Prends garde
Accoudé à la table de la cafétéria, Stiles triturait un morceau de pomme de terre du bout de sa fourchette en plastique. À côté de lui, Lydia tenait une pomme entamée dans sa main droite tandis qu’elle feuilletait son agenda d’un air très studieux. Allison et Scott, assis devant leur meilleur ami respectif, discutaient au sujet d’un travail de groupe pour le cours d’Économie.
Une pause-midi ennuyeuse. Un lundi des plus classiques. Stiles n’était pas vraiment étonné.
Son téléphone était posé à côté de son plateau en mode vibreur et dont la batterie commençait à fatiguer. Il n’avait reçu aucun autre message de Derek depuis le début de la matinée. L’hyperactif lui avait répondu après le cours insipide de Littérature, lui expliquant que Isaac avait séché la première heure — il était arrivé en Mathématiques juste après — et que Scott avait pratiquement ignoré le Beta « labrador-garou ». Il n’avait pas notifié à bon escient les remarques de son meilleur ami au sujet de l’odeur de l’Alpha. Il préférait en discuter face à face. C’était trop bizarre pour être simplement écrit dans un message téléphonique. Il était possible que Scott se trompât totalement sur ce qu’il avait senti et sur ce que ça représentait. Néanmoins, Stiles lui donnait le bénéfice du doute dans cette affaire. Scott était un peu maladroit dans son rôle de loup-garou au grand cœur ; cependant, et même s’il lui cachait cette histoire sentimentale avec l’autre Beta, Stiles avait envie de l’écouter sur ses impressions des plus insolites.
Il avait beau retourner les remarques de son meilleur ami dans tous les sens, il n’arrivait absolument pas à saisir ce concept de « être à mi-chemin entre colère et soumission ». Comment un Alpha peut-il avoir un tel statut sachant qu’il devait être surtout autoritaire et dominant auprès de sa meute ? Ou alors Stiles avait simplement mal compris. C’était sans aucun doute cela. De toute façon, il ne connaissait pas assez en loup-garou pour comprendre les subtilités de ce genre. Amener le sujet dans une conversation avec Derek allait requérir un peu de doigté surtout pour éviter les questions embarrassantes s’y rapportant.
Stiles abandonna sa fourchette pour consulter son téléphone. L’heure avançait trop lentement à son goût tandis que la dernière barre indiquant l’état de sa batterie arborait une couleur rouge menaçante. Il leva les yeux vers Scott et Allison, toujours en grande conversation, avant de tapoter rapidement sur le clavier.
Il ne savait pas trop quoi écrire. Il ne l’avait jamais vraiment fait en premier, répondant systématiquement aux messages de Derek. Il ne pouvait pas encore lui parler des résultats de sa vengeance — cela n’avait pas encore eu lieu, mais cela ne devrait pas tarder — ni du fait qu’il s’ennuyait comme un rat mort — ce qui n’était pas une nouveauté en soi — ; ni de ses résultats scolaires — L’Alpha devait s’en moquer et Stiles le comprenait parfaitement. Tout ce qu’il trouva à taper était une demande de confirmation au sujet de sa jeep, même si l’Alpha lui avait certifié à maintes reprises que c’était prévu de la récupérer après les cours. Il ajouta en fin de message que la nourriture à la cafétéria avait un goût de pâté pour chien même si, en toute évidence, l’adolescent n’avait jamais goûté à de la nourriture canine. Et il n’avait aucune envie de tenter l’expérience.
Tandis que l’icône d’envoi de la messagerie clignota pour confirmer son action, la voix de Lydia retentit à côté de lui alors qu’un bruit d’un livre que l’on refermait d’un coup sec accompagna le tout. Elle se plaignit de ne pas avoir assez de temps libre pour aller faire les magasins avec Allison. C’était devenu un vrai parcours du combattant de concorder leur emploi du temps depuis que Chris Argent avait sévi un peu les règles au vu des derniers événements — dans un premier temps — et que dans un autre, Scott monopolisait toujours la jeune fille. Sans parler du fait que la belle étudiante avait repris le Latin archaïque en cours du soir pour aider le groupe. Ajouter à cela les devoirs pour l’école en elle-même et Lydia était devenu une femme compliquée à croiser dans les couloirs. Allison s’excusa en balayant une mouche invisible devant elle, avec un sourire éclatant et lui promit de trouver un créneau d’ici le début de la saison du championnat de Crosse. Lydia fit une moue faussement indignée avant d’acquiescer et de replonger dans la dégustation de sa pomme à peine entamée. Stiles fit rouler son téléphone autour de ses doigts d’un geste absent tandis que Scott consulta le sien qui venait de vibrer.
Le jeune loup-garou engloutit sa dernière part de viande avant de se lever de la petite table grise et de se précipiter hors de la cafétéria sous l’œil interrogateur d’Allison qui grimaça, totalement indécise sur ce qui venait de se produire. Stiles bafouilla une excuse, prit son téléphone, feignit de partir lui aussi avant de revenir sur place, prendre son plateau et de le ranger. Lydia se contenta de hausser les épaules et de pousser un long soupire.
Dans le long couloir déserté à cette heure de la journée par les élèves, Stiles scruta les alentours du regard pour retrouver son meilleur ami. Le fait qu’il se fût levé de cette manière sans demander son reste et sans même un mot pour ses amis indiquait que ce n’était pas un devoir rendu en retard qui l’avait fait sortir de la cafétéria de cette manière. Surtout sous l’œil perplexe de sa tendre petite-amie.
Stiles mit les mains dans ses poches et déambula d’un pas lent en se demandant si Scott n’avait pas été simplement appelé par Isaac. Le seul endroit où ils pouvaient « se retrouver » était les vestiaires à l’arrière de l’école. Stiles ne voulait absolument pas les surprendre dans des actions peu conventionnelles — oh que non, il n’était pas encore prêt pour les voir se rouler quelque chose autre que des fils de raquettes de Crosse — ni même à se faire repérer par des oreilles un peu trop curieuses de loup-garou.
L’intuition de Stiles fut juste : Isaac et Scott étaient en train de s’entretenir à voix basse près des casiers se trouvant dans les vestiaires des garçons. L’hyperactif se faufila tant bien que mal derrière une colonne et se fit le plus discret possible tant en ce qui concerne sa respiration que de ce qu’il pouvait dégager en tant qu’hormone et compagnie — si cela était possible — afin de ne pas éveiller le moindre sens surdéveloppé de ses adorables convives. De sa cachette rudimentaire, il ne distinguait que le visage tiraillé par la colère d’Isaac et la masse de cheveux noirs de son meilleur ami dont la main droite grattait d’un geste absent le sommeil du crâne. La simple vue de cette expression d’effarement mélangé avec de l’irritation fit sourire Stiles.
« J’ai rendu la liste au Coach ce matin, attesta Scott en se dandinant sur un pied puis l’autre d’embarras. Je te jure que je ne voulais pas…
— Tu ne voulais pas ?! C’est ton travail ! fulmina Isaac — durant un coup instant, Stiles crut apercevoir un changement de couleur des yeux propre au lycanthrope. La saison commence bientôt et je suis interdit de match ? Pour de vrai ? C’est quoi ton problème, McCall ? Tu sais que depuis la mort de mon père (Stiles devina au mouvement de tête de Scott que ce dernier n’avait aucune envie d’écouter cette histoire), j’ai un peu de mal à reprendre une vie… si je puis dire “reprendre une vie normale” après être devenu comme toi.
— Isaac, coupa le capitaine d’une voix sincèrement désolée. Je comprends ce que tu ressens de ne pas pouvoir jouer, mais encore une fois, ce n’est pas de ma faute. Je parlerai au Coach. Il doit pouvoir faire quelque chose non ? Ça doit être une erreur. C’est forcément une erreur… »
Comme toute réponse, Isaac donna un violent coup de poing dans le casier près de lui avant de se détourner du Beta et de se diriger vers la sortie des vestiaires. Stiles se glissa vers une autre cachette, tournant le dos à ses deux camarades de classe.
« Isaac ! tenta vainement Scott. (Il s’avachit contre un casier avant de lever les yeux au ciel). Et merde. »
Stiles attendit quelques instants avant de sortir de sa cachette et de s’approcher l’air de rien de son meilleur ami qui s’était assis à même le sol, la tête dans les bras.
« Ça va, Scott ? fit doucement Stiles en regardant autour de lui pour s’assurer qu’ils étaient maintenant seuls. »
L’intéressé se massa la tempe droite avant de se tourner vers son meilleur ami qui arborait un air naïf et faussement perplexe.
« Isaac est viré de l’équipe, souffla-t-il avant de se lever d’un bond. Dans la liste que j’ai donnée au Coach ce matin, il n’y était plus. Je peux plus le faire rentrer. Du moins, pas avant trois ou quatre matchs. Oh c’est pas vrai… si Jackson était là, il serait éclaté de rire ou il m’aurait pourri l’existence.
— Tu n’as pas besoin de virer quelqu’un de l’équipe pour que Jackson te pourrisse l’existence, tu sais, répliqua Stiles en se voulant réconfortant. Tu n’as qu’à aller voir le Coach et lui dire que c’est une erreur. Tu réintègres Isaac et l’on en parle plus ?
— Sauf que le Coach m’a prévenu ce matin que je ne pourrais rien changer avant la mi-saison. Un truc contre la tricherie ou je ne sais pas trop quoi, marmonna Scott qui semblait vraiment au bord du gouffre. La seule chose qui maintenait plus ou moins en place Isaac était la Crosse. (Scott se plaqua violemment la tête en arrière contre le casier comme pour s’assurer qu’il n’était pas en train de rêver). Et merde. »
Stiles se massa la nuque avant de donner une tape amicale sur l’épaule de son camarade de classe. Ce dernier, dépité, continua sur sa lancée en fixant le mur de l’autre côté de la pièce.
« Si le Coach n’avait pas fait n’importe quoi durant le match où on a perdu beaucoup de joueurs… à recruter dans les gradins… sans déconner…
— Sincèrement mon bon Scott, ce n’est pas comme s’il était exclu à vie, non ? Il restera sur le banc de touche quelques matchs et on en parle plus, non ? Pas la peine d’en faire tout un plat de fromage-garou. »
D’un mouvement de tête brusque, le jeune Beta se tourna vers son ami de toujours avant d’enchaîner d’une voix légèrement tremblante d’irritation :
« Stiles… tu serais content toi si on te fichait sur le banc de touche comme cela sans aucune raison valable alors que tu es un très bon joueur de Crosse ? (Il se mit à parler plus rapidement pour enrayer le flot de protestations germant dans l’esprit de Stiles) Oui, je sais que toi, tu restes la plupart du temps sur le côté, mais ce n’est pas ça le problème ! Ce n’est pas le fait de l’exclure par erreur… c’est le principe même. J’avais juste un truc à faire : le mettre sur la liste des joueurs de l’équipe. C’est tout. Merde, Stiles !
— Scott, tenta doucement son vis-à-vis. C’est juste… Isaac, hein ? On est même pas certain qu’il continue l’école et donc d’avoir assez de bonnes notes et donc de continuer par la même occasion de jouer à la Crosse. »
Comme toute réponse, Scott grogna bien malgré lui contre son meilleur ami avant de se ressaisir et de secouer la tête comme pour chasser une mauvaise idée.
« Je dois arranger ça, souffla-t-il. Si tu as une idée, n’importe quoi, vas -y, c’est le moment. »
Stiles fit quelques pas dans la pièce, les mains dans les poches avant de faire face à Scott dont le visage affichait à la fois amertume et optimisme. L’hyperactif se gratta l’arrière du crâne d’un air absent avant de s’affaisser, le dos contre un des casiers, sur le sol gelé.
« Vire quelqu’un d’autre ? suggéra Stiles en haussant les épaules. Tu vires quelqu’un et tu le remplaces par Isaac. Juste que dans les notes officielles, ce ne sera pas son nom. (Il se frotta les mains d’un geste théâtral) Ni vu ni connu.
— Tu déplaces le problème, là, rétorqua Scott, les yeux écarquillés. Même, cela ne résout absolument rien. Bien sûr qu’il y a des joueurs moins bons qu’Isaac dans l’équipe, mais c’est pas une raison.
— Bon, tu sais quoi mon louveteau : tu me gonfles. Je te donne une idée géniale et tu n’as pas l’air de saisir combien elle est géniale. Tu vas quand même pas me dire que Greenberg vaut la peine dans l’équipe ?
— Il remplace Danny dans les goals en cas de besoin.
— Très bien… dans ce cas, vire Danny.
— STILES !
— Ou vire Stiles. Tu sais, Stiles, celui qui passe son temps à chauffer les bancs de touche même quand il est officiellement dans l’équipe.
— Hors de question que je te vire.
— Très bien… alors dans ce cas —
— Je te vois venir : je ne me virerai pas moi-même.
— Ou alors, on essaie de faire croire au Coach qu’Isaac est dans l’équipe, mais que ce n’est pas le cas.
— Sauf qu’Isaac est déjà allé le voir pour avoir des explications et qu’il ne s’est pas vraiment retenu pour lui dire ce qu’il pensait. Ensuite, le Coach lui a suggéré de venir m’en parler pour mieux comprendre ce qui s’est passé. »
Stiles laissa échapper un soupir de fatigue avant de sortir son téléphone de sa poche et de constater qu’il était éteint. La batterie venait de rendre les armes. Dommage, il aurait voulu faire un briefing de sa petite vengeance, actuellement en cours, à son cher Derek Hale. Il esquissa un sourire en coin avant de lâcher d’une voix monocorde sans quitter l’écran noir de l’appareil :
« Dans le pire des cas, ce n’est que pour quelques matchs. Ça ne lui empêchera pas de se défouler sur le terrain pendant les entraînements. Si ça se trouve, on ne passera même pas les éliminatoires. »
Scott leva les yeux au ciel avant de laisser échapper un long soupir trahissant une certaine gêne et de s’asseoir à côté de Stiles. Les minutes défilèrent dans un silence pesant avant que l’hyperactif ne le brise en murmura sur un ton se voulant poli, mais avec une touche de réprobation :
« Par contre, Scott, tu m’expliques cette histoire comme quoi Isaac habite chez toi. Depuis quand et pourquoi tu n’as pas semblé vouloir me mettre au courant. »
Le Beta tourna la tête vers son camarade de classe avant de se mettre à fixer un point au loin comme si tout d’un coup, la fissure dans le mur juste à côté de la porte des vestiaires avait un intérêt extraordinaire. Le loup-garou avala sa salive, cherchant ses mots avant de répondre doucement :
« Une idée de ma mère. Je n’ai pas trop eu le temps de t’en parler parce que cela s’est décidé que ce week-end. Tu sais, ce n’est pas que je n’ai pas voulu te le dire, c’est juste que… enfin, ce n’est pas important.
— Cela s’est décidé ce week-end ? reprit Stiles en relevant la tête. Et pour Derek ? Tu lui en as parlé ? Isaac squattait de temps à autre chez lui. Il en avait marre de l’avoir dans les pattes ?
— Je sais qu’Isaac est allé chez Derek samedi dans la nuit pour lui toucher quelques mots. Derek a totalement approuvé cette idée. Isaac a besoin de se sentir un peu entouré, tu vois. »
Stiles fit la grimace avant de remettre son téléphone en poche. Il s’arrêta net dans son mouvement et se retourna vivement vers Scott comme s’il venait de se souvenir de quelque chose grave.
« Comment ça “est allé chez Derek samedi dans la nuit” ?! s’écria-t-il en écarquillant les yeux de surprise. »
Scott cligna des yeux, perplexe devant la réaction soudaine de son meilleur ami. Pourquoi Isaac n’aurait-il pas pu aller chez Derek à ce moment-là ? Et en quoi cela semblait-il si incroyable aux yeux de son ami ? Après tout, jusqu’à preuve du contraire, Derek était l’Alpha d’Isaac et c’était tout à fait normal que ce dernier aille chez lui pour lui demander conseil surtout quand il s’agit de se rapprocher de quelqu’un d’extérieur à sa propre meute. De toute façon, Scott n’avait pas eu son mot à dire dans cette histoire. Melissa McCall était déjà en train de préparer la chambre d’amis avant même avoir fait part de son idée d’héberger Isaac à son propre fils. Ce dernier s’était contenté de grogner d’agacement et de partir prendre une douche. Pour l’heure, Stiles avait l’air d’être choqué non pas par le fait qu’Isaac habitât maintenant avec son meilleur ami, mais parce qu’avec tout le naturel du monde, le Beta était allé voir Derek en pleine nuit pour lui en parler. Par moment, Scott ne comprenait vraiment pas les réactions de son camarade.
C’était plus complexe que cela en réalité. L’esprit de Stiles était en train d’analyser la situation à cent à l’heure et dans tous les sens. Il avait passé la nuit de samedi à dimanche avec Derek pour leur « anniversaire » de couple à faire des niaiseries dans un canapé devant un film de science-fiction totalement bidon. Est-ce qu’Isaac était au rez-de-chaussée pendant tout ce temps et les avait entendus ? Les avait-il entendu parler de leur couple « caché », de la mauvaise humeur et du manque d’en train de l’humain vis-à-vis de l’Alpha ?
Les avait il simplement entendu discuter de la vengeance ? Cette perspective ne plaisait absolument pas au fils du Shérif qui sortit son téléphone d’un geste vif de sa poche avant de laisser échapper un juron en se rappelant que sa fidèle amie la batterie l’avait lâchée.
Peut-être qu’Isaac était passé bien plus tard dans la nuit alors que Stiles dormait profondément ? L’avait-il aperçu partageant la couche de l’Alpha alors que ce dernier était lové contre lui ?
Bon sang, Derek Hale, pourquoi ne pas fermer à double tour cette fichue porte du Loft, changer les clefs ou mettre des chaînes ou même de répandre de l’aconit tue-loup tout autour de l’immeuble.
Stiles se pinça les lèvres d’agacement rien qu’à l’idée qu’Isaac eût pu tout découvrir aussi bêtement qu’une simple visite en coup de vent pour voir Derek à propos d’un truc aussi stupide et futile qu’une permission de foutre le camp chez un autre Beta.
Stupide Isaac.
Et dire que Stiles était en train d’avoir des remords sur son idée de l’expulser quelque temps de l’équipe de Crosse pour se venger de ses railleries et autres plaisanteries plutôt limites ! Du moins « remords » était un terme plutôt fort dans l’esprit têtu de l’hyperactif. Plutôt « une possibilité même infime de réfléchir si tout cela n’était pas un peu trop puéril, immature, absurde et il en passait des termes de ce genre ». Il entendait encore Derek lui suggérer de reconsidérer les choses. Bien. Très bien. C’était simplement parce qu’il avait vu son cher Beta pendant que Stiles était présent, en train de dormir comme un loir. Reconsidérer les choses, car Isaac semblait vouloir absolument intégrer « la meute » de Scott — parce que blablabla il n’avait plus personnes et avait besoin d’être entouré — et donc, Stiles était devenu peut-être un problème avec son obsession de vengeance inutile.
Et pour couronner le tout, Scott et Isaac étaient en couple selon les dires de Derek. La mère McCall… elle avait bon dos dans cette histoire. Stiles voyait déjà le tableau : Scott ne savait pas comment assumer le fait qu’il était avec Isaac, avait pris pitié de lui et de sa position de loup-garou un peu en perdition et avait supplié sa mère de l’héberger. Et s’il pouvait jouer les amoureux transits avec Allison pour cacher cette histoire de « couple » avec Isaac… ah ! Scott pouvait avoir de ces idées quand la situation devenait vraiment pénible. Est-ce qu’il avait au moins mis fin à la relation avec Allison ou avait-il décidé d’avoir deux relations en simultanée ? La jeune fille ne méritait pas cela et cela avait le don de mettre sérieusement en colère Stiles.
En vérité, il n’arrivait même pas à en vouloir à son meilleur ami. Après tout, il ne faisait pas mieux dans un sens à cacher cette relation avec Derek Hale. Certes, de son point de vue, c’était plus délicat. Il n’aimait pas quand l’Alpha faisait trop « l’Alpha » ou semblait considérer que Stiles était sa propriété. Au moins, Scott et Isaac pouvaient se comprendre avec cette histoire de lycanthropie. Et si un grognait, l’autre pouvait répliquer.
Stiles donna un coup de pied d’énervement contre un des casiers avant de proférer une injure et de sauter à cloche-pied en grimaçant de douleur sous le regard toujours perplexe de Scott McCall.
Il aurait pu avouer toute la vérité à son meilleur ami au sujet de son plan et de ce fait lui souffler de secouer les puces de son « petit-ami Beta » de le laisser tranquille. Sauf que Stiles était particulièrement buté et n’avait aucune envie de s’avouer vaincu aussi facilement. Pour l’heure, il avait eu ce qu’il voulait : Isaac était exclu du terrain pendant quelques matchs et ça lui fera les crocs. La Crosse était le seul domaine où Stiles pouvait faire quelque chose d’efficace contre lui. En gros, mis à part le championnat interscolaire, il n’avait aucun autre moyen de « l’enquiquiner ».
« Ça m’embête vraiment pour Isaac, tu sais, lança Scott tout penaud, les épaules voûtées. »
Stiles eut l’envie de lui cracher à la figure qu’il se fichait éperdument de ses états d’âme au sujet d’Isaac et qu’il ferait bien mieux d’aller le retrouver pour le « consoler » d’une façon plus radicale que de pleurnicher. Il se mordit les lèvres pour contrer le flux de questions au sujet de leur « couple » et sur le fait que Scott ne semblait pas avoir percuté que Stiles était au courant de l’hébergement de Lahey chez son meilleur ami. Tant mieux ou tant pis, il s’en moquait totalement.
S’il devait être honnête avec lui-même juste un instant, ce qui le mettait de mauvaise humeur en ce moment même s’appelait Derek Hale. Il avait cette impression désagréable d’avoir été surpris en train de voler quelque chose. Il n’aimait pas l’idée qu’Isaac eût pu les voir ou les entendre quand ils étaient tous les deux à se cajoler. Bien sûr, Stiles ne remettait pas en question ce qu’il désignait comme étant des niaiseries, mais plutôt être surpris avec Derek Hale. Il n’avait aucune envie que quelqu’un les voyait ensemble pour le moment. Du moins, il n’était pas du tout préparé à cela. C’était absurde pour un adolescent de ne pas afficher aux grands jours qu’il n’était plus célibataire. Mais il s’agissait de Stiles Stilinski. Tout pouvait paraître nettement plus logique à tous les points de vue même quelque chose d’aussi futile qu’un simple malentendu ou un drôle concours de circonstances. Bon sang, fermer à double tour une stupide porte d’entrée était si compliqué que cela ?
Discuter calmement avec Derek Hale semblait la meilleure décision à prendre.
Stiles poussa un long soupir d’agacement avant de donner une tape dans le dos de son meilleur ami — dont l’esprit était noyé dans la recherche de solutions pour le cas de l’expulsion d’Isaac — et de croiser les bras derrière la nuque. Il fit quelques pas dans la pièce d’un air absent avant de se tourner vers Scott qui bâilla à se décrocher la mâchoire avant de s’étirer en long et en large.
« Tu peux me prêter ton téléphone ? J’ai juste besoin de l’appareil. Je n’ai plus de batterie et je dois répondre à quelqu’un, demanda lentement Stiles. »
Scott acquiesça sans trop se poser de questions et lança avec précision son téléphone vers les mains de son meilleur ami qui le rattrapa maladroitement entre ses doigts frêles. Stiles grommela un remerciement, enleva la coque et intervertit les puces téléphoniques.
Il alluma le téléphone en se dandinant impatiemment et en soupirant. Une fois le réseau activé, il alla directement dans la messagerie. Il n’eut pas le temps d’écrire grand-chose ; un message de Derek Hale venait d’apparaître, sans doute celui qui se faisait attendre tout à l’heure à la cafétéria. Il grommela quelque chose d’incompréhensible même pour les oreilles de Scott qui était en train de sortir ses affaires de son casier pour l’entraînement de l’après-midi.
Indécis, Stiles relut à deux reprises le texte pour être certain de ne pas avoir la berlue.
« Je t’aime, Stiles. »
Allons bon, voilà autre chose. Le principal intéressé inspira profondément avant de pianoter sur l’écran pour répondre à l’Alpha, essayant de ne rien laisser transparaître à la vue de cet aveu — même si Scott avait totalement la tête ailleurs et n’aurait de toute façon rien remarqué.
« On a besoin de parler. De nous. »
Derek était amoureux de lui ? Ça, Stiles l’avait parfaitement compris.
Encore de belles niaiseries.