The eleven
Chapitre 4 :
(Hopper)
Tic Tac Tic Tac
Je grogne. Le bruit de cette horloge est vraiment insupportable !
Tic Tac Tic Tac Tic Tac
Cette putain d’horloge ne pourrait pas s’arrêter une seconde ?
Tic Tac Tic Tac Tic Tac Tic Tac
« Mais ta gueule ! »
Joyce et Mike sursautent et se retournent vers moi.
« Hop ! Tout va bien ? »
Je me lève et envoie mon poing contre le cadran de verre qui se fissure.
« Aouch ! Objet de merde ! »
Tic Tac Tic Tac
« Ta gueule ! Ta gueule ! »
Une infirmière en blouse blanche s’approche précipitamment de moi.
« Monsieur ! »
Elle avance prudemment.
« Monsieur ! Vous allez bien ? »
« Foutez-moi la paix ! »
Je donne un dernier coup dans l’horloge qui se tait enfin.
Je me rassois. L’infirmière s’écarte lentement de nous.
La main de Joyce se pose sur la mienne.
« Hopper… »
« Laisse-moi… »
Je fais quelques pas dans le couloir. Mes doigts frappent nerveusement sur ma jambe droite. Mes mains tremblent légèrement quand je sors un paquet de cigarettes de ma poche.
« Pas à l’intérieur Hop », me rappelle Joyce
Je pars à grands pas dans l’escalier.
. oOo.
Je souffle devant moi, formant un nuage de fumée qui disparaît vers le ciel.
Je ne peux pas le supporter.
Jane. L’hôpital.
Sara…
Je la vois.
Je revois son visage, son petit visage d’ange, son visage magnifique. Son visage émacié par la maladie, par cette putain de chimio.
Je revois ses yeux bleus. Son sourire fatigué.
J’entends le son régulier du cardiographe, le cliquetis des perfusions.
Sara. Jane.
Je ne peux pas perdre une fille de nouveau.
Je ne le supporterai pas.
La porte derrière moi s’ouvre à la volée. Joyce en sort.
« Elle s’est réveillée. El’ s’est réveillée. »
. oOo.
Un médecin barbu m’ouvre la porte.
Elle est là. Sur le lit. Assise.
Je m’approche rapidement d’elle.
« Ma puce… »
Son regard croise le mien.
« Je n’ai rien. Je vais bien. »
Le médecin me rejoint et commence à m’expliquer que l’état de Jane est stable, même s’il faut encore la surveiller.
« Je n’avais jamais vu ce genre de cas pendant toute ma carrière et depuis la semaine dernière votre fille est la troisième. En revanche, elle est la seule à s’être évanouie, elle a peut-être une fragilité au niveau des défenses immunitaires ou au niveau alimentaire, il faudra faire attention à ça. De plus… »
Les lèvres de Jane forment une phrase silencieuse. Je fronce les sourcils.
Elle recommence… « Elle a besoin d’aide »… Qu’est-ce que ça veut dire ?
La voix du docteur à côté de moi me ramène à la réalité.
« Au vu de son état, elle pourra sortir dans quelques heures… Vous êtes son tuteur légal monsieur… ? »
« Jim Hopper ! Et oui, c’est moi. »
« Je vous laisse avec elle, je serais de retour dans un moment. »
Au moment où il ferme la porte derrière lui, Jane saute sur ses pieds.
« Je dois aller l’aider », dit-elle en détachant la perfusion qui lui pend au bras.
Je l’arrête et la prends par les épaules.
« Non ! Tu ne vas nulle part ! Tu retournes dans ce lit et tu m’expliques ce qu’il se passe ! »
« Laisse-moi passer ! Je dois l’aider ! Elle est en danger ! »
« Mais qui ? Qui est en danger ? »
« Elle est comme moi. Je l’ai vue. Elle a été attaquée, comme Mike et moi dans la forêt. »
Je m’assois sur le matelas qui s’affaisse sous mon poids.
« Je sais où elle est » continue-t-elle « Hawkins Lake Hotel, chambre 17… Il faut que j’aille l’aider ».
« Toi tu restes ici ! Si cette fille est vraiment en danger alors aucune raison que je te laisse la rejoindre ! Tu resteras ici en sécurité ici avec Mike. Joyce et moi on ira voir ce qu’il se passe ! »
Son visage se ferme.
« Je peux vous aider avec mes pouvoirs… »
« A priori, ils n’ont servi à rien tout à l’heure » lui répliquais-je sèchement « Sauf si tu t’es mis toi-même dans cet état ! »
Elle fronce les sourcils et me foudroie du regard.
« Et comment tu penses faire mieux ? »
Je me lève et me dirige vers la porte.
« On verra bien… »
Je pose la main sur la poignée.
« Jim ! N’y va pas sans moi ! »
Je referme la porte derrière moi et me rapproche des autres, les protestations de Jane me poursuivant. Joyce et Mike se lèvent nerveusement. Je devine la question dans leur regard.
« Oui, elle va bien. » soupirais-je « Toujours aussi têtue… Mike, tu peux aller la voir. »
Je lance un coup d’œil explicite à Joyce. Elle hoche la tête, le message est clair, il faut qu’on parle.
. oOo.
Nos pas claquent sur les pierres de l’allée.
Devant nous se dessine Hawkins Lake Hotel, le seul hôtel de la ville : vingt chambres, trois employés et probablement un danger mortel.
Je pose la main sur la crosse de mon arme quand je pousse la porte.
« Bonjour, monsieur, madame. Vous désirez réserver une chambre pour la nuit ? »
Je me tourne vers la femme aux yeux cernés derrière le comptoir.
« Pas exactement… Chef Jim Hopper, police d’Hawkins, j’ai quelques questions à vous poser. »
Elle se redresse, mal à l’aise.
« Oui, bien sûr. »
« Avez-vous actuellement une cliente dans la chambre 17 ? »
« Oui » me répond-elle en jetant un coup d’œil au registre ouvert devant elle « Une petite demoiselle, Ella Jones, elle est arrivée il y a deux jours avec un homme d’une trentaine d’années. Il loge dans la chambre 16 ».
« Serait-il possible que je monte interroger cette fille directement ? »
« Je vous en prie. Premier étage. » Elle a soudain l’air beaucoup plus intéressé « Elle a fait quelque chose de mal ? Une fugue ? Elle est liée à une affaire criminelle ? »
Je lui tourne le dos et me glisse dans l’escalier sans lui répondre.
. oOo.
Le cuir de mes bottes claque sur le sol du couloir vide, je sens la présence de Joyce dans mon dos.
Je regarde les numéros sur les portes.
12…
14…
15…
16…
« C’est là », soufflais-je à Joyce
Elle hoche la tête et pose prudemment la main sur la poignée de la porte 17. Je me poste à côté d’elle, le doigt sur la crosse de mon arme. Je fais un signe de tête à Joyce et elle tente d’ouvrir la porte. Sans succès. Elle essaie de nouveau. La porte n’est pas fermée, mais quelque chose en bloque l’ouverture. Joyce s’écarte et je donne un coup d’épaule dans la porte qui s’ouvre à la volée. Je lâche un juron. Cette saloperie m’a défoncé le bras !
La pièce est sombre. J’avance d’un pas. Le sol est recouvert d’une matière visqueuse.
Je me penche… De la toile d’araignée ! J’effleure le dos de la porte, les murs.
De la toile d’araignée. Partout.
Je trouve l’interrupteur en tâtonnant à travers l’amas blanchâtre et allume la lumière.
Nous reculons tous les deux. La pièce apparaît dans la lumière tamisée de l’ampoule recouverte de toile. Tout est entièrement recouvert de fils entremêlés.
Le plafond, les meubles, le lit… et une forme enfermée dans un cocon accroché sur le mur.
Joyce se précipite et commence à tirer sur la silhouette. Je la rejoins en courant et tire de toutes mes forces sur la matière collante et élastique. La toile colle sur mes mains, autour de mes doigts.
« Mais c’est impossible à défaire putain ! » Je me recule et sors un couteau de ma poche. « Joyce, pousse-toi ! »
Je commence à trancher les bords du cocon, je coupe dans l’enchevêtrement des fils qui le retiennent au mur.
Je continue jusqu’à ce que la sueur perle sur mon front, jusqu’à ce que mes bras en deviennent douloureux…
Jusqu’à ce que la silhouette se détache du mur de plâtre et s’affaisse dans mes bras.
Je la pose sur le sol, Joyce se penche immédiatement au-dessus et commence à déchirer frénétiquement la pellicule blanche.
Lorsque je me penche à mon tour, Joyce a presque réussi à briser la surface élastique, je me mets moi aussi à arracher la toile. Presque aussitôt une large ouverture se crée dans le cocon, dévoilant un visage pâle et aux lèvres bleuâtres.
Je sens une poussée d’adrénaline me frapper de plein fouet. J’espère qu’il n’est pas trop tard.
Je m’acharne sur le reste du cocon et nous finissons par libérer le corps inerte d’une jeune fille brune, sa peau est complètement recouverte par les mêmes marques que celui de Jane. Je me penche, rapproche mon oreille de son visage… Elle respire encore. Faiblement, mais elle respire.
Joyce m’aide à la redresser et lui secoue doucement l’épaule.
Quelques secondes s’écoulent et elle entrouvre péniblement les yeux, son souffle fébrile entrecoupé d’une toux incontrôlable. Joyce prend son corps meurtri entre ses bras.
« Ça va aller… Tout va bien ».
Je me redresse soudain en entendant un bruit sourd à l’extérieur.
Je sors silencieusement par l’encadrement de la porte et regarde dans le couloir. Un homme brun aux cheveux bouclés est étalé en haut des marches, un grand sac de course déversé devant lui.
Il laisse échapper un juron avant de me voir.
« Bonjour, désolé, je suis très maladroit. » dit-il un sourire gêné aux lèvres
Il commence à ramasser les articles dispersés sur le sol, et si par hasard…
« Vous ne connaîtriez pas une dénommée Ella Jones ? »
Son visage se fige immédiatement dans une expression méfiante à l’évocation de la jeune fille. Sa voix prend un ton faussement calme et contrôlé.
« Oui, je suis son tuteur. Pourquoi ? » Ses yeux sombres me fixent avec une inquiétude mal dissimulée.
Le bruit de la toux d’Ella résonne quelques secondes dans le couloir. Les yeux de mon interlocuteur cherchent les numéros sur les portes et s’écarquillent subitement lorsqu’il comprend que je viens de sortir de la chambre 17. La veine de son cou commence à palpiter et tous les muscles de son corps se tendent.
« Qu’est-ce que vous lui avez fait ? »
« Rien du tout, je vous le jure. En revanche, je pense qu’il va falloir que l’on ait une discussion. »