New Orleans Haunted Tour
COWBOYS AND ANGELS
I know you think that you're safe, mister, harmless deception, that keeps love at bay. It's the one who resist that we most want to kiss, wouldn't you say? (G. Michael)
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sSs
Chicago, Illinois, Presence Resurrection Medical Center, plus tôt dans la soirée
A bout de patience, Castiel avait tout bonnement fermé les paupières en restant remarquablement immobile. Il s'était dit qu'en faisant semblant de dormir, cette maudite infirmière qui ne le laissait pas en paix, s'en irait.
Toute idée de négociation avait déjà été abandonnée depuis plusieurs heures : elle ne l'écoutait pas et se contentait de secouer la tête en faisant "tut, tut, tut, mon mignon". Probablement que lui dire la vérité n'avait pas été une bonne idée. Allez savoir pourquoi, quand il avait expliqué qu'il devait rejoindre des amis pour les avertir que le démon qui s'en était pris à lui allait probablement les avoir avec un artefact divin, elle l'avait déclaré agité et forcé à avaler des pilules qui faisaient dormir...
Au réveil, même effectivement coupablement plus reposé, il avait découvert que non contente d'avoir subtilisé ses vêtements et son téléphone "pour les désinfecter", elle aimait passer son temps à le retourner comme une crêpe et cribler de piqûres le bas de son dos - prétendument pour éviter une septicémie en raison de sa blessure. Quand il expliquait qu'il ne craignait rien, elle lui demandait avec inflexibilité qui avait fait des études médicales... Sans ordinateur, il ne pouvait pas chercher ce que voulait dire septicémie. La minuscule télévision (à la télécommande inaccessible) qui planait en hauteur n'en parlait jamais. Elle diffusait seulement en boucle un unique programme animalier où des léopards insatiables coursaient des gazelles au ralenti, dans le but inéluctable de les dépecer, au son finalement très énervant des Chariots de feu. Le fait était sans précédent : un (autre) ange venait de découvrir... l'Enfer.
Sous le fallacieux prétexte de le nourrir, la harceleuse patentée était donc revenue plus tard, et il avait donc fait le mort. La crédibilité de son interprétation devait respecter une prudence minimale car il avait vite compris que le moindre bip insistant dans le moniteur cardiaque, rameutait des équipes médicales entières en plein affolement. Au temps pour une sortie discrète...
— Allez mon chou, réveille-toi ! l'exhorta-t-elle en rallumant un plafonnier dons les néons crus le firent grimacer.
Il garda obstinément les paupières closes tandis qu'il la sentait approcher en faisant trembler le sol. De ses doigts boudinés, elle lui donna des petites tapes sur les joues et il resta de marbre. Règle n° 14 : Ignorer les humains décidément trop tactiles.
— Arrête de faire comme si tu dormais. Je sais très bien que ce n'est pas le cas : tu respires pas comme quelqu'un qui dort… Il faut manger, dit-elle d'un ton plus amène. Regarde-moi ça, t'es tout maigrichon, ma parole…
Il étouffa un gémissement indigné quand elle lui pressa durement le biceps d'un air navré, avant de relever le haut de son lit pour l'asseoir. Le regard outré de l'ange s'ouvrit sur l'énorme face joufflue qui lui souriait de beaucoup trop près. Peau grasse, acné rosacée, pores dilatés, dents écartées, triple menton… Les narines délicates de l'ange tressaillirent sous l'assaut de l'odeur du désinfectant et l'antimite au bois de cèdre…
Et là, subitement, Castiel repensa à l'agoraphobie de Dean qui lui rappelait en permanence qu'il ne le voulait pas à moins de soixante-dix centimètres de lui, et jamais dans le dos. "Cass, on a déjà parlé de ça, l'espace personnel, tu te souviens ?" Honnêtement, c'était pas la peine de s'en souvenir : il le lui rappelait tout le temps. Une chose étonnait l'ange toutefois : Sam se tenait constamment tout près de Dean, et ne recevait aucune remontrance de cet ordre. Mais sans doute l'aîné avait-il renoncé à essayer d'éduquer correctement son cadet ?
Il voulait fuir mais il ne pouvait pas. Du moins, pas tant qu'elle était là. Et pas tant qu'il ne pourrait pas revêtir un vêtement qui ne le laissait pas si découvert à l'arrière. Il lui fallait un plan. Elle approchait une cuiller vers sa tête.
— Allez bébé, ouvre ta jolie bouche ! le cajola-t-elle en lui attrapant la mâchoire dans une poigne de fer.
— Je n'ai pas faim, rétorqua-t-il d'une voix éraillée et maussade en se détournant de la purée qu'elle lui tendait.
— M'oblige pas à te la faire avaler de force… J'en ai maté des plus coriaces que toi, tu sais ? ajouta-t-elle en plissant les yeux.
Castiel la croyait volontiers. Avec son gabarit de catcheuse, c'était possible. Vainqueur par écrasement. Il la regarda. Elle lui rendit son regard. Il continua. Elle tint bon. Il ne cillait pas. Elle non plus.
— Tu ne peux pas gagner car je sais que tu es un bon garçon et que je fais ça pour ton bien. Castiel leva les yeux au ciel en soupirant à fendre l'âme.
Plan de fuite repoussé.
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Après le départ de sa tortionnaire qui l'avait à moitié étouffé avec une concoction insipide ayant le goût de carton et un prétendu steak dur comme du bois, il réalisa qu'il allait mettre des jours à se débarrasser des toxines présentes dans la viande animale qu'elle l'avait forcé à ingérer.
Cela le sidérait que son Père laisse les humains manger des animaux et dans de telles conditions… L'idée que Dean avait probablement raison le fit rougir. Si ça se produisait, ça voulait bien dire que son Père était parti pour toujours et abandonné sa Création…
Désœuvré, Castiel pinça les lèvres, et jeta un œil inquiet vers la porte de sa chambrette aux murs jaunes, à moitié persuadé que ce blasphème Lui parviendrait directement et qu'Il allait venir le tancer vertement pour avoir pensé cela. Ou envoyer un de ses frères pour le punir... C'est ainsi qu'il prit conscience qu'un homme était en train de l'épier depuis l'extérieur par sa porte restée ouverte – car l'infirmière ne lui autorisait pas la moindre intimité. De taille moyenne, l'espion à la mise ordinaire portait une casquette, des lunettes et une barbe courte. Toutefois, il le reconnut quand même : c'était l'écrivain de la Convention des humains dérangés. Ou déguisés. Peu importait : aucun Winchester n'était là pour le reprendre avec un hautain petit sourire moqueur.
— Hey ! appela Castiel. Pouvez-vous m'aider, s'il vous plaît ?
Avec dépit, l'ange constata que l'homme interpellé venait de s'enfuir sans demander son reste. Zut. Pour une fois qu'un humain était timide, ça ne l'arrangeait pas…
Sans tergiverser davantage, Castiel arracha résolument les perfusions et les fils qui le retenaient aux machines et s'élança à sa poursuite. Tant pis pour sa blouse qui s'ouvrait dans le dos, de toute façon l'infirmière lui avait bien fait comprendre en se moquant un peu de sa pudeur, que personne ne prêtait attention à la callipygie de son vaisseau dans cet établissement…
Malheureusement, un fois dans le couloir, un soudain et inopportun vertige l'obligea à s'adosser prudemment au mur pour ne pas trébucher et s'étaler – ce qui aurait fait venir d'autres gens, à coup sûr. Ceux qui se trouvaient là le toisaient déjà d'un air soupçonneux... Les oreilles se mirent à lui tinter et il resta debout, crispé contre le chambranle, tandis que le monde semblait s'être figé tout autour de lui.
"Hum… entendit-il haut et clair sur la fréquence des prières. Je… j'ignore si ce que je suis en train de faire a un sens… Monsieur Castiel, si vous m'entendez, c'est Dana Scully. J'ai un message pour vous. Je pense que vos jeunes amis vont faire une bêtise. Ils sont dans la maison hantée de la Nouvelle-Orléans et j'ai tout lieu de croire que le FBI peut les y attendre alors..."
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Alexandria, Virginie du Nord, au même moment
— ...si vous avez un moyen de les prévenir...
Ses cheveux longs encadrant son visage baissé, les doigts entrelacés sans toutefois joindre les paumes, Dana sentit un brusque souffle d'air, assorti d'un bruit de drap froissé qui claque au vent. Désarçonnée par la sensation physique, elle releva les yeux et porta vite sa main à sa bouche pour ne pas crier en réalisant que le prétendu ange venait d'apparaître en un clin d'œil juste en face d'elle. A soixante-dix centimètres. Elle se força à calmer les battements précipités de son cœur. Ça surprenait vraiment quand on n'avait pas l'habitude.
Assez étrangement, il ne portait qu'une robe d'hôpital blanche à pois, qui le rendait somme toute plus familier et moins impressionnant pour elle. Pourtant sa mine pâle et soucieuse aux yeux cernés contrastait avec l'air déterminé qui brillait dans ses yeux clairs. Il dévissa son cou pour regarder autour de lui avec une curiosité non feinte, surpris de la trouver debout dans la pénombre, avec un petit sac de voyage à la main.
— Pourquoi êtes-vous dans le noir ? Et où sommes-nous ? demanda-t-il interloqué.
— Chez Mulder. En… Virginie. Il n'est pas bien, et j'attends une ambulance pour aller lui faire passer des examens, en ville. Mais avant qu'elle arrive, je voulais vous prévenir pour vos amis. Vous m'avez vraiment entendue ? Comment avez-vous pu venir aussi vite ?
Castiel essaya de se donner contenance sévère en croisant les bras sur la poitrine. Dean l'avait bien chapitré sur le fait que, même fort pieuse, cette femme ne leur voulait pas forcément du bien et d'autant moins que ses connexions antérieures avec le FBI ne plaidaient pas pour elle.
— Comment savez-vous qu'ils sont là-bas et qui aurait averti vos anciens collègues ?
Elle baissa brièvement ses beaux yeux pour admettre avec un embarras révélateur :
— Mulder les a fait filer et ses hommes viennent de rapporter les avoir vu entrer, dit-elle en agitant vaguement un téléphone. Il vient de me dire que notre ancien patron lui avait demandé de les retrouver pour lui… Il y a tout lieu de croire que le FBI est déjà en route pour les capturer étant donné le mandat d'amener qui pèse sur eux...
Castiel continuait à la fixer sans rien dire, ce qui était sa botte secrète personnelle. Elle déglutit pour continuer :
— Compte tenu de ce que j'ai vu à la Nouvelle-Orléans, je crois qu'ils méritent le bénéfice du doute. Toutefois, je vous préviens, si je découvre que vous m'avez menti et que vous êtes tous des assassins…
— Je vous remercie, opina-t-il en levant la main pour lui signifier qu'elle n'avait pas besoin d'en dire davantage. Je peux être sur place très vite mais... j'ai un service à vous demander.
— Quel genre ?
Il baissa les yeux vers sa robe à pois.
— Est-ce que votre ami pourrait me prêter d'autres vêtements ?
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sSs
New Orleans, Louisiane, Manoir Lalaurie, 1h28 du matin
La maison louisianaise non plus n'était pas éclairée. Lorsqu'il apparut dans l'un de ses salons vides qu'il avait déjà traversés lors de sa précédente visite, Castiel sentit immédiatement que quelque chose n'allait pas. Peut-être en raison des nombreux médicaments dont on avait saturé son véhicule, il se sentait désorienté et il ne sut pas où se rendre en premier. Son audition lui jouait des tours. Des cris et des bruits étouffés lui parvinrent enfin en provenance d'une autre pièce toute proche. Sortant du petit salon, il se rua dans cette direction par le premier couloir mais une rangée de fantômes filandreux s'interposa, sifflant de menace comme il s'approchait d'eux. Ils essayaient de lui barrer l'accès d'une porte fermée, un endroit qui ne lui disait rien et n'avait pas visité la dernière fois.
"Harry, lâche-moi cette putain de caméra et va aider ton pote !" criait la voix revêche de Dean à l'intérieur.
"L'écoute pas, continue à filmer !" protestait celle d'Ed Zeddmore.
Castiel s'apprêtait à foncer dans le tas pour aller les aider mais, soudain dérangé par une sensation très désagréable et néfaste sur sa droite, il fit face prestement, sa lame pure de métal angélique parée à frapper. Face à lui, le véhicule curviligne de Ruby arborait un sourire un peu crispé.
— Comme on se retrouve, le chérubin ! Alors quoi ? T'en as pas eu assez, la dernière fois ?
L'ange serra les dents en la considérant un instant avec hésitation, si elle sortait son artefact maintenant, c'était fichu... Que faire ? Aller sauver ses amis ? Se défendre contre Ruby ? De l'autre côté de la porte, un bruit d'objet renversé ou cassé les fit tous les deux sursauter. Bizarrement, la démone ne semblait pas plus décidée que lui à attaquer.
— Sam est en train de se battre à l'étage, déclara-t-elle. Il est seul.
"Je l'ai eu ! Il est…" les coupa le jeune Spangler triomphant derrière la porte avant de changer dramatiquement de ton… " Aaahh... Ed !"
Sa phrase resta en suspens, brutalement interrompue par son cri glaçant. Entendant cela, Castiel cessa de tergiverser, il fendit l'escadron spectral en jouant des épaules pour se faufiler entre eux. Il avait l'impression de nager à contre-courant d'une marée lourde et visqueuse. Il se força à rejeter son haut-le-cœur et s'attaqua à la porte à grands coups de pieds pour entrer.
Dean et les deux Ghostfacers avaient trouvé refuge dans une sorte de garde-manger et cellier. D'un coup d'œil, il embrassa la pièce modeste aux murs blancs seulement recouverts d'étagères sur une bonne hauteur de part et d'autre, permettant de poser divers aliments secs et des bouteilles. Les deux jeunes humains idiots étaient à terre, tous les deux légèrement blessés à la tête, et Dean tenait bon face à deux assaillants semi-transparents d'une rare vigueur. Ruby passa une tête curieuse par la porte avec un sourire narquois.
— Qu'est-ce qu'elle fiche là, elle ? s'écria Dean déjà fin frustré par la fluidité de ses cibles.
— Je suis là pour aider…
— Prouve-le ! aboya Dean en se jetant à genoux pour éviter d'être attrapé par un fantôme qui s'élançait sur lui.
Mais le Métis Mal Visé de la cuisine se remanifesta inopinément, le ceintura par derrière et le traîna à grande vitesse au travers de la pièce avec la rapidité d'un boulet de canon. Une seconde porte d'accès s'était ouverte seule et refermée sur eux : le chasseur venait tout bonnement de disparaître de leur champ de vision en trois secondes.
Ruby n'avait rien pu faire non plus.
— Va aider Sam, vite ! lui intima Castiel à contrecœur.
Elle opina brièvement et partit sans demander son reste, se taillant un passage au poignard. Puis, l'ange lança sa propre dague argentée au plus valide des deux Ghostfacers – à savoir Harry – qui manqua de la laisser tomber quand elle ricocha sur ses doigts malhabiles et craintifs.
— Protégez-vous avec ça. Je vais chercher Dean, il ne peut pas être loin.
Les deux jeunes gens avaient déjà rencontré Castiel dans leur "tanière". Ce dernier leur avait collé une frousse mémorable et détruit au passage leur photo dédicacée de William Shatner. Une perte irréparable qu'ils avaient du mal à pardonner. Toutefois, ils acquiescèrent sans un mot en comprimant leurs estafilades les plus sanglantes. Zeddmore avait peut-être une commotion mais il n'était pas temps de s'en préoccuper pour l'instant.
Le visage tendu, Castiel ressortit résolument du garde-manger, juste à temps pour voir le grand métis en train de brandir une machette au-dessus de la tête de l'aîné des frères, gisant à terre et inconscient.
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(à suivre)