Autres regards
VI
Lui non plus, ne bouge pas. Nous sommes là, immobiles à nous regarder fixement.
Je me redresse. C’est incroyable, mais je me sens terriblement courageux d’un coup.
Oui, c’est une sensation étrange. Je dirais bien nouvelle, mais bon, je ne suis pas si poltron que cela non plus, il ne faut pas exagérer !
Je sais qu’il a l’intention de me tuer. Il ne le cache pas et ce serait bien inutile. Je ne suis pas stupide au point de penser que je pourrais lui faire changer d’avis.
J’aimerais comprendre ses motivations. Je le sens qui lutte contre son désir physique de se nourrir, alors pourquoi ? Pourquoi veut-il faire durer son supplice…et le mien par la même occasion ?
Hé, ho ! Tu ne vas pas t’en plaindre quand même ? Non, non, non, t’inquiètes pas, je suis très satisfait de sa décision, mais elle m’effraie un peu. Que va-t-il faire de moi ?
Ben demandes le lui. Hum… mouai, tu as raison enfin, j’ai raison.
-Qu’allez-vous faire de moi maintenant ?
-Je ne sais pas. Vous tuer bien sur, mais je voudrais vous disséquer avant.
Hein ? Quoi ? J’ai bien entendu ? Oulala, dites-moi que je rêve, dites-moi que je n’ai rien compris !
Bon, voila, maintenant, c’est certain, je panique.
Ma peur a resurgi d’un bond hors de sa cachette. Ma respiration s’accélère. J’essaie de la freiner, mais je n’y arrive pas.
Je cherche du regard une sortie, mais je n’en vois aucune.
Je cherche…je ne sais pas quoi, mais je cherche !
Je sens la transpiration qui coule le long de mon dos. Elle est fraîche et me procure un frisson unique mais violent. Toute ma peau se hérisse de terreur !
Chaque poil, du plus fin duvet aux plus épais cheveux (si, quand même il m’en reste !) se dresse sur sa base épidermique. Cela me fait prendre conscience de ce que je suis. Je sens mon être dans toute sa complexité. Mon enveloppe charnelle et mon âme, tristement unies dans le désespoir et la peur.
Me disséquer !
Ma tête tourne. Ma vue se trouble. Je titube, perds pied puis me raccroche désespérément à une paillasse métallique qui s’offre devant moi. Sa froideur lisse et neutre me glace le sang et me projette dans une image encore plus lugubre. Si, si, c’est possible !
Je me vois allongé sur cette table médicale. Je suis si pâle ! Carson est auprès de moi. On peut toujours compter sur les copains en cas de coup dur. Enfin, ça c’est ce que je crois de prime abord ! Car ce cher docteur Beckett se saisit d’instruments argentés, pointus, tranchants, froids et…douloureux !
Haaa…Je sors brutalement de mon rêve éveillé.
Mon bourreau est toujours là, drapé dans sa cape de vampire.
Son regard fixe ne m’a pas quitté un instant. Je ne vois que ça, ses yeux, toujours ses yeux et un peu aussi ses dents, un peu, mais c’est déjà trop.
Le cauchemar était-il si terrible au fond ? Il avait le mérite d’avoir le goût de l’irréel.
Il me regarde et rit. Qu’y a-t-il de si drôle ?
Je ne sais pas ce qui est le plus effrayant. Un wraith qui rit en me fixant intensément ou un wraith qui me fixe sans broncher ? Hum, je dirais que le plus effrayant, c’est le wraith lui-même. Sauf que celui-ci n’est pas qu’un simple vampire en quête de nourriture et je pense que c’est cela le plus angoissant.
Il se détourne de moi, m’abandonnant à mon désespoir. Que fait-il maintenant ? Il farfouille dans mon sac. Tiens je réalise juste à l’instant qu’il a gardé avec lui toutes mes affaires. Oh, non de non ! Mon ordinateur !
Je le dévisage avec anxiété. Je retiens mon souffle. Ouf, il se désintéresse de mon PC. Il examine ma radio et tourne les boutons. Un grésillement, puis une voix chaude qui me réchauffe instantanément le cœur.
-…bon Dieu, répondez ! Où êtes-vous R…
Le wraith a interrompu la transmission. Il garde la radio en main. Il semble songeur. Peut-être trouve-t-il cet objet bien primitif, lui qui utilise son esprit pour transmettre ses pensées.
Il se tourne vers moi. Toujours ce mouvement fluide, si gracieux et si saisissement !
-On vous cherche.
-Evidement qu’on me cherche. Mes amis ne m’abandonneront jamais !
-Expliquez-moi.
Que veut-il que je lui dise ? Les wraiths sont si nombreux, ils forment un ensemble compact qui bourdonne autour de la reine. Si l’une des abeilles manque, la ruche ne s’en porte pas mal pour autant. Que lui dire ? Qu’il est insignifiant pour les siens, unité négligeable et sacrifiable ? Je préfère me taire que de lui expliquer un concept qui doit lui être totalement étranger. L’amitié.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Hein, heu…quoi donc ?
-L’amitié.
Zut, et crotte de…de…bon, l’inspiration me manque ! Zut et re-zut, j’ai encore parlé à voix haute.
-Et bien, c’est quand deux personnes s’apprécient au point que l’une d’elle mette sa vie en danger pour sauver l’autre des griffes d’un dangereux psychopathe affamé.
Au fur et à mesure que j’entends les mots sortir de ma bouche, je me recroqueville intérieurement.
Le wraith ne semble pas comprendre la boutade. Son humour s’il existe, doit être bien différent. J’imagine…
Deux humains sont sur un bateau, le premier tombe à l’eau, que reste-t-il ? Hum…le wraith réfléchit…hum… un en-cas, un plateau froid?
***