Autres regards
XIV
Teyla, Sheppard !
Au-delà de ma surprise et de mon hallucination, je ressens un profond bonheur de les avoir auprès de moi en instant. Je pensais mourir seul et abandonné de tous et voila que mes amis viennent assister à mon dernier souffle. Peut-être même qu’ils me permettront de vivre encore un peu ?
Je me rends bien compte que mon corps poursuit son rire compulsif, bien que mon esprit essaye tant bien que mal de le stopper.
Que faire ? Je lis dans le regard de mes amis la stupeur. Même le wraith semble pris au dépourvu. J’avoue que j’en ressens une joie immense. Plus je peux le surprendre celui-là, mieux c’est !
Il a du percevoir la lutte que j’oppose à mon corps car il me donne un peu de leste, juste de quoi amplifier ma respiration et calmer mon rire ridicule et hors de propos.
Je me calme lentement comme après un marathon. Ha ! J’imagine déjà la remarque acerbe de Sheppard… « Comme si vous saviez ce que c’est que de courir un marathon, gnagnagna… » Et bien moi, je considère que c’est chose faite. Je n’accepterai donc aucune critique.
Ma respiration est maintenant bien régulière. Je regarde John fixement, essayant de visualiser ses pensées. Comment me voit-il ? Suis-je une loque échouée ou simplement un ami en perdition ? Ma crainte se déporte brutalement sur l’image que je renvois aux autres. C’est bien la première fois que je m’inquiète de mon aura. Aurai-je perdu toute confiance en moi ? Non, ce wraith ne me brisera pas !
-Que faites-vous là ?
Je tente de rester maître de ma voix, mais je sens celle-ci qui tressaute sur la dernière syllabe.
Teyla ne semble pas réagir. Pour être honnête, elle paraît distante et lointaine. N’a-t-elle pas la moindre compassion pour moi ?
Cette question me répugne dès la seconde où je la formule. Est-ce ainsi que je souhaite être perçu ? De la compassion ? De la pitié ?
Non ! Je suis Rodney McKay, scientifique de génie de la citée Atlante.
La panique me gagne. Que suis-je donc devenu ?
Je regarde Sheppard comme un sauveur. Son attention ne m’a pas lâché et il sourit.
Mon ami.
Son sourire m’agace, comme d’habitude et j’aime ça. Je me sens en vie et humain. Je me sens bien car je retrouve ce sentiment que l’on partage lui et moi.
John s’adresse à moi avec la même décontraction qu’à l’accoutumé.
-Et bien, on se baladait quand tout à coup, Teyla s’est dit que se serait sympa de visiter ce magnifique et paisible site.
L’ironie et le sarcasme sont perceptibles mais j’en ai cure. Il est là et me voit tel que je suis.
Je me sens revivre. Ses paroles me réchauffent le cœur. Je suis l’homme que j’ai toujours été et Sheppard attend de moi que je me reprenne en main.
-Que croyez-vous que l’on soit venu faire ici, franchement Rodney, vous en avez d’autres des questions stupides ?
Voila, je vais me ressaisir et redevenir le Rodney que tout le monde adore…oui, enfin… Allez, on ne me parle pas comme ça à moi !!!
-Hé, ho, des fois que cela ne soit pas évident je suis blessé et fatigué. Désolé si je ne brille pas par mon habituelle intelligence et capacité de déduction.
Et puis si vous n’avez pas encore remarqué, nous ne sommes pas seuls. Que comptez-vous faire de la sangsue qui s’est agglutinée à moi ?
Tout en parlant je reprends soudainement conscience de la situation. La sangsue en question ne m’a pas lâché et semble boire nos paroles comme du petit lait. Tiens qu’est-ce que ça boit un wraith ? Il y a bien du sang dans leurs veines ? Quel le fluide utilise leur corps ? De l’eau sans doute. Etonnant, je n’ai jamais vu un wraith se désaltérer ?
Sheppard m’extirpe de mes réflexions. Je jubile intérieurement. Si mon cerveau commence à divaguer en tous sens, c’est que je reprends des forces.
Ha oui, zut, j’ai encore déconnecté.
-Je ne sais pas à quel petit jeu il joue, mais je doute que votre parasite nous laisse vous récupérer sans broncher. Je vous ferais également remarquer que sa main est posée sur votre poitrine, prête à dégainer.
Je visualise la ligne invisible qui s’échappe du doigt accusateur de Sheppard. Mon regard se pose sur le wraith et sur la main, celle qui capte chaque battement de mon cœur. J’avais oublié cette sensation. Je l’avais faite mienne.
Un frisson me parcourt. Je le réprime et fait mine de ne pas être surpris.
-Et vous croyez que je l’ignore ?
-Sheppard n’est pas dupe. Je vois bien qu’il perçoit parfaitement mon état. Quel est-il d’ailleurs ?
-Bon, maintenant ça suffit tous les deux !
Tiens, Teyla vient de redescendre sur Terre. Elle aussi je l’avais unifiée à mon environnement de souffrance. Entendre sa voix me fait prendre conscience de mon étrange capacité à me fondre dans l’instant présent et à m’y perdre.
Ai-je encore toute ma raison ? Je jette un regard en ce sens à John.
Le wraith est captivé par Teyla et oublie mon existence…si cela pouvait durer !
Mon regard se perd dans celui de Sheppard. Le temps n’existe plus…
Quelques brides de son me parviennent.
Je reconnais la voix de Teyla, …voulez… êtes-vous…, puis celle de mon bourreau, …ce que … veux savoir.
Je me noie dans le regard de John, porté par des vagues qui m’entraînent en un lieu plus paisible. Le wraith aussi est dans une autre sphère. Est-ce lui qui me porte loin des nimbes de mes tourments? Notre symbiose est-elle à ce point ancrée dans nos âmes que nos rêves nous portent ensemble ? Je l’ignore et franchement, du moment que nous ne sommes pas dans le même délire, cela m’importe peu. Je souhaiterai même qu’il ne cesse jamais de divaguer…je suis si bien dans cette mer de tranquillité, guidé par la voix de John Sheppard.
J’ai parlé trop vite.
Sa voix me retient et m’empêche de m’enfoncer dans mon rêve. J’essaye de capter ce qu’il dit et en même temps, je n’en ai pas envie. Je ne veux pas savoir. Je m’en fiche !
Que dit-il ?
-Que voulez-vous savoir ?
Tout ça pour ça ? Je voudrais revenir à mes flots bleus. Je peux ?
Ha !
Le wraith appuie de nouveau sur ma poitrine, m’obligeant à forcer ma respiration.
Adieu mon refuge onirique. J’ai bien les pieds sur Terre maintenant…et peut-être même, bientôt SOUS terre.
Tout à mon nouvel état de conscience, je comprends soudainement le fin mot de l’histoire. Sans lâcher Sheppard des yeux, mais sans m’y noyer cette fois-ci, j’explique la triste réalité.
-Vous allez rire colonel, mais ce wraith veut connaître le sens du mot amitié. Et pour tout vous dire je crains qu’il ne m’ait gardé en vie que pour vérifier de visu ma définition du terme.
Alors que ma bouche exprime la pensée qui se formule dans mon cerveau endolori, je prends conscience de la véracité de mes propos. Je ne suis qu’un jouet entre les mains d’un enfant qui expérimente. Je me fais l’effet d’être l’araignée à qui ont arrache la patte.
Je vois le colonel qui blêmi. A-t-il pensé à l’araignée ou au papillon que l’on fond dans une boule de plastique ?
John m’a quitté des yeux et fixe intensément le wraith. Je suis admiratif mais j’ai peur. Peur de ce contact qui me retenait en vie et qui m’abandonne pour mon ennemi, peur de cet échange qui ne peut aboutir qu’à la mort…pourvu qu’elle ne soit pas mienne…pourvu qu’elle ne soit pas … tout simplement !
Brutalement alors que je me laissais emporter dans mes sombres tourments, le wraith se relève, m’entraînant dans ce mouvement.
De sombres, mes tourments deviennent sanguins, rouges intenses. Le pluriel n’est pas accidentel, il est la déclinaison de toutes les souffrances que mon corps porte à mon attention. Mon épaule d’abord, qui comme le reste suit le mouvement. Membre désarticulé du jouet cassé que je suis.
Ma jambe ensuite. Je la découvre inerte et sans vie. Pas de douleur, du moins pas physique. Ma jambe, n’est plus, tout simplement.
Je sens les larmes piquer mes yeux. J’hésite, j’ai peur. Non, la peur n’est rien face à ce que je ressens. Je suis terrorisé. Je n’ose regarder. Et si ma jambe n’est plus là ? Si elle gît quelques mètres plus loin ?
J’essaye de rationaliser. Si ma jambe avait été sectionnée, je serai déjà mort d’hémorragie.
Le wraith me bouscule. Je fais un pas en avant et titube.
J’ai cru entendre un cri. Serait-ce moi ?
Je suis tout seul. Le wraith, John, Teyla, plus personne n’a d’importance. Je veux bien mourir, mais pas en petit morceau.
Je me souviens d’un vieux western et d’un alcoolique cherchant son doigt coupé dans un feu de camps. Les indiens, disait-il, considèrent qu’ils ne peuvent pas partir au pays des ancêtres sans toutes les parties de leur corps.
Et si c’était vrai ? La panique me gagne. J’essaye de la réprimer, de la canaliser.
Etrangement, j’en fais une force, qui subrepticement, à mon insu m’éloigne de la douleur. Je serre les dents et tente de faire mienne cette sensation nouvelle.
La douleur. Je dois travailler avec elle et non lutter contre elle.
La douleur sera ma force.
Je regarde Sheppard et comprends enfin le moteur qui dynamise les militaires.
La souffrance, la haine, la peur, tous les sentiments négatifs sont autant de carburant à la survie.
Mon regard ne lâche pas celui de mon ami. J’y puise plus de force que je ne l’aurais cru.
Teyla s’est approchée de moi en me voyant perdre l’équilibre. Je suis touché. Douce alien de Pégase.
Sheppard n’a pas bronché. Il me fixe avec une intensité désarmante mais qui me booste comme jamais. Oui, je peux trouver en moi les ressources qui me sont nécessaires. Oui, je peux encore lutter.
Le wraith s’adresse à Sheppard avec délice.
-Jusqu’où irez-vous par amitié ?
Je me raidis car en cet instant ultime j’ai enfin compris.
Alors que je ne suis plus que souffrance et lutte contre moi-même, le colonel John Sheppard m’a donné ce qu’il me manquait le plus… la confiance.
Je sais enfin ce que l’amitié signifie.
John baisse son arme et s’approche lentement de mon tortionnaire.
-Que voulez-vous ?
Le wraith ne répond pas, mais semble se concentrer.
Je ne quitte pas Sheppard des yeux. Il est la source où s’abreuvent mon âme et mon espoir.
Un cri lointain, celui de Teyla, me rappelle qu’il y a une réalité qui se joue autour de moi.
Je m’en fiche. Je suis en vie et je vais m’en sortir.
John, ne me lâche pas, ne me quitte pas !
Je vois ses lèvres qui formulent quelques mots étranges…Field goal, fasety...
Je rêve où le colonel est en train de me parler football américain ?
***