Autres regards

Chapitre 15 : XV

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 14/10/2008 20:03

 

XV
Le rire de McKay résonne en moi comme une mélodie funèbre.
La folie, la peur ou le soulagement de nous savoir là, j’ignore l’origine de son gloussement lugubre, mais il me remplit d’effroi. Je suis glacée jusqu’au plus profond de mon âme. J’ai l’impression de sentir un frisson parcourir mon corps en tout sens. Je tente de quitter cette froideur morbide et de me concentrer davantage sur l’ennemi, mais le froid ne fait que s’accentuer.
Est-ce lui qui me procure autant de mal-être ? Jamais un wraith ne m’avait autant perturbée. Bon, il faut quand même avouer que celui-ci a quelque chose d’infiniment plus étrange que les autres. Son comportement d’abord, mais pas seulement. Plus je cherche à m’infiltrer dans son esprit plus je réalise que le chemin m’est familier. La couleur et la texture de son aura psychique me renvoient à des sensations de mon enfance.
Je pense soudain à mon père et à l’amour qui nous unissait. Un amour si fusionnel et si fort que l’on percevait chacun les sentiments de l’autre. Avec le recul, je comprends que l’origine est ce don que m’ont transmit mes ancêtres.
Pourquoi est-ce que je me plonge aveuglément dans mes souvenirs depuis que je traque ce wraith ? Quel est son lien avec moi ?
Je n’ose imaginer la réponse à cette question. Pourtant je l’entrevois avec autant de clarté que je perçois la nécessité d’avoir une réponse.
Mon passé. Mon présent. Deux temps qui se confrontent aujourd’hui avec comme ciment unificateur cet étrange wraith et…moi.
 
-Que faites-vous là ? 
-Que croyez-vous que l’on soit venu faire ici, franchement Rodney, vous en avez d’autres des questions stupides ? 
La voix chaude de Sheppard se glisse dans ma rêverie mais n’arrive pas à m’en extraire. J’ai pleinement conscience d’être absente, mais je n’arrive pas à me détacher de ce sentiment qui enfle en moi. J’ai peur. Peur de la situation présente, peur de son évolution, peur du wraith qui a percé mon âme. J’ai surtout très peur de ce que je vais découvrir ici.
Comme un fantôme, j’assiste à la discussion qui oppose John et Rodney. On dirait qu’ils jouent à leur jeu favori, celui du massacre verbal.
Je ne comprends pas pourquoi Sheppard se jette ainsi sur McKay ? Ne voit-il pas que Rodney est dans une situation périlleuse ?
Mon regard se porte sur le wraith. Lui aussi a l’air amusé. Il semble étudier la situation avec un certain plaisir.
John, bon sang, laissez donc Rodney tranquille ! Au fond, qui suis-je pour donner des leçons ? Je les regarde se battre comme des petits enfants à peine sevrés, mais je n’agis pas, je reste spectatrice incrédule.
Je dois me concentrer.
 
Haa… j’ai mal ! Quitter le fil invisible qui me liait au wraith est douloureux, comme un claquement brusque dans mon cerveau. Je ne m’y attendais pas, mais maintenant au moins je suis bien présente et il est grand temps d’interrompre mes deux garnements préférés.
Un sourire intérieur me réchauffe alors que je formule cette phrase. Des garnements, voila bien ce que sont ces deux terriens. Tendres et charmants étrangers qui ont su me donner leur amitié.
-Bon, maintenant ça suffit tous les deux ! 
Je m’approche de la scène d’où se diffuse une tension extrême. J’essaye de la laisser passer sur moi sans en prendre ombrage, sans l’accueillir en mon sein. Le canon de mon arme dressé devant moi comme un bouclier, j’interpelle le wraith.
-Que voulez-vous ? Qui êtes-vous ? 
Le wraith se concentre sur moi avec toute son énergie. Une intense brûlure se propage dans tout mon être. Le froid, le chaud, décidément, je ne sortirai pas indemne de cette aventure. Je me sens flotter de nouveau. Je cherche à lutter contre ces sensations nouvelles, mais je comprends maintenant qu’elles sont en moi depuis toujours.
C’est ce que je suis. Une Athosienne avec des gènes wraiths et leurs lots de perceptions extrasensorielles.
 
Le wraith semble également perdu dans ses réflexions. Sait-il qui je suis, ce que je suis ?
Oui, j’ai l’intime conviction qu’il le sait. Comment est-ce possible ? Les wraiths n’ont pas de conscience collective, même s’ils peuvent lire dans les pensées d’autrui.
Mon esprit part en vrille, bifurquant sur autant d’hypothèses que mon cerveau en ébullition peut en inventer. J’ai la curieuse sensation d’avoir l’esprit aussi tordu que celui de McKay et ce n’est pas peu dire.
-Ce que je veux ? Je veux savoir. 
Sheppard a également braqué son arme sur notre ennemi. Nous échangeons un regard. Notre gestuelle est celle du militaire prêt à l’assaut et pourtant… Pourtant nous ne bougeons pas, nous restons à observer en simple spectateur. La tension est de plus en plus palpable.
Que faire ? Comment agir sans que McKay ne soit la première victime ? Quoiqu’il en soit, si nous ne faisons rien, McKay n’en réchappera pas.
-Que voulez-vous savoir ? 
 
La voix de John calme la tension naissante en nous. Le calme avant la tempête.
Le wraith paraît vraiment s’amuser de la situation. En même temps je perçois en lui une certaine curiosité. Il s’ouvre au monde qui l’entoure, en l’occurrence nous, et accepte les perceptions qui lui parviennent. J’en suis profondément troublée. Je pensais les wraiths hermétiques à toutes sortes d’empathie. Je pensais qu’ils se fermaient afin de ne rien ressentir des simples humains que nous sommes. Ce wraith là, au contraire, cherche à capter la moindre bride de nos humeurs. Cette empathie n’en fait pas pour autant quelqu’un de bien. Il se sert de nous et de nos émotions pour dynamiser sa force. Il est un vampire plus que tout autre wraith. Sa curiosité en fait un être bien plus malsain.
 
Alors que je m’interroge sur les motivations de notre ennemi, celui-ci accentue sa pression sur McKay qui blêmit et s’agite à son contact.
-Vous allez rire colonel, mais ce wraith veux connaître le sens du mot amitié. Et pour tout vous dire je crains qu’il ne m’ait gardé en vie que pour vérifier de visu ma définition du terme. 
McKay se tait et le silence s’installe. Le wraith étudie nos réactions. Il est vrai que nos corps parlent parfois bien mieux que nos mots.
Une onde me caresse le corps.
Le wraith s’est relevé. Chacun de ses mouvements me trouble, chacune de ses pensées se coule en moi. Je me sens chavirer et perdre pied.
McKay s’est également relevé, contraint et forcé par son tortionnaire. Je vis sa douleur comme si elle était mienne. Je la vis et je la vois. Mon mal-être s’intensifie et se noie dans les larmes qui cherchent à inonder mon visage.
McKay est si pâle qu’il semble translucide. Sa jambe gauche ne lui obéit plus, elle suit mollement le reste de son corps.
Un cri perce les mâchoires contractées de Rodney lorsque le wraith le bouscule un peu plus en avant. Instinctivement, j’avance d’un pas. Bras ouverts en avant, je suis prête à l’accueillir.
Quelle idiote je suis ! Comme si le wraith m’aurait laissée lui soustraire sa proie.
 
McKay semble souffrir le martyr. Il n’est plus que souffrance. Je la vois l’envahir. Elle l’engloutit et m’entraîne dans son tourment. Le wraith nous accompagne dans ce difficile moment. Il se délecte de l’acharnement que McKay met à survivre et à résister à la mort. Je le sens désappointé par cette lutte constante de notre espèce pour survivre malgré tous les malheurs que les wraiths laissent derrière eux.
Il jubile et moi je souffre. Si je devais me convaincre de la différence fondamentale qu’il y a entre un wraith et moi, la preuve est là sous mes yeux et dans chacun de mes sens.
Je voudrais me fondre en McKay et le sortir de sa douleur comme je l’avais fait pour Sheppard, mais ses blessures n’ont rien de psychique. Quoique…
McKay à l’air d’être soudainement à mille lieux de la douleur qui l’étouffait quelques minutes plus tôt. Il fixe Sheppard avec une intensité incroyable. Il semble figé comme une statue de cire.
 
J’ignore ce qui se passe mais je visualise un fluide psychique qui émane des deux terriens. Ils sont liés par un échange qui n’est ni télépathique ni verbal. Un simple regard d’où transitent des tonnes d’émotions qu’eux seuls peuvent traduire. Ils se connaissent si bien que les paroles sont devenues inutiles.
Le wraith aussi fixe Sheppard, mais l’intensité de son regard est bien différente. Une couleur plus sombre.
Entre Rodney et John, le flux est ambré comme l’évanescence d’un gris qui se teinte d’orangé. Un coucher de soleil sur mon magnifique continent athosien.
Entre Sheppard et le wraith, le flux est net et mieux canalisé. La couleur est plus soutenue et structurée. Un bleu nuit marbré de vert émeraude.
 
Je sens monter le plaisir du wraith. Le vert s’intensifie jusqu’à dominer le bleu de sa luminosité. J’en suis presque ébloui.
J’aimerai être aveugle au don qui est le mien et qui me lie contre mon grès à mon ennemi de toujours. Ce dernier s’adresse à Sheppard sans pour autant rompre le lien qu’il a tissé entre eux. La réaction physique, chimique ou sensorielle induite par sa question ayant pour le wraith autant de valeur que la réponse verbale elle-même.
-Jusqu’où irez vous par amitié ? 
 
Un défi.
Le wraith lance en défi à Sheppard. Il se joue de nous, comme de pions que l’on manipule à sa convenance. Je sens McKay qui devient plus crispé que jamais. Son regard est si inexpressif qu’il en est effrayant. Il est si près du wraith qu’il doit percevoir le sombre dessin de celui-ci. Je cherche à m’immiscer dans leurs esprits. Le wraith s’ouvre à moi sans l’ombre d’une résistance, bien au contraire. C’est un piège, je le sais mais il est déjà trop tard. Je m’engouffre sur le chemin de son âme.
 
-Que voulez-vous ? 
La question est formulée à haute voix par John au moment même où je la murmure à la pensée du wraith. Je me sens faible. Je suis une proie facile et le wraith m’emporte vers une zone bien sombre de son esprit. C’est là que je trouverai la réponse à ma question. Je crois que je n’ai plus envie de savoir finalement.
Je me raidis. La peur se propage en moi. Ce qu’il veut, je le devine plus que je ne le vois au sens propre du terme. John !
Nous sommes ses jouets bien plus que je ne le croyais.
Il m’envahit d’un rire que moi seule peux entendre. Je me noie dans son plaisir. Il a gagné. Je me perds en lui.
Je regarde, absente, mon corps qui s’effondre au sol.
 
 
***

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