Autres regards
XVI
Je ne sais toujours pas comment réagir. Mes tripes me disent de tout flinguer, de tirer dans le tas et de réfléchir après. McKay. Je ne peux le quitter des yeux. Son rire me donne la chair de poule. Je suis glacé jusqu’au plus profond de mon être.
Je m’interroge sur la situation.
Le wraith semble particulièrement attiré par Teyla. Son regard s’y perd étrangement. J’aimerai profiter de cette inattention à notre égard mais je ne me leurre pas, au moindre mouvement de McKay, il sera de nouveau avec nous, corps et âme. Le voila justement qui délaisse un peu Teyla pour s’attarder davantage sur son futur repas.
Le wraith lâche un peu la bride à McKay qui arrive enfin à calmer son rire nerveux.
-Que faites-vous là ?
Rodney s’adresse à moi comme s’il faisait abstraction de Teyla et du wraith. Pour tout dire, il est vrai que Teyla semble ailleurs… Je n’ai pas le temps de chercher à comprendre.
Je porte mon attention à Rodney et ne le quitte plus. Non, maintenant je ne le lâcherai plus ! Si quelqu’un sait ce que l’on ressent lorsque l’on chavire dans les turpitudes de l’esprit, c’est bien moi.
Je ne te lâcherai pas Rodney, accroches-toi et ensemble nous te sortirons de là. Ensemble, McKay, tu m’entends, c’est ensemble qu’il faut travailler.
D’abord le faire réagir, le faire redevenir celui que l’on connaît. Le McKay qui soulèverait des montagnes juste pour prouver à la Terre entière et à Pégase en particulier, qu’il est un génie. Juste pour se le prouver à lui-même encore et toujours… Un petit picotement me vient au coin de l’œil en me faisant cette réflexion.
Je fixe McKay avec un peu plus d’intensité. Le tenir, ne pas le lâcher, ne pas me perdre.
Je souris et je le sens réagir. J’accentue mon sourire. Je le regarde comme si j’avais gagné un quelconque pari entre nous. Je vois la lumière qui illumine de nouveau son regard. La rage, non contre le wraith qu’il a oublié, tant mieux, mais contre moi et mon apparente suffisance, re-tant mieux !
Ses yeux m’envoient des éclairs mais je sens en lui autre chose, une chose que j’aime. Rodney reprend le dessus. Derrière sa façade de victime, il fulmine et jubile à la fois de ce contact entre lui et moi, contact dont nous sommes les seuls à vraiment appréhender toute l’ampleur.
Ma réponse est celle qu’il attend, je le sais, c’est de cela dont il a besoin…être lui-même, simplement…alors je m’adresse à lui avec le même plaisir taquin que d’habitude.
Je jubile aussi. Quoiqu’il ait fait, le wraith n’a pas annihilé mon ami, il l’a juste entraîné loin dans les bas-fonds de sa conscience meurtrie.
- Et bien, on se baladait quand tout à coup, Teyla s’est dit que se serait sympa de visiter ce magnifique et paisible site.
Il ne répond pas au sens propre du terme, mais son corps parle pour lui. Je ne le lâche pas. Je m’accroche à son regard comme à une bouée de secours.
- Que croyez-vous que l’on soit venu faire ici, franchement Rodney, vous en avez d’autres des questions stupides ?
- Hé, ho, des fois que cela ne soit pas évident je suis blessé et fatigué. Désolé si je ne brille pas par mon habituelle intelligence et capacité de déduction.
Et puis si vous n’avez pas encore remarqué, nous ne sommes pas seuls. Que comptez-vous faire de la sangsue qui s’est agglutinée à moi ?
Gooooooooooal ! J’ai marqué un point, je le sais.
Et voila. The McKay est de retour.
Je désigne le wraith.
- Je ne sais pas à quel petit jeu il joue, mais je doute que votre parasite nous laisse vous récupérer sans broncher. Je vous ferais également remarquer que sa main est posée sur votre poitrine, prête à dégainer.
- Et vous croyez que je l’ignore ?
Rodney est de nouveau dans le monde réel, celui de la douleur, de la peur, celui du wraith. Je me demande si c’était une bonne idée finalement. Allez, John, pas de doute, pas toi, tu n’en as pas le droit !
Je n’ai pas le temps de m’interroger davantage car une voix douce et féminine nous apostrophe comme une réprimande maternelle.
- Bon, maintenant ça suffit tous les deux !
Teyla a l’air d’être enfin redescendu sur Terre. J’ignore où elle était mais son intervention est vraiment la bienvenue. Non seulement elle arrête notre petit jeu mais elle capte toute l’attention du wraith.
Je les laisse tous les deux à leur propre jeu de regard et me plonge de nouveau dans celui de McKay. Ne pas le perdre est ma priorité numéro un. J’écoute d’une oreille distraite la question que Teyla pose au wraith. Ma concentration est ailleurs.
J’entends vaguement le wraith dire qu’il voudrait savoir quelque chose. Cette explication m’interpelle. Voila pourquoi il n’a pas tué McKay malgré la faim qui brûle en lui de façon évidente.
- Que voulez-vous savoir ?
Tout cela est vraiment ridicule. On dirait une banale conversation de salon entre de vieux amis. Le wraith accentue la pression sur McKay sans pour autant quitter mon regard. J’ai le sentiment qu’il jouit de la souffrance de McKay et de la mienne par la même occasion. Je savais les wraith sans pitié, mais je les ignorais sadiques et tortionnaires. La haine qui se consume en moi ne fait que croître. Ce wraith est ce que j’exècre le plus au monde. Je le maudis pour ce qu’il est, pour ce qu’il fait et pour ce qu’il veut nous obliger à faire. Ma haine grandit et se propage en moi.
La voix cassée et souffreteuse de Rodney me sort de mes réflexions morbides.
- Vous allez rire colonel, mais ce wraith veut connaître le sens du mot amitié. Et pour tout vous dire je crains qu’il ne m’ait gardé en vie que pour vérifier de visu ma définition du terme.
Ce n’est pas possible ! Dans quel guêpier McKay c’est encore fourré ? Qu’a-t-il donc dit au wraith pour attiser à ce point sa curiosité ?
Pas besoin d’être un grand psychologue pour comprendre ce qui se trame sous tout cela. Le wraith joue avec nous. L’amitié.
A voir le regard brillant du wraith et l’air catastrophé de McKay je devine que la notion de sacrifice ne doit pas être étrangère à sa définition.
Je quitte McKay pour les petits yeux perfides du wraith.
Il m’accroche et nous partons ensemble dans un duel visuel. Je ne le lâcherai pas. Mes yeux me brûlent. Je soutiens son regard et plonge en lui comme une lame aiguisée dans la chair. Je me fais métal, rigide et froid. Je m’imagine en lui. Ma rage transpire par chacun de mes pores. Je sens qu’il perçoit mon animosité. Faible mot, tendres syllabes qui n’effleure même pas l’ombre de mes ressentiments à son égard.
Je me noie dans son regard et il m’y accueille avec délectation. Je sens la faim monter en lui.
Brusquement il se redresse, emportant McKay avec lui.
J’ai encore marqué un point. J’ai titillé sa curiosité. A moins que ce ne soit sa faim…et la mienne par la même occasion.
McKay est au comble de la souffrance, son épaule, sa jambe maintenant… j’essaye de ne pas y prêter attention. Je sais que c’est de ma faute. J’ai volontairement ramené McKay au présent avant de lâcher le fil qui nous liait, avant de l’abandonner à son sort.
Je soufre d’imposer cela à mon ami, mais je sais en mon âme et conscience que le seul moyen de survivre est de lutter en connaissance de cause, de combattre en utilisant les outils qui sont en notre possession.
La haine et la colère sont les moteurs d’une action sans retour possible.
La douleur présente est le pansement qui calfeutre la douleur à venir.
McKay semble s’enfoncer dans ses émois. Il semble en apparence être la proie de ses propres souffrances. En apparence seulement, car je lis en lui qu’il a compris et qu’il sait.
Je cherche le lien que j’ai cassé puis me raccroche à lui.
Voila, doucement Rodney, pas trop vite… Là, je te tiens mon ami. Je suis là Rodney, courage !
Je devine Teyla bouleversée par mon apparente inaction. J’en suis profondément touché.
Je sais le wraith décontenancé par mon attitude. J’en suis comblé à un point que je n’aurai pas imaginé ? Finalement qu’est-ce qui me différencie de lui ? Je jubile de son étonnement certes, mais l’idée de sa mort me soulage et m’apaise plus qu’elle ne me procure du plaisir. Quoique…
Le wraith s’adresse à moi avec son entrain et sa faim retrouvés.
- Jusqu’où irez-vous par amitié ?
Nous y voilà. Enfin.
- Que voulez-vous ?
Pas de réponse. Pas la peine, je la connais. Ce qu’il veut, c’est moi, ou plutôt le sacrifice que je pourrais faire, en pleine conscience, pour sauver mon ami, pour libérer McKay de son emprise.
Tout se bouscule dans mon esprit.
Merci Rodney de nous avoir mis dans un pétrin pareil. Pourquoi ne pas avoir simplement dit que l’amitié était une franche rigolade ? Non, parce qu’en ce moment et bien, je me bidonne Arf, Arf, Arf…
Tout en m’imaginant rire et taper le dos de McKay d’une tape franchouillarde, je visualise la situation sous un angle différent.
L’idée.
Rodney, regardez-moi bon Dieu, regardez-moi et souvenez-vous !
- Field goal, je feinte. Safety, souvenez-vous Rodney !
McKay est incrédule. Sa surprise et son questionnement se propagent au wraith qui baisse la garde.
- Maintenant !
Je m’élance vers McKay, comme si je voulais me jeter sur lui. Le wraith est surpris par ma réaction et semble hésiter un instant entre agir ou laisser faire. Un instant de trop pour lui.
McKay tarde une seconde à bouger mais suit le mouvement tel que nous l’avions imaginé lors d’un match de football. Il se laisse tomber sur le côté et prenant un contre appuis sur mon pied droit, je plonge sur ma gauche, sur le wraith. Ses yeux s’écarquillent de surprise lorsqu’il se retrouve cloué au sol, le canon de mon arme sur son menton.
- Adieu !
Je presse doucement la gâchette. Trop simple. Un frisson me parcourt lorsqu’il me sourit.
- Dites adieu à Teyla, colonel Sheppard !
***