Autres regards
III
Je m’approche de lui et le voila encore qui panique. Je l’ai observé du coin de l’œil alors que je préparais ma décoction. Il était stupéfait, étonné de me voir réagir en interaction avec mon environnement.
Il me voit comme un parasite, comme une aberration de la nature.
Je le vois comme une imperfection.
Il est le prototype inachevé de ce que je suis. En ce sens, je lui suis infiniment supérieur, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. Pourtant, il a en lui des choses qui m’attirent comme des aimants. Je ne saurais dire de quoi il s’agit, du moins pas avec précisions, mais son imperfection m’a envoûté. Je suis fasciné qu’une telle mécanique organique ait pu survivre tant de siècles.
Il me dirait qu’il est intelligences et réflexions et que cela fait la différence.
Je lui rétorquerais qu’à mon échelle de valeur, il n’est pas différent des animaux qui se recroquevillent à notre approche.
J’imagine cet échange avec intérêt et une certaine délectation, il faut l’avouer.
Je crains pourtant que ce moment ne soit gâché par son stupide sentiment de supériorité et son envie de vivre. Espoir illusoire, évidemment.
Sa mort est la finalité de notre marche. Je le sais et lui également.
Je suis si près de lui maintenant que je ressens sa peur comme si elle était mienne. Voila bien une chose qui ne m’a jamais apporté de jouissance.
La peur.
Un sentiment répugnant qui exprime le manque cruel de force intérieur. Je hais cet être inférieur pour ces sentiments si primaires. Encore un signe d’imperfection !
Je le touche. Son cœur s’emballe.
-Non !
Un frisson de plaisir me parcoure. Sa frayeur me dégoûte mais le contact chaud, moite, presque sensuel de son corps avive ma faim.
Quelle souffrance que cette faim qui me tenaille. Je me sens pris en étau entre l’envie d’assouvir mon désir charnel et celui de contenter ma soif de connaissance.
Je le désire lui, plus que tout autre chose auparavant.
Je sublime ce moment où ma main se posera sur son cœur.
Mes doigts glissent sur sa combinaison. Je sens son torse battre au rythme de l’organe qu’il renferme.
Je le regarde sans pour autant cesser de caresser l’enveloppe qui renferme son âme.
Il est figé dans cette étrange attitude que je connais si bien. Mélange de surprise et de résignation.
Je lis dans ses yeux comme j’ai lu dans son corps avant cette halte improvisée. Il veut en finir vite, mais en lui une particule de résistance perdure. Sans aucun doute ce qu’il nomme l’espoir.
Et bien, pour une fois, cet espoir ne sera pas vain… du moins pour le moment.
Cela m’amuse de le faire languir, de le faire douter…de moi, de lui !
Non que je me délecte de sa crainte de la mort. Non, vraiment, tous ces sentiments primitifs m’écœurent !
Je me délecte de voir en lui une complexité d’esprit qui sera bientôt ma possession. Disséquer sa pensée, lui arracher tous les liens qui forment ses raisonnements. Comprendre enfin, ce que sont ces maillons de notre chaîne alimentaire, ces maillons de notre histoire.
Je quitte son regard.
Il reprend une grande inspiration comme si mes yeux l’avaient maintenu en apnée.
J’en profite et je glisse ma mixture dans sa bouche.
Il cherche à la recracher mais mes doigts glissent le long de son torse pour se poser délicatement, tendrement sur sa bouche. Il se fige et avale ma potion. Je le vois qui dégluti avec difficulté. Ses yeux se sont remplis de larmes. L’une coule sur sa joue. Je la suis des yeux.
Mon prisonnier ne bouge plus. Ma médication est particulièrement rapide sur ces humains.
Il tombe au sol avec quelques tremblements incontrôlables. Je lis dans ces yeux la douleur. Elle est légère et ne durera pas. Je le sais. Il l’ignore.
L’ignorance est la pire des tortures. Cela aussi je le sais…et lui aussi !
Là, doucement, il se calme et ferme les yeux. Il dort. Son repos ne restera pas tranquille bien longtemps. Des rêves viendront le perturber. Ces étranges histoires oniriques qui se jouent sur la scène de l’esprit me sont inconnues. Encore une chose que j’aimerai captée et faire mienne.
Je te suis supérieur, petite créature. Je suis ton maître et pourtant…
Pourtant je suis esclave de ce que tu me donneras. Sans toi, je ne suis rien.
Je te hais. Je me déteste.
Je te désire.
Ta respiration est douce et fluide. L’air coure dans tes poumons comme le sang dans tes veines. Cette essence de vie qui te parcoure et qui finira bientôt en moi.
Je caresse tes cheveux. Ils sont si courts, si fins, si insignifiants. Ton corps est si simple et si dénué de toutes fibres artistiques.
Et pourtant cet écrin ridicule renferme un joyau.
J’ai fait mien tant de pierres de pacotille, tant de bijoux fantaisistes…
Et maintenant tu es là, entre mes mains.
Je te regarde avec passion. Mon corps te réclame. Un peu de patience. L’attente est douloureuse, mais la récompense n’en sera que meilleure.
Je te prends sur mes épaules. Je vais te conduire chez moi, dans ce laboratoire qui est mon antre, mon refuge.
Je vais t’arracher de force les renseignements tant désirés, puis je te prendrai le reste. Ton âme, ta conscience, ta connaissance des tiens.
Je hume ton effluve. Je m’emballe. J’ai mal.
***