Chante pour moi
Bonne lecture !
Chapitre 8 – Premier pas
Cette nuit-là, Solfège ne réussit pas à trouver le sommeil. Allongée sur le dos dans son petit panier, elle avait longuement regardé le plafond, les doux ronflements de Junior en échos dans la pièce la rassurant qu’il dormait profondément. Elle avait comme une pression au milieu de la poitrine qui l’empêchait de se détendre pour profiter d’une bonne nuit de sommeil. Elle ne savait pas d’où elle venait, mais tandis qu’elle passait délicatement son pouce sur sa montre à gousset, elle finit par se redresser dans son lit pour croiser les bras. La chambre était sombre, mais les rayons de la lune qui peinaient à traverser les nuages noirs éclairaient la porte en bois face à elle dans un halo de lumière. Le château était à nouveau dans les airs après seulement deux heures d’amarrage dans les terres de Végésia.
D’un soupir inaudible, Solfège décida de se lever pour aller chercher un verre d’eau fraiche à la cuisine. Il faisait tellement chaud dans cet endroit qu’elle avait l’impression qu’elle allait fondre ! Ce n’était certes pas aussi étouffant que dans la cage de la prison, mais suffisant pour lui permettre de dormir sans sa couverture. Lentement et avec furtivité, elle slaloma entre les jouets qui tapissaient le sol pour atteindre la porte sans réveiller Bowser Junior dormant à poings fermés. Par chance ce dernier avait le sommeil lourd, donc elle pouvait facilement ouvrir la porte d’un faible grincement puis la refermer derrière elle. Attendant un instant devant celle-ci pour s’assurer qu’il n’y avait aucun bruit de l’autre côté, Solfège remarqua que les gardes n’étaient pas à leur poste. Etrange. Toute seule dans le grand couloir éclairé par les chandeliers, elle ramassa le bas de sa robe de nuit blanche qui ressemblait plus à une guenille pour traverser le corridor en toute discrétion.
Ses pieds s’enfonçaient dans le doux tapis rouge tandis qu’elle marchait calmement en direction de la cuisine se trouvant au rez-de-chaussée. Sur la pointe des pieds, elle avait choisi de ne pas se chausser pour éviter au maximum de se faire remarquer. Elle espérait ne tomber sur personne ! Car étant la servante de Junior à plein temps, elle n’était pas censée se balader sans sa présence. Tournant à l’angle pour atteindre les grands escaliers où la lumière était plus vive, la jeune femme en cavale s’arrêta subitement dans ses pas lorsqu’elle entendit des sons. Cela ressemblait plutôt à des gémissements plaintifs … Comme si quelqu’un souffrait. Intriguée par ces gémissements de douleur, Solfège laissa tomber le bas de sa robe pour se diriger à pas feutrés vers l’origine du bruit qui s’amplifiait alors qu’elle avançait dans le couloir de l’aile Ouest.
«Arrête de trembler et termine le travail !» Gronda une grosse voix appartenant au terrible Roi des Koopas.
«Mais j’essaie ! Je ne suis pas doué avec ce genre de choses …» Se lamenta une seconde voix, celle du sorcier en robe bleue du nom de Kamek.
Solfège s’arrêta dans ses pas pour froncer les sourcils d’incrédulité. Que se passait-il ? Poursuivant tout de même ses investigations malgré son esprit qui lui dictait de rebrousser chemin, elle longea le mur quand elle vit qu’une des portes sur sa droite était grande ouverte. Sur le sol, une source de lumière virevoltait. Un feu ? Elle avança jusqu’à l’embrasure de la porte pour voir qu’effectivement, un feu de cheminée était allumé et que le puissant Koopa était assis sur un fauteuil vert sur le côté gauche. Tourné de profil, ses bras massifs étaient posés sur les accoudoirs de son siège pendant que Kamek se tenait sur un marchepied pour atteindre une vilaine blessure à son épaule. Le Magikoopa peinait à soigner cette dernière à cause de ses doigts toujours douloureux du récent accès de colère de Bowser.
«Utilise ta magie pour soigner ça !» S’agaça la grande tortue qui perdait patience avec l’incapacité de Kamek à faire un simple soin qui se résumait à recoudre la blessure. Ce n’était pourtant pas bien compliqué d’utiliser une aiguille et du fil ! Il serra le poing de frustration à sa réponse.
«Je peux me téléporter, transformer des objets en créatures redoutables, invoquer de puissantes attaques, mais je ne connais aucun sort de guérison. Ce n’est pas de mon domaine.» Rappela Kamek d’une grimace quand l’expression du Roi devint carrément effrayante. Ce n’était désormais plus qu’une question de secondes avant qu’il ne fasse un vol plané dans la pièce pour son incompétence … Si seulement ses fichus doigts ne tremblaient pas à ce point ! Frustré avec lui-même, le magicien à lunettes retint sa respiration pour se concentrer sur ses mains et la petite aiguille, sa langue dépassant de son museau.
Malgré son instinct qui lui criait de partir, Solfège ne pouvait ignorer ce petit tiraillement qui la conduisait à agir pour aider le Koopa en difficulté. Après tout, ce Kamek ne semblait pas si méchant que ça … Peut-être juste un peu sournois et un poil flippant, mais pas méchant en soi. Hésitante, elle resta cachée contre le mur à l’embrasure de la porte pour pouvoir jeter un œil sur le reste de la pièce qui ressemblait fortement à un lieu de détente avec une table basse et une autre bibliothèque. Combien y en avait-il dans ce château immense ? Se demanda Solfège. Cependant elle trouvait que c’était très cosy comme ambiance malgré les plaintes du Roi et les excuses de Kamek qui revenaient en boucle à chaque fois qu’il dérapait. Elle était partagée entre proposer son aide ou partir d’ici sur le champ avant de se faire remarquer.
Elle finit par prendre la décision de s’en aller car elle n’avait pas spécialement envie de s’attirer les foudres de Bowser.
Tournant les talons pour reprendre son chemin, Solfège s’arrêta après trois pas quand elle entendit un sifflement de douleur rapidement suivit par une autre excuse. Décidemment, Kamek était vraiment maladroit ! Ce qui était plutôt compréhensible vu l’état catastrophique de ses doigts … Il n’y pouvait rien, ce qui décida Solfège à agir pour la bonne cause. Même si elle risquait fortement de le regretter. Elle reprit son courage à deux mains puis tout en retenant son souffle, elle revint à la porte pour cette fois-ci entrer dans la pièce. Toutefois son air déterminé faiblit instantanément lorsque le grand Koopa menaçant posa les yeux sur elle d’un froncement de sourcils. Sans tourner la tête dans sa direction, il tonitrua la chose suivante avec dégoût.
«Tu apprécies le spectacle ?! J’imagine que de voir ton Roi souffrir te procure une immense satisfaction ! Je le vois dans tes yeux, je connais ce regard. Ça doit tant te réjouir de me voir mal en point, incapable de faire régner l’ordre dans mon propre château ... Profites-en car ça ne durera pas.» Prévint-il entre ses dents. Se sentant humilié par sa faiblesse, Bowser était cependant très surpris de voir le petit oiseau chanteur débouler comme ça dans la pièce. Dans sa robe blanche pyjama, les cheveux désordonnés.
«Vous ne devriez pas être ici !» S’étonna Kamek qui faillit tomber à la renverse sur son marchepied quand il vit la nouvelle distraction de son Maître.
Mais Solfège ne perdit pas son courage pour autant. Se déplaçant jusqu’à l’escabeau suffisamment haut pour atteindre l’épaule du Koopa, elle l’escalada pour se tenir à côté de Kamek et lui prendre l’aiguille des mains. Sans rien dire ni faire, le Magikoopa perplexe la laissa le débarrasser du fil pour prendre la relève. Il ne savait pas si c’était du courage ou de l’inconscience, mais il lui en était très reconnaissant car au moins ce n’était pas lui qui allait se prendre une râclée si le travail était mal fait. Il hésita mais finit par descendre pour surveiller de loin les gestes de Solfège, préparant sa baguette magique au cas où si elle tenterait de nuire à son Roi. Les sourcils froncés derrière ses grosses lunettes, Kamek ne quitta pas l’humaine des yeux quand cette dernière prépara son aiguille. Etonnamment, Bowser ne râla pas sur cet échange de poste improvisé. Il ne l’envoya pas balader, ni ne lui rugit dessus quand elle se pencha pour commencer le travail.
C’était pour le moins une réaction inédite expliquée par sa faiblesse passagère.
«Croyez-le ou non, mais je me soucie de tous les êtres vivants.» Lui répondit-elle enfin juste avant de faire son premier geste.
Solfège posa prudemment sa main à côté de la blessure, juste au-dessus de l’anneau piquant, pour constater que sa peau était vraiment chaude au toucher. Rugueuse à cause des écailles, mais incroyablement chaude. Jetant un petit coup d’œil pour s’assurer que la tortue n’allait pas lui cracher un jet de flammes, elle débuta le travail pour recoudre la plaie. A chaque fois que l’aiguille entrait dans sa peau épaisse, Bowser ne fit aucune grimace de douleur. Pas un rictus, rien du tout. A croire qu’il avait l’habitude de ce genre de choses avec tous ces combats qui l’avaient forgé au fil du temps pour devenir aussi robuste et insensible à la douleur. Prenant soin de ne pas lui faire mal, elle s’autorisa de temps en temps des coups d’œil pour regarder l’apparence intimidante de Bowser. Il présentait de multiples blessures sur le corps notamment sur la partie inférieure de son visage où elle pouvait voir des balafres.
«Vous êtes … Bien amoché.» Solfège souligna l’évidence d’un froncement de sourcils tandis qu’elle s’activait sur sa tâche pour en finir le plus rapidement possible.
«Pas autant que mes ennemis. Ils pensaient m’avoir, mais ils se sont pris une râclée qu’ils ne sont pas près d’oublier ! Ils y réfléchiront à deux fois avant de revenir m’affronter. Je propagerai la peur et briserai leurs os en miettes !» Répliqua fermement Bowser tout en serrant l’autre poing, l’intervention de Kamek le désillusionant.
«Si vous me permettez, ils nous ont pris par surprise quand on pensait faire un effet de surprise … Ils ont eu un tour d’avance sur nous. Comme je l’avais prédit.» Levant son doigt après avoir pris la parole, le Magikoopa se recroquevilla au regard réprobateur de son chef.
«Ce Mario … Il ne paie rien pour attendre ! J’aurais ma revanche et ce jour-là, j’écraserai son frère devant lui ! Qu’il voit l’étendue de ma fureur !» S’écria Bowser d’un grognement au souvenir de sa dernière bataille qui avait mal fini. Encore une fois, Mario et sa bande avait réussi à le repousser et à le ridiculiser devant la princesse … Mais la prochaine fois sera la bonne ! Il reprit d’un ton moins mordant tout en se frottant les yeux de lassitude avec sa main libre.
«Pourquoi est-ce que les humains sont aussi complexes ! Qu’est-ce qui lui faut de plus qu’une bague, des fleurs et un sacrifice pour fêter nos noces ? Une spectaculaire proposition et bam, mariage heureux pour tout le monde on passe à autre chose ! Alors pourquoi est-ce qu’elle continue de repousser mes avances ? Je lui ouvre pourtant mon cœur ! Je lui fais part de mes sentiments … Pourquoi s’embêter avec tout un tas de trucs inutiles quand on peut directement aller à l’essentiel ?» S’interrogea-t-il d’un petit haussement d’épaules qui obligea Solfège à lever son aiguille pour ne pas faire de bêtise.
«Peut-être que vous vous y prenez mal ?» Répondit-elle inconsciemment, se rendant vite compte que ce n’était peut-être pas la meilleure chose à dire. Oh la boulette. Déglutissant, elle vit le regard sceptique de Bowser qui la regardait du coin de l’œil, alors elle s’empressa de se rattraper ; «je veux dire par là que tout le monde est différent. Certains ont besoin d’un peu plus de temps pour apprendre à connaître son prochain et que parfois il suffit de revoir sa méthode d’approche.»
«Ohhh …» S’ébahi Kamek comme s’il venait d’avoir une illumination.
Cette réflexion pas si insensée que ça fit sortir Bowser de ses pensées autour de Peach et de Mario pour s’intéresser de plus près à l’humaine qui s’occupait de lui. C’était étrange de se dire que quelqu’un d’autre à part Kamek prenait soin de lui … Il n’avait pas l’habitude de cette présence féminine. Jamais la princesse n’aurait osé l’approcher de la sorte, et encore moins pour lui prodiguer des soins. Elle n’avait jamais voulu se retrouver auprès de lui, qu’importe la situation. Les petites mains de l’humaine que son fils avait nommé Solfège étaient froides sur sa peau brûlante. Elles travaillaient vite mais bien car il ne ressentait aucune douleur comme avec Kamek plus tôt. Quand elle se penchait pour examiner son travail, ses cheveux rougeoyants brossaient son bras, le chatouillaient. Discrètement, Bowser examinait l’apparence de la jeune femme tandis qu’elle restait absorbée par son aiguille, un léger froncement de sourcils creusant ses traits.
«Pourquoi perdre son temps quand on peut réclamer son dû tout de suite ! Le prendre de force et écraser tous ceux qui se mettent en travers. Il n’y a que ça qui marche ! Le reste, c’est superflu et purement fantaisiste. Je n’ai pas besoin de son amour ni de son consentement pour vivre mon idylle !» Poursuivit-il lassement alors qu’il continuait de regarder Solfège du coin de l’œil d’une petite moue contrariée. Celle-ci soupira puis leva les yeux pour établir un contact visuel avec la tortue féroce toutefois affaiblie. Encore une fois, il fût frappé par la beauté de ses yeux d’un vert tendre.
«Je suis plutôt pour la paix. Et contrairement à ce que vous pensez, l’amour est important.» Répondit-elle tout simplement, les mains s’attardant sur la peau du reptile belliqueux. Elle n’avait pas spécialement envie de débattre sur un sujet qu’elle ne connaissait pas, mais ce n’était pas évident de rester impartiale devant un tel discours déplaisant … Surtout après ce que Junior lui avait raconté concernant les nombreux kidnappings de la princesse pour la forcer à devenir son épouse.
«Tu es pour une noble cause, mais oui, j’aurais dû m’en douter …» Se moqua allègrement Bowser qui leva les yeux au plafond d’une petite secousse de sa tête. Pathétique, c’était tout ce que c’était.
«Je préfère ça que de répendre la terreur.» Affirma Solfège avec confiance alors qu’elle utilisait ses dents pour couper le fil. Elle n’avait pas aimé son ton moqueur, ni ce petit sourire malicieux. Cela lui faisait du mal en quelque sorte … Mais elle continuait de croire que ce n’était qu’une image.
«C’est terminé.» Déclara-t-elle platement avant d’entamer sa descente pour rejoindre Kamek au sol.
«C’est du bon travail ! Un petit coup de chiffon, et vous serez comme neuf ! Prêt à reprendre les rênes pour conquérir le monde.» Ravi, le magicien offrit un sourire à Bowser lorsque celui-ci roula son épaule douloureuse pour tester la robustesse des fils. En effet, c’était un travail remarquable, mais il n’allait certainement pas la féliciter.
Et puis quoi encore.
Solfège ne put s’empêcher de sourire de satisfaction à son travail. Non seulement elle avait sauvé Kamek de sa colère mais elle avait aussi rendu un grand service. Au Roi des Koopas … L’être le plus craint de l’univers, connut pour sa cupidité et sa méchanceté. Son sourire s’estompa alors qu’elle fixait Bowser avec un sentiment indescriptible. Elle essayait de le déchiffrer, mais il était tellement difficile à lire. Il se cachait. Quelque part elle espérait qu’en contrepartie de son aide, il n’allait pas la rôtir dès que l’occasion se présentera … Car elle n’avait pas particulièrement envie de mourir de cette façon tout à fait horrible et cruelle. Sur le point de partir et de laisser les deux Koopas seuls, Solfège se sentit comme prise au piège lorsque Bowser posa son regard épuisé sur elle.
«Et dis-moi, qu’espérais-tu obtenir en retour ? De cet … Acte de gentillesse.» Il crachait presque le mot, n’étant pas habitué à l’utiliser dans son vocabulaire. Accoudé à son fauteuil, le grand Koopa plissa suspicieusement les yeux à l’humaine quand elle lui répondit d’un petit sourire absent.
«Rien. Vous venez de le dire, c’était un acte de gentillesse.» Solfège haussa les épaules cependant avant de se retourner pour partir, elle voulut dire une dernière chose. Car elle y croyait dur comme fer. Elle hésita mais finit par dire le fond de sa pensée, à la surprise des deux Koopas qui ne s’attendaient pas à cette déclaration.
«Tout le monde a le droit à une seconde chance. Même les êtres les plus maléfiques.» Récita-t-elle après s’être détournée de Bowser pour enfin rejoindre la sortie. Sauf que la voix grave de ce dernier l’arrêta dans sa foulée.
«N’espère aucune pitié. Ça ne changera rien à ta condition. Dès lors où Junior se lassera de toi, je finirai ce que j’ai commencé ...» Protesta-t-il d’un ton menaçant tout en inspectant ses griffes avec un sourire mauvais, cherchant volontairement à la déstabiliser. Il en jouissait.
Solfège se raidit puis pinça les lèvres à cette prise de parole qui lui procura un énorme sentiment de solitude, même si elle devait s’y attendre. Qu’avait-elle espéré ? De la gratitude, un remerciement ? C’était Bowser après tout, il ne fallait jamais rien attendre de ce dernier si ce n’était pas dans son propre intérêt. D’un déglutissement pour libérer sa gorge qui était soudainement devenue trop serrée, elle reprit la marche alors qu’elle sentait les regards insistants des deux Koopas sur elle. Il fallait qu’elle s’éloigne le plus vite possible de cette tension presque palpable. Oubliant de passer par la cuisine pour se chercher son verre d’eau tant elle était perturbée, Solfège se dirigea rapidement vers la chambre de Junior pour terminer sa nuit non sans une touche d’inquiétude. La menace de Bowser continuait de planer au-dessus de sa tête.
A suivre …