La Peur Ancestrale
Même en pleine nuit, le palais impérial se dressait majestueusement au centre du district éponyme sur Coruscant. Le bâtiment était construit sur plusieurs niveaux et chacun donnait naissance à de nombreuses tours qui s’élevaient vers le ciel comme pour le rejoindre. En raison des immenses chantiers entrepris par le nouvel Empereur, cela pourrait d’ailleurs finir par arriver : l’édifice était en passe de devenir le plus haut de toute la planète.
Cinquante-quatre aires d’atterrissage parsemaient le monument, mais une seule était réservée au Seigneur Vador. Les deux Gardes Royaux qui la surveillaient constamment s’apprêtaient à être relevés. Les nouveaux vigiles gratifièrent ceux qu’ils remplaçaient d’un salut formel avant d’insérer leurs marrons, petits jetons cuivrés, dans la fente prévue à cet effet, signalant ainsi au système que la garde se poursuivait sans incident. Il n’y en avait d’ailleurs jamais eu. Du moins jusqu’à ce jour.
Alors que la relève venait de prendre son poste, une navette se détacha du trafic aérien toujours aussi dense à toute heure pour se diriger vers le palais. Les deux soldats en robes rouges la remarquèrent rapidement car il s’agissait d’un modèle militaire, qui transportait donc sans doute un officier de haut rang. Ils comprirent toutefois vite que la navette se dirigeait précisément vers leur aire : Dark Vador revenait au palais après une absence de deux jours pour des raisons inconnues. Il n’y eut aucune tentative d’interception et aucun ordre de verrouillage de la plateforme ne leur parvint, signe que le vaisseau avait transmis les bons codes. Peu après, il se posa et sa trappe ventrale s’ouvrit. Les deux gardes restèrent pétrifiés devant le spectacle qui se présenta alors à eux.
Dark Vador, le second de l’Empereur lui-même, leur faisait face. Et à ses côtés, se tenaient une quinzaine de créatures telles que la galaxie n’en avait plus vues depuis des millénaires. Le Seigneur Sith descendit de la navette, les monstres le suivirent et, pour la première fois de l’Histoire, les Rakgoules posèrent le pied sur Coruscant.
Les Gardes Royaux, malgré leur entraînement intensif, eurent un mouvement de recul instinctif en voyant ces bêtes s’approcher. Cependant, voyant qu’elles semblaient obéir au Seigneur Vador, ils tentèrent de reprendre contenance. Ils n’eurent pas à essayer bien longtemps. D’un geste de la main, Vador déchaîna la magie Sith du Talisman et les soldats d’élite se prirent la tête dans les mains, tombant au sol tandis que leur tourmenteur les dépassait sans même un regard.
Tandis que Vador ouvrait d’une pichenette de Force la lourde porte qui séparait l’aire du reste du palais, les Gardes transformés rejoignirent la meute de créatures derrière lui. En sus de ces récents ajouts, les bêtes monstrueuses comptaient dans leurs rangs les huit anciens stormtroopers encore en vie, les contrebandiers fait prisonniers par Vador avant l’ouverture du Coffre de Jebble et qui avaient bien involontairement ramené ce cauchemar dans la galaxie, ainsi que le docteur Peturri, châtié à la hauteur de sa trahison par l’impitoyable Seigneur Noir.
Ce dernier ne perdait pas de temps. Il arpentait les couloirs pleins de dorures du palais de son pas féroce, se dirigeant directement vers les appartements royaux où, à cette heure de la nuit, l’Empereur se reposait avec l’une de ses concubines. Même en pleine nuit, les serviteurs grouillaient dans le palais et tous ceux qui croisaient le chemin de Vador rejoignaient son cortège difforme. Bientôt, ce fut une centaine de créatures qui le suivirent alors qu’il traçait sa route vers les étages supérieurs.
Très vite, cependant, une alarme retentit. En effet, si tous ceux qui rencontraient le sinistre cortège le rejoignait avant de pouvoir alerter qui que ce soit, les caméras de surveillance restaient opérationnelles. Bien que la menace ait mis du temps à être pleinement évaluée car la trahison du Seigneur Vador semblait impossible, la garnison réveillée en sursaut se plaça bientôt sur une trajectoire d’interception.
Elle ne put le retenir.
Le Seigneur Sith, renforcé par le Talisman, semblait mû par une force supérieure. Peut-être l’était-il, d’ailleurs. Le docteur Peturri, avant d’être transformé en Rakgoule, s’était demandé si la personne derrière ce masque obscur était toujours Dark Vador, où s’il avait été remplacé par Karness Muur.
Son troupeau d’immondes créatures augmenté d’autant de soldats qu’en avait comptés la garnison, Vador arriva finalement au pied de la tour qu’il cherchait. Désormais, la partie difficile commençait. Il sentait qu’un groupe d’Inquisiteurs, ces chasseurs de Jedi dont il assurait lui-même la formation, s’était regroupé au sommet de la bâtisse, juste devant l’appartement privé de Palpatine. Leur sensibilité à la Force les immunisait à la malédiction du Talisman.
Fort heureusement pour lui, il disposait à présent d’une armée comptant plus de deux cents erreurs de la nature. Si une vingtaine d’entre eux avait failli venir à bout de Vador sur la lune désolée, ces padawans ratés tout juste convertis au Côté Obscur seraient submergés par cette marée de crocs en un instant.
Sur une pensée de leur maître, les Rakgoules s’élancèrent dans les escaliers. Elles se grimpaient les unes sur les autres tandis que certaines bondissaient de palier en palier. Quelques-unes dégringolèrent et furent piétinées à mort, tant la soif de sang qui s’était emparée des créatures était intense.
Le Seigneur Noir s’engagea à la suite de sa horde et gravit les escaliers d’un pas assuré. Lorsqu’il arriva sur le dernier palier, il avait croisé les cadavres aux trois quarts dévorés de ses Inquisiteurs, que les Rakgoules avaient prestement dégagés du chemin de leur maître.
Laissant monter la Force en lui, il relâcha subitement la pression et pulvérisa la porte de la chambre à coucher de Palpatine, puis il pénétra à l’intérieur. Un ricanement glacial l’accueillit.
— Bonsoir, Votre Seigneurie. Dites-moi, qui se cache sous ce masque ? Mon apprenti déchu, Dark Vador le faible, qui a succombé à la passion de sa chair avant de perdre passion comme chair dans les flammes ? Ou Karness Muur, Jen’ari de Korriban, trahi tant par son apprenti que par son grand âge et assassiné par le premier à cause du second ?
Palpatine gloussa. Il avait revêtu ses robes noires habituelles. N’importe qui d’autre que lui aurait paru vieux et fatigué dans de tels apparats, mais il n’en semblait que plus fort. Le message renvoyé par cette tenue était qu’il n’avait pas besoin d’habits riches et élégants pour affirmer sa puissance. Il était l’Empereur de la galaxie connue. Il dictait le destin de milliards d’êtres. Il était Dark Sidious.
Nul ne l’égalait en puissance. Depuis son accession au trône impérial, il n’avait plus besoin de se cacher des Jedi et ses pouvoirs lui étaient revenus. Le venin de la tradition Sith de Dark Bane, qui avait infusé en secret durant tout un millénaire, s’était révélé au grand jour.
Mais tout cela, le guerrier obscur le savait. Les Rakgoules étaient également destinées à cela.
— Que vous importe qui je suis, puisque vous comptez me tuer de toute façon ? répondit-il tandis que ses créatures s’infiltraient dans la pièce derrière lui.
— J’aimerais savoir qui je vais écraser ce soir, objecta Sidious. Mais vous n’avez plus besoin de répondre désormais. Nul ne saurait vous imiter, Seigneur Vador.
Dark Vador observa le petit homme chétif qui lui arrivait à peine à la moitié de la poitrine. Près de lui, le spectre de Karness Muur rôdait.
— En effet, fit ce dernier, vous n’aviez pas exagéré sa puissance, Vador. Nous ne serons pas trop de deux pour...
L’esprit s’interrompit brutalement alors son aura carmine se mit à diminuer sensiblement, et il commença à scintiller irrégulièrement. Le rire de l’Empereur s’éleva, froid comme l’espace.
— Je constate que le Seigneur Muur vous a accompagné, mon apprenti. Parfait... Ainsi, ces petits préparatifs n’auront pas été vains.
Palpatine fit alors voltiger un drap de satin qui masquait tout un pan de mur. Derrière, se trouvait l’élégante Roganda Ismaren, la nouvelle concubine de l’Empereur qui était réputée pour s’enorgueillir de ce titre. Elle avait fait partie de l’Ordre Jedi avant sa chute, mais Vador ignorait si elle avait été adoubée. Il ne savait même pas si elle était majeure. Dans les mains de la jeune femme au port altier reposait une pyramide de cristal rouge, qui palpitait à un rythme contraire à celui de Muur. Un holocron Sith.
— Je sais que vous m’entendez, Seigneur Muur, fit, tranchante, la voix de Palpatine. Le Seigneur Dreypa devait décidément vous haïr. En plus de préparer à votre intention l’Oubliette dans laquelle vous avez passé ces derniers millénaires, il avait également prévu ce charmant dispositif. L’holocron que cette chère Roganda tient dans ses mains graciles est prévu, une fois activé, pour attirer toute âme errante à sa portée en son sein. Une nouvelle prison qui vous est dédiée. La haine est décidément un merveilleux outil, conclut-t-il tandis que, invisible à ses yeux, Muur tentait de résister à l’attraction de l’artéfact. Ce n’est pas mon apprenti qui dira le contraire...
Vador était resté impassible tout le long de ce discours. Il savait depuis le départ que son maître le surpassait en fourberie. Sa trahison avait été anticipée avant même que Vador n’entende parler du Coffre de Jebble pour la première fois. Il ne pouvait pas gagner sur ce terrain. Mais puisqu’il le savait, il pouvait décider des termes selon lesquelles il perdrait cette manche et, ainsi, espérer remporter la partie.
Palpatine avait un unique point faible : il aimait détruire psychologiquement ses adversaires en leur démontrant sa supériorité. En conséquence, il passait trop de temps à s’écouter parler et, dans son enthousiasme, pouvait révéler de précieuses informations. Le fonctionnement de son piège, par exemple.
Sur une impulsion de leur maître, les Rakgoules se précipitèrent sur Sidious. Vador profita de la diversion pour bondir vers Roganda, qui se tenait devant l’holocron de Dreypa. Celui-ci absorbait toujours la force vitale de Muur, qui semblait s’estomper peu à peu. Roganda sembla subitement perdre en assurance. De la main de l’immense Seigneur Sith jaillit sa terrible lame rouge, qu’il pointa vers la jeune fille.
— Désactivez cet holocron, concubine.
Roganda eut un regard inquiet pour son Empereur. Ce dernier était à présent hors du champ de vision de Vador, mais il sentait à travers ses Rakgoules que l’ancien Chancelier s’efforçait de repousser l’affreuse horde. Bloqués dans leur progression par les immenses pouvoirs de la frêle silhouette qu’ils encerclaient, les monstres rugissaient de frustration. L’amante de Palpatine sembla soudain rassurée.
— Non, répondit-elle tranquillement.
Vador savait que quelque chose n’allait pas. La présence dans la Force de son ancien maître croissait à chaque seconde. Il leva son sabre pour frapper immédiatement, mais trop tard. La tempête se déchaîna brusquement.
L’air ambiant se remplit soudain d’électricité. Se tournant vers Palpatine, Vador put constater que celui-ci se trouvait désormais au milieu d’une sphère d’énergie pure dont des éclairs Sith se mirent alors à jaillir. Les Rakgoules les plus proches furent vaporisées en un instant tandis que les suivantes périrent après avoir été transpercées par la foudre obscure. Vador invoqua tout son pouvoir pour résister à l’ouragan qui s’abattait sur lui, mais il se sentit reculer. Son armée se faisait anéantir sous ses yeux alors même que les murs craquelaient et se fendaient. Puis la pression fut trop importante et tout l’étage fut pulvérisé.
Les appartements de l’Empereur s’étaient trouvés au sommet de la plus somptueuse tour du palais impérial. Lorsque son occupant relâcha un véritable cataclysme de Force sombre, l’édifice s’en trouva proprement décapité. Les murs et le plafond du dernier étage avaient volé en éclat. Le reste du palais avait également pris un coup, les constructions les plus proches s’étant pour certaines effondrées.
Ébranlée sur ses fondations, la tour ne semblait maintenant plus très stable. À son sommet, entre les corps carbonisés de ses Rakgoules et les débris de l’élégante architecture désormais en ruine, Dark Vador se redressa péniblement. Il avait encaissé la déflagration aussi bien qu’il avait pu mais les systèmes de survie de son armure, déjà superficiellement abîmés par les Rakgoules de Céleste Morne, semblaient à présent sérieusement endommagés. Mais peu lui importait.
Il avait gagné.
N’ayant été initié aux secrets des Sith que depuis quelques mois, il ne connaissait pas encore très bien leur histoire. Cependant, une constante semblait invariable : leurs plus grandes défaites étaient dues à leur arrogance. Et Palpatine ne ferait pas exception.
L’Empereur était bien plus retors que son apprenti, et celui-ci le savait parfaitement. Il était évident qu’il allait mettre en place un piège pour neutraliser Muur, tout comme il était évident que Vador ne pourrait défaire ce piège à temps. Il n’essaierait donc pas. Il semblerait essayer, car cela était attendu de son maître, mais il savait d’avance que cela serait vain. Il en prendrait donc son parti.
Vador avait bien compris que Céleste Morne n’avait eu qu’une maîtrise parcellaire du Talisman. L’esprit de Karness Muur qui l’habitait souhaitait garder le contrôle. Même lorsqu’il avait à nouveau considéré la Jedi comme une hôtesse viable, il ne lui avait pas abandonné le contrôle total de l’artéfact. Mais si le spectre du Seigneur Sith se faisait extraire de son cercueil doré... Alors, Dark Vador gagnerait un contrôle total sur le Talisman. Palpatine aurait également prévu cela, bien sûr, c’est pourquoi il déchaînerait sa puissance pour détruire son ennemi avant qu’il ne puisse se servir de son nouvel avantage.
Mais Dark Vador était résistant. La haine, le deuil, la tristesse et la colère dans lesquels il baignait depuis trois mois étaient devenus des compagnons familiers et l’avaient renforcé. L’Empereur, dans son arrogance, ignorait à quel point la résilience de son apprenti s’était accrue. Et c’était ce qui le perdrait.
Il n’était pas censé survivre au maelström. Au lieu de cela, il se dressait toujours dans les décombres de la riche chambre à coucher. Face à lui, incrédule et affaibli par l’importante attaque qu’il venait de lancer, Sidious le regardait. Il ne prêtait pas la moindre attention au cadavre calciné de Roganda Ismaren, qui avait naïvement cru que son amant la protégerait de sa foudre. Son attention était toute entière fixée sur son apprenti et ennemi.
Ils sentaient tous deux la malédiction des Rakgoules suinter du Talisman, se répandant aux alentours. Tous ceux qui subissaient le contact astral de l’antique sortilège y succombaient rapidement. Or, plusieurs milliers de personnes habitaient le palais.
Bientôt, les premières Rakgoules se massèrent au pied de la tour. Puis d'autres suivirent. Et d’autres encore.
Dans un hurlement de rage folle, Palpatine bondit sur son apprenti en tournoyant, sabre pointé sur sa cible. Vador esquiva et s’engagea dans la cage d’escalier à moitié détruite à l’instant même où son armée commença à en émerger.
Sidious résista longtemps. Mais au final, le résultat fut le même.
Près d’une heure plus tard, Vador sentit que ses Rakgoules avaient gagné. Son ancien maître avait rejoint les rangs de son armée. Il ordonna mentalement à la créature qui avait été Palpatine de le rejoindre. Lorsqu’elle arriva, il alluma son sabre laser.
— J’aurais aimé vous affronter moi-même, Maître. Il y a encore peu, je l’aurais sans doute fait. Mais voyez-vous, j’ai écouté vos leçons et j’ai appris la prudence.
Il transperça la Rakgoule de sa lame d’énergie. Palpatine était déjà mort, mais il avait étudié les magies de l’esprit, aussi l’ancien apprenti préférait-il ne prendre aucun risque.
Il était Dark Vador. Désormais, il régnerait sur la galaxie.
***
Le Centre impérial, ainsi que Palpatine avait officiellement renommé Coruscant peu après son intronisation, pansait ses plaies. Le palais avait été ravagé durant la bataille, provoquant un immense chaos dans tout l’Empire. Non seulement l’Empereur avait péri, mais le cœur de l’administration centrale avait également disparu.
Seul le Seigneur Vador avait survécu à cette nuit fatidique, et lui seul savait ce qu’il s’était produit. Les créatures qui avaient auparavant été des citoyens impériaux avaient ravagé tout le palais, centre de contrôle inclus. Aucun enregistrement de sécurité n’en avait réchappé.
Les nombreux communiqués officiels avaient narré comment, les jours précédant l’attaque, le bras droit de l’Empereur avait traqué une armée de Jedi survivants prévoyant une tentative d’assassinat sur la personne de l’Empereur. Vador les avait tous exterminés à l’exception d’Ashka Boda, le chef de la conspiration. Celui-ci, en possession du dangereux holocron de Tedryn, qui détenait des savoirs Jedi interdits, s’en était servi pour recréer l’ancienne peste des Rakgoules qui avait terrorisé la galaxie des millénaires auparavant.
La propagande impériale avait ensuite raconté comment le traître Ashka Boda s’était infiltré dans le palais impérial en pleine nuit et, grâce à sa sorcellerie Jedi, avait changé tous les occupants du palais en Rakgoules. Le Seigneur Vador, arrivé sur les lieux en catastrophe, avait défendu son Empereur de toutes ses forces. Il avait affronté et vaincu le traître Jedi, mais celui-ci avait préféré mourir dans le déshonneur et s’était fait exploser afin de tuer ses cibles. Vador s’était avéré incapable de sauver son Empereur et n’avait lui-même survécu qu’à grand-peine. Les Rakgoules survivantes avaient ensuite été exterminées par les escouades d’élite de l’Empire jusqu’à ce que le risque épidémique ait disparu, et c’était bien là la seule partie de l’histoire à être véridique.
Les deux Seigneurs Sith étaient les seuls à savoir qu’Ashka Boda avait péri trois semaines plus tôt des mains de l’Empereur lui-même, qui s’était alors emparé de l’holocron de Tedryn. Cet artéfact Jedi renfermait d’antiques connaissances et, grâce à la mort de Palpatine, le nouveau maître de l’Ordre Sith allait enfin pouvoir le consulter à loisir.
Ces trois derniers jours, Dark Vador n’avait pas fait la moindre apparition publique, préférant rester en retrait pour soigner ses blessures. À la place, le président du Sénat Impérial Mas Amedda et le Grand Vizir Sate Pestage avaient chacun tenu un discours. Amedda avait parlé le premier, alors que l’aube se levait pour la première fois sur le palais dévasté. Il avait brièvement assuré sa foi totale en Dark Vador pour maintenir la stabilité de l’Empire, confirmant ainsi implicitement qu’il soutenait son accession au trône impérial, et avait confirmé le discours que les chaînes d’information répétaient en boucle sur les événements de la nuit. Il n’avait répondu à aucune question.
Plus tard dans la journée, le Grand Vizir avait longuement expliqué, devant plus de cent mille personnes rassemblées face au palais ravagé, que le Conseil impérial qu’il dirigeait assurerait une courte régence le temps que le Seigneur Vador se remette de ses blessures mais que lui et les autres conseillers le soutenaient avec ferveur et lui cèderaient volontiers le pouvoir. Il avait également annoncé la promulgation d’une loi d’urgence directement par le Conseil, sans passer par le Sénat mais avec la bénédiction du président Amedda, afin de mettre en place des mesures sécuritaires fortes et parer aux troubles qui agitaient tant la capitale que les secteurs les plus éloignés, sans s’engager sur une levée de celles-ci. Il avait aimablement répondu aux questions de journalistes triés sur le volet, tandis que ceux qui étaient considérés comme nuisant à la tranquillité d’esprit des citoyens s’étaient fait sortir par le service d’ordre, conformément à la nouvelle loi.
Le Moff Wilhuff Tarkin, l’un des soutiens de la première heure de l’Empereur décédé, profita d’une démonstration de force visant à mater une émeute pour assurer à son tour Vador de son soutien. Il annonça également qu’il traquerait personnellement les quelques officiers qui avaient profité des troubles politiques pour faire sécession. Ainsi, tout en renouvelant sa loyauté au pouvoir central, le gouverneur soulignait qu’il restait une figure centrale de l’Empire en en servant les intérêts sans en avoir reçu l’ordre.
Si aucun des trois hommes ne savait avec certitude ce qu’il s’était produit la nuit précédente, ils étaient néanmoins au fait de l’existence des Sith et savaient que les maîtres de l’Empire faisaient partie de cet Ordre. Instruits dans des savoirs inaccessibles au commun des mortels, ils savaient également que les Rakgoules avaient été créées par les premiers Sith et non par des Jedi. Ils n’avaient donc eu aucun mal à se faire une idée globale des événements récents. Chacun tremblait en se demandant si chaque succession au trône impérial se déroulerait de façon similaire.
Trois jours passèrent, et Dark Vador fut intronisé.
***
La cérémonie se déroula devant le Temple Jedi, qui avait été abandonné depuis l’avènement de l’Empire. Le Seigneur Noir avait désiré s’y établir plutôt que de retourner au palais. Ce serait la première fois en douze mille ans, depuis la création du palais, que le dirigeant de la galaxie n’exercerait pas son pouvoir depuis ce lieu chargé d’histoire. La nouvelle aurait davantage remué l’opinion publique si les médias n’avaient pas reçu la vive recommandation du Conseil impérial de s’enthousiasmer pour le symbole fort de lutte contre la traîtrise Jedi que cet acte représentait. La plupart avaient suivi les préconisations, les autres avaient été nationalisés conformément à la nouvelle loi et avaient alors repris les louages de leurs collègues avec ferveur.
Sous le ciel sans nuage, le Temple Jedi resplendissait. La nuit précédente, il avait été redécoré en urgence aux couleurs de l’Empire et arborait maintenant le symbole du gouvernement sur son fronton. Dark Vador se tenait à l’entrée du gigantesque édifice, entouré des plus hauts officiels de l’Empire. Le Conseil était là, ainsi que le Moff Tarkin, accompagné d’autres militaires de haut rang, et plusieurs sénateurs. Mas Amedda s’adressait à la foule de plusieurs millions de personnes venue assister à l’intronisation de son nouvel Empereur. Malgré le bruit de la plèbe rassemblée, Vador ne leur prêtait pas la moindre attention. Absorbé dans ses souvenirs, une phrase résonnait à ses oreilles.
Tu siègeras au conseil, mais nous ne t'accordons pas le rang de Maître, lui avait dit Maître Windu trois mois plus tôt. Toute sa vie, les Jedi l’avaient rabaissé. Ils l’avaient manipulé, ne voyant en lui qu’un outil dangereux. Lorsqu’il les avait détruit, massacrant tous ceux qui s’étaient trouvé dans ce Temple, il avait cru s’être libéré.
Il avait rapidement déchanté. Depuis la chute de la République, tous l’appelaient Seigneur mais il était en réalité toujours l’esclave de la volonté d’un autre. Comme si rien n’avait changé depuis son départ de Tatooine, lorsque les Jedi l’avaient affranchi. Mais à présent que Sidious avait péri de sa main, Vador était enfin libre.
Devant les millions de citoyens rassemblés, le Grand Vizir finissait son discours. Après avoir exprimé sa confiance absolue en Dark Vador, il lui offrait à présent les pleins pouvoirs au nom du Conseil impérial.
Dans le silence de mort qui tomba lorsque Pestage se tut, Vador s’avança et se tint face à son peuple. À son cou brillait le Talisman de Muur, symbole de son pouvoir. Dans une autre vie, il avait parlé à des armées entières. Ses harangues avaient galvanisé ses hommes pour les mener à la victoire. Mais il ne s’était jamais livré à l’exercice depuis qu’il avait revêtu cette armure.
— Peuple de l’Empire, commença Vador de sa voix profonde, vous ne me connaissez que depuis peu de temps. Cependant, j’ai toujours été l’un des plus fervents soutiens de l’Empereur Palpatine. Je l’ai sauvé des Jedi qui tentaient de l’assassiner et j’ai mené la traque des traîtres en son nom. Il a fait de moi celui que je suis aujourd’hui et il est donc naturel pour moi de reprendre sa charge. Toutefois...
Le Seigneur Noir se tourna vers son Sate Pestage. Levant sa main droite, il semblait vouloir prêter serment. Cependant, il la serra brusquement en un poing et le haut dignitaire eut soudain du mal à respirer, se prenant la gorge comme s’il tentait de se défaire d’une étreinte invisible.
— Vous apprendrez, Grand Vizir, que nul ne m’offre le pouvoir. J’en suis le légitime dépositaire et votre Conseil n’a jamais eu son mot à dire sur cette affaire, quelles que soient les illusions dont vous avez pu vous bercer. Que cela vous serve de leçon à tous, conclut Vador en relâchant son étau mental. Mon règne ne dépendra pas des manigances politiques de bureaucrates tels que vous ou les sénateurs. Le pouvoir qui vous échoit encore est bien trop important et sera prochainement réduit afin d’unifier la galaxie sous une vision unique. J’apporterai la paix, la justice, la liberté et la sécurité à ce nouvel Empire !
— L’Empereur est mort, s’écria Wilhuff Tarkin qui s’était placé aux côtés de Vador avec une escouade de stormtroopers, vive l’Empereur !
***
Le nouvel Empereur traversait le Temple Jedi désert. Il savait que sa brève intervention avait bouleversé la politique galactique. La violence dont il avait fait preuve envers Pestage, ainsi que les menaces à peine voilées envers le Conseil et le Sénat – respectivement les pouvoirs exécutif et législatif –, avaient secoué les politiciens qui se sentaient à présent menacés. C’était pour appuyer cette menace qu’il avait demandé au Moff Tarkin de le rejoindre avec ses hommes. Ces derniers avaient escorté le Grand Vizir et le président du Sénat lorsqu’ils avaient voulu sortir de la scène. Le message était ainsi limpide pour tous.
Perdu dans ses pensées, Vador remarqua que ses pas l’avaient conduit devant un turbo-ascenseur. Il se demanda un instant ce qui avait poussé son subconscient à l’amener ici, avant de réaliser que ce conduit menait à la salle où avait siégé le Conseil Jedi. Sur une impulsion, il s’engouffra dans la cabine qui s’éleva bientôt vers le sommet de la tour.
La chambre du Conseil était telle qu’il l’avait laissée... à ceci près que les corps des Novices qu’il avait pourfendus ne s’y trouvaient plus. Cette absence donnait à la rotonde une impression de vide, comme si elle perdait tout son sens. Comment le siège fendu de Maître Fisto pouvait-il signifier quoi que ce fût sans le corps de la jeune Initiée qui s’était abritée derrière ?
Le Seigneur Noir se détourna de ces pensées et alla s’asseoir dans le fauteuil de Mace Windu. Ils ne s'étaient jamais appréciés. Windu s’était toujours méfié du jeune Anakin, alors que celui-ci avait tremblé, intimidé par l’auguste Maître Jedi. Avec le temps cette inimitié était devenue de l’animosité jusqu’à ce qu’elle ne se transforme en rancune pour le fougueux Anakin lorsque ce dernier s’était vu refuser le titre qu’il convoitait.
Désormais, lui dit-il en pensée tout en posant sa main sur le Talisman, je suis le dernier Maître.