The eleven
Chapitre 5 :
(Max)
Le vent me gifle le visage.
J’appuie de tout mon poids sur les pédales et me propulse en avant, les roues de mon vélo rebondissant légèrement sur le bitume.
« Max ! Tu es où ? Retentit une voix grésillante, On t’attend. À toi. »
Je grogne et tente d’attraper le talkie-walkie dans mon sac d’une main, mais mon vélo échappe à mon contrôle et dévie brutalement vers la gauche. Je repose rapidement la main sur le guidon et me repositionne sur la voie.
« Max ? Tu me reçois ? À toi. » demande de nouveau la voix de Mike
Je souffle bruyamment. Il ne peut pas attendre une seconde ? Je fais glisser mon sac devant moi et l’ouvre sans quitter la route des yeux. Je sens enfin le contact du talkie sous mes doigts et le saisis.
« Max ? Dépêche-toi c’est urgent ! À toi. »
« Mais j’arrive ! »
Je baisse les yeux une seconde et presse le bouton.
« Je suis là ! Calme-toi ! À toi. »
« Tout le monde est déjà arrivé, où es-tu ? À toi. »
« Je suis sur la route. Commencez sans moi. À toi. »
« Dépêche-toi ! C’est d’une importance capitale ! À toi. »
« C’est bon j’ai compris ! Je ne suis pas idiote ! Terminé ! »
Il est pénible ! Je sais ce que signifie code rouge !
Le hurlement d’un klaxon me vrille les tympans. Je relève brusquement la tête.
Une voiture fonce à toute allure dans ma direction dans un crissement de freins infernal.
Mon cœur s’arrête. Tous mes muscles se tendent.
En moins d’un quart de seconde, elle est sur moi. Un coup de guidon, je l’évite de justesse ! Et merde ! Les mains en avant. Je ferme les yeux.
« Aïe ! »
Je me retourne à temps pour voir le véhicule disparaître dans un gémissement de moteur à l’angle de la route.
« C’est ça, va t’en connard ! Barre-toi ! »
Je crache sur le sol ; je me suis mordu la langue dans ma chute et ma bouche est emplie par le goût métallique du sang. Je repousse mon vélo sur le côté et pose un pied sur l’herbe ; mon visage se tord en une grimace de douleur. Je boitille difficilement, relève mon vélo et m’appuie sur le guidon pour me redresser complètement. La roue avant est voilée et la chaîne pend dans le vide.
« Fais chier ! »
Mike a intérêt à avoir une bonne raison pour avoir lancé un code rouge !
. oOo.
(Mike)
« Terminé ! »
Le grésillement s’arrête, je repose le talkie-walkie sur la table et me tourne vers les autres.
« Elle arrive, mais on peut commencer »
Lucas se balance nerveusement sur sa chaise alors que Will ronge distraitement le bout de ses ongles. Je m’assois à la gauche d’Eleven et pose ma main sur la sienne ; elle pose sa tête contre moi et replie ses jambes sur elle-même. Je lance un regard de l’autre côté de la pièce : assis sur des chaises, se trouvent une jeune fille emmitouflée dans une couverture et un homme à peine plus jeune qu’Hopper, les traits marqués par la nervosité. Joyce, juste sortie de la cuisine, s’approche d’eux et tend avec douceur une tasse fumante à la fille. C’est elle et Hopper qui ont ramené les deux étrangers il a près d’un quart d’heure… La brune se tourne vers son compagnon, en attente d’un signe d’approbation, avant de se saisir de la boisson avec un signe de remerciement de la tête.
Hopper, debout, les mains dans les poches avant de son pantalon, se tient face à eux. L’homme aux cheveux bouclés, les sourcils froncés, prend brusquement la parole :
« Je préfère vous prévenir que si c’est un interrogatoire… »
« Ce n’en est pas un. » le stoppe Hopper avec un geste de la main « Nous voulons juste démêler cette histoire »
« Tout comme nous ! » rétorque l’autre
« Nous sommes d’accord sur ce point alors, parfait ! »
Alors que devant moi Lucas, Dustin, Will, Joyce et de nos deux invités acquiescent d’un air entendu, des coups sonores sont frappés à la porte.
Jonathan apparaît dans l’encadrement et entre timidement, suivi de près par Nancy et quelques pas en arrière, par Steve. Dès qu’il entre dans la pièce d’un air décontracté, ce dernier rejoint Dustin avec un sourire en coin et lui frappe dans les mains dans un ordre précis et complexe.
Pendant que Jonathan et Nancy prennent place à nos côtés, Hopper se tourne de nouveau vers les deux inconnus.
« Rien ne sert de tourner autour du pot plus longtemps ! Si je ne m’abuse, notre grand ami à tous, ce cher docteur Brenner ne vous est pas étranger… N’est-ce pas ? »
La jeune fille, jusqu’alors assise, se lève brusquement.
« Voici ma fille » continue Hopper en désignant Eleven, qui exerce une pression nerveuse sur mes doigts, une expression neutre sur le visage « Jane… Mais peut-être que vous comprendrez mieux la situation si je vous dis Eleven »
Aussitôt, les yeux sombres de l’inconnue se posent sur nous, enfin… sur El’, et elle commence à avancer à pas lents et mal assurés à travers la pièce.
Quand elle arrive face à Eleven, elle saisit fébrilement sa main et remonte la manche de sa veste, les doigts tremblants.
Le 011 tatoué sur son avant-bras transparaît sous sa peau pâle, exposé à nos regards.
Tout est silencieux.
Sans quitter El’ des yeux, la fille relève sa propre manche. Son bras est décoré d’un imposant tatouage représentant une tête de loup, mais on devine dessous un chiffre.
Comme celui d’Eleven.
009.
L’atmosphère est presque palpable. El’ se lève à son tour.
D’un léger mouvement de la tête, elle fait s’envoler un coussin et le fait virevolter autour du visage plein de taches de rousseur de son interlocutrice. Du coin de l’œil j’aperçois l’homme qui l’accompagnait se pencher en avant, les yeux écarquillés, les sourcils arqués.
Un sourire en coin, 009 lève la main et écarte doucement les doigts. Un éclair lumineux apparaît dans sa paume et commence à palpiter le long de ses doigts avec un crépitement régulier.
« Waouh… » chuchote Will derrière moi « C’est dément ! »
Le sourire de la jeune fille s’élargit et d’une pichenette elle envoie un mince arc électrique dans sa direction, hérissant ses cheveux bruns et crépitant sur sa peau. Il lui rend son sourire avec un léger rire, les joues écarlates. Pour la première fois depuis son arrivée, la jeune fille en face d’Eleven ouvre la bouche :
« Tu t’appelles Jane, c’est ça ? Moi c’est Ella, Ella Jones, et voici mon ami, Robb »
. oOo.
(Max)
Je grimace. Plus j’avance et plus ma cheville est douloureuse.
Je pousse mon vélo le long de la route bordée d’arbres, les mains sur le guidon de ferraille.
Je me rapproche de Mirkwood.
À cette vitesse je n’y serais pas avant une vingtaine de minutes environ. Je me demande pourquoi Mike a activé le code rouge… D’après ce que m’a dit Lucas, la dernière fois qu’il a été activé Dart avait été enfermé dans la cave de Dustin après avoir mangé son chat Mew ! Ça doit être vraiment important…
Une goutte d’eau tombe sur le dessus de ma main. Une seconde plus tard, une autre s’écrase sur mon front et un instant après une trombe d’eau s’abat sur moi.
J’émets un grognement sonore. Il ne manquait plus que ça ! Je rabats la capuche de mon sweat au-dessus de mon visage, l’eau colle mes cheveux roux à mon visage. Je presse le pas.
Un éclair illumine le ciel, le bruit du tonnerre résonne.
En moins d’une minute, l’orage est sur moi.
Le son de mon talkie-walkie s’échappe de nouveau de mon sac.
« Max ! Tu me reçois ? À toi »
J’ouvre mon sac maintenant trempé et l’en sors.
« Cinq sur cinq ! » ma cheville douloureuse me force à m’arrêter quelques secondes. « Mais j’ai eu un accident et mon vélo est totalement HS… À toi »
La voix inquiète de Lucas suit immédiatement mon annonce.
« Un accident ? Ça va ? Tu n’as rien ? »
« Pousse-toi Lucas ! » s’énerve Mike « Rends-moi ce talkie-walkie ! »
Mon visage s’enflamme des pommettes à la racine des cheveux.
« Ne t’inquiète pas Lucas… Je vais bien. À toi Mike »
« Tu es où pour l’instant ? À toi »
« Quelques centaines de mètres de Mirkwood. À toi »
Un silence de quelques secondes suit ma réponse.
« Jonathan vient te chercher, il sera là dans cinq minutes normalement, reste où tu es… À toi »
« D’accord, merci beaucoup ! Over »
Je remets mon sac sur mon dos et pousse lentement mon vélo dans l’herbe. Arrivée près des arbres, je l’appuie sur l’un d’eux et m’assois sur le sol mouillé. Je retire ma chaussure droite et ma chaussette détrempée et inspecte attentivement mon pied blessé… Je le tourne lentement dans un sens, dans l’autre… À première vue, tout va bien. Ma cheville est très enflée et douloureuse au touché, mais je ne pense pas qu’elle soit cassée.
« Max ! »
Je saute sur mes pieds en un sursaut. La douleur intense qui me remonte dans la jambe me fait immédiatement regretter mon réflexe et me fait monter les larmes aux yeux… malgré tout, je me tourne dans la direction de la provenance de l’appel.
« Je suis là ! » continue la voix « S’il te plaît, aide-moi… »
Quelques mètres derrière moi, une ombre est recroquevillée contre un arbre, les épaules secouées de sanglots.
« Troy ? »
J’avance de quelques pas… C’est bien lui. Son visage est méconnaissable, son côté gauche est boursouflé, l’œil réduit à une minuscule fente et une plaie sur son front saigne abondamment.
« Qu’est-ce que tu fous là ? »
Son bras droit, inerte sur le sol, forme un angle étrange me faisant avoir un haut-le-cœur.
« J’ai mal ! Max, aide-moi » ses pleurs s’intensifient et les intonations de sa voix grimpent dans les aigus « Max ! »
Je m’accroupis à côté de lui, tentant de garder l’air aussi impassible que possible.
« Troy, qu’est ce qu’il t’est arrivé ? Il faut que tu m’expliques ».
Il ne me répond pas, ne me regarde même plus. Il se recroqueville ; et brusquement il se redresse dans un spasme, son unique œil écarquillé, veiné de rouge, une expression de terreur déformant ses traits.
« Non ! Non, pitié ! » Il pousse le sol de ses pieds, remontant un peu contre l’arbre. Sa main valide, comme soudain animée par une volonté propre, monte à sa gorge et commence à la griffer frénétiquement, faisant perler des gouttes de sang sous ses ongles. « Non ! Non ! »
Mon cœur bondit dans ma poitrine. Tout à coup, mes membres me semblent lourds, très lourds. Reste calme Max, reste calme.
« Non ! Non ! Va-t’en ! »
Qu’est-ce qui peut lui faire peur à ce point ? Un frisson me parcourt le dos… Je voudrais partir, maintenant. M’enfuir le plus loin possible, mais je n’arrive même plus à bouger le petit doigt. La respiration de Troy, qui est de plus en plus pâle, se fait laborieuse, la veine sur son front palpite à une fréquence régulière.
« Je vais t’aider Troy » je me force à garder un ton égal malgré ma peur « Il faut juste que tu te calmes, que tu m’expliques ce q… »
Ses doigts se sont refermés sur ma gorge. Je me fige. Incapable du moindre mouvement, sentant la panique monter en moi. Ça brûle ! De l’air, j’ai besoin d’air ! J’agrippe sa main de toutes mes forces, la griffe. Lâche-moi ! Lâche-moi ! Il resserre encore son étreinte, le visage rougis par l’effort. Je reviens à la charge, gesticulant en tout sens, lui donnant des coups de pied, lui griffant et frappant les doigts. Un goût de bile remonte au fond de ma gorge. Des larmes ont rejoint les gouttes de pluie qui coulent sur mon visage. De l’air, j’ai besoin d’air ! Maintenant ! Des taches noires s’étendent dans mon champ de vision. Je sens mes forces me quitter.
‘ Où est-elle ? ’
La pression sur ma trachée diminue légèrement, laissant passer un faible filet d’air. Ma vision revient peu à peu à la normale.
‘ Où est-elle ? ’
Je baisse les yeux vers Troy. Il n’a pas ouvert la bouche. Cette voix… C’est comme si elle résonnait dans ma tête. Mon niveau de panique augmente encore, mes poils se hérissent, mon pouls accélère de nouveau.
‘ Où est-elle ? ’
« Qui ? » Je sanglote « Je ne sais pas de quoi vous parlez, laissez-moi partir ! »
‘ Non ’
L’étau des doigts de Troy se resserre un peu… J’essaie de croiser son regard, l’air suppliant, mais il a beau regarder dans ma direction, ses yeux sont vides. Je jette des regards en tout sens, cherchant une façon de me sortir de là quand soudain je remarque quelque chose qui bouge sur son bras, rampe sur sa peau rougie, se rapprochant à toute vitesse de mon visage.
Une araignée.
Putain de merde ! Pourquoi une araignée ? Pourquoi pas une fourmi, ou un scarabée, ou n’importe quel autre insecte ? Barre-toi ! Barre-toi !
Elle se rapproche encore…
‘ Tu m’aideras… Que tu le veuilles ou non ’.
Je recule de toutes mes forces, secoue la tête pour m’éloigner de la bestiole, mais la poigne de Troy m’en empêche, m’étranglant à nouveau de toute sa force.
L’araignée remonte encore le long de son bras, elle n’est plus qu’à quelques centimètres de mon visage. Je donne des coups de pied autour de moi, me débat, mais elle finit par grimper sur mon menton. Je sens ses pattes minuscules piétiner sur ma joue et jusqu’à ma nuque. Je grogne, je lance de ma respiration sifflante :
« L… laisse-m… moi… part… ir. Je t’… en p… pries… »
Mais son poing se referme encore plus fort, l’air me manque à nouveau. Tous mes muscles deviennent mous, je me sens faible, très faible… Mon champ de vision se rétrécit de nouveau alors que mes forces me quittent. Je ne suis plus capable de me défendre. Plus capable de bouger. Plus capable de respirer…
J’ai besoin d’air… De l’air…