir ce qu’il convenait de faire à présent. La hutte ne disposait pas de porte, seulement d’un rideau grossier qui l’isolait de l'extérieur. Elle frappa plutôt du poing sur le mur de torchis, sans que personne ne lui répondit. 


S’était-il absenté ? Possible. Ecaille-de-Tortue avait organisé la rencontre. Étant donné la difficulté du voyage, il eut été optimiste de conclure d’un horaire exacte pour le rendez-vous. Ni même d’un jour exact. L'intermédiaire avait donné un genre de fourchette assez large : « Il attendra votre venue entre la première et la seconde semaine de Hautzénith, » avait-il dit. 


Teramzu ne s’éloignait, disait-on, jamais de chez lui. Mais Cuiwen ne s’attendait pas à ce qu’il restât perpétuellement enfermé. Il devait bien pêcher, chasser, trouver sa nourriture. Peut-être avait-elle simplement débarqué au mauvais moment, alors qu’il vaquait à ses occupations ? 


Dans ces marais, personne ne se déplaçait bien loin sans user d’embarcation quelconque. Un détail, alors, la faisait douter de cette hypothèse : comment se faisait-il que la pirogue de Teramzu fût ici, retournée sur la berge ? Pire, d’où venaient les profonds sillons imprimés dans la vase par trois pirogues récemment jetées à l’eau à cet endroit ? Et plus inquiétant encore, les multiples traces de pas fraîches qui se chevauchaient tout autour de la cabane ? Une série d’entre elles semblaient appartenir, Cuiwen en eut froid dans le dos, à une sorte de tigre ou de panthère gigantesque. Quelque chose clochait.


Tant pis pour l’intimité de Teramzu. Cuiwen franchit le rideau, pénétra dans le domicile qu’elle trouva effectivement désespérément vide. Difficile de croire qu'habitait là un savant réputé par delà les frontières. L’intérieur y était aussi spartiate que l’aspect extérieur le laissait deviner : une fosse à feu où fumait encore un bloc de tourbe, une natte où s’allongeait pour dormir l’homme-lézard, quelques pots et vanneries grossières, des rangées d’anguilles qui séchaient au plafond, un tabouret, une table encombrées de lettres et paperasses. 


Cuiwen gardait dans la pirogue un gros sac de courrier confié à Fort-Tempête par Ecaille-de-Tortue, avec la mission de le remettre à Teramzu. C’était ainsi qu'en de de son exil, l'érudit solitaire restait en contact avec le monde académique . Ses visiteurs lui apportaient des articles, publications et correspondance, puis repartaient avec ses réponses et le les manuscrits de ses propres contributions. 


Il faisait sombre, ici. L’âcre fumée qui s'amoncelait dans la pièce et piquait les yeux de la bosmer voilait le peu de lumière qui filtrait à travers les maigres ouvertures. Cuiwen alluma une bougie graisseuse pour y voir plus clair tandis qu’elle consultait la documentation laissée par Teramzu. Ce fût en vain qu’elle avait espéré y trouver un indice, quelque-chose qui indiquerait où avait-il bien pû disparaitre, une note à son attention. Rien d’anormal ne transparaissait de son courrier : une série d’articles raturés d’annotations sur l’artisanat kothringi, la préface d’un ouvrage publié par le Synode Impérial, les échanges d’informations d’un archimage bréton. 


— Votre ermite, il n’est pas là ? s’inquiéta Xer, son guide, quand l’aventurière ressorti de la cabane. 

   

Accroupi au bord de l’eau dans laquelle il laissait tremper sa queue, le chasseur avait allumé sa pipe, bourrée de mousses malodorantes qu’il cueillait dans les mangroves. Il en tirait des bouffées épaisses comme une nuée du Vvardenfell, à peu aussi saine pour les poumons, mais qui avait toutefois le bon ton d’éloigner radicalement les mouches carnivores et les moustiques gros comme un phalange qui essaimaient dans les marais.


— Non. Tout porte à croire qu’il a été enlevé. Il y a quelques heures à peine. » 


Mais par qui ? Pourquoi ? D’une poussée vigoureuse, Cuiwen repoussa la pirogue pour la remettre à l’eau. Ses bottes pataugèrent dans la vase détrempée lorsqu’elle monta dedans, mais l’étanchéité du cuir huilé tint bon. Dans cette province, le voyageur avisé découvrait bien vite que garder ses pieds au sec demeurait la principale astuce pour rester sain et sauf. Cuiwen avait songé à apporter plusieurs paires de solides chaussettes en laine et n’oubliait jamais d’en changer à chacune de leurs pauses. Des vêtements de toile guère élégants mais résistants, un pourpoint de cuir, des gants de travail, un poncho ciré et un bandeau pour tenir en arrière les centaines de spires de sa chevelure complétaient le reste de sa garde-robe. 


« On va aller le chercher. »


Précision inutile. Xer s’était déjà levé. Il oblitéra de son pouce le foyer de sa pipe, la rangea dans sa besace une fois éteinte et vint prendre sa place habituelle à l’avant de l’embarcation. Il accompagnerait Cuiwen où qu’elle aille. Après tout, elle le payait son guide à l’heure et ce, plutôt généreusement. Une question, néanmoins, restait en suspens : 


— Par où va-t-on ? 


Cuiwen fonctionnait à l’instinct. Un instinct qui l'avait bien souvent tirée des périlleuses situations qui jalonnaient le quotidien des gens de sa profession. Savoir prendre une décision en une fraction de seconde faisait toute la différence entre un chasseur de trésor vivant et un chasseur de trésor broyé par une chute de pierre. Et il suffisait d’un “je-ne-sais-quoi” qui soufflait intérieurement de se méfier de tel ou tel individu pour échapper au désagrément de ce qu’on appelait dans le jargon un “ sacré coup de pute”.


— Vers le sud, je dirais…


Eux venaient du nord. Peut-être auraient-ils croisé Teramzu et ses ravisseurs si eux s’en allaient dans ce sens. Ça ne prouvait rien en soi. Il existait dans cette région du marais tant de chenaux et d'îlots qu’ils auraient pu prendre mille voies différentes sans jamais s’y rencontrer. Mais il fallait choisir une direction et Cuiwen laissa parler son intuition. 

   


***



Fallait-il abandonner les recherches ? La question ne tarda pas à effleurer l’esprit de Cuiwen lorsque plusieurs heures après avoir quitté sa cabane, aucun signe de vie ne s’était encore manifesté. La bosmer n’avait beau connaitre le savant que de réputation, son bon cœur et la plus naturelle des charité emplissaient son cœur de remord à l’idée d’abandonner à son triste sort ce pauvre argonien. 


 — La nuit va bientôt tomber, » fit remarquer Xer. « Et le marais est dangereux passée l’heure du crépuscule. » 


Ils risquaient plus que de simplement se perdre. Les serpents, les nagas, toutes ces autres créatures faites de crocs et de venin sortaient alors chasser. Les ombres se peuplaient alors d’illusions, de spectres, de feux follets. Ils égaraient dans les tourbières les voyageurs imprudents pour les y noyer, corps et âme. Et comment, de nuit, différencier l'inoffensif colline du wamasu adulte, le simple tronc d’arbre du crocodile enragé ? Comment savoir que l’on ne s’apprêtait pas à s’aventurer dans un bosquet de sumac, à poser le pied sur une étrangleuse ? Progresser dans le Marais-Noir exigeait une attention de tout les instants. Xer avait raison. Le crépuscule mettait un terme aux recherches, même si cela signifiait perdre à jamais Teramzu.


Cuiwen acquiesça prudemment. Elle aviserait demain de ses projets futurs. Il existait non loin, selon Xer, les ruines d’un ancien fumoir. Excellent emplacement pour poser le camp. 

   

Ils firent ainsi que le guide le recommandait. Mais le lendemain, il fallut se rendre à l’évidence : ils n’avaient aucun indice, aucune piste. Chaque minute qu’ils perdaient, Teramzu s’éloignait un peu plus, en même temps que leurs chances de le retrouver. Ses ravisseurs pouvaient être, à présent, à peu près n’importe où dans la région. 


A contrecœur, Cuiwen accepta de renoncer. Elle n’avait plus qu’à rentrer à Fort-Tempête, annoncer à Ecaille-de-Tortue la disparition du pauvre Teramzu. La pirogue vira de bord. Lentement, sur les eaux dormantes envahies de lentilles, Xer et Cuiwen s’en retournèrent vers le nord. 



L’épais couvert végétal et les lourds nuages gris qui planaient, menaçant dans le ciel, rendaient hasardeuse la tâche d’estimer l’heure à partir de la course soleil. Mais la moitié de la matinée s’était déjà écoulée sans qu’ils ne soient revenus à la cabane de Teramzu, lorsque Xer pointa à Cuiwen la direction d’une petite crique cernée de roseaux. 


 — Regardez ! Ici ! 


Dans un dernier espoir de maximiser leurs chances de trouver un indice qui leur aurait échappé, ils avaient pour rentré emprunté un chemin différent que celui de la veille. Bien leur en avait pris. L’œil attentif de Xer venait de remarquer dans la vase de cet endroit de nombreuses empreintes de pas et les sillons caractéristiques de pirogues hissée sur la berge. 


Cuiwen bondit à terre avant même que Xer n’amarra la leur. Pas de doute possible, ces traces appartenaient aux ravisseurs de Teramzu. Le nombre de pirogues et la marque des coussinets du fauve l’attestait. Les pas s’entremêlaient aux reliefs d’un frugal repas. Ils s’étaient arrêtés ici le temps de se restaurer. Mais autre chose ; autre chose fît jaillir son cœur dans sa poitrine. 


Elle le trouva dissimulé dans le creux pourrissant d’un arbre mort. La bosmer s’en était approchée car l’empreinte des pieds reptiliens nus qui s’imprimaient devant indiquaient qu’un argonien s’y était assis. Il s’agissait d’un petit symbole tracé d’une griffe hâtive dans la boue grasse et molle. Il représentait une pyramide formée par l’empilement de trois rectangles. Trois lettres, “ C.T.X”, soulignées d’une flèche impérieuse accompagnaient ce schéma grossier. 


Brave Teramzu. Il n’avait pas oublié qu’elle venait lui rendre visite. Le vieil argonien avait gardé l’espoir qu’elle partirait à sa recherche et lui avait dédié ce message dans l’hypothèse improbable où Cuiwen le trouverait. Il n’avait pas eu beaucoup de temps, ou craignait d’être repéré. Il eut sans quoi donné plus de détails. 


Mais Cuiwen en savait assez à présent.



 — En route ! Je sais où ils vont, on peut les rattraper !


 — Où ça ? s’inquiéta Xer. 


— A Cutlexecuh-Ta-Xolothl, bien sûr !



Laisser un commentaire ?