L'irresponsable
Disclaimer : Nancy, Jonathan et les autres appartiennent aux frères Duffer.
Toujours pas de bêta pour cette fic… "We die like Barb and Bob" comme on dit sur AO3 ;p J'espère ne pas avoir laissé trop de fautes traîner ^^'
Avant-propos : Je ne sais pas encore exactement où ça va, mais je pense que cette histoire devrait au final comporter 4 à 6 chapitres maximum (un par personnage, même si je ne suis pas encore tout à fait sûre d’avoir assez de matière pour des chapitres centrés Robin et Erica). À chaque fois, il y aura très peu de « progression » au niveau des péripéties : un chapitre sera toujours la perspective (légèrement décalée dans le temps) d’un personnage sur la situation. Par exemple, ici, c’est focalisé sur Nancy (à la 3ème personne) et démarre au début de la crise d’angoisse de Will et reprend ses pensées à propos de ce que Will a pu révéler sous le coup de l'émotion lors de sa crise… Le prochain chapitre sera centré sur Steve et démarrera au moment où Nancy et Robin tentent de faire sortir Will de sa crise. J’aime bien ce genre de construction où la progression linéaire du récit est très lente, mais où changer le narrateur ou le centrage du point de vue donne lieu à une foule de détails supplémentaires et permet un autre éclairage de la situation. Bref, voilà le chapitre consacré à Nancy… plein d’émotions tortueuses, j’espère que ça vous plaira.
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Nancy n’a aucune idée de ce qu’elle doit faire. Il n’y a rien de ce qu’elle dise ou fasse qui semble pouvoir apaiser le garçon dans ses bras. Au contraire, elle a l’impression que tout ce qu’elle fait empire l’état de Will… La gifle a semblé marquer un point de non-retour dans la crise de l’adolescent et Nancy ne sait que faire d’une situation sur laquelle elle n’a aucun contrôle. Elle se sent terriblement impuissante : plus que quand Bruce et ses comparses l’humiliait au journal ; plus que lorsque les inscriptions « Nancy Wheeler est une salope » s’étalaient partout sur les murs du centre-ville de Hawkins; plus qu’au moment où le labo effaçait toute preuve de son implication dans la mort de Barbara ; plus que quand, après six mois de relation à distance, elle a perçu que Jonathan lui mentait à peine une heure après son retour de Californie. Elle se sent impuissante et elle n’y est plus habituée. Elle déteste le sentiment de panique qui s’insinue lentement jusque dans ses os.
Ça fait plus de cinq minutes depuis que Will a arrêté de sermonner Steve et s’est finalement effondré sur le sol, avec l’expression de quelqu’un en train de se noyer. Sa respiration était devenue absolument erratique au fil de sa tirade rageuse et Nancy avait eu l’impression que son cœur se brisait pour le garçon plus jeune alors qu’il se perdait dans les méandres de son histoire. Ils avaient tous été soufflés par l’explosion de colère du petit frère de Jonathan. Will semblait toujours habituellement si doux et calme que ça avait été assez surréaliste de le voir se mettre dans un tel état de fureur pour ce qui était, à l’origine, une simple remarque indélicate.
Cela a du sens qu’après tous les drames qui lui sont arrivés ces dernières années, le gamin ne puisse pas être tout à fait fonctionnel. Lequel d’entre eux l’est ? Elle suppose que chacun a ses propres limites. Un point de rupture au-delà duquel la folie environnante n’est plus gérable et où tout ce que l’on peut faire c’est hurler ou s’effondrer au moindre souffle de vent dans la mauvaise direction. Nancy se demande quand elle atteindra ce seuil. Elle se demande si Jonathan et Will n’ont pas dépassé le leur depuis longtemps. Ce que Will vient de raconter sur son enfance et celle de Jonathan, ce qu’il a avoué sur ce qu’avait fait leur père… tout ça était tellement mauvais. Tellement pire que ce qu’elle avait soupçonné. Une enfance à la Oliver Twist s’était-elle moqué lors d’une dispute pendant laquelle Jonathan avait parlé de ses problèmes d’argent… c’était presque ça, même si on était sans doute plus proche de David Copperfield avec le côté brutal de Lonnie comme paramètre à ajouter à l’équation. Une partie sombre de Nancy donnerait cher pour que Vecna prenne possession de Lonnie Byers. Histoire d’avoir un motif pour sortir son arme face au sale type et lui montrer qu’il n’y avait pas besoin « d’être un vrai mec » pour tirer sur quelque chose ou sur quelqu’un.
La seule fois de sa vie où elle avait croisé l’homme c’était lors de la mascarade qu’avait été l’enterrement de Will : l’ex-mari de Joyce avait beau être en sobre, en costume et afficher une mine de circonstances, il n’y avait aucune réelle tristesse ou reconnaissance perçant dans son regard. Il était là en représentation, il croyait son fils le plus jeune mort et visiblement ça l’indifférait. C’était abject. Nancy ne pouvait pas comprendre ce phénomène : son propre père était la personne la plus apathique qu’elle connaisse et il se souciait néanmoins sincèrement de ses enfants. Il suffisait de se rappeler sa tendresse lorsqu’il berçait Holly quand elle se réveillait d’un cauchemar, de l’inquiétude dans son regard quand Mike faisait de fortes poussées de fièvre dans la petite enfance ou d’à quel point il avait été prévenant avec elle quand elle avait fait une crise d’appendicite vers ses quatorze ans. Son père n’est peut-être pas un homme passionnant ou attentif, mais il avait le mérite d’aimer ses enfants ; Lonnie Byers de son côté… il n’avait jamais rien eu d’un père, même avant d’abandonner le foyer.
Le jour où elle avait appris à utiliser une arme à feu, Jonathan lui avait raconté comment Lonnie l’avait forcé à chasser le jour de son dixième anniversaire ; elle avait ressenti un profond sentiment de malaise en écoutant l’anecdote. Quelle personne décente obligerait un gosse de dix ans à tuer un lapin ? Quel plaisir tordu avait pu ressentir ce sale type en forçant un petit garçon sensible — son propre fils — à faire ça, ce qui était supposé être un jour de fête ? Elle n’avait jamais oublié cette étrange histoire, malgré la folie des événements de la pire semaine de sa vie. Jonathan était un garçon tellement fermé et nerveux et ils se connaissaient à peine à l’époque, elle n’avait jamais compris ce qui l’avait poussé à ces confessions, à cet étonnant moment d’honnêteté. Il lui avait raconté la scène d’un ton faussement léger, en en plaisantant même, mais avec un regard lointain et une posture tendue. C’était la première chose personnelle qu’il lui ait jamais dite, comme s’il avait voulu lui donner quelque chose de « vrai » sur lui avant qu’ils ne doivent combattre ensemble des monstres venus d’une autre dimension.
Elle avait eu tôt fait de cataloguer Byers père comme un connard sur la base des commérages entendus de sa mère et de certaines de ses amies lors de thés mondains. Elle se rappelait certaines rumeurs ayant couru à l’époque où Lonnie avait quitté la ville : un escroc à la petite semaine ayant ruiné sa famille avant de la quitter ; un minable porté sur la bouteille, l’adultère et les jeux d’argent ayant abandonné femme et enfants avec une montagne de dettes. Elle n’avait jamais entendu dire que l’homme était violent ; pourtant l’histoire de la chasse lui avait laissé une sale sensation et quand elle avait commencé à vraiment s’intéresser à Jonathan, elle s’était à plusieurs reprises posé la question d’à quel point une enfance avec Lonnie dans les parages avait pu être mauvaise.
Elle avait toujours eu une foule de soupçons qu’elle avait fait taire en se raccrochant à la pensée que Joyce Byers — anxieuse mais féroce et protectrice comme pas deux – n'aurait jamais permis à qui que ce soit de maltraiter ses enfants. Elle s’était trompée. D’une manière ou d’une autre, c'était arrivé et Nancy aurait dû le savoir : c’était dans chaque frémissement nerveux de Jonathan lorsque des personnes se disputaient en sa présence, dans la tension dans ses épaules quand il entendait des insultes comme « tapette ou pédale », dans la crispation de ses poings et de sa mâchoire alors qu’il s’était assis juste à côté de son père lors du faux enterrement, dans sa manière de se relever brusquement et de minimiser l’étendue de ses blessures peu importe le nombre de coups qu’il prenait lors des batailles, dans toute la rage qu’il avait laissé échapper quand il en était venu aux mains avec Steve.
Dans le regard hanté qu’il lui avait adressé lors de leur dernière et pire dispute en date.
Nancy aurait dû savoir qu’il y avait une limite à ne pas franchir, des mots qui ne devaient pas être prononcés peu importe l’ampleur d’un désaccord, mais elle l’avait ignoré et maintenant elle et Jonathan sont plus distants que lorsque plus de 3 000 km les séparaient. Elle ne sait pas quoi faire à ce propos. Ils ont eu une terrible dispute la veille, pire encore que celle qu’ils avaient eue le jour où ils avaient été virés du Hawkins Post. Les choses qu’elle lui a dites, ce dont elle l’a accusé et les mots qu’il a prononcés en retour, son regard blessé puis haineux… une sensation aigre lui prend les tripes rien que d’y repenser.
Lors de cette dispute, elle lui avait justement craché qu’il « devenait exactement comme son connard de père ». Peu importe à quel point, même sans les récents éclairages de Will, elle savait que c’était injuste et faux. Elle l’avait fait, pressentant que c’était certainement la pire chose à lui dire. La meilleure façon de le mettre à terre et de lui faire ressentir la colère et la tristesse qu’elle éprouvait. Dès que les mots avaient quitté sa bouche, elle avait souhaité pouvoir les reprendre, mais il était bien trop tard. Et ce qu’il lui avait dit en retour… C’était comme si quelque chose avait été brisé de manière irréparable. À ce stade, elle ne sait même pas où ils en sont, ce qu’ils sont l’un pour l’autre. Ce qu’elle sait, c'est que si les choses n’avaient pas été si mauvaises entre eux, elle serait intervenue sèchement à la première remarque de Robin — Robin qui est en larmes, assise dans la boue à quelques centimètres d’eux et qui murmure désespéramment à Will de se calmer alors qu’elle-même paraît à deux doigts de définitivement s’effondrer – et tout le drame qui avait suivi aurait ainsi pu être évité.
Mais le drame avait sauté sur eux sans qu’ils n’y soient préparés et maintenant, elle a Will Byers entre ses bras qui peine à respirer et elle a envie d’insulter l’univers tout entier : le garçon n’en a-t-il pas assez bavé ? Quand cela va-t-il s’arrêter ? Elle le serre fort et lui dit tout un tas d’absurdités sans sens. Elle peut à peine se concentrer sur les mots qu’elle prononce alors que son esprit part dans toutes les directions et que les battements frénétiques du cœur de Will et les murmures désespérés de Robin font accélérer son propre pouls. Comme si leur panique était contagieuse et se propageait dans ses veines.
Il ne va pas mourir comme ça. Pas entre ses bras et alors qu’aucun danger mortel n’est en vue. Elle ne peut pas laisser Will Byers mourir. C’est un gamin tellement gentil malgré toutes les merdes qui lui tombent inlassablement dessus. Le meilleur ami de Mike, le fils de Joyce… le petit frère de Jonathan, putain ! Elle se souvient parfaitement de son expression dévastée le jour où ils avaient assisté à l’exorcisme du flagelleur mental dans la cabane surchauffée de Hopper, à quel point il tremblait entre ses bras à mesure que les cris possédés de Will prenaient une tonalité douloureuse. Des larmes mouillant son cou alors qu’il la serrait plus désespérément dans ses bras que quiconque ne l’ait jamais fait, tandis qu’il s’effondrait, n’arrivant plus à regarder son petit frère agoniser. Perdre Will n’est pas quelque chose qui va arriver à Jonathan. Elle ne le permettra pas. Jamais. Will ne peut pas mourir.
— Il a besoin d’aller à l’hôpital maintenant, on n’a pas le choix, laisse-moi appeler le poste pour avoir de l’aide !
— C’est ridicule, tu ne peux pas faire ça ! Tu veux tous nous faire tuer ou arrêter ? Will ne va pas mourir, c’est…
Elle entend vaguement Steve et la petite sœur de Lucas se disputer en arrière-fond.
Steve veut contacter les urgences alors qu’ils sont au milieu de nulle part, que des agents russes sont sans doute présents à Hawkins et que les anciens adjoints d’Hopper pourraient avoir bien trop de questions en réserve s’ils secouraient un groupe d’adolescents et de jeunes adultes sans liens familiaux armés jusqu’aux dents — avec une arbalète, un flingue, une batte de baseball customisée dans les mains et un tas de grenades et de munitions planquées dans un sac à dos petit poney, Seigneur !- et à côté d’une épave de voiture au centre de la forêt. Erica n’est pas d’accord et le fait savoir de son habituel ton arrogant, la gamine est vraiment une sacrée peste, mais Nancy capte malgré tout ce qui ressemble à une information essentielle dans ses remarques acides.
— Qu’est-ce que tu viens de dire ?
— Il ne va pas mourir et son frère ne va pas tarder à arriver. Il faut tous que vous vous calmiez et arrêtiez de vous agiter ! Vous empirez juste la situation !
Elle sent le corps de Will trembler de plus en plus violemment contre le sien et se raccroche à la conviction de la petite Sinclair comme à une bouée.
— Comment sais-tu qu’il ne va pas mourir ?
— Parce qu’il est absolument impossible de mourir d’une crise de panique. C’est une légende urbaine. La personne a la sensation d’être en train de mourir, mais ce n’est pas pour autant qu’elle le fait. Il ne va pas mourir… et il n’y avait aucun besoin de le gifler !
Le ton est docte et elle semble incroyablement sûre d’elle malgré le regard anxieux qu’elle pose sur Will. Ça suffit à Nancy. Bien, il ne va pas mourir, c’est tout ce dont elle a besoin pour regagner son calme et agir de manière froide et rationnelle.
— Jonathan arrive ?
— Oui, je l’ai appelé quand Will a commencé à vraiment s’énerver. Il ne devrait plus tarder.
— D’accord. Est-ce que tu as une idée de comment l’aider en attendant ?
— Je ne sais pas, l’aveu frustre visiblement Erica dont le ton est ennuyé, mais qui le regard triste, il me semble que parler à la personne calmement ou lui dire de se concentrer sur sa respiration peut aider mais à part ça…
— Ok, on n’appelle pas les secours. Robin, éloigne-toi un peu et calme-toi. Steve dès que tu as Jonathan en visuel ou l’entend arriver, tu vas à sa rencontre et lui fais signe de descendre de voiture et de venir ici. Erica, je continue à le maintenir assis, je l’allonge ou je lui donne de l’espace ?
Erica hausse les épaules, incertaine. Nancy essaie de se calmer et babille à l’oreille de Will des choses qu’elle pense réconfortantes, relâchant son étreinte, mais gardant ses mains sur les épaules de l’adolescent pour qu’il ne s’affale pas plus sur le sol : il a toujours les yeux clos et ses inspirations sont rares et semblent toujours aussi douloureuses. Elle frissonne, ils sont agenouillés dans la boue et l’humidité glaciale du sol de la forêt transperce le tissu de son jean. S’ils s’en sortent, ils vont tous attraper un sacré rhume. La seule consolation de la soirée est qu’ils n'ont visiblement pas été suivis à travers la faille : ça fait plus de vingt minutes qu’ils sont immobilisés et aucune créature du monde à l’envers ne leur est tombée dessus. Merci Vecna pour ses petites miséricordes.
Nancy entend des crissements de pneus se rapprocher et lève les yeux vers Steve qui pressait l’épaule de Robin dans un geste de réconfort ; il fait un signe de tête et court dans la direction du bruit, sa batte cloutée à la main. Robin, toujours blême et les yeux humides, récupère l’arbalète qu’elle avait posé contre un arbre et se place avec précaution entre la petite sœur de Lucas et le bosquet par lequel Steve a disparu. Nancy sursaute et sort à la hâte le revolver de son sac à mains : prise par sa panique pour Will, elle n’avait même pas considéré la possibilité que le véhicule arrivant ne soit pas celui de Jonathan.
Moins de trois minutes plus tard, elle sent une vague de calme s’abattre en le voyant, livide, arriver au pas de course, suivi de très près par Steve. Il fixe son regard nerveux sur elle, moins d’une fraction de seconde, avant de bondir à leurs côtés et de s’asseoir en tailleur face à Will, elle se recule, le laissant la remplacer et attraper les épaules de son frère. Il le fixe d’un air inquiet et attrape l’un de ses poignets pour contrôler son pouls, le maintenant au sol penché vers lui de l’autre main.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Il ne la regarde pas, mais il est clair que la question lui est adressée.
— Ce n’est pas Vecna. Il fait une sorte de crise d’angoisse. Ça a commencé il y a bien un quart d’heure. Je l’ai giflé deux minutes après que ça ait démarré en croyant l’en faire sortir, mais ça a juste eu l’air d’empirer les choses. Je crois qu’il est comme coincé dans un mauvais souvenir… juste avant que ça démarre, il parlait de la fois où ton… votre père l’avait enfermé dans un placard.
— Merde… Ok… je vois. Il faut que… un instant. Il faut que je me calme. Restez tous silencieux, ça peut durer un moment.
1 - 2 - 3 - 4 - 5
Il compte d’une voix douce, puis recommence du début : de un à cinq dans une litanie inlassable.
— Vu qu’il n’est pas en danger ne vaudrait-il pas mieux l’amener jusqu’à la voiture et le calmer une fois à l’intérieur ? On gèle ici !
La suggestion d’Erica est accueillie par un grognement outré de Steve.
— On ne le déplace pas dans cet état ! Il respire à peine : c’est sans doute dangereux même si tu penses qu’il ne peut pas en mourir. Et tu imagines si on est attaqués pendant que quelqu’un le porte ?!
— Silence, siffle Nancy voulant couper toute possibilité de débat.
Jonathan est concentré sur Will et les ignore tous, il a retiré son pull et l’a jeté sur les genoux de son frère, il a défait quelques boutons de sa chemise et a glissé la main de Will contre sa poitrine, il le maintient assis de son autre main. Il continue à paisiblement égrener les chiffres, mais entrecoupe à présent son décompte de douces phrases d’encouragement.
— Allez Will, c’est bon, je suis là. Tu es en sécurité, tout va bien.
Encore et encore en continuant à compter.
— Personne ne va te faire du mal. Il n’y a aucun problème, tu vas bien. Essaye de respirer
Nancy retient son souffle quand elle entend Will prendre une profonde inspiration et le voit papillonner des yeux. Il ne semble pas avoir vraiment conscience de ce qui l’entoure et fixe son frère avec un air éperdu durant quelques instants. Nancy entend le soulagement dans le ton de Jonathan et sent la sensation d’oppression dans sa poitrine s’alléger. L’adrénaline redescend brusquement et elle lutte pour ne pas trembler, tandis que l’humidité glacée du sol la traverse de manière plus tangible.
— C’est bon, mon pote, tout va bien. Je te tiens. Tout va bien. Continue comme ça.
Will prend plusieurs inspirations tremblantes et les regarde tous avec une expression hébétée, comme s’il essayait vainement de raccrocher le fil des dernières minutes et de comprendre ce qui vient de se passer. La réalisation point dans son regard et la confusion est vite remplacée par une terrible honte. Will baisse vivement les yeux et essaie de repousser Jonathan pour se relever.
— Je suis désolé… désolé… je…
Jonathan interrompt le flot d’excuses et le mouvement paniqué de son frère, le maintenant au sol davantage par son ton apaisant que par sa poigne.
— N’essaie pas de parler. Tu n’as rien fait de mal. Ne bouge pas et continue à respirer lentement.
Nancy le regarde et étudie son profil, les paroles de Will sur l’infâme Lonnie Byers continuant de tourner dans son esprit : il a les yeux humides, le visage blafard, mais il parvient à garder sa voix calme et à forcer un sourire en coin pour rassurer son frère. La seule chose qu’elle a envie de faire en dépit de la terrible dispute qu’ils ont eu moins de vingt-quatre heures auparavant, malgré toutes les horreurs qu’ils se sont balancées, c’est de les prendre dans ses bras lui et Will et de les serrer fort. Mais ce n’est pas le bon moment pour ça : Will et elle ne sont pas assez proches pour qu’elle envahisse son espace quand il est dans cet état et si elle devait céder à son impulsion et que Jonathan apprenait la motivation à son geste, il interpréterait ça comme de la pitié. Et il détesterait ça, peu importe à quel point il se tromperait. Elle n’a pas pitié de lui : elle le trouve admirable. Là, assis dans la boue consolant son petit frère avec toute la sollicitude et la douceur du monde. Une part d’elle trouve ça miraculeux qu’il puisse être tel qu’il est. Que quelqu’un comme lui existe et soit resté aussi gentil, aimant et protecteur en dépit de tous les drames qu’il a vécus.
— Voilà, comme ça. C’est parfait. Prends ton temps. Tout va s’arranger, je te le promets.
Jonathan aide lentement Will à se relever et le prend dans ses bras, le serrant contre lui jusqu’à ce que ses sanglots se tarissent et que sa respiration redevienne régulière. Nancy peut entendre Erica et Steve se quereller de nouveau en arrière-fond, la voix de Robin se joignant aux leurs, mais elle les ignore, Jonathan a un peu relâché son étreinte et regarde son frère dans les yeux.
— Hé, mon pote, est-ce que tu te sens assez bien pour qu’on bouge d’ici ? Ce n’est toujours pas vraiment sûr dans le coin et toi et Nancy allez attraper la mort. Vous êtes trempés et il fait un froid de canards.
— Bien sûr, ça va. Allons-y !
La voix de Will est faible, mais son ton est résolu et il semble capable de tenir sur ses jambes, son frère le soutenant en ayant passé un bras sous le sien. Il frissonne violemment à cause de la température.
Nancy retient autant qu’elle peut ses propres tremblements. Elle ne peut que noter qu’elle fait partie de la courte liste de personnes « risquant de mourir de froid » selon Jonathan Byers. Elle résiste à l’envie de lever les yeux au ciel et de sourire en même temps : peu importe à quel point il est furieux contre elle, il arrive à faire des remarques de mère poule et à se préoccuper de sa santé. Tellement typique… surtout au regard du peu de cas qu’il fait de la sienne. Elle ne peut s’empêcher de le sermonner d’un ton pince-sans-rire.
— Tu es aussi trempé que nous et tu es en chemisette alors qu’il doit faire dans les 8°, c’est toi qui vas attraper la mort si personne ne prend soin de toi.
Elle se redresse, les genoux raides de la position inconfortable qu'elle avait gardé de longues minutes et lève sa main d’un geste machinal pour caresser la chair de poule visible le long du bras gauche de Jonathan. Elle la laisse immédiatement retomber face à son léger tressaillement et à son regard surpris. Il la fixe étrangement quelques secondes comme s’il était en train d’analyser un problème complexe. Peu importe ce qu’il croit trouver, il lui fait un sourire qui n’atteint pas tout à fait ses yeux et lui attrape la main, la serrant gentiment.
— Oui, tu as raison, comme toujours. Allons-y.
Nancy ne prête aucune attention à la voix agitée d’Erica qui leur intime de « se magner » et ignore l’impulsion au mouvement que Jonathan essaie de lui donner en tirant légèrement sur son poignet. Elle reste immobile et serre sa main en retour tout en le fixant d’un air mortellement sérieux. Lorsqu’elle prend parole, même si son ton est faussement amusé, elle essaye de lui transmettre un message.
— Non. Tu as tort… J’ai complètement, absolument et outrageusement tort* parfois. Il m’arrive de dire et de faire des choses stupides. Parfois.
Et juste comme ça, son visage s’éclaire. Il lui adresse un sourire sincère qui fait briller ses yeux d’une lueur chaleureuse. L’espace d’un instant, elle peut oublier le fantôme de Lonnie et les dangers du monde à l’envers, les démons rôdant à Hawkins et les machinations de Vecna.
Parce que tous les monstres peuvent être vaincus. Parce que Will respire et que Jonathan n’est pas brisé. Et un jour, ils ne seront plus hantés, Nancy s’en assurera.
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Remarques : Bon, voilà une fin de chapitre un peu douce pour faire plaisir à mon côté fan de Jancy ^^
Les mots suivis d'une astérisque font références à la scène de l'ascenseur dans l'hôpital (saison 3) où Jonathan présente des excuses à Nancy en utilisant ces termes.
Pour plus d’éléments concernant la rude dispute évoquée entre Jonathan et Nancy, soit ce sera intégré à la perspective de Jonathan, soit ça constituera un one-shot connexe à part entière… soit ça restera un mystère ;p J’espère que vous avez apprécié. N’hésitez pas à me laisser des avis, qu'ils soient positifs ou négatifs :)
Comme dit en avant propos, le prochain chapitre sera celui de Steve, il sera -un peu- plus léger au niveau émotionnel et nos héros devraient enfin sortir de la forêt… ou au moins ils devraient atteindre l’intérieur de le véhicule de Jonathan. Progression lente ai-je dit xD