New Orleans Haunted Tour
Chapitre 13 : Somebody that I used to know
3095 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 25/06/2018 18:14
SOMEBODY THAT I USED TO KNOW
But you didn't have to cut me off, Make out like it never happened and that we were nothing,
And I don't even need your love, But you treat me like a stranger and that feels so rough (Gotye)
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New Orleans, Louisiane, Manoir Lalaurie, 20 novembre 1h33
— Tu t'en sors très bien ! encourageait la voix de Sam. Continue. Trouve tout ce que tu peux, il faut faire un trou dans cette cloison ! C'est là !
Ruby venait de pénétrer dans une grande chambre du deuxième étage. Le plafond laqué noir, le sol en teck sombre et longs rideaux violets évitaient brillamment l'ambiance gothique. Près de la cheminée en marbre noir, un humain inconnu était en train de taper inutilement contre un pan du mur tendu d'une tapisserie ornementale chargée. Mais ce fut la silhouette de Sam qui retint plaisamment son attention. Magnifique ! songea-t-elle en le lorgnant de haut en bas. Debout près du grand lit au cadre de chêne teinté, Samuel les jambes écartées, le bras tendu et les veines du cou un peu trop gonflées sous l'effort, était en train de retenir à lui tout seul une horde impressionnante de spectres hargneux. Il était près de le faire. Il fallait juste l'encourager un peu. Elle se glissa près de lui en le faisant sursauter.
— Pulvérise-les, conseilla-t-elle. C'est net et sans bavure. Je sais que tu le peux ! Fais-le maintenant, car je suis venue te prévenir que ton frère est en mauvaise posture en bas…
— Mais alors, qu'est-ce que t'attends pour aller l'aider ? gronda-t-il.
— D'un claquement de doigt, tu peux nettoyer ces gêneurs. Qui c'est celui-là, d'ailleurs ?
« Celui-là » était Daniel Graves qui venait de reposer d'inefficaces chandeliers de fonte sur la cheminée. Il réfléchissait à voix haute, plutôt pour lui-même, en considérant le lourd fauteuil revêtu de bleu à proximité :
— Je pense que le fantôme qui les contrôle tous est là derrière. Le scanner montre qu'il y a une pièce. Ces vieilles maisons en étaient pleines. Celle-ci a été sans doute murée… Zut, ce fauteuil pèse une tonne, faut vraiment que je fasse de la muscu, moi…
— Tu veux faire quelque chose ? Alors va l'aider ! ordonna Sam. Je ne tiendrai pas très longtemps.
Ruby esquissa un sourire en posant une main sur son épaule. Le muscle de Sam tressaillit à son contact. La voix de la démone était caressante et faussement pleine de sollicitude.
— Tu as peur de t'effondrer ? Mais je ne te laisserai pas tomber, moi. Il y a une solution si tu as besoin d'un petit remontant et tu sais très bien laquelle…
Elle était dangereusement proche de lui et Sam épuisé, des points blancs dansant devant les yeux, se sentait à juste titre, au bord de l'évanouissement... Il savait pourtant que ce n'était pas une option de laisser Daniel seul dans une telle situation. Il se mordit la joue espérant que la douleur le forcerait à rester conscient.
Charmeuse, elle venait d'incliner la tête avec un petit soupir d'impatience, pour dénuder son cou en poussant ses cheveux. Sam commença à transpirer ; il détourna le regard, luttant désespérément contre son addiction démuselée par la tentation et qui tirait à toute force sur sa laisse... Il serra les dents et murmura entre elles à voix basse dans l'espoir que Daniel ne l'entendrait pas :
— Arrête Ruby ! C'est pas le moment… Je t'ai dit que tout ça, c'était fini !
Distrait par la proximité physique de plus en plus impérieuse de la démone, le cadet Winchester baissa sa garde un instant et plusieurs esprits nettement plus frais que ceux qu'ils avaient vus jusque-là s'échappèrent et se ruèrent dans leur direction. Ruby adopta aussitôt une posture défensive et s'interposa à la vitesse de l'éclair entre Sam et eux, moulinant du couteau gravé de sorts pour les faire reculer. Ces spectres plus forts grondèrent davantage mais obtempérèrent prudemment, permettant à Sam de disposer de quelques secondes pour essayer de souffler.
Par rapport à ceux qu'ils avaient croisés la dernière fois, Sam voyait bien que ceux-là ne portaient pas de costumes d'époque. Il y avait parmi eux différents corps de métiers : des ouvriers, agents de la voirie, du gaz, un facteur, un policier en uniforme… Pour être plus modernes, ils n'en semblaient pas moins acharnés. Mais que faisaient-ils là ? Il aurait compris que les gens morts du temps de Delphine LaLaurie soient encore là. Peut-être quelques infortunés propriétaires ultérieurs, mais des personnes qui avaient l'air décédées au vingtième siècle d'après leurs vêtements ?
Daniel soupira en s'essuyant le front, interrompant les réflexions du chasseur.
— Je suis désolé, ce fauteuil est trop lourd pour moi. Il nous faut du renfort. Est-ce que le sel qu'on a mis ne suffira pas à les contenir si vous venez m'aider ?
— J'ai bien peur que non, dit lugubrement Sam.
De mauvais gré, Ruby marcha en direction du jeune homme en le repoussant pour se mettre en position face à la paroi.
— Madame, vous allez vous faire mal ! l'avertit-il galamment.
Avec une moue goguenarde, elle dégagea ses longs cheveux en arrière, prit son élan et d'un large coup de pied latéral, fit un trou dans la paroi sous les yeux ébahis du spectateur conquis. La poussière de plâtre les étouffa tous à moitié et une agitation accrue gagna les revenants encore présents. Leur pression en avant vers leur trio augmenta et Sam se sentit cette fois définitivement mal.
— Hey Winchester, elle est top ta copine !
— C'est… pas ma copine ! s'étrangla Sam en pâlissant avant de s'écrouler à terre.
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xXx
New Orleans, Royale Street, 1h32
Debout dans leur van, pas d'accord sur la façon de gérer la situation, Frohike et Byers se regardaient en chiens de faïence – à savoir un bouledogue et un épagneul. Depuis deux minutes, le plus âgé essayait obstinément de convaincre le plus jeune qu'il fallait pénétrer dans la maison, avec un équipement correct, tandis que l'autre refusait pour la bonne raison qu'il ne voulait pas perdre un autre équipier, le souvenir de Langly étant assez amer.
Leur dispute fut interrompue par la sonnerie opportune du téléphone de Byers, qui décrocha aussitôt en voyant s'afficher le numéro de Mulder. Pourtant, ce n'était pas lui au bout du fil mais bien Dana Scully. Et c'était tant mieux car c'était bien là les deux seuls mots magiques encore capables de stopper Frohike dans son élan.
— Byers ? Je suis avec Mulder et il me demande de vous appeler. Arrêtez tout ce que vous êtes en train de faire, Skinner lui a retiré l'enquête sans en donner la raison…
— Oh, ça c'est pas bien compliqué à deviner, ronchonna Melvin.
— John, mettez-moi sur hautparleur… J'imagine que c'est vous trois qui avez fouiné pour lui… Qu'est-ce que vous avez découvert qui justifie que le FBI rappliquera probablement dans la demi-heure ?
— Le FBI est en route ?
— Et je suppose que vous n'avez pas envie qu'ils vous retrouvent, étant donné que vous êtes largement supposés être morts…
— Évidemment… acquiesça John Byers toujours calme et conciliant, mais c'est quoi la sirène que j'entends ?
— C'est le carrosse de la princesse Mulder. Je l'emmène à l'hôpital passer un scanner du crâne.
— Il a pris un mauvais coup ?
— C'est ce que l'on va vérifier, répondit-elle évasivement.
— J'ai l'impression qu'il y a des choses que vous ne nous dites pas.
Le sourire de Dana fut assez audible pour les deux conspirationnistes qui se regardèrent d'un air entendu malgré leur inquiétude. De fait, Mulder était presque leur quatrième mousquetaire.
— J'ai l'impression que vous aussi. Nous reprendrons cette conversation quand j'en saurai plus sur l'état de Mulder, je vous laisse car je dois remonter en voiture pour suivre l'ambulance...
La communication se coupa. Byers rempocha son téléphone pendant que Melvin pensif grattait ses joues grêlées dévorées d'une ombre de barbe poivre et sel. Le plus jeune des deux s'empara d'un ordinateur et commença à afficher l'état du trafic de la ville. S'ils devaient partir rapidement, c'était plutôt utile de savoir où étaient les bouchons.
— Tu penses qu'il y a vraiment un lien entre Skinner et ce Campbell ? demanda Frohike.
— Mais oui… Ou en tous cas, Skinner lui, il y a cru et il a flippé en pensant que d'autres collègues pourraient le croire aussi… Attends, il y a du mouvement…
— Dans la maison ?
— Non, sur la route…
— Ouais, bah dans la maison aussi, figure-toi… ça barde on dirait, remarqua Melvin en retirant un écouteur du casque de surveillance audio qu'il portait.
— Tu sais quoi ? Dana nous a demandé de partir, alors on va le faire... mais en entraînant les voitures qui viennent par ici derrière nous sur une fausse piste. Quoi qu'ils soient en train de fabriquer à l'intérieur, à mon avis, c'est pas un cambriolage ; ça leur laissera un peu plus de temps…
— Moais… Je me demande et quand est-ce que je vais pouvoir étrenner mon costume de ghostbuster moi, maintenant… Je le devais à Langly. Personne ne plante mes potes comme ça !
Byers se permit un sourire.
— Va prendre le volant, au lieu de dire des bêtises. Et ne lésine pas avec ton klaxon de beauf, faut qu'on attire suffisamment l'attention.
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sSs
New Orleans, Maison Lalaurie, au même moment
Daniel contempla avec horreur la haute silhouette de Sam dont la chute avait heureusement été amortie par un épais tapis moelleux près du lit. N'écoutant que sa témérité, il se précipita en se jetant à genoux à ses côtés.
— Madame ! Il ne bouge plus et... ne se réveille pas ! dit-il en le secouant en vain.
— Ne t'occupe pas de cela, continue plutôt à agrandir le trou dans le mur, je me charge de le réanimer...
Sous le regard médusé du journaliste relevé et les bras ballants de désolation, Ruby étala Sam bien à plat sur le dos et comme elle lui ouvrait la bouche, il crut qu'elle allait tenter une respiration artificielle. Mais elle prit son couteau dont elle passa la lame côté coupant sur son fin poignet, avant de l'avancer pour faire couler du sang entre les dents de l'homme évanoui.
— Mais qu'est-ce que vous faites ! Arrêtez ! C'est pas un vampire !
Sans obtempérer le moins du monde, Ruby arbora un sourire en coin.
— Qu'est-ce que t'en sais ? Occupe-toi du mur. Sam s'occupera de brûler les os de quiconque se trouve là-dedans dès qu'il sera réveillé… ce qui ne va pas tarder.
Daniel regarda les morts qui se jetaient furieusement contre la barrière invisible formée par le sel comme s'ils avaient le pouvoir de la défoncer. Certains d'entre eux parmi les plus forts commençaient à faire voler des objets dans la pièce. Ils visaient le cercle de sel et espéraient rompre ainsi le sceau de protection qu'il offrait. Près de lui, Sam bougea et Daniel vit ses lèvres frémir quand Ruby posa directement sa veine ouverte à leur contact. Le "patient" toussa et grogna et ce signal fut suffisant pour son jeune acolyte. Inconscient de la nature de Ruby, il tenta de la repousser pour qu'elle arrête.
La réaction ne se fit pas attendre, la jeune femme afficha un regard ultra noir, les pupilles dévorant soudain la totalité de ses orbites. Profitant de son désarroi face à cette vision, elle écarta le jeune homme d'un geste brutal qui le projeta en direction du mur. Le choc sourd le fendilla un peu plus. Daniel retomba lourdement sur le plancher de lattes sombres en gémissant et toussant au milieu de la poudre de plâtre.
— Sam ! s'égosilla-t-il. Réveille-toi ! C'est un démon ! Sam !
— La ferme ! intima-t-elle.
En voyant ledit démon marcher vers lui avec détermination, Daniel se dit qu'il aurait mieux fait de se taire et crut sa dernière heure arrivée. Pourtant par un mystère qu'il ne parvint pas à s'expliquer, il esquiva de côté son attaque. De fait, la belle brune ensevelit son bras jusqu'au coude dans le trou de la paroi en essayant de le cogner. Elle tira en vain pour se dégager, comme si quelque chose l'en empêchait de l'autre côté...
En ruant assez furieusement pour se sortir de ce piège, Ruby ne réussit qu'à fragiliser un peu plus la paroi. Alors voyant qu'elle n'arriverait à rien de cette façon, elle décida de s'effacer du lieu purement et simplement, laissant le jeune journaliste seul avec Sam à terre. Le groupe compact des esprits revigorés par cette défection fit voler les chandeliers à travers la pièce dans l'intention manifeste de l'embrocher avec…
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Le souffle court, le jeune homme apeuré n'eut que le temps de courir se cacher derrière le fauteuil azur renversé sur le côté, un peu coupable pourtant de laisser Sam Winchester aussi exposé. Il tâta fébrilement sa poche et en sortit un téléphone où il appuya sur un bouton de raccourci pour composer un numéro qui tombait sans arrêt sur le répondeur. Sans se démonter, il coupa et réitéra plusieurs fois.
Derrière le mur de la chambre désormais affaibli, fendu et troué, un espace noir des plus inquiétants laissait échapper un air plus fétide que les relents du bayou. Semblant s'écouler du trou, le son discret d'un chuintement ou chuchotis mouillé presque inaudible lui filait proprement la chair de poule.
— Sam ? essaya-t-il en vain.
Revenant à son téléphone en gardant un œil sur les assiégeants, il insista et on décrocha enfin.
— Maman ? C'est Daniel, merci de prendre l'appel…
Au bout du fil une voix précieuse et irritée l'accueillit plutôt fraîchement mais le jeune homme n'en avait cure, il appelait pour une très bonne raison.
— Qu'est-ce que tu veux encore Danny, je suis très occupée et tu me déranges !
— Maman, est-ce que tu connais un bon sort pour immobiliser un démon ?
Le rire suraigu de sa mère résonna dans le combiné pendant quelques secondes. Il ne savait pas trop si cette hilarité signifiait qu'elle allait l'aider ou lui raccrocher au nez.
— Évidemment mon chéri, c'est quasiment l'enfance de l'art, n'est-ce pas, ma chère ?
— Oui… mais pourquoi tu m'appelles "ma chère", c'est un code ? Ton patron est là et tu ne peux pas parler ?
— Oh ce que tu peux être nouille, mon Danny, bien sûr que non ! Pourquoi mon patron serait-il à la maison à une heure pareille ? gloussa-t-elle. Quelle idée ! Non, si tu veux tout savoir c'est la réunion des admissions au Convent de Haute-Magie et j'y suis présentement en entretien… Donc je vais devoir te laisser…
— Non, maman ! Attends, ne coupe pas ! Le sort !
— Oui, j'ai compris, je te l'envoie par texto, bisou bisou mon chéri ! Amuse-toi bien et ne rentre pas tard. Tu sais que ton père se ronge les sangs à chaque fois...
Daniel écarquilla les yeux en signe de protestation muette. Son père ferait déjà une attaque s'il savait qu'il avait emprunté le prototype de scanner portatif super précieux de l'hôpital… Le jeune homme regarda le téléphone avec anxiété pendant que la voix de sa mère continuait d'en sortir car elle avait sans doute oublié de raccrocher :
— Oh ma chère Rowena, j'imagine que vous ne pouvez pas comprendre le tracas que c'est d'être une mère brillante dont le fils est un bon à rien. Même pas fichu de retenir un sort de base ! C'est le mouton blanc de la famille !
— Que vous croyez ! roucoula une autre voix que Daniel ne connaissait pas. Mon Fergus était bien pareil...
Sam émergea de son évanouissement et tenta de s'asseoir d'un coup, en toussant et en crachant un peu de sang dans son poing, surprenant tellement le jeune Daniel qu'il en lâcha son téléphone par terre. Ce dernier émit malgré tout un petit ding qui annonçait l'arrivée d'un message entrant.
Le grand et beau chasseur regarda sa main rougie d'un air surpris en voyant du sang, puis il lança un regard interrogateur sur son compagnon d'infortune qui crut bon de résumer brièvement avec une remarquable présence d'esprit :
— On est en vie, les fantômes veulent briser le cercle de sel, le mur a un trou flippant, et celle qui n'est pas votre copine est un démon qui vient de s'enfuir en s'évaporant ! C'est elle qui vous a fait ça, ajouta-t-il en désignant son visage.
— Fait quoi ? Elle m'a pété les dents ?
Encore un peu étourdi, Sam se tâta les joues et passa furtivement la langue sur ses gencives pour vérifier s'il en manquait une et y trouva le compte juste.
— Non, elle vous a fait boire de son sang ! Elle est malade ou quoi !?
Comprenant beaucoup mieux de quoi il retournait, Sam s'abstint de répondre. Il soupira et se remit sur pied avec un effort visible, tentant de masquer par là son trouble coupable et la façon dont il sentait ses veines devenues trop étroites pulser en lui à un rythme infernal. Effectivement, il devait reconnaître qu'il se sentait bien plus fort maintenant...
Il recoiffa ses cheveux en arrière pour essayer de se calmer, étira sa nuque et fit rouler ses larges épaules. Son geste délibérément lent exsudait une sourde menace, une aura de puissance qui lui gagna une œillade éperdue d'admiration de la part de son jeune acolyte, et un froncement fébrile nettement plus circonspect de la part des autres, qui arrêtèrent de faire pleuvoir des objets incongrus.
Sam regarda le mur, pesa le pour et le contre, puis comme ils entendirent un grand cri venant de l'étage du dessous (probablement Dean), il agita la main négligemment. D'un petit mouvement économe du poignet, il venait de les réduire tous en poussière et de balayer les particules hors de sa vue.
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(à suivre)