La Peur Ancestrale
Le présent
Ils se contemplèrent en silence. La chevaleresse Jedi hors du temps, pleine de sentiments contradictoires et sentant la colère monter en elle, et le guerrier enfoncé dans son armure sombre, aux pensées indéchiffrables. Autour d’eux, un groupe d’aliens enchaînés et des soldats en armure blanche que Céleste ne voyait plus. Toute son attention était tournée vers celui qui lui faisait face.
— Les Sith ? fit Céleste en tentant de contrôler la rage qui lui tordait les entrailles.
— Les Sith ! confirma le spectre de Karness Muur en souriant largement.
Céleste alluma son sabre laser. Une lame jaune vrombissante illumina le Talisman à son cou.
— J’aurais dû le sentir plus tôt ! s’écria-t-elle en bondissant vers son ennemi.
Une lumière rouge apparut entre les mains du Sith et il para violemment l’attaque de Céleste. Le choc des sabres laser résonna dans toute la bâtisse en ruines. Le Sith parla alors pour la première fois, une voix mécanique, profonde et sans âme :
— Je ne veux pas te faire de mal.
— Et moi je veux te voir mort ! le provoqua Céleste.
D’un geste de la main, la jeune Jedi lança la Force contre son adversaire, l’envoyant voler à travers l’immense hall.
— Seigneur Vador ! s’exclama l’un des soldats lorsque son maître percuta le tas d’équipements scientifiques.
Il s’appelle Vador, songea Céleste en s’élançant vers lui. À présent, je sais qui je dois tuer. Les séides de ce dernier ouvrirent le feu sur elle tandis que leur seigneur se relevait en brandissant son arme. Céleste para quelques tirs et s’élança, les déstabilisant par son bond gigantesque aidé de la Force. En atterrissant, elle abattit sa lame lumineuse sur l’un des soldats, lui tranchant net la tête.
Le Seigneur Noir, qui s’était relevé, utilisa la Force pour faire léviter le générateur électrique qui avait alimenté leurs équipements et le projeta vers la Jedi. Elle le trancha en deux d’un geste furieux et l’un des débris percuta un autre soldat. Le reste de la troupe entourait désormais Vador et Céleste, armes braquées sur cette dernière. Les deux adversaires restèrent en posture de garde un instant, leurs lames se touchant presque. Céleste fixait avec intensité le masque sans vie du Sith à l’endroit où devaient se trouver ses yeux.
— Vermine Sith ! J’ai voué ma vie à la destruction des tiens !
— Et pourtant, regarde toi. Consumée par la colère, la peur, la haine de ce que tu es déjà devenue. Il te suffirait de céder au pouvoir que tu sens et de choisir le Côté Obscur.
— Jamais ! cracha Céleste, rompant sa posture de garde pour abattre sa lame sur son adversaire.
Elle asséna trois coups de suite au Seigneur Noir, chacun exprimant son sentiment d’abandon et de solitude mieux que des mots ne l’auraient jamais fait. Le premier coup était pour le Pacte Jedi auquel elle avait voué son existence mais qui avait échoué à empêcher le retour des Sith. Le deuxième était pour Maîtresse Krynda, qui était retournée à la poussière des millénaires plus tôt et qu’elle ne reverrait jamais. Et le troisième était pour Zayne, qui l’avait laissée sur Jebble. Qui l’avait abandonnée. Qui m’avait trahie !
La Jedi tenta de se ressaisir : ces pensées n'étaient pas dignes d’elle. Le Talisman, et Karness Muur à travers lui, l’influençait. Elle le savait parfaitement, mais, étrangement, peu lui importait. Ses maîtres Jedi l’avaient prévenue qu’elle sombrerait dans l’Obscurité et s’y noierait si elle goûtait à la haine, mais elle avait l’impression d’y nager librement. Quatre mille ans s’étaient écoulés. Le Pacte était tombé, et sans doute l’Ordre Jedi l'était-il également. La République s’était effondrée et les Sith régnaient. Le Côté Obscur avait triomphé, alors elle utiliserait cet aspect de la Force pour vaincre ses propres partisans.
— Je t’offre une chance de régner à mes côtés sur la galaxie, lui dit Vador en reculant d’un pas.
— Je compte bien danser sur tes cendres, Sith ! répliqua Céleste, la voix déformée par la colère.
Elle profita que son ennemi ait rompu l’engagement pour se replacer sur ses appuis. Elle bondit alors sur lui et frappa de toutes ses forces, mais en vain : la lame rouge, toujours, parait la jaune.
— Celui-ci est fort, Céleste Morne, murmura le spectre de Karness à son oreille, et déterminé. Il mérite le Talisman.
— Non ! rugit-elle. Il ne l’aura jamais ! Tu ne posséderas jamais cet homme !
— Non ? Tu ne peux espérer survivre à ce duel... à moins de me céder et d’accepter mon pouvoir.
— Silence ! répliqua Céleste avec colère. Laisse-moi tranquille, je n’écouterai pas tes mensonges !
Croyant qu’elle s’adressait à lui bien qu’il n’ait rien dit, Vador lui répondit :
— Mensonges ? Le pouvoir du Côté Obscur n’a rien d’une illusion ! s’écria-t-il en l’envoyant voler contre un pilier d’une poussée de Force.
L’esprit de l’ancien Seigneur Sith a raison, se dit Céleste en se relevant avec difficulté. Celui qui s’appelle Vador est puissant, plus qu’elle ne le perçoit. Et il est peut-être prêt à lâcher la peste des Rakgoules de Karness Muur sur la galaxie. La reddition est exclue. La défaite, tout autant... bien qu’elle semble inévitable.
— Tu suintes le désespoir et la défaite, souffle Muur à son oreille. Renonce, Céleste Morne. Tu ne peux pas gagner.
Comme inspiré par le Côté Obscur, Vador lui adressa des mots similaires :
— Renonce. Tu ne peux pas me vaincre.
— Non ! s’écria Céleste en s’élançant sur Vador, brandissant haute sa lame jaune.
Vador contra le coup de son épée de sang et désarma Céleste d’une torsion du poignet, le sabre de la Jedi allant voler quelques mètres plus loin. De la pointe de son sabre, il la força à s’adosser à un mur décrépit. Tous retinrent leur souffle et, n’eut-ce été pour le vrombissement du sabre de Vador et sa forte respiration artificielle, un silence de mort aurait régné sur le hall en ruines.
— Capitule, clama Vador, ou tu mourras.
— Laisse-le te tuer, lui susurrait la voix pressante de Karness Muur. La mort te libérera, Céleste.
L’ancien esprit Sith semblait avoir abandonné l’idée de la corrompre. Il la préférait morte afin qu’il puisse librement s’emparer du puissant guerrier qui lui faisait face. Déjà versé dans le Côté Obscur, animé d’une fureur glaciale dont elle ignorait l’origine, cet homme serait le réceptacle parfait pour Muur. Elle ne pouvait laisser une telle catastrophe advenir.
Cependant, Vador restait immobile. En contemplant le casque noir qui lui couvrait le visage, Céleste se demanda ce qu’il attendait. Dans la Force, il semblait troublé. Alors qu’il avait été déterminé à s’emparer du Talisman, il hésitait désormais. Peut-être se demandait-il, sentant le pouvoir qui animait l’artefact, s’il pourrait le contrôler. Mais peu importait à Céleste. Elle n’avait besoin que d’une petite opportunité pour exploiter cette hésitation, de toutes les façons nécessaires. Et la Force allait justement lui donner une telle occasion.
Du coin de l'œil, elle aperçut le scientifique qui lui avait révélé le sort de la galaxie un peu plus tôt s’écarter lentement du groupe. Cependant, il se fit immédiatement remarquer par Vador, qui tendit la main vers lui pour le saisir dans la Force. Aussitôt, Céleste se laissa tomber sur le côté pour éviter la pointe du sabre toujours pointé vers sa gorge, ramenant l’attention de Vador vers elle. Mais c’était trop tard.
Elle posa les mains au sol et invoqua la Force pour se propulser, comme pour un saut classique mais avec les bras au lieu des jambes. Elle put ainsi échapper au coup que Vador tenta de lui porter et se réceptionna à côté du scientifique.
— Vous nous faussez compagnie ? lui demanda-t-elle en le retenant par l’épaule.
— Ce cher docteur Peturri a un rapport urgent à rendre, fit Vador en se tournant vers eux. N’est-ce pas docteur ?
— Seigneur Vador, commença le scientifique, terrifié. Je n’avais pas le choix, l’Empereur m’a forcé...
— Abattez-les, ordonna Vador à l’escouade.
Ceux-ci mirent en joue leurs cibles, mais n’ouvrirent pas le feu.
Céleste Morne souriait. C’était un sourire sombre et sans joie. Un sourire de Sith.
— Ah, observa Vador, la chevaleresse joue à la sorcière.
Désormais, les soldats de l’escouade se tenaient la tête en gémissant. Certains avaient lâché leurs armes. S’abritant derrière Céleste, Peturri observa avec un mélange de fascination et d’effroi leurs armures se fissurer tandis que la métamorphose s’opérait. Des êtres que la galaxie n’avait pas vu depuis plus de trois millénaires et demi en émergeaient.
Remodelés par le Côté Obscur, les esprits des soldats disparaissaient peu à peu tandis que leurs corps croissaient. Sous les plaques d’armure, on distinguait à présent des créatures à la peau orange. Leur croissance rapide déformait leurs tenues blanches. Finalement, dans un rugissement perçant, les monstres qui avaient remplacé les soldats impériaux se débarrassèrent des derniers lambeaux de leur équipement, révélant leur difformité obscène aux yeux de Vador et Peturri. Les Rakgoules étaient de retour.
Ce n’était pas ce que Vador avait prévu. Il était venu sur cette lune désolée avec Peturri en quête de pouvoir. Malgré les efforts de ce dernier pour le cacher, il savait que le docteur était un agent de l’Empereur et que toute cette expédition n’était qu’une épreuve de plus pour tester sa fidélité. Mais un test se devait d’être crédible, et la promesse de pouvoir l’avait donc été. Pour l’Empereur, c’était un jeu entre son apprenti et lui : qui serait le plus malin ? L'ancien Jedi était convaincu que son maître aimait trop jouer et que c’était ce qui, un jour, causerait sa perte.
Vador s’était dit que la personne que l’Oubliette renfermait pourrait peut-être devenir son propre apprenti. Avec un tel individu à ses côtés et le pouvoir du Talisman en sa possession, Palpatine ne lui résisterait jamais. Mais il n’y avait pas d’apprenti pour lui ici, rien que la mort.
Le Seigneur Noir était déterminé, mais pas téméraire – plus depuis que cette témérité l’avait amené à porter cette armure pour rester en vie à chaque instant. Il savait qu’il avait peu de chances de gagner ce combat. Si la Force le rendait imperméable aux maléfices du Talisman, ce qui lui avait évité de partager le sort de ses soldats, la peste des Rakgoules se transmettait malgré tout par les blessures. Une seule griffure, une seule morsure, et c’en était fini de lui. La sagesse lui intimait de fuir les Rakgoules, mais il était désormais coincé au milieu d’elles. Il brandit sa lame, attendant qu’ils attaquent les premiers.
De l’autre côté de la vingtaine de monstres nouvellement créés, Céleste Morne s’efforçait d’ignorer les vociférations du spectre de Muur, furieux de la voir gâcher ses plans. Elle se demanda si elle était encore une Jedi. Sur Jebble, quelques heures – quatre millénaires – plus tôt, elle avait succombé à l’attraction du Talisman lorsqu’il s’était emparé d’elle, avant de reprendre le contrôle. Mais dans le cas présent, pour la première fois, elle s’était ouverte volontairement à son pouvoir.
Elle mit de côté ses tergiversations et s’efforça d’ignorer les gémissements du docteur Peturri derrière elle. Elle ne l’avait pas transformé en Rakgoule contrairement aux soldats car elle avait besoin de ses connaissances sur la galaxie. Elle réfléchirait à ce qu’elle ferait de lui plus tard. Une fois que Vador serait mort.
Levant la main, elle commanda mentalement à ses monstres de compagnie d’attaquer le Seigneur Sith. Les Rakgoules n’utilisaient pas leurs blasters car Vador leur aurait simplement renvoyé leurs propres tirs. À la place, ils se jetaient sur lui dans un tourbillon de griffes et de crocs.
Les bêtes déformées par le Côté Obscur le cernaient, menaçant de le submerger. Vador tranchait sans hésitation tous les membres qui passaient à sa portée, mais bien vite il sentit un coup de griffe dans son dos. Son armure était solide, mais il ignorait si elle avait été transpercée. La douleur dans laquelle il vivait depuis qu’il avait revêtu cet équipement de survie ne lui permettait pas de savoir s’il avait été blessé.
Vador avait bien tenté d’invoquer la Force pour repousser les créatures, mais il percevait l’influence de Céleste Morne qui, les mains levées, poussait au contraire les Rakgoules vers lui. Perturbés par l’influence invisible que leur maîtresse exerçait sur eux, ces derniers en étaient moins efficaces. Cependant, ce petit tour permettait de maintenir une pression constante sur le guerrier Sith et cet avantage compensait largement l’inconvénient qu’il engendrait.
Céleste arborait toujours sa grimace de haine. Son sourire Sith. Vador était incroyablement puissant, elle le savait car il l’avait vaincue quelques minutes plus tôt. Mais le vent avait tourné et il ne tarderait pas à céder.
— Peut-être es-tu digne de moi, en fin de compte... susurra Karness Muur à son oreille.
— Tu penses que je n’ai que deux alternatives, répondit Céleste en observant, concentrée, Vador lutter contre les Rakgoules qui menaçaient de l’ensevelir sous leurs corps. Soit je te sers, soit je meurs. Mais j’ai décidé de créer ma propre voie. Tu ne domineras plus mon destin.
— C’est ce que tu crois, petite Sith... Dis-moi, que penserait Zayne en te voyant ? Que penserait Krynda ?
Les paroles de Muur l’atteignirent plus profondément qu’elle ne l’aurait cru. Elle prit conscience du rictus qui déformait ses traits, ainsi que du plaisir malsain qu’elle ressentait en voyant Vador se faire arracher son sabre par une Rakgoule. Un doute la traversa. Fais-je ce qu’il faut ? Zayne, quel regard poserais-tu sur moi maintenant ? Elle se morigéna et voulut raffermir son emprise sur ses créatures, mais il était trop tard.
Vador repoussa les huit Rakgoules survivantes au loin et se redressa. De sa cape, ne subsistaient que quelques lambeaux. L’appareil qu’il portait sur la poitrine était visiblement endommagé et sa respiration automatisée était devenue plus sifflante. Son casque portait de profondes marques de griffure et l’une des bulles de verre qui masquait ses yeux était fêlée. Cependant, de façon inexplicable, il ne semblait pas blessé. Ni les griffes affilées des Rakgoules, ni leurs crocs acérés n’avaient pu transpercer l’armure de ténèbres dans laquelle il était enveloppé.
Le Seigneur Noir rappela à lui son sabre et fit face à Céleste Morne. Celle-ci était à bout de souffle. Elle avait été si proche de la victoire... Mais les murmures de Karness Muur, après l’avoir hantée en vain tout au long de sa torture dans l’Oubliette, avaient finalement réussi à fissurer sa concentration une fraction de seconde et, durant ce court instant, elle avait perdu. Acceptant sa défaite, la chevaleresse tomba à genoux.
Le Pacte était tombé. La République également. Zayne et Krynda étaient morts. Céleste se trouvait désormais seule en des temps obscurs. Elle avait tenté de se battre, elle avait lutté de toutes ses forces, mais au dernier moment elle n’avait pu se résoudre à sacrifier son âme. Pourquoi continuer le combat si j’ai déjà perdu ?
Vador vint se placer à elle.
— Tue-moi, Vador... murmura-t-elle d’une voix brisée. Abrège mes souffrances...
Ce qu’il adviendrait du Talisman par la suite ne dépendait plus d’elle.
Vador leva sa lame écarlate, l’abattit. Céleste Morne n’était plus.
— Bien, gloussa Karness Muur. Maintenant, saisis-toi du Talisman !
Vador n’entendait pas le spectre, mais il sentait sa présence. Il avait compris au cours du combat que le Talisman n’était pas que le réceptacle d’une malédiction, celui-ci contenait également un ancien esprit Sith, certainement celui de son créateur. Il n’avait jamais été confronté à des fantômes, mais il était bien au fait de leur dangerosité. Pour pouvoir changer la nature profonde d’êtres vivants à ce point, les remodeler en si peu de temps par une alchimie Sith si puissante, l’âme de Karness Muur devait être particulièrement redoutable.
En s’emparant du pouvoir du Talisman, parviendrait-il à son but ou ne ferait-il pas qu’échanger un maître pour un autre ? Il refusait de s’agenouiller un jour devant Muur comme il s’agenouillait aujourd’hui devant l’Empereur.
Mais il était Dark Vador. Ce jour était le dernier qu’il vivait dans la servitude. Et si un revenant avait quelque chose à y redire, il trouverait à qui parler en la personne du futur maître de la galaxie.
Le Seigneur Noir des Sith se pencha vers Céleste Morne et saisit son cou raidi par la mort. Il posa la main sur le scorpion d’or qui y était accroché et sentit aussitôt l’aura de celui-ci effleurer la sienne. Le Talisman, animé par l’essence de Karness Muur, prit alors vie et se décrocha du cou de la Jedi. Tel un scorpion doré, il courut sur l’épaule du cadavre et monta dans la main de son nouveau propriétaire pour venir s’agripper à son poignet.
Dark Vador se redressa lentement. Chacun de ses gestes était empreint d’un nouveau pouvoir qui menaçait de le déborder. Face à lui, il voyait désormais se dresser le spectre de Muur, un vieillard aux habits cérémonieux et à la longue chevelure blanche.
— Seigneur Vador, fit l’apparition. C’est un plaisir de pouvoir enfin vous parler. Un grand destin nous attend.