Prends garde

Chapitre 17

6606 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a plus de 8 ans

La Camaro noire marqua un arrêt brutal qui réveilla en sursaut Stiles Stilinski. Ce dernier regarda autour de lui avant d’étouffer un juron et de passer une main sur son visage en sueur. Il réajusta sa ceinture de sécurité tandis que le conducteur aux lunettes de soleil noires murmura un « désolé » avant d’effleurer le genou de l’adolescent du bout des doigts dans un geste rempli d’affection.

La nuit était sur le point de tomber et au loin, la lune si ronde et surtout, si pleine, semblait avoir hâte de dominer les étoiles et les nuages discrets. Le véhicule roulait silencieusement sur l’autoroute désertique de l’état du Nevada tandis que son plus jeune passager avait du mal à émerger de son sommeil perturbé. Il se massa les tempes avant de consulter l’heure sur le tableau de bord.

Stiles porta sa main droite mécaniquement au niveau de sa gorge, là où n’importe qui d’assez attentif remarquerait avec perfection les traces de morsure de son petit ami. Ces petites traces n’étaient pas totalement effacées et plus les semaines passaient, plus l’esprit de l’adolescent était persuadé que ses blessures ne disparaîtraient pas totalement. Et il ne savait absolument pas s’il éprouvait de l’aversion envers cette perspective ou au contraire, cela le soulageait. Il était certain d’au moins une chose : il était simplement un humain. Pas un loup ou quoique ce soit d’autres de moins ragoûtant. Il était resté simplement Stiles et cela lui convenait plutôt bien.

Derek Hale retira ses lunettes de soleil, les rangea dans une petite boîte verte à cet effet avant de jeter un œil au rétroviseur. Aucune voiture à l’horizon. Le dernier véhicule croisé les avait doublés sans ménagement avant de filer tout droit à toute allure. Le loup avait marmonné quelque chose contre le conducteur tandis que Stiles était en train de ronfler doucement sur le siège passager, les jambes croisées, la bouche légèrement entrouverte. L’Alpha l’aurait laissé bien volontiers dormir encore quelques heures si les roues de sa fidèle voiture n’avaient pas trouvé cela amusant de s’engouffrer dans un coyote qui, lui-même, n’avait pas trouvé cela très amusant de tenter de traverser la route juste à ce moment-là. La Camaro l’avait évité de peu et l’Alpha s’en était félicité intérieurement. Les coyotes étaient des cousins éloignés des loups, une sorte de mélange étrange entre un renard et un chien, mais cela en restait des petites bêtes totalement imprévisibles et Derek n’avait aucune envie d’avoir sur la conscience la mort d’une de ces adorables bestioles juste parce que cette dernière avait eu envie de tester l’efficacité des plaquettes de frein d’une voiture teintée de noir. Et quand Stiles se réveilla en sursaut comme s’il sortait d’un très mauvais rêve, Derek ne put s’empêcher d’observer la bête trottiner joyeusement de l’autre côté de la route, s’assurant par la même occasion qu’il ne lui avait fait aucune blessure.

Il lui était déjà arrivé de renverser un chien, évité de justesse un chat ou des lapins — très étranges comme animaux qui tentaient de traverser puis revenaient à son point de départ sans explication ; l’Alpha s’était toujours senti terriblement mal rien qu’à l’idée d’écraser quelque chose. La première semaine de conduite avait été très compliquée et sa sœur Laura n’avait pas arrêté de lui assurer que les routes de Beacon Hills étaient tranquilles et qu’aucun animal n’oserait traverser — du moins c’était ce qu’elle lui disait. Dans la réalité, Derek avait évité son premier chien deux semaines après avoir eu son permis et il s’était alors juré de ne plus reprendre le volant avant d’avoir son diplôme en poche. À chaque fois qu’il était sur le point de démarrer la Camaro, ses mains se mettaient irrémédiablement à trembler et il ne pouvait s’empêcher de scruter les alentours du regard à la recherche d’une vie un peu trop téméraire à contourner.

Jusqu’à cette nuit où… Non. Il ne devait pas y penser.

Se retrouver à rouler de nuit avait pour effet de raviver toutes ses angoisses. Si la route était parfaitement éclairée comme les grands axes de Beacon Hills, il n’avait rien contre le fait d’une sortie nocturne même durant une nuit sans lune. Si au contraire, comme en ce moment, sur cette longue et interminable route désertique, il ne pouvait compter que sur ses propres phares pour le guider, il préférait largement s’arrêter sur la prochaine aire de repos et donner le volant à Stiles même si cela ne l’enchantait pas des masses. L’adolescent avait une manière bien à lui de tenir la route, se déportant toujours légèrement sur la droite.

Derek laissa échapper un soupir de fatigue qui n’échappa pas à son camarade de voyage qui avait la tête penchée entre ses cuisses, à la recherche d’une boîte de Crackers (même s’il avait déjà avalé tout son contenu à peine sorti de l’état de Californie). Il s’empara de l’objet en carton vide, le secoua, s’attendant presque à voir tomber un reste qui aurait réussi à se cacher bien au fond avant de secouer la tête de résignation et de se tourner vers le loup-garou.

L’Alpha avait la mine sombre, pensive et lointaine. L’adolescent le dévisagea quelques secondes, se cala plus confortablement dans son siège et se mit à observer la route, le coude posé sur la portière.

« Je m’arrête à la prochaine aire de repos, fit doucement Derek. Je dois mettre de l’essence.

— Et manger, ajouta Stiles sans se retourner.

— Et manger, oui, répéta le loup sur le même ton. Et manger. »

Stiles afficha un sourire timide derrière la manche de son pull qu’il se mit à mastiquer en silence. Il envoya sa main libre derrière lui, à la recherche de celle du lycanthrope. À son contact, les doigts de l’adolescent se refermèrent sur leurs homologues un bref instant avant de revenir à leur point de départ.

Le lendemain de l’hospitalisation du Shérif, Stiles s’était réveillé aux côtés de l’Alpha endormi d’un sommeil paisible. Il n’avait pas pris la peine de le réveiller ; après une brève douche, il avait préparé une valise d’affaires pour son père. Et sans faire de bruit, il s’était éclipsé en direction de l’hôpital avec la Camaro. L’état de son père était stable et ils avaient pu échanger quelques mots.

Stiles ne lui avait rien dit au sujet de Derek ; ni même à Scott qui l’avait attendu à l’entrée pour s’assurer que son meilleur ami n’était pas devenu l’ombre de lui-même. Stiles lui avait souri et sans aucune remarque désobligeante, il lui avait demandé _ une fois de plus — comment se déroulait la cohabitation avec Isaac Lahey. Son meilleur ami s’était contenté d’un « ça va » avant de déclarer que l’absence de Derek devenait compliquée pour leur camarade de classe. Isaac n’était ni violent ni désagréable, juste terriblement nerveux à l’approche de la pleine lune.

Et quand le téléphone de Stiles se mit à retentir dans tout le couloir des urgences, Scott ajouta d’une voix lasse que l’Alpha fût peut-être parti pour de bon et qu’il devra se débrouiller seul avec les humeurs de son ami loup-garou. Stiles se contenta de hausser les épaules tandis que ses doigts appuyèrent sur le bouton de renvoi d’appel. De l’autre côté de la ligne, Derek Hale, réveillé et agacé, grogna férocement.

La suite des événements avait comporté une querelle entre le loup et l’adolescent sur le parking des urgences ainsi qu’une discussion un peu moins mouvementée à propos de filer en douce, de raccrocher au museau d’un Alpha et de subtilisation de véhicule.

Derek avait pris la décision de vendre la résidence secondaire — qui servait de maison de vacances — vu qu’il n’avait plus l’intention de l’habiter ou de s’en occuper. Peter avait donné son accord et avait déjà trouvé un potentiel acheteur. Celui-ci habitait dans l’état du Nevada, dans un comté paisible. Derek devait s’y rendre en personne pour signer les papiers de la vente et avait proposé à Stiles de l’accompagner. Cela permettra à l’adolescent de changer un peu d’air et, surtout, de passer un peu de temps avec le loup.

Stiles avait refusé, arguant que l’état de santé de son père ne lui permettait pas de se retrouver aussi éloigné de lui, même pour une durée très courte de quatre jours avec l’Alpha. Après avoir longuement discuté avec la mère de Scott, l’adolescent avait changé d’avis. Son père devait se reposer et ce n’était pas en faisant le pied de grue devant la porte de la chambre ou en mastiquant toutes les manches de ses habits que l’hyperactif serait d’un grand secours. Le shérif n’était plus en danger, juste terriblement fatigué. L’adolescent avait mis une réserve néanmoins sur son départ : rester avec son père toute la journée du samedi ainsi que la matinée du lendemain. Ils ne partiront pour le Nevada que dans l’après-midi et pas avant. Derek avait accepté sans sourciller.

Scott était resté avec Stiles durant tout l’après-midi au chevet du Shérif, discutant du championnat et des prochains matchs de la saison. Stiles avait eu envie de tout raconter à son meilleur ami au sujet de Derek et de son coup crapuleux au sujet de ce couple fictif entre lui et Isaac. Mais il ne le pouvait tout simplement pas. Il ne savait pas par où commencer même si la phrase « Je sors avec Derek et ce n’est pas un cadeau » ne semblait pas si difficile à prononcer avec la petite voix de son esprit. Sa gorge se refusait à le faire ; cela commençait à devenir une véritable torture.

Après plusieurs heures de réflexions à ce sujet et, tandis que Derek lui rappelait pour la septième fois de la journée l’importance de ne pas partir avec le véhicule de quelqu’un d’autre — l’argument premier était le trousseau de clefs où pendaient celles de son immeuble et de son loft —, Stiles prit la décision qu’à leur retour du Nevada, il emmènera Scott dans un Fast-Food de l’autre côté de la ville et lui avouera tout pendant que son ami le loup-garou un peu maladroit sera occupé à engloutir son hamburger. Peut-être avalera-t-il un morceau de travers en entendant les aveux de l’hyperactif. Peut-être se contentera-t-il de hausser les épaules et de passer à autre chose. Peut-être lui avouera-t-il à son tour qu’il l’avait remarqué depuis le début et qu’il n’avait jamais osé lui en parler. Peut-être que Scott s’emportera contre son ami de toujours avant de lui faire la morale sur le danger que peuvent représenter des loups-garou et surtout un Alpha.

À dire vrai, Stiles n’avait aucune idée de la possible réaction de son meilleur ami ; tout comme, l’adolescent n’arrivait pas à imaginer Scott lui avouer qu’il sortait avec Isaac et de ce fait, il se barricadait dans une relation tumultueuse avec Allison pour se protéger des regards et des possibles commentaires désobligeants à son égard. Si cela était le cas — et Stiles jurait sur la tête de sa grand-mère —, Scott serait pendu par les crocs pour avoir utilisé la chasseresse de cette manière.

Mais ce n’était absolument pas son genre ; tout comme cela n’était absolument pas le genre de Stiles de sortir avec Derek Hale.

De toute manière, Derek avait avoué avoir inventé cette histoire de « Isaac et Scott sortent ensemble en secret ».

Et si l’Alpha se trompait ? Et si ce n’était absolument pas une invention si farfelue et qu’il les avait révélés au grand jour. Non. Scott avait insisté sur le fait que son truc c’était les filles ; tout comme Stiles avait insisté sur le fait que son truc à lui c’était Lydia et rien que Lydia.

Jusqu’à Derek.

Stiles bailla à s’en décrocher la mâchoire avant de s’étirer en long et en large. Son poing gauche frôla le sommet du crâne du loup-garou qui sortit les crocs pour titiller la peau frêle de la main de l’adolescent d’un air taquin. L’adolescent s’empara de la boîte verte, sortit les lunettes de soleil, les posa sur le nez avant de tirer la langue à l’Alpha. Si l’atmosphère était plus détendue qu’à leur départ de la demeure des Stilinski, le fils du Shérif n’en eût pas tout autant oublié les remontrances du loup-garou sur des sujets aussi puérils qu’une voiture ou de son comportement tantôt angoissé tantôt totalement incompréhensible. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Après tout, ils étaient de nouveau ensemble et chacun devait tenter de faire des efforts l’un envers l’autre — du moins, ils se donnaient une chance d’aboutir à quelque chose de solide.

Être un peu seul avec Derek, en dehors de la ville, loin des ennuis quotidiens, loin de cette possibilité d’être découvert par son meilleur ami… ce n’était pas une si mauvaise idée ; même si leur escapade ne durera que quatre jours au maximum (Stiles ne voulait pas s’absenter trop longtemps, même si c’était pour être vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec le loup-garou). Il avait confié la surveillance de son père à Scott, lui demandant de lui envoyer des messages si quelque chose devenait inquiétant.

Scott avait haussé un sourcil d’un air plutôt sceptique en apprenant « le voyage » de son ami avec Derek. Tout cela pour une vente, pour la signature de papiers que l’Alpha pouvait très bien faire tout seul ou alors, avec Isaac s’il avait besoin de soutien. Mais Stiles ? Scott s’était dit qu’ils risquaient de se disputer ou de s’éviter durant leur séjour ; rien de ce que Derek pourrait dire à l’adolescent ne sera plus efficace pour lui remonter le moral qu’une soirée avec son meilleur ami. Ou peut-être un rendez-vous avec Lydia.

La Camaro prit la sortie en direction de l’aire de repos tandis que Stiles consulta son téléphone portable avant de répondre à un message de Scott au sujet de son état actuel et de son « trajet » avec l’Alpha. L’adolescent pianota quelque chose entre « ça va » et « plutôt calme comme voyage » avant de se raviser, d’effacer le texte et de ranger son appareil dans la poche de son pantalon. Il avait terriblement faim. Quand il avait autant faim, il n’arrivait pas à réfléchir même si c’était juste pour répondre à un message des plus anodins de son meilleur ami.

Il avait très faim et Derek s’engagea dans la station-service avant de désigner du doigt le petit restaurant à quelques mètres de là — ce genre d’enseignes qui étaient ouvertes sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Stiles ne put s’empêcher de faire la grimace. Son estomac était certes vide, mais il n’était pas certain que le remplir d’une nourriture à la réputation plutôt médiocre arrangera son humeur. Néanmoins, il ne fit pas la fine bouche ; c’était mieux que rien. De plus, peut-être que la réputation de ce genre de restaurant était un peu exagérée au niveau de la qualité des plats.

Ils sortirent de la voiture en silence. L’air était agréable et plutôt frais. Stiles leva machinalement les yeux au ciel : la lune était pleine. Il ne put s’empêcher de penser à Scott et se demander s’il arrivait à se débrouiller durant cette fichue soirée. Et si Isaac posait un problème ? Après tout, Derek n’était pas dans les parages pour l’aider à se contrôler. Non. Scott était capable de le maîtriser. Dans une des pires situations envisageables, à savoir deux loups-garou adolescents se battant l’un contre l’autre ou alors, les deux loups se jetant sur des personnages innocentes en quête de… en quête de quoi exactement ? De sang ? De chair fraîche ? Et si Peter s’amusait à les titiller ? Bon sang, peut-être était-ce une mauvaise idée de quitter la ville comme cela et de laisser des Betas livrés à eux-mêmes. Cependant, Allison et son père devaient veiller au grain. Du moins, l’adolescent l’espérait.

Et son père était entre de bonnes mains.

 

Stiles avait envie d’appeler son père. Juste quelques minutes pour s’assurer que tout allait bien et le rassurer aussi par la même occasion. Il ne savait pas si son père avait son téléphone portable dans la chambre de l’hôpital ou s’il avait le droit d’avoir des appels téléphoniques. Les machines réglées comme si c’était des horloges suisses ; des machines qui maintenaient en vie des patients, la machine branchée sur son père qui suivait son rythme cardiaque et d’autres données que Stiles n’en avait retenu ni le nom ni leur importance. Des machines fragiles selon les dires de la mère de Scott. Les interférences générées par les téléphones portables étaient quelque chose de risqué. Très bien. Stiles se contentera d’avoir un message à Scott lui demandant des nouvelles de son père. Voilà. Ou peut-être l’appeler tout simplement ? Oui. C’était une bonne idée. Comme ça, il saura comment se passait cette nuit de pleine lune pour son meilleur ami.

Stiles sortit son téléphone de la poche de son pantalon pendant que Derek s’occupait de la pompe à essence. Sans un mot, l’adolescent indiqua du doigt le restaurant. Le loup se contenta d’un signe de tête entendu. L’adolescent se mit en route vers le bâtiment d’un pas plutôt léger. Il fit un tour sur lui-même à mi-chemin pour jeter un œil à l’Alpha qui contemplait la pleine lune. Il ne put s’empêcher de se demander comment étaient gérées les crises lunaires dans les familles peuplées uniquement de loups-garou. Peut-être qu’un membre de la famille était indubitablement un chef de meute afin de les calmer comme le faisait Derek en grognant avec les yeux rouges et tout l’attirail ?

Se frottant la manche de la main qui tenait son téléphone portable, Stiles entra dans le restaurant avant de soupirer. L’intérieur ressemblait à ces vieux restaurants des années cinquante ou soixante. Le sol était couvert de carrelage blanc et bleu clair de manière alternée. Des tabourets étaient placés devant un long comptoir où une employée était en train de nettoyer une machine à café. Stiles marcha vers une des tables près de la porte d’entrée. Il prit place sur la banquette bleu clair avant de déposer son téléphone devant lui. L’employée déposa son chiffon près de la cafetière, prit in bloc note et s’avança vers l’adolescent ; le bruit de ses talons aiguilles résonna dans le bâtiment totalement vide. Il n’y avait absolument aucun client à part Stiles. Bientôt deux avec Derek qui finissait de faire le plein. L’adolescent passa commande ainsi que pour le loup-garou — il lui prit exactement la même chose. La serveuse lui afficha un sourire poli avant de prendre congé vers les cuisines.

Quand elle disparut derrière le comptoir, Stiles appela Scott, les doigts de sa main libre tapotant nerveusement le bord de la table. Une sonnerie. Deux sonneries. Trois sonneries.

Pas la messagerie. Scott, ne me fais pas le coup de la messagerie.

La voix enregistrée de son meilleur ami retentit ; l’adolescent ne lui lassa pas l’opportunité d’aller jusqu’au bout de son message d’accueil. Il reposa son téléphone avant de soupirer de fatigue et de s’étirer en long et en large. Il força un peu sur les bras, d’un côté puis de l’autre. Ce fut à ce moment-là que Derek fit apparition dans le petit restaurant, sa fidèle veste pliée sur son bras gauche. Il remarqua la jeune employée qui s’activait avec un chiffon derrière le comptoir, attendant que la commande en cuisine soit prête. Elle avait les cheveux roux — sans doute une teinture — coiffés en chignon serré. Elle avait la vingtaine ; un boulot d’étudiant ne qui ne devait pas beaucoup payer, mais qui n’était pas trop envahissant pour se permettre de se reposer ou de rattraper des retards dans les cours. Du moins, Derek le croyait. La jeune fille leva les yeux en direction du loup et lui afficha un sourire timide, presque forcé. Derek le lui rendit plutôt franchement avant de se diriger lentement vers Stiles qui n’avait pas loupé une miette de la scène. L’adolescent le fixa d’un air ouvertement agacé alors qu’il prenait place devant lui, lui effleurant la jambe avec le pied.

Sans le quitter des yeux, Stiles tourna le téléphone entre ses mains, le claquant de temps à autre contre la table dans un bruit sourd. Derek ne put s’empêcher de se demander combien de temps il lui faudrait pour casser l’écran ou l’appareil de cette manière.

Après trente secondes de torture, l’adolescent posa son téléphone sur le côté avant de se mettre à tapoter le bord de la table. Derek afficha un sourire amusé tandis que la serveuse disparut derrière la porte de la cuisine pour réapparaître quelques instants plus tard chargée d’un plateau. Stiles ne détacha pas son regard du loup-garou. Ce dernier déposa sa veste sur la banquette à côté de lui. La serveuse leur servit leur commande non sans adresser un sourire charmeur à l’Alpha qui le lui rendit tandis que Stiles se renfrogna contre la banquette, croisant les bras sur sa poitrine.

L’employée tourna les talons en direction de la cuisine, son plateau tenu contre sa cuisse. Elle tourna la tête en direction de ses deux seuls clients de la soirée, croisa le regard du loup-garou. Elle lui adressa un sourire enjôleur. L’Alpha n’eut pas le temps d’y répondre d’une manière ou d’une autre que Stiles lui flanqua un coup de pied dans le tibia sans aucune retenue. Le loup étouffa un cri de stupeur, plaquant sa main sur la zone douloureuse. Boudeur ou agacé, Stiles détourna le regard avant de se concentrer sur son sandwich et de sa boisson. Derek se redressa avant de secouer la tête et de déclarer une fois que la serveuse disparut par de là la porte de la cuisine :

« Si je n’étais pas un loup-garou, tu m’aurais presque fracturé l’os.

— J’ai mal visé, excuse-moi mon louveteau, répliqua Stiles de mauvaise humeur en piquant violemment avec sa fourchette dans le panier de frites accompagnant son sandwich. Je voulais toucher un peu plus à droite et un peu plus en haut, si tu vois ce que je veux dire.

— Mon louveteau ? répéta Derek pantois. »

Stiles but une gorgée de son soda avant d’enchaîner sans lever les yeux de son plat :

« Je t’arrête de suite. Cela n’a rien d’affectif comme terme. Du tout. »

Derek ne répondit pas, se contentant de sourire très largement ce qui eut pour effet de renforcer l’agacement de l’adolescent. Il leva les yeux au ciel :

« Non, ce n’est pas affectif. Du tout, insista-t-il. Je donne ce surnom à Scott aussi. Et je t’ai déjà dit que tout ce qui était un peu trop démonstratif faisait partie de ce que je nomme “niaiserie”. Je n’ai pas changé d’avis sur ce point-là. »

Le loup-garou prit son verre de soda entre les doigts, tourna la paille dans un sens puis dans l’autre avant de lancer doucement :

« Ma mère m’appelait mon louveteau. Elle le faisait uniquement quand elle devait me préparer à une bonne remise en place de sa part. Ce n’était pas beau à voir ni à entendre. »

Stiles fit la grimace avant de mettre son menton en appui sur son poing gauche fermé, le coude sur le bord de la table.

« Évite de m’appeler de la sorte à l’avenir, lâcha Derek sur un ton sans réplique. Je préférais presque que tu m’insultes allègrement. »

L’adolescent cligna des yeux, perplexe. Il ne pensait pas du tout à mal en le surnommant de la sorte. Il le faisait quasiment par réflexe quand Scott commençait à l’agacer. Il était arrivé dans le passé que Scott le réprimandait sur cette appellation parce que cela lui rappelait qu’il n’était encore qu’un jeune loup-garou et que ce n’était pas du tout mélioratif de la part de son meilleur ami. Au bout d’un moment, le jeune Beta avait fini par laisser tomber l’affaire. Râler sur un discours ou un terme de Stiles était le meilleur moyen pour motiver ce dernier à agacer.

Stiles se racla la gorge avant de murmurer un « je ne le ferai plus » qui fit soupirer Derek. Un silence gêné s’installa tandis qu’ils se mirent à déguster leur plat sans grande motivation. Un peu plus tard, la serveuse rouquine les débarrassa avec le sourire avant de leur proposer la carte des déserts que les deux jeunes hommes refusèrent d’un geste poli de la main. Derek paya le repas tandis que Stiles sortit du restaurant les mains dans les poches, regrattant d’avoir appelé l’Alpha de la sorte. Néanmoins, il ne pouvait absolument pas deviner qu’une appellation aussi anodine était problématique pour Derek Hale.

Pourtant il avait déjà utilisé cette expression pour l’Alpha. Il en était pratiquement certain. Ou alors peut-être dans un de ses fameux discours incohérents et pas de cette manière un peu directe.

L’adolescent s’étira en long et en large, profitant de l’air frais et agréable de la nuit tombée. Il prit son téléphone, répondit au dernier message de Scott en ajoutant une note sur le fait qu’il avait essayé de le joindre. Derek sortit du restaurant à son tour ; posa la main dans le bas du dos de l’hyperactif et le conduisit jusqu’à la Camaro garée un peu plus loin. À un mètre de la voiture, Stiles se mit devant l’Alpha, l’air sincèrement désolé :

« Navré pour le… — le mot fut presque inaudible — louveteau. »

Derek considéra longuement l’adolescent, lui caressa la joue avant de lui prendre le visage entre les mains :

« Navré pour la serveuse. »

Stiles ouvrit la bouche de stupeur avant de bondir en arrière d’un pas :

« AH ! Je le savais ! s’écria-t-il en le pointant d’un doigt accusateur. »

Derek secoua la tête de dépit avant de lever les yeux au ciel et de répliquer :

« Et tu savais quoi, Stiles ?

— J’en sais strictement rien, mais en tout cas je le savais ! »

Derek gloussa légèrement, esquissant un sourire. Il déposa un baiser furtif sur le nez de l’adolescent, le prit par la taille l’attirant contre lui, avant de l’embrasser posément. Stiles se crispa bien malgré lui sous l’étreinte du loup-garou. Néanmoins, il se laissa porter par le baiser, caressant du bout des doigts les cheveux de l’Alpha puis la nuque.

À la fin de leur étreinte, le souffle court, le nez effleurant celui de son vis-à-vis, Stiles dévisagea l’Alpha, les bras entourant son cou.

« C’était pour quoi ce baiser ? demanda doucement l’adolescent dubitatif.

— Pour ton absurde jalousie, Stiles Stilinski, répondit Derek avec un large sourire. »

Le loup déposa un baiser furtif sur les lèvres de l’hyperactif avant de se dégager doucement de leur étreinte. Il sortit les clefs de la poche droite de son pantalon tandis que Stiles le considéra de nouveau, scrutant ses traits à la recherche d’une réponse à des questions qu’il ne se posait même pas. Ou peut-être pas encore.

Derek lui donna les clefs de la Camaro avant de marcher en direction de la portière du côté passager :

« C’est toi qui conduis. »

Stiles regarda d’un ait interrogateur successivement le loup, la voiture, puis les clefs et enfin à nouveau le loup-garou.

« Comment ça “je conduis ?”, lança Stiles en écartant les bras d’un geste théâtral. »

Derek ouvrit la portière, prit une grande inspiration avant de se tourner vers son petit-ami :

« Je déteste conduire la nuit. »

Stiles se gratta l’arrière du crâne de s’avancer vers la voiture noire. Il s’installa côté conducteur, plissa les yeux d’incompréhension avant de murmurer d’une voix mal assurée :

« On est d’accord qu’en tant que loup-garou, tu as une meilleure vision nocturne que moi ?

— Oui.

— On est aussi bien d’accord que je conduis d’une manière très agaçante selon tes propres mots ?

— Tout à fait. »

Stiles passa une main moite sur son visage, s’arrêta quelques secondes sur ses lèvres avant de tapoter nerveusement le volant et d’ajouter :

« Et donc… je conduis. Ta voiture. La nuit. Dans un endroit inconnu. N’étant en plus un peu fatigué.

— Stiles, contente-toi de nous conduire jusqu’au prochain motel où l’on passera le reste de la nuit, d’accord ? coupa Derek en attachant sa ceinture de sécurité. »

Stiles mit ses mains sur le volant, le retira presque aussitôt et se tourna vivement vers le loup-garou, revenant à la charge :

« Tu es sûr… ? Je pourrais nous perdre. Même si je crois que nous sommes sur une route très linéaire. On ne sait jamais. Je pourrais bifurquer soudainement et filer tout droit en plein désert. »

Tout en fixant le pare-brise, Derek avala difficilement sa salive, cherchant ses mots. Il prit une inspiration pour se donner courage et murmura avant de se tourner vers Stiles pour lui faire face :

« Une nuit, j’ai pris le volant. En chemin, j’ai renversé un animal. Un louveteau. Il est mort sur le coup. Maintenant, démarre cette voiture. »

 

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