L'irresponsable

Chapitre 3 : Clichés Déchirés

6251 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/03/2024 16:55

Disclaimer : Stranger Things est aux frères Duffer ;)


Toujours pas de bêta pour cette histoire… je croise les doigts pour que ce ne soit pas trop flagrant.


Avant-propos : Voilà la partie sur notre ami Steve ! Pour moi, il est logique que Steve et Jonathan aient des points de vue assez négatifs l’un sur l’autre. On les voit très peu interagir après leur combat dans la première saison et, même s’ils ont une attitude cordiale en face des autres protagoniste, pour moi ils ont de très bonnes raisons de se détester l’un l’autre et je crois que leur ressentiment réciproque n’a jamais vraiment été purgé au cours de la série. Même si j'ai un favoritisme éhonté -forcément- pour Jonathan, j'apprécie beaucoup le personnage de Steve et je trouve son évolution très agréable à analyser (j'avais très envie d'écrire quelque chose sur ce personnage et voilà le résultat) . Bref, j'ai beaucoup aimé écrire ce chapitre, j'espère qu'il vous plaira ! ;)


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« Il s’est battu contre un connard qui disait que j’avais mérité d’être tué parce que je venais d’une famille d’anormaux. »


La phrase tourne dans la tête de Steve… alors Will est au courant de ça ? Une part optimiste de lui espérait que le gamin n’avait jamais entendu parler de cette affaire, mais c’était évidemment un espoir naïf : l’histoire de son combat contre Jonathan avait fait le tour de Hawkins, de plus en plus déformée au fil du temps. Bien sûr, durant des semaines, Tommy H en mode revanchard avait raconté à qui voulait l’entendre comment cette vermine de Byers avait foutu une trempe au Roi Steve parce que celui-ci avait dit que sa « fiotte de frère méritait de crever ». Ce n’est pas ce qu’il avait dit, ni même ce qu’il avait pensé. Absolument pas.


Steve regarde Nancy et Robin tenter sans succès de faire revenir le petit frère de Byers à lui et il se retient de s’arracher les cheveux. Il n’a pas la moindre idée de comment les choses ont pu prendre une tournure aussi merdique mais, d’une manière ou d’une autre, il se sent profondément responsable de ce fiasco. De bout en bout.


C’est lui qui avait convaincu Nancy de les accompagner, Robin, Erica et lui dans leur aventure impromptue lorsqu’il l’avait croisée en compagnie de Will Byers quelques heures plus tôt. Will qui avait tout naturellement suivi. C’est lui qui n’avait pas manqué de remarquer la crispation de Nancy lorsque le prénom de Jonathan était prononcé et qui avait encouragé du regard Robin à l’aider à s’engouffrer dans la brèche si brèche il y avait. Lui qui avait fini par mettre le feu aux poudres en essayant d’égratigner l’image de Byers devant Nancy et Will.


Steve ne pensait pas beaucoup de bien de Jonathan Byers : il ne le faisait pas et ne l’avait jamais fait. Ils avaient tous beaucoup évolué au cours des dernières années ; le monde à l’envers et toutes les conneries surnaturelles auxquelles ils avaient été confrontés les y avaient forcés. Steve avait depuis longtemps renoncé à beaucoup de prétentions et préconceptions qu’il avait sur le monde du temps où il était encore le roi du lycée. Le temps où tout était bien plus simple.


Il n’avait pas de nostalgie perdue pour cette époque, il se sentait à des années lumières du roi Steve et de sa cour bruyante. À des années-lumière des conneries de Tommy H et des mesquineries de Carol et Nicole. Il avait du mal à se rappeler la personne qu’il avait été à l’époque, ça lui semblait lointain et vide. Il savait néanmoins qu’il avait été un connard. Un connard qui s’entourait d’autres connards, de gens qui tyrannisaient les parias et les ratés de l’école. Les parias comme Dustin et Robin. Les ratés comme Eddie Munson et Jonathan Byers.


À sa décharge, il n’avait jamais participé activement au harcèlement de qui que ce soit, il était au-dessus de ça. Plutôt le genre méprisant, indifférant au sort de tous ceux qui sortaient des clous et qui n’appartenaient pas au même monde que lui. Sans doute avait-il pris ça de son père ; grand ami du maire de Hawkins, un homme charismatique, ambitieux et possédant une petite fortune grâce aux commerces qu’il possédait, ce qui le faisait trôner au sommet de leur petite ville minable. Un homme qui n’avait jamais eu la moindre considération pour ceux qu’il jugeait inférieurs. Alors oui, il avait joué les rois de la fête et n’avait jamais eu d’égards pour ceux en étant exclus : ne se souciant pas de ce qui pouvait arriver aux marginaux, voire souriant de leurs déboires et plaisantant à leur dépens lorsqu’il était dans ses plus mauvais jours.


Rétrospectivement, il se trouvait minable et l’admettait volontiers. Maintenant qu’il savait à quel point des gens comme Eddie, Robin et Dustin pouvaient être formidables, il avait parfois envie de se frapper la tête contre les murs en repensant à son attitude au lycée et à la manière qu’il avait de voir le monde en noir et blanc, catégorisant les personnes en fonction de s’ils étaient fréquentables ou non aux yeux de la majorité. Les gagnants contre les perdants. Les gens cool contre les anormaux.


« Pédale. »


Il continue à regarder Will lutter pour respirer entre les bras de Nancy, Robin au bord de la panique à quelques centimètres d’eux et il sent quelque chose se tordre désagréablement au fond de son estomac en se rappelant ce qu’il avait réellement dit à Jonathan le jour de leur combat dans la ruelle derrière le cinéma.


« J’ai toujours cru que t’étais une pédale mais en fait, je suppose que t’es juste un déchet comme ton père […] Je ne devrais pas être surpris, des déchets il y en a un tas dans ta famille, non ? Vous êtes tous des paumés, t’as vu ta mère ?[…] je ne suis même pas étonné de ce qui est arrivé à ton frère. Ta famille, c’est une honte pour toute la ville. »*


Si Steve avait un jour vraiment dépassé les bornes avec quelqu’un c’était celui-là. Persuadé que Nancy l’avait trompé avec un pauvre type, blessé et humilié comme rarement, il avait voulu trouver un moyen de se défouler. Casser la gueule du paumé avec qui la première fille qu’il appréciait vraiment l’avait sans doute trompé semblait constituer un excellent exutoire et il avait cherché à pousser le mec à bout pour ne pas être celui qui porte le premier coup. Ça avait un peu trop bien marché : jamais, il n’aurait pensé que l’étrange et taciturne Jonathan Byers avait autant de rage en lui. Si les flics n’étaient pas arrivés et ne l’avaient pas maîtrisé, il ne sait pas dans quel état il aurait fini le combat.


À l’époque, Steve méprisait vraiment Byers, c’était un mec pitoyable qui jouait les artistes incompris, sûrement l’un des types les plus douteux d’Hawkins. L’incident des photos prises à la dérobée n’avait fait que lui confirmer que c’était un moins que rien et voir Nancy traîner avec lui juste après ça, l’avait rendu fou. Pourtant, même à l’époque, il avait eu conscience d’être allé trop loin : le petit frère du mec venait d’être enterré et d’après les rumeurs sa mère était en train de vriller plus que jamais. L’attaquer sur sa famille de manière aussi cruelle ce jour-là était hors de propos, même pour lui. Pour l’une des premières fois de sa vie, il avait sincèrement regretté ses paroles et avait décidé de présenter des excuses à Jonathan… ce qui l’avait mené à se retrouver au domicile des Byers en plein milieu de la nuit et à devoir affronter une putain créature sortie tout droit du tréfonds des enfers… événement qui avait irrémédiablement changer sa vision du monde. Des fois le destin avait un curieux sens de l’humour.


Il regarde des larmes rouler sur les joues de Robin alors qu’elle murmure frénétiquement à Will des mots qu’il ne peut pas entendre. Oui, vraiment un curieux sens de l’humour. Il se rappelait à quel point Robin, même alors qu’elle était encore perchée, avait eu peur de lui avouer qu’elle aimait les filles. À quel point elle avait eu peur qu’il se mette à la détester pour quelque chose dont elle n’était pas responsable.


« Pédale. Tapette. Fiotte »


Ça lui laisse une sensation amère dans la bouche de penser qu’il avait employé ce genre de mots moins de deux ans avant pour parler des homosexuels. Ça lui donne la nausée d’avoir vaguement pensé que les gays et les lesbiennes étaient des anormaux. Apparemment Lonnie Byers avait recours au même type d’insultes que celles que lui et Tommy avaient l’habitude de balancer pour plaisanter. Ça le rend malade. Tout ce que Will vient de raconter… c’est tordu et ça lui donne envie de crier. Imaginer qu’un père ait pu martyriser ses fils comme ça, ça le dépasse. Que l’ordure ait lancé des termes de ce genre à Will et ait cherché à lui en faire baver parce qu’il n’était pas… pas assez quoi ? Pas assez viril ? Putain ! C’était un gosse de moins de huit ans à l’époque, si Steve a tout suivi à l’histoire ; quel connard sortait des trucs de ce genre à son propre fils ? Son propre père était un connard mais — Dieu merci !— pas un connard violent. Les coups subis par Jonathan… et cette merde sur le maquillage et le placard… ça lui donne envie de vomir ou de frapper quelque chose avec sa batte. Fort.


Et maintenant Will n’arrive plus à respirer parce qu’il a critiqué son grand frère — qui est apparemment pour de très bonnes raisons son héros face à l’éternel- et qu’il s’est perdu dans l’un de ses pires souvenirs. Quel bordel ! Ils n’ont vraiment pas besoin de rajouter du drame humain à tout ce qui se produit dans Hawkins depuis que Creel a ouvert des failles partout à travers la ville.


Il ne va pas laisser le gosse mourir. C’est hors de question.


— Erica, donne-moi le talkie !


Erica relève ses grands yeux vers lui, ils sont étrangement humides, et fronce les sourcils.


— Pour quoi faire ?


Évidemment, il fallait compter sur le fait qu’Erica Sinclair ne fasse jamais ce qu’on lui demande sans poser de question.


— D’après toi ? Il ne peut plus respirer, il a besoin qu’on l’amène aux urgences ! On peut capter la fréquence de la police avec le talkie pour qu’ils viennent nous chercher et amènent Will à l’hôpital.


Erica le regarde d’un air ébahi avant de secouer vivement la tête. Elle prend un ton bien plus gentil que celui dont elle use habituellement pour lui répondre.


— On ne peut pas faire appel à la police mais j’ai déjà contacté Jonathan et il ne devrait plus tarder à arriver. Ne t’inquiète pas.


Quand a-t-elle passé un appel ? Steve ne l’a pas vue bouger et le poste est à moins de deux kilomètres à l’Est, s’il les joint maintenant et qu’ils se dépêchent, ils peuvent être là en moins de cinq minutes. Combien de minutes ont passé depuis que Will ne respire presque plus ? Il n’y a pas le temps de tergiverser.


— Tu as passé ton appel il y a combien de minutes ? Je ne sais pas où était Byers quand tu l’as contacté mais Will a besoin d’aller à l’hôpital maintenant, on n’a pas le choix, laisse-moi appeler le poste pour avoir de l’aide !


Le ton d’Erica devient instantanément moins doux, elle lui parle comme s’il était un demeuré complet.


— C’est ridicule, tu ne peux pas faire ça ! Tu veux tous nous faire tuer ou arrêter ? Will ne va pas mourir, c’est impossible.


— Qu’est-ce que tu viens de dire ?


Steve se tourne vers Nancy. C’est elle qui vient de parler, son ton est tranchant, mais son expression est pleine de panique, tandis qu’elle enlace toujours étroitement Will… comme si son étreinte désespérée pouvait l’empêcher de mourir. Ses grands yeux bleus glacés sont posés sur Erica et elle la dévisage avec attention.


— Il ne va pas mourir et son frère ne va pas tarder à arriver. Il faut tous que vous vous calmiez et arrêtiez de vous agiter ! Vous empirez juste la situation !


— Comment sais-tu qu’il ne va pas mourir ?


Il y a une urgence, mais un fol espoir dans la question. Steve ne comprend pas tout à fait la réponse d’Erica mais c’est un petit génie et elle sait visiblement de quoi elle parle. Sa réponse satisfait apparemment Nancy dont il peut voir la posture se relâcher sensiblement : Will n’est pas en danger de mort et Jonathan va arriver. Ça lui suffit comme information. Steve sent un tel soulagement l’envahir qu’il rate une partie de l’échange. Il se redresse un peu quand il entend Nancy prendre un ton aussi directif que lorsqu’elle propose un plan de bataille.


— Ok, on n’appelle pas les secours. Robin, éloigne-toi un peu et calme-toi. Steve dès que tu as Jonathan en visuel ou l’entend arriver, tu vas à sa rencontre et lui fais signe de descendre de voiture et de venir ici. Erica, je continue à le maintenir assis, je l’allonge ou je lui donne de l’espace ?


Il hoche vaguement la tête dans leur direction et franchit les quelques mètres qui les séparent pour aider Robin à se relever et à s'éloigner de Will et Nancy. Vu de près, l’état de Will a l’air encore pire que ce qu’il envisageait : le gosse est livide, des larmes séchées sur les joues, les yeux étroitement fermés et des souffles dérisoires et chuintants sortant de ses lèvres dont le tour a pris une étrange teinte bleutée. Il aide Robin à se redresser. Elle tremble comme une feuille et lutte pour arrêter ses larmes, il l’enlace brièvement et remarque que son corps est gelé, son pantalon humide et boueux. Il ne s’était pas rendu compte d’à quel point le sol était froid pour ceux à terre, il hésite un instant à proposer à Nancy de la remplacer auprès de Will mais sait que sa proposition sera rejetée avant même d’ouvrir la bouche. Il entend Nancy parler doucement à Will tandis qu’ils s'éloignent avec Robin.


« Ça va aller Will, peu importe ce à quoi tu es en train de penser, ce n’est pas vrai, personne ne va te faire de mal, tu es avec nous et tout va bien. Concentre-toi juste sur ta respiration et tout ira mieux. Je te le promets. Jonathan sera là dans quelques minutes et il va tout arranger. Il va t’aider, tu sais qu’il le fera, en attendant, c'est juste toi et moi. Essaie de respirer un peu pour moi, s’il te plaît. Tu sais que tu es un garçon génial ? Mike et Jonathan, ils sont tellement impressionnés quand il parle de tes dessins, tu es vraiment talentueux et… »


Le flot de paroles ne s’arrête jamais mais le ton est calme et mesuré comme pour permettre à Will de se raccrocher à quelque chose. Steve sent toujours le corps de Robin trembler contre le sien et il se tourne vers elle pour mieux l’observer, elle fait visiblement de gros efforts pour se ressaisir et refoule durement un nouveau flot de larmes.


— Hé, ça va ?


Elle a un léger rire sans joie.


— Mieux que lui. Son père est un foutu salopard.


— Ouais. Un putain de connard.


Il pose sa main sur son épaule et la serre doucement. Il se demande brièvement si des gens de la famille de Robin ont déjà balancé des insultes du genre de celles de Lonnie en face d’elle, sans savoir qu’elle aime les filles. La pensée le met en colère, alors il serre son épaule un peu plus fort.


— Je tiens à te dire que c’est la dernière fois de ma vie que je dis quoi que ce soit de négatif sur Jonathan Byers.


Il renifle.


— Pareil.


Il pense même qu’il doit peut-être lui présenter les excuses qu’il n’a finalement jamais formulées à cause de tout le bazar avec le démogorgon. Son plan original n’était pas de tomber sur Nancy et Jonathan en plein branle-bas de combat et de risquer sa vie avec eux, mais de présenter ses excuses à Jonathan. Et d’expliquer à Joyce que c’était sa faute si son fils aîné s’était retrouvé au poste alors qu’elle venait d’enterrer le plus jeune la veille… Les circonstances avaient fait qu’il avait reculé et s’était finalement contenté d’offrir un appareil photo de remplacement à Byers. Comme pour faire amende honorable pour avoir cassé le sien.


Il avait toujours un sentiment mitigé à propos de cette histoire d’appareil. Il n’était pas persuadé d’avoir mal agit en brisant l’objet du crime : les clichés déchirés s’éparpillant partout, l’expression dévastée sur le visage de Byers quand il avait laissé tomber son appareil au sol ; ça restait gravé dans sa mémoire. On aurait dit un chiot qui venait d’être frappé. Pourtant, tout le truc des photos compromettantes sur Nancy lui restait en travers de la gorge. Il n’était pas sûr d’avoir été trop loin, peu importe que la principale intéressée ait très facilement semblé pardonner le coupable.


Sa réponse à ce propos quand ils s’étaient remis ensemble un mois après la bataille contre le démogorgon et que Steve l’avait interrogée à ce sujet avait été incroyablement insatisfaisante.


— Donc toi et Byers, êtes amis maintenant ? Je sais que c’était une semaine bizarre et merdique, mais quand même tout ce truc glauque des photos qu’il avait prises en nous espionnant…


— Oui, nous sommes amis, c’est quelqu’un de très bien. C’est de l’histoire ancienne et, de toute façon, il s’est excusé.


— Quelqu’un de bien ? C’est cool qu’il se soit excusé, mais prendre ce genre de photos, c'est vraiment un truc de pervers et…


— Arrête. Tu ne comprends pas Jonathan ! Il n’est pas du tout comme ça. Il est différent. Il n’a pas pris ces photos pour… Je ne veux pas en discuter avec toi, tout ce que tu as besoin de savoir c’est qu’il s’est excusé et qu’il ne fera plus jamais un truc pareil.


La défense de l’artiste maudit supposait Steve. Pour lui, toutes considérations esthétiques dépassées, la seule vraie raison de prendre une photo dénudée d’une jolie fille à son insu, c'était d’être un sale type. Mais si ça convenait à Nancy de se considérer « amie » avec un sale type à qui elle adressait la parole toutes les deux semaines, ça n’était pas à lui de trouver quelque chose à y redire… Un sale type qu’elle dévorait inconsciemment des yeux à chaque fois qu’il entrait dans son champ de vision.


Jonathan ne semblait pas le remarquer, mais Steve le faisait. Et ça l’ennuyait furieusement.


Quand ils étaient revenus ensemble de leur épopée pour « obtenir justice pour Barb’ », Steve avait instantanément su que son histoire avec Nancy était terminée ; ils n’auraient pas pu être plus évidents s’ils l’avaient voulu. C’était comme s’ils étaient attachés l’un à l’autre par des fils invisibles, bougeant et respirant de manière synchrone. Et la manière dont Nancy regardait Byers… elle ne l’avait pas une seule fois regardé comme ça durant toute l’année où elle prétendait l’aimer. Alors, il avait admis sa défaite et s’était retiré du tableau.


Mais autant il admettait avoir commis des erreurs avec Nancy et ne peut-être pas être à sa hauteur — quel homme l’est, sérieusement ? Cette fille est exceptionnelle – autant il n’y avait aucun moyen que Jonathan Byers le soit. Peu importe à quel point il réfléchissait à la situation, quelque chose clochait. Nancy et Jonathan tous les deux… quelque chose ne lui plaisait définitivement pas dans cette photographie. Quand Byers était parti de Hawkins et qu’il avait de nouveau dû passer du temps avec Nancy en pleine période de « crise du monde à l’envers », ses sentiments qu’il croyait avoir profondément enterrés s’étaient violemment réveillés. C’était toujours elle. Et ce n’était toujours pas lui.


Il avait un instant espéré. Nancy lui envoyant des signaux contradictoires -à moins que ce ne soit lui qui ne se les soit imaginés – puis, après six mois d’absence et bien après la bataille, Byers était descendu d’un improbable camion à pizza, l’air épuisé, les cheveux plus longs et sales que jamais, empestant la marijuana et tout son petit fantasme s’est effondré quand le visage entier de Nancy s’était illuminé juste en le regardant. C’était douloureux.


Et Steve ne comprenait toujours pas ce qui lui manquait. Ce qui pouvait provoquer cette ferveur dans les yeux de Nancy.


Après le réquisitoire de Will, une part de lui commençait à comprendre. Et c’était encore plus douloureux. Ça l’énervait parce que malgré tous les clichés déchirés au fil des années, malgré tout ce qu’il a entendu de positif sur le type de la part de Dustin, Lucas et des autres mioches, malgré le nombre d’actions courageuses qu’il l’avait vu entreprendre, une part de lui ne voulait toujours pas admettre s’être trompé et que — en dépit de tout – Jonathan soit quelqu’un de bien.


Quand on parle du loup. Steve relève vivement la tête en entendant des pneus crisser et des branches craquer au loin derrière le sentier où ils avaient abandonné l’épave de sa BMW, il jette un coup d’œil à Nancy qui regarde droit dans sa direction, les mains toujours posées sur les épaules de Will, et hoche la tête. Il resserre sa prise sur la batte à pointes et couru de toutes ses forces vers le bruit, priant pour que ce soit bien Byers et que celui-ci parvienne à aider Will.


Il arrive quasiment à bout de souffle à la lisière du sentier et manqua de peu de s’écraser dans un imposant van jaunâtre. Jamais il n’aurait cru être aussi heureux de voir le camion douteux du Surfer Boy. Va savoir quand l’inénarrable Argyle compte regagner la Californie pour restituer le véhicule « emprunté » à ses patrons : ça faisait près de trois semaines qu’ils étaient arrivés à Hawkins et l’étrange, et perpétuellement perché amérindien ne donnait toujours aucun signe qu’il avait l’intention de quitter leur ville pour regagner Cali.


Jonathan est déjà sorti du camion, il a l’air vaguement inquiet et le fixe en fronçant les sourcils.


— Où sont les autres ? Je ne peux pas avancer le camion plus loin avec les arbres.


Comme toujours son ton est poli, mais étonnement ennuyé, comme si ça lui coûtait de devoir lui adresser la parole. Steve essaie de reprendre son souffle pour expliquer.


— Byers… il faut qu’on les rejoigne. Tout le monde va bien, enfin non Will ne va pas bien du tout, mais Erica a dit que ce n’était pas mortel alors, il a juste besoin que tu le rejoignes et que tu fasses un truc pour le calmer et qu’il respire. Enfin, ce n’est pas important, il faut juste qu’on y aille, tu comprendras quand…


Jonathan interrompt son babillage brusquement, ses mains s’agitant dans un geste nerveux.


— Quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas avec Will ?


— Il a une sorte de crise et il n’arrive plus à respirer. C’est ma faute, j’ai dit un truc qui l’a bouleversé et…


— Quelle direction ?


Le ton de Byers est sans timbre, sa voix soigneusement neutre et Steve peut voir une curieuse émotion traverser ses yeux.


— 500 mètres en traçant tout droit vers la gauche en partant de ce bosquet, mais je vais te montrer le…


Jonathan a commencé à courir avant qu’il ne puisse finir sa phrase. Au moins il court dans la bonne direction, Steve accélère le pas pour essayer de rattraper et ils arrivent à l’endroit où il a laissé les autres en un temps record.


Steve peut voir le soulagement inonder le visage de Nancy tandis qu’elle pose sur le sol le revolver qu’elle tenait lâchement, son autre main maintenant maladroitement Will contre elle. Jonathan se jette au sol et Nancy lui transfère le poids de Will, se reculant à peine, restant agenouillée à moins d’un mètre d’eux et les observant avec inquiétude.


Byers leur a demandé à tous de se taire et a commencé à faire une chose étrange. Il a entrouvert sa chemise, presse l’une des mains de Will contre son cœur et compte lentement de un à cinq. Les secondes passent, puis les minutes, Steve trouve ça vraiment incongru, il jette un regard à Erica qui contemple la scène avec un regard sceptique. Sa bouche se tord un instant, même, elle semble hésiter à dire quelque chose… l’hésitation ne dure qu’un temps.


— Vu qu’il n’est pas en danger ne vaudrait-il pas mieux l’amener jusqu’à la voiture et le calmer une fois à l’intérieur ? On gèle ici !


Steve se retient de s’agacer face à la proposition insensible. Il sait qu’Erica a bon cœur et s’inquiète sincèrement pour Will malgré les apparences, mais la gamine est tellement obtus à certains moments en dépit de son intelligence… comme la fois où elle avait voulu boire un liquide verdâtre toxique. Malgré tout son bagou, elle n’a après tout que onze ans.


— On ne le déplace pas dans cet état ! Il respire à peine : c’est sans doute dangereux même si tu penses qu’il ne peut pas en mourir. Et tu imagines si on est attaqués pendant que quelqu’un le porte ?!


De toutes manières ce n’est pas comme si quiconque avait une chance de convaincre Byers de bouger Will. Il a l’air complètement dans un autre monde, les ignorant tous et fixant son frère d’un air sérieux et triste en continuant à compter lentement et à lui dire quelques phrases réconfortantes, l’incitant à respirer.


— Silence.


Le ton de Nancy est bas et courroucé. Il faut reconnaître qu’elle a une manière bien à elle d’imposer son autorité. Erica ne moufte plus. Allez, il faut que ça marche.


— Personne ne va te faire du mal. Il n’y a aucun problème, tu vas bien. Essaye de respirer.


La voix de Jonathan semble enfin avoir atteint Will qui papillonne des yeux, des larmes roulant de nouveau sur ses joues et prend de grandes inspirations incertaines. Steve se retient de sauter de joie, la culpabilité faisant toujours faire des saltos arrières à son estomac. Il entend le soupir de soulagement d’Erica et le discret reniflement de Robin. Le gosse est déjà en train d’essayer de se relever et de s’excuser… comme s’il était responsable de cette foutue situation. Son frère le maintient au sol et lui dit de prendre son temps avant de l’étreindre de longues secondes pendant que ses épaules sont agitées de sanglots silencieux.


Steve ne sait toujours pas avec certitude si Jonathan est un mec bien, mais il se doute qu’il est définitivement le meilleur frère qu’on puisse espérer.


Erica a les larmes aux yeux, mais après un instant d’hésitation elle marmonne.


— Je promets que je ne veux pas paraître insensible mais…


Steve gémit de frustration, il ne veut pas être sec avec elle, mais il n’a pas envie de brusquer les frères Byers, même s’il est vrai que la zone est toujours potentiellement dangereuse et qu’ils ne devraient pas s’attarder.


— Si tu ne veux pas être insensible, je suis sûr que tu ferais mieux de te taire.


— La zone est dangereuse et on va tous attraper froid si on reste ici à végéter ! Vous voulez qu’on passe la nuit ici ?! Vous auriez dû me prévenir, j'aurais apporté une tente !


En dépit de son sourire en coin et du sarcasme dégoulinant dans son ton, Robin semble épuisée.


— Pressée de rentrer pour jouer à la poupée ? Tu regarderas ton nouvel épisode de Petit Poney demain ! Laisse-leur encore quelques minutes et nous partirons.


Le délai semble, de toutes manières, inutile ; pendant leurs chamailleries, Will a apparemment décrété qu’il était assez bien pour bouger. Steve a raté l’essentiel de l’échange, mais il ne rate pas le geste incertain de Jonathan quand Nancy lui caresse le bras, il recule presque tandis qu’elle baisse la main et il la fixe d’un air médusé. Steve se demande ce qui a pu se passer entre eux et qui expliquerait l’attitude tendue qu’a arborée Nancy toute la journée. Attitude qui lui a donné de faux espoirs. Comme toujours.


— Si tout le monde est d’accord, il faudrait peut-être vraiment se bouger.


Steve ignore la énième bouderie d’Erica et regarde l’échange entre Byers et Nancy avec fascination.


Le sourire triste de Jonathan, Nancy qui l’empêche de partir et le dévisage avant de prononcer une curieuse phrase, le visage sérieux, mais un étrange amusement dans son ton puis tout le visage de Jonathan qui s’illumine alors qu’il la regarde avec adoration. Le sourire que lui adresse Nancy en retour est indescriptible. L'échange ne dure que quelques secondes, mais le temps semble suspendu entre eux.


Nancy lâche sa main et se penche brièvement pour ramasser le pull trempé et boueux qui a dû tomber des genoux de Will à un moment donné ; elle renifle et le contemple de manière critique.


— Ça ne te réchauffera pas… on y va ?


— Bien sûr.


La voix de Jonathan porte encore l’ombre d’un sourire, même s'il ne la regarde plus et couve de nouveau Will d’un regard attentif. Nancy vient de l'autre côté de Will pour l’aider à se déplacer. Après ça, ils se dirigent tous vers le van de Surfer Boy dans un silence lourd, Will d’une démarche un peu chancelante tandis qu’il est soutenu par son frère et Nancy, l’un de chaque côté. Jonathan tend les clés à Nancy qui monte à l’avant après qu’il lui ait murmuré quelque chose à l’oreille.

D’accord.


Peu importe ce qu’il s’est passé entre eux. Ils semblent de nouveau aimantés l’un à l’autre. En symbiose. Steve se dit pour la énième fois qu’il doit vraiment passer à autre chose.


Jonathan commence à aider Will à monter dans le van mais se tourne vers lui, dans un mouvement nerveux, le regardant avec une émotion indéfinissable sur le visage alors qu’il s’apprête à monter à bord.


— Attends, ne monte pas. J’aide Will à s' installer et je redescends, j’ai besoin de te parler. Ça ne durera que quelques minutes.


Il a dit la dernière partie en jetant un coup d’œil à Erica, apparemment soucieux de couper court à toute protestation.


Steve se demande vaguement de quoi il peut vouloir parler avec lui dans un moment pareil. Il se serait attendu à ce qu’il ne veuille pas lâcher son frère d’une semelle.


Mais Byers redescend du camion en claquant la porte dès que tous les autres s’y sont engouffrés et fixe le sol d’un air étrange, ses épaules tremblent. Il doit être gelé. Il contourne le camion et fait quelques mètres vers la gauche, se plantant dans l’ombre d’un grand pin ; Steve le suit, intrigué. Son esprit enregistre vaguement qu’à cet endroit, ils ne doivent pas pouvoir être vus par les passagers du Surfer Boy.


Jonathan a toujours les yeux fixés sur sol et ne prononce pas un mot. Il semble excessivement agité et ses poings sont serrés. Steve décide de mettre fin au silence gênant.


— Écoute mec, qu’est-ce que tu veux que…


Byers relève brusquement la tête. Son regard est absolument furieux et Steve a l’impression qu’il se retient de se jeter sur lui. Quand il ouvre la bouche, il crie presque et son ton est plus hargneux que Steve ne l’a jamais entendu.


— Qu’est-ce que tu lui as dit ? Qu’est-ce que tu as dit à Will pour déclencher ça ?!


Et merde. C’est vrai qu’il a dit être responsable de ce merdier… avoir dit quelque chose ayant bouleversé Will. C’est stupide et offensant, mais Steve peut très facilement imaginer les mots exacts que Byers croit qu’il a prononcés pour ranimer le souvenir du « placard » et déclencher la crise. Ça va prendre bien plus de « quelques minutes » s’ils doivent avoir cette conversation maintenant.


Byers tremble de rage, pas de froid et Steve sent sa gorge se nouer, ayant l’intuition que la discussion risque de mal se finir s’il ne lève pas très vite les soupçons de Jonathan. Ce n’est pas le moment ou le lieu pour un combat. Vraiment pas.


Mais Steve n’est apparemment pas le seul à ne jamais avoir déchiré ses derniers clichés.


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Remarques diverse : Alors, voilà pour la partie de Steve… qui a vraiment besoin d’une discussion (de plus de quelques minutes ? Qui sait… J'aime élaborer sur le vide xD) avec Jonathan, mais cela n'arrivera pas tout de suite, le prochain chapitre sera consacré à Robin (et je sèche gravement sur son contenu).


L’un des points m’ayant le plus gênée dans la saison 4 (excellente malgré tout), c’est le retour malvenu du triangle amoureux Steve/Nancy/Jonathan et le traitement global très négatif du personnage de Jonathan par certains fans. De manière un peu grossière certains tombent vite dans des propos très manichéens du type « Steve a vraiment changé, c’est un héros, il est trop cool et devenu super sympa et est toujours amoureux de Nancy + Jonathan a toujours eu un caractère space, il est devenu un minable, il se drogue et ment à sa copine = Nancy devrait rompre avec Jonathan et se remettre avec Steve pour lui offrir la portée de marmots dont il rêve. » L’impression que ça me laisse, c’est que pour certains l’important pour le final c’est d’offrir une happy end un peu artificielle à Steve (qui est un excellent personnage, au demeurant !) pour saluer son arc de rédemption même si ça se fait, sans considération des sentiments de Nancy, de ses projets futurs, et au détriment de la cohérence de ce qui s’est construit depuis le début de la saga. Franchement, je ne vois pas comment une réunion positive de Steve et Nancy pourrait se faire avec leur passif et après tout ce qui s’est joué entre Nancy et Jonathan depuis la moitié de la première saison. J’espère que les Duffer ne vont pas réellement se diriger vers cette solution en S5 sinon les acteurs vont devoir être sacrément bons pour nous la vendre !


Le passage avant l'astérisque est la citation textuelle de ce que Steve dit à Jonathan juste avant leur combat dans la ruelle.

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