The eleven
Chapitre 3 :
(Eleven)
Il fait froid. Je resserre ma veste autour de moi.
Il est en retard.
Je m’assois sur les marches de bois et pose ma tête sur mes genoux.
Ça fait trois jours que je ne l’ai pas vu.
Depuis qu’on a trouvé Will inconscient dans la salle d’audiovisuel. Il a dit qu’il s’était juste écroulé de fatigue, mais je ne le crois pas. Je sais que, comme moi, il est toujours hanté par ce qu’il s’est passé… L’Upside Down… Le Mind Flayer. Il ne dit rien, mais j’ai vu son regard cerné et la manière dont il se tord les doigts. Et je pense que les autres non plus ne sont pas dupes. Tout ça l’a beaucoup plus touché que nous. Il a besoin de plus temps… Comme moi.
Une feuille passe devant moi et se pose en bas des marches. Je la fixe, me concentre, et elle se remet à tournoyer en l’air.
Il n’est toujours pas là.
Je pourrais l’attendre à l’intérieur, mais je préfère rester dehors. Je suis déjà dans cette maison toute la journée. J’espère que je n’aurai pas à me cacher encore longtemps… Ou je vais devenir folle.
Être enfermée comme ça me rappelle le labo. Et les 353 jours où j’ai été séparée de lui…
J’ai hâte qu’il arrive. Je fais distraitement voler la feuille en zigzags devant moi.
Un bruit de pas. Je me relève soudainement et la feuille s’écrase sur la marche devant moi. Je me tourne vers le chemin.
Il est là.
J’essuie le sang s’écoulant de mon nez avec la manche de ma veste. Il me sourit et s’approche.
« Mike… »
« Désolé pour le retard », dit-il en rougissant « J’ai dû garder Holly plus longtemps que prévu »
Je lui souris à mon tour.
« Ce n’est pas grave, ne t’inquiète pas »
Je me retourne vers la maison et vois Jim derrière la fenêtre nous faire un signe.
Je lui rends, me retourne et prends la main de Mike dans la mienne.
. oOo.
Je marche sur la pointe des pieds sur un des anciens rails de la voie ferrée.
Mike me tient la main.
« D’ailleurs » me dit-il « Je t’ai ramené un autre livre pour que tu t’entraînes chez toi »
Brenner ne m’avait jamais appris à lire alors, après le Snow Bal, Mike et les autres m’ont donné des leçons pour ne pas attirer les soupçons quand je les accompagnerais au lycée. Ils m’ont aussi appris les mathématiques, l’histoire, et les autres choses qu’on apprend à l’école, mais j’ai encore besoin d’entraînement pour la lecture et l’écriture.
« Merci »
J’ouvre le livre au hasard et commence à lire.
« Flint Forgefeu s’assit sur une pierre moussue… Sa vieille c-carcasse de nain… »
Je relève la tête vers Mike
« De nain ? »
« Dans Donjons et Dragons, c’est un peuple de petite taille qui vit dans les montagnes », me répond-il, un sourire sur les lèvres
« Sa vieille carcasse de nain » répétais-je « l’avait porté trop longtemps. Elle n’en p-pouvait plus. »
« Tu t’améliores ! »
Je rougis légèrement.
« C’est Dragons d’un Crépuscule d’automne, » me dit-il « il est sorti l’année dernière. Je l’ai lu au moins quatre fois ! C’est le premier roman à se dérouler dans l’univers de D&D ! »
Je baisse de nouveau les yeux vers le roman écorné. Quelque chose me chatouille la main. Je la lève devant mes yeux.
Une minuscule araignée noire.
Elle grimpe doucement vers mon poignet. Mike pâlit. Il a peur des araignées, comme Axel. Je la pousse du doigt pour qu’elle retourne sur le sol, mais une douleur me traverse le dessus de la main, me faisant la secouer brusquement.
L’araignée s’envole et s’écrase un peu plus loin dans l’herbe. Une rougeur de plusieurs centimètres de diamètre commence à se former sur ma peau. Comment une si petite araignée a-t-elle pu me faire ça ?
Je jette un coup d’œil à Mike.
Il est encore plus blême. Les yeux écarquillés.
Il est aussi étonné que moi.
« El… » son expression change brusquement « Tu as entendu ça ? »
Je me concentre. Un léger bruit. Comme un bruissement.
Un peu plus fort… Un peu plus près. Je me lève et regarde autour de nous.
Un léger bruissement sur les feuilles tout autour de nous.
C’est alors que je la vois.
Une véritable marée noirâtre s’étend sur le sol vers nos pieds…
Un cri me fait sursauter.
C’est Mike. Plus pâle que jamais. Je regarde de nouveau la matière noire.
Des araignées.
Des milliers d’araignées.
Je croise le regard de Mike et la panique m’envahit.
Je me tourne de tous les côtés. Nous sommes encerclés.
Ma respiration se fait de plus en plus saccadée. Les araignées se rapprochent rapidement et dangereusement de nos pieds.
Je tends mes mains devant moi.
J’envoie une violente onde de choc pour me débarrasser de ces vermines, mais elles semblent de plus en plus nombreuses.
Je recommence… Encore.
Elles vont trop vite.
Beaucoup trop vite.
À côté de moi Mike est paralysé par la terreur.
Les arachnides commencent à monter sur mes chevilles.
Je ne vais pas y arriver. Elles sont beaucoup trop nombreuses.
Elles continuent le long de mes jambes. Me piquent à chaque instant.
La douleur est insupportable.
J’utilise tous mes pouvoirs pour les repousser.
Le sang coule sur mon menton. Je crie.
Je jette un coup d’œil à Mike. Les araignées le contournent pour m’attaquer.
Il tente de les écraser, mais c’est inutile.
Je ne peux plus bouger les jambes. Je baisse les yeux. Elles sont entourées d’une toile épaisse et serrée.
« Mike ! Ton takie walkie ! » criais-je « Appelle Lucas ! Dis-lui d’aller chercher Jim ! »
Il attrape rapidement son sac et cherche à l’intérieur.
Elles sont maintenant sur mes bras.
« Vite ! »
Le long de mon cou.
« Dépêche-toi ! »
Je retiens un cri.
Derrière lui. Au milieu de la masse noirâtre… Immense…
C’est impossible.
« Mike ! Éloigne-toi ! Derrière toi ! »
Il se tourne lentement, tremblant, le talkie-walkie dans la main.
Une gigantesque araignée. Elle dépasse Mike d’une tête.
Elle avance.
Ses immenses pinces claquent devant le visage de Mike qui recule.
Ma vision se trouble.
Tout est noir.
L’eau éclabousse mes chevilles alors que j’avance dans le vide.
Je fais quelques pas dans l’obscurité. Une forme se découpe dans l’ombre quelques mètres devant moi.
Je m’approche doucement.
Un cri strident me vrille les tympans et je me mets à courir dans sa direction.
Une fille. Du sang coule abondamment de son nez et des éclairs bleus courent tout le long de son corps.
Des araignées. Comme celles qui nous ont attaqués.
Des centaines. Le long de ses jambes, sur son cou, son visage. Et devant elle deux monstrueuses et immenses araignées.
Elle lève difficilement son bras et un des arachnides est repoussé par une salve d’énergie.
Je fais lentement le tour de la scène et me trouve face à elle.
Elle relève la tête. Nos regards se croisent.
Je me fige.
Ses lèvres remuent faiblement.
Je m’approche.
« Aide-moi… »
J’avance encore d’un pas. La peau de son visage disparaît peu à peu sous les araignées.
« Hawkins Lake Hotel… Chambre 17… Aide-moi, je t’en supplie. »
Devant moi son image se floute et commence à s’effacer. Je tends la main pour tenter de la retenir, mais elle disparaît en fumée.
Le décor devant moi change brusquement.
Je reviens à la réalité. Mike, la forêt, les araignées.
Mes mains sont engourdies à cause des piqûres répétées des araignées. Je serre les poings une dernière fois et ferme les yeux.
Un léger picotement parcourt ma peau alors que je me concentre.
Je rouvre les yeux et déchaîne mon pouvoir. Une onde de choc phénoménale envoie tous les arachnides qui grouillaient sur ma peau plusieurs mètres en arrière.
Un souffle brûlant balaye l’air autour de moi.
Le sol se fissure. Les araignées fuient en tous sens.
Je lève mon bras droit devant moi, vers le monstre qui fait face à Mike. Je sens le sang couler le long de mon visage et par mes oreilles. Je repousse violemment l’immense bête contre un arbre. Je m’acharne sur elle, libère tout mon pouvoir sur son corps recroquevillé. Elle s’est attaquée à Mike ! Elle s’en est prise à lui ! Je l’écrase de nouveau contre le tronc épais, la soulève et la frappe encore. Mon cœur bat à tout rompre et ma respiration est presque inexistante. Le feu brûle dans mes entrailles. Elle a osé le toucher, lui faire du mal ! Je la frappe encore et encore sur l’arbre.
Une main se pose sur mon épaule.
« El… Elle est morte. Les autres sont parties. C’est terminé ».
Je baisse lentement le bras et me retourne vers lui.
« Je n’ai rien » ajoute-t-il « Ne t’inquiète pas pour moi. »
Mes jambes se dérobent sous mon poids. Mike me rattrape juste à temps et jette un coup d’œil anxieux à mes bras et mes jambes recouverts de rougeurs.
« Je te ramène chez Hopper, il saura sûrement quoi faire pour t’aider. »
Pour m’aider… Aider…
« Mike, il faut qu’on aille l’aider ! »
« Qui ? »
« La fille, il faut qu’on aille l’aider. Elle est en danger ! Je l’ai vue ! »
« Tu l’as vue ? Comme tu as réussi à voir Will quand il était dans l’Upside Down ? »
« Oui. Elle est en danger, il faut aller l’aider… »
Ma voix faiblit, tout devient trouble.
« Il faut l’aider… Elle est en danger… »