Amiral. M
Le lieutenant Jagged Fel se redressa avec un grand soupir et rangea proprement ses outils. Les autres membres de sa petite équipe étaient occupés à monter des paraboles de transmission sur le toit de la tour, mais ils étaient trop peu nombreux pour lui permettre de rester à l'écart en laissant le travail aux techniciens. D'ailleurs, il était encore capable de bricoler un bon panneau de circuits, se dit-il en contemplant la console avec un orgueil paternel. Travailler pour son ancien chef d’escadrille ne le dérangeait pas, il avait besoin de crédits pour vivre maintenant qu’il n’était plus le bienvenu dans l’ascendance Chiss. Une tragédie qu’il l’avait touché lui, mais aussi sa famille.
Jagged, qui portait le prénom de son grand-père maternel, le propre père du Général Wedge Antilles, était un jeune homme à la chevelure brune et aux yeux verts, dont le visage portait les marques d'un entraînement rigoureux et d'une volonté à toute épreuve. Malgré la difficulté pour un Humain de vivre au sein d'une société aussi hiérarchisée et militariste telle que l'est la civilisation chiss, le jeune homme était toutefois parvenu à se hisser à un rang important et fait partie des meilleurs pilotes des Forces de Défense Chiss.
C'était en raison de ses aptitudes au pilotage - et probablement aussi de ses origines - que le Colonel Fel fut choisi pour faire partie des escadrons de chasseurs griffes envoyés par les Chiss aux Vestiges de l'Empire afin de contrer les envahisseurs Yuuzhan Vong. Placé sous les ordres du Grand Amiral Gilad Pellaeon, Jag participa notamment à la Bataille de Garqi, puis fut placé par son supérieur sous le commandement des forces de la Nouvelle République, et donc de son oncle Wedge.
Après plusieurs batailles, Jag fut rappelé sur Csilla par son père pour être mis au courant d'une nouvelle mission : constituer un petit groupe d'observation pour étudier attentivement les envahisseurs et leur biotechnologie, afin de permettre aux Chiss et à leurs alliés impériaux d'en savoir plus sur ces mystérieux agresseurs, et ainsi adapter leur défense, dont les semaines qui venaient de s'écouler montraient qu'elles étaient totalement inadaptées aux nouvelles techniques de combat utilisées par les Yuuzhan Vong. La perte de Coruscant entraîna presque la dislocation de la Nouvelle République, et Soontir estimait que les Chiss avaient besoin de davantage de temps pour se protéger.
Peu après la désastreuse Bataille de Coruscant, Jagged accepta de rester sur Borléias sur la demande de son oncle, autant pour faire partie du groupe de Wedge et Luke Skywalker que pour rester aux côtés de Jaina Solo, à laquelle il n'était pas indifférent... C'est au cours de ces moments que les deux jeunes gens se rendirent compte qu'une réelle attirance existait entre eux, mais la guerre qui les menaçait de toutes parts ne leur permettait pas d'exprimer pleinement leurs sentiments.
Jagged rejoignit ensuite l'Escadron des Soleils Jumeaux commandé par Jaina, et perfectionna avec elle et Kyp Durron les techniques de combat pour contrer la puissance des vaisseaux vong. Malgré le fait qu'il nait aucune aptitude dans la Force, Jag était si bon pilote qu'il épatait ses coéquipiers Jedi, au point qu'il devint un élément incontournable des Soleils Jumeaux.
Au cours des missions qu'ils menèrent ensemble, Jag et Jaina se rendirent compte que leurs sentiments prenaient de plus en plus d'importance. Mais la guerre les rattrapa finalement lorsque les Yuuzhan Vong attaquèrent l'un des derniers bastions républicains, et le siège du nouveau gouvernement, sur Mon Calamari. Alors que la bataille faisait rage, un événement à l'autre bout de la galaxie allait renverser le cours de la guerre : la planète Zonama Sekot venait d'apparaître en orbite de Coruscant, devenue depuis la défaite républicaine la nouvelle capitale des envahisseurs.
Les forces vong attaquant Mon Calamari se retirèrent alors en catastrophe pour défendre Coruscant, immédiatement suivies par les vaisseaux de l'Alliance Galactique, désireuses de venir à bout une fois pour toute des extragalactiques.
Alors que Jaina faisait route vers Zonama Sekot et que la bataille faisait rage, Jag prit le commandement des escadrons Soleils Jumeaux et Vanguard et abattit de nombreux adversaires. Malheureusement pour le pilote, il fut touché par un tir ennemi alors qu'il escortait un transport de troupes chargés de déployer à terre des commandos afin de reprendre le contrôle de la planète.
Incapable de continuer le combat, Jag atterrit en catastrophe sur Coruscant, où il fut sauvé par Judder Page. Après s'être échappé de la carcasse de son appareil il continua le combat aux côtés des troupes terrestres chargées de neutraliser les défenses de Coruscant.
Après la mort de leurs leaders Shimrra et Onimi, les Yuuzhan Vong se rendirent enfin aux forces de l'Alliance Galactique, mettant ainsi fin à une guerre sanglante...
Dans les semaines qui suivirent la fin de la guerre, Jag avoua finalement de manière directe ses sentiments à Jaina, mais la jeune Jedi lui avoua que la galaxie avait encore besoin de ses efforts pour se reconstruire. Malgré la décision de Jaina, Jag savait qu'ils étaient amenés à se revoir bientôt, le jeune homme étant désormais l'officier de liaison entre l'Alliance Galactique et les Forces de Défense Chiss. Les deux jeunes gens se séparèrent après un baiser passionné et retournèrent à leurs missions respectives...
Cependant, leur prochaine rencontre ne fut pas aussi amicale qu'ils auraient pu le souhaiter. Pendant la crise killik, Jag commandait une partie de la flotte chiss chargée de régler la menace constituée par les insectes. Mais un groupe de Jedi, comprenant Jaina Solo, vint se ranger dans le camp adverse. Lors d'une échauffourée, Jag fit prisonnier l'un des leurs, Lowbacca. Il se portait garant auprès des Jedi du bon traitement qu'il recevrait. Lorsque la première partie de la crise fut résolue, Lowbacca promit en échange de sa libération que les Chiss n'auraient plus d'ennuis causés par les Killiks et les Jedi.
Hélas, la crise reprit de plus belle l'année suivante, et les jeunes Jedi, menés par Jacen Solo, attaquèrent un dépôt militaire chiss, déclenchant ainsi la guerre de l'essaim. Jag affronta de loin les jeunes Jedi à plusieurs reprises, puis, à Tenupe, poursuivit même le chasseur de Jaina dans sa Griffe chiss. Han et Leia Solo, dans le Faucon Millenium, n'eurent d'autre choix que le poursuivre et le descendre pour sauver leur fille.
Jag s'écrasa sur Tenupe, mais survécut. Les Chiss ne l'ayant pas retrouvé dans cette jungle, il dut survivre seul. Cependant, il finit par retrouver le refuge d'Alema Rar, Jedi Déchue qui faisait jadis partie des Soleils Jumeaux. Il vit qu'elle était défigurée, et qu'elle vouait désormais une haine sans limite envers le couple Solo, qu'elle tenait pour responsable de son état.
Lorsqu'il put enfin quitter Tenupe, quatre ans plus tard, il était pour lui hors de question de retourner chez les Chiss : la famille Fel était en disgrâce depuis la guerre de l'essaim, par sa faute et celle des Jedi. Pour conserver l'honneur de sa famille, il ne pouvait plus que s'exiler, son ancienne chef d’escadrille Shawnkyr Nuruodo qui occupait le poste de gouverneur de Praxlis lui proposa de travailler pour elle en tant que chef des Forces de Sécurité Impériales. N’ayant plus rien à perdre, il avait accepté sans hésiter.
Pourtant, l'orgueil était loin d'être son sentiment dominant lorsqu'il avait atterri sur Praxlis. Il faisait son boulot de chef sécurité, donnait quelques coups de main comme réparer une tour de transmission, mais ne pouvait grimacer lorsque son regard se perdait dans l’horizon.
Grands dieux, quelle planète minable ! Son centre de contrôle nouvellement établi se trouvait au premier étage d'une des tours d'angle de l'enceinte gouvernementale et il disposait d'une vue épouvantablement imprenable sur des kilomètres et des kilomètres d'une mousse pommelée gris vert qui s'étendait jusqu'aux rives d'un machin que les indigènes appelaient « fleuve ». Le chenal où roulait un flot graisseux, épais, alourdi de limon, faisait partie des centaines d'autres qui circulaient à travers le delta marécageux, et au-delà se dressaient les murs d'une cité.
Jag prit une paire de jumelles et observa la courtine qui faisait face au fleuve. Avec l'impression de pouvoir la toucher, il s'émerveilla de la dimension des blocs qui la composaient; ils avaient été extraits d'une carrière très loin en amont et convoyés par bateau jusqu'à leur emplacement actuel, et le moindre d'entre eux devait avoir un mètre de côté. Sacrée réalisation, même sous cette gravité, pour une civilisation qui ne connaissait que la force musculaire.
L'ordinateur émit un petit bruit pour signaler la fin de la vérification; Jag reposa ses jumelles et se retourna vers son panneau. C'était peut-être une planète minable, mais il avait la responsabilité de sa sécurité dans les plateformes d’atterrissage et il éprouva soudain une envie inattendue de se mettre au travail. Après avoir fait une descente en rappel de la tour, il se dirigea vers les palettes antigrav proprement rangées devant un vaisseau cargos Corelliens et vérifia les étiquettes des conteneurs métalliques. Un lecteur à bande magnétique déformait la poche de son bleu de travail, mais l’abat de l'appareil était toujours fermé. Soudain il ralentit le pas, puis se baissa pour examiner une palette, et Jag nota qu'un des hommes d'équipage se raidissait.
« Monsieur Farrell ? fit Jagged sans se retourner.
— Oui, chef ?
— A quelle compagnie commerciale appartient cette cargaison ?
Farrell consulta son bloc, puis fronça les sourcils et regarda son chef surpris :
— La Compagnie Tagge, monsieur !
— Ouvrons et voyons ça.
— À vos ordres, monsieur. »
Farrell tira une foreuse d'une de ses vastes poches. Il poussa le bouton, déclenchant le gémissement strident que la loi impériale imposait à titre d'avertissement sur ce type d'outils, puis il passa la lame invisible le long de la bande douanière falsifiée. Le plastique argenté partit en éclats, puis on entendit le doux chuintement des pressions qui s'équilibrent lorsqu'il libéra le couvercle.
Il le souleva, puis s'interrompit à mi-mouvement.
« Tiens, tiens, tiens », murmura-t-il, à quoi il ajouta d'un air absent « monsieur » en se rappelant la présence de Jag à ses côtés. Il acheva d'ouvrir le conteneur jusqu'à ce que le dessus se bloque. « Drôlement bizarres ces charrues, je trouve.
— En effet », fit Jag au bout d'un moment en se penchant pour caresser la fourrure lustrée, d'un fauve doré. Le conteneur faisait deux mètres de long sur un de large et un de profondeur, et il paraissait entièrement rempli. « Est-ce bien ce que je crois, second-maître ?
— Si vous croyez que ce sont des fourrures de Strill de Mandalore, c'est bien ça, monsieur.»
Jag Fel secoua la tête et Farrell eut l'impression d'entendre cliqueter le terminal de crédit sous son crâne. « Il doit y en avoir pour deux ou trois cent mille crédits impériaux, dit-il d'un air méditatif. Dans ce seul conteneur, ajouta-t-il.
— Et le Strill figure sur la liste des espèces protégées. » Le ton de Jag était si menaçant que le second se redressa et le regarda, étonné. Le jeune homme n'avait plus l'air jeune du tout; il contempla le conteneur, puis se retourna pour poser des yeux furieux sur les hommes d'équipage qui essayaient de se faire tout petits. « Croyez-vous qu'ils allaient convoyer ces Fourrures à la surface, second-maître?
— À la surface ou à l'entrepôt. Je ne vois pas ce qu'ils auraient pu faire d'autre, monsieur. En tout cas, ce genre de marchandise ne sert à rien aux Praxiliens, ça, c'est sûr.
— C'est bien ce que je pensais. » Fel hocha la tête, puis parcourut du regard la soute mal éclairée. « Monsieur Farrell, je crois qu'il vaut mieux vérifier tous les autres cachets de douane. » Le sous-officier acquiesça et Jagged Fel adressa un sourire glacial à l'équipage de la navette qui n'en menait pas large.
« Pendant ce temps, ces messieurs et moi-même allons rendre une petite visite à leur capitaine. Je voudrais faire un tour dans sa soute principale, également.
— À vos ordres, monsieur. » Le sous-officier au visage peu amène se mit au garde-à-vous, manifestation de respect qu'il se donnait rarement la peine d'adresser aux officiers qui ne lui signalaient pas vertement sa négligence, puis, de la tête, il fit signe à ses deux équipiers de le suivre.
*
— Apparemment ce lieutenant Fel est bien trop compétent pour le poste qu’il occupe, déclara Meinhard en consultant le rapport de Jag non sans noter que ce dernier avait attribué la découverte initiale de la fraude au sous-lieutenant Farrell et non à lui-même. C'était inhabituel chez un officier si peu gradé, mais cela confirmait sa première impression du jeune homme.
Il fit pivoter son fauteuil pour regarder Zorn, de l'autre côté du bureau. L'officier en second avait la mine de quelqu'un qui vient de mordre dans un fruit aigre.
— Cette histoire, je pense, va connaître d'intéressantes répercussions sur Bastion.
— Oui, commandant. Les lèvres de Zorn s'agitèrent un moment sans produire aucun son, puis il croisa le regard de Meinhard. « Vous savez que Tagge va nier toute participation à cette affaire.
— Quarante-trois millions en fourrures illégales ? Naturellement – tout comme le capitaine du cargo Corellien soutient que ce sont les fées de l'espace qui les ont placées dans ses soutes, fit Meinhard avec ironie. Je me demande ce que Fel va nous rapporter d'autre lorsqu'il va s'attaquer aux cales principales du bâtiment.
— En tout cas le lieutenant Fel vous attend dans vos quartiers, monsieur. Il tenait à vous faire part lui-même de sa découverte.
— Dame Shawnkyr m’avait dit qu’elle allait me l’envoyer aussitôt pour occuper le poste d’officier de liaison, au moins je n’ai pas à m’inquiéter de ses compétences. Ce sera tout lieutenant.
— Un dernier détail monsieur !
— Oui ? dit-il surpris.
— Je sais que souvent nous ne nous... » Le capitaine de corvette s'interrompit et se mordit la lèvre. « Enfin, vous allez vous mettre le cartel à dos et ils ont des amis haut placés qui sauront traduire leur mécontentement. Vous avez mis la main sur une cargaison de fourrures illégales, mais cela en vaut-il la peine ? Cela en vaut-il vraiment la peine ? » Le regard de Meinhard se durcit de façon inquiétante et elle poursuivit aussitôt : « Ce fret est illégal – Dieu sait ! –, ce n'est pas ce que je veux dire, et je vois bien ce que vous essayez de faire. Mais le jour où nous quitterons le poste de Praxlis, tout redeviendra comme avant. Pour eux, c'est sans doute une goutte d'eau dans l'océan de leurs revenus, mais ils ne vous oublieront pas.
— J'y compte bien, capitaine », répondit Meinhard d'une voix glaciale, et Zorn le dévisagea, l'air inquiète. Pour la première fois depuis trop longtemps elle se faisait du souci pour son commandant parce que c'était son commandant, mais ce regard sombre et blindé était inébranlable.
— Vous allez mettre en danger toute votre carrière pour un geste qui ne changera rien à l'affaire ! protesta-t-elle. Commandant, ce genre d'incident, c'est...
— C'est ce à quoi nous devons mettre un terme. » La voix du commandant Musel coupa la sienne comme une dague, et elle fit une grimace en percevant comme une souffrance sous la colère qui brûlait dans ses yeux. Une souffrance et autre chose... Du mépris peut-être, douloureux, trop douloureux. Il se tut et les narines de Meinhard s'évasèrent.
— Capitaine Zorn, reprit-il de la même voix glacée, mon devoir ne varie pas en fonction de ce que d'autres doivent ou ne doivent pas faire pour remplir le leur. Et peu m'importe la personnalité de ceux qui se livrent à des activités délictueuses sous mon mandat. Nous soutiendrons le lieutenant Fel jusqu'au bout. En outre, je veux qu'on porte un intérêt accru à tous les bâtiments – tous, capitaine – affrétés par le cartel Tagge. Est-ce clair ?
— C'est clair, commandant, répondit-elle avec regret. Je voulais seulement...
— Je vous remercie de votre souci, la coupa-t-il sèchement, mais le Brunhilde remplira ses obligations. Toutes ses obligations.
— Oui, commandant.
— Merci. Rompez, capitaine. »
Elle se leva et quitta la cabine, inquiète, les pensées embrouillées, en emportant avec elle le fardeau d'une étrange et profonde honte.
*
Jagged Fel se tenait près d’une étagère remplie de livres, dont il examinait les titres avec intérêt. Il ne se retourna même pas lorsque Meinhard arriva, ce dernier l’observa un moment avant de prendre place derrière son bureau. Fel était petit de taille et semblait très athlétique. Il portait une combinaison de vol et Meinhard remarqua aussitôt un brassard rouge sur son bras, signe qu’il appartenait à un escadron de pilote de chasse.
— J’aime bien votre bibliothèque, dit-il d’un ton très naturel. Vous savez, on peut se faire une très bonne opinion des gens, d’après les livres qu’ils lisent. Moi, j’aime beaucoup vos livres, Capitaine.
— J’en suis enchanté, répondit Meinhard. Vous connaissez les titres ?
— Je remarque que vous possédez l’Arturum Galactinum dans son édition originale. Dit Jag en le regardant avec un visage de marbre.
— Un cadeau d’un ami ! Répondit Meinhard imperturbable.
— Histoire, géographie, politique, économie politique, botanique, géologie, droit ; et tous concernent l’ancienne République, la vie et les coutumes Corelliennes.
— Ils m’aident à comprendre comment réfléchissent les anciens ennemis de l’Empire, et puis ! ajouta-t-il sans quitter son sourire énigmatique. J’adore tout savoir des autres, cela me donne un certain avantage.
Jag hocha la tête et fit quelques pas dans les quartiers de Meinhard, l’homme était ordonné et ne semblait s’encombrer de biens matériels, tout était à sa place rongé soigneusement, cela démontrait un esprit ordonné et d’après ses livres, le commandant Musel s’intéressait surtout aux différentes constitutions des espèces galactiques.
— Vous savez commandant, déclare Jag froidement. Les FSI n’ont jamais reçu d’aide de la flotte, nous nous sommes débrouillé tout seul jusqu’à maintenant.
— Et j’en suis navré, dit Meinhard avec gravité. Mais sachez que je ferai tout mon possible pour que cela change.
— La cargaison en question appartient au cartel Tagge, dit Jag d’une voix sombre. Ils ne me font pas peur, mais vous… risquez de prendre cher.
— Vous êtes la deuxième personne qui me dit cela, mais sachez aussi que rien ne m’empêchera de faire mon devoir d’officier de l’Empire Galactique.
— Il n’y a plus d’Empire depuis Endor, commandant. Excusez-moi de vous dire cela, mais l’époque impériale est révolue depuis le traité de Caamas. Dit Jag en haussant les épaules.
— Vous n’êtes vous-même plus un membre de l’ascendance Chiss, répliqua Meinhard avec froideur. Pourquoi portez-vous encore ce brassard ?
Jagged Fel demeura silencieux un moment, se contenant de fixer le commandant Musel, ce dernier soutenait son regard sans sourciller.
— J’ai côtoyé beaucoup d’officiers impériaux, et vous n’êtes pas du tout le genre, fit Jag en penchant la tête de côté sans le quitter du regard.
— J’ai côtoyé beaucoup de pilotes, et vous avez exactement le genre, dit Meinhard avec un léger sourire.
— Plus sérieusement monsieur, dit Jag en s’asseyant en face de lui. Qu’est-ce qu’un gars comme vous fait ici dans ce trou perdu ?
Meinhard sans l’expliquer, sentit le besoin de parler à cet homme taciturne, de partager avec lui ses pensées et ses sentiments.
— Il y a quelques jours, j’ai participé à un exercice réel à quelque parsec de Yaga Minor contre un haut gradé de la flotte. Bien sûr c’était perdu d’avance, j’avais un nouvel équipage, un vaisseau diminué, et je n’avais aucune chance contre lui, et comme j’ai horreur de perdre, j’ai mis le paquet et j’ai réussi à l’avoir.
— Et pour vous remercier ils vous ont exilé ici, c’est cela ? fit Jag gravement.
— Oui, et devinez qui j’ai trouvé en arrivant, l’honorable amiral Cyrus Greejatus, dit Meinhard avec un sourire ironique. Là je dois dire que c’était le coup de grâce.
— Il vous a… fait quelque chose ? Sans être indiscret bien sûr ! Ajouta doucement Jag.
— Il a… fait du mal à une amie à moi, et ce salaud s’en est tiré juste parce que c’est un noble, et que sa victime est une Twi’lek sans relations haut placées.
— Je vois le genre, dit Jag en inspirant un grand coup. A votre place je l’aurai buté.
— Oh mais j’ai failli le faire, et j’aurais dû le faire, mais j’ai promis à Leedi d’oublier cette histoire, et de passer à autre chose, mais je me suis fait la promesse de tout faire pour réduire ce fils de chienne à néant, je ferai donc mon devoir quoi qu’il m’en coûte.
Jagged Fel ne pouvait s’empêcher d’admirer cet homme, il lui rappelait beaucoup les amis d’un passé qu’il avait cru oublier, il se leva et se sentit groggy, la tête lui tournait. Mais en même temps, il avait l’impression de revivre.
— Cramponnez-vous à la barre encore un temps, commandant. Le cartel Tagge va agir plutôt que prévu, et à mon avis, Greejatus va vite revenir pour essayer de reprendre les choses en main.
— Pas si j’interviens pour que son radoub dure un peu plus longtemps, dit Musel.
— Dans ce cas, autant vous mettre dans le bain tout de suite, fit Jag en lui tendant une datapuce. Voici mes rapports détaillés à la lettre. Il faut dire que depuis que vous avez envoyé le lieutenant Venizélos et ses hommes pour s'occuper du centre de contrôle spatial, mon personnel s'est retrouvé libre de se consacrer aux questions plus locales. Il a bouché beaucoup de trous dans notre couverture aérienne de l'intérieur grâce au personnel supplémentaire et à vos satellites d'observation – pas tous; il en reste quelques-uns – et il a relevé un petit nombre de vols non identifiés dans des zones d'accès restreint.
— Quel genre de vols ?
— Impossible à dire. Le ton du lieutenant était dégoûté. « Leurs transpondeurs ne réagissent pas quand nous les interrogeons, ce qui, ajouté au fait que ces appareils n'ont pas déposé de plan de vol, semble indiquer clairement qu'ils mijotent quelque chose qui ne nous plairait pas. Nous avons tenté de les intercepter, mais l'antigrav du FSI est davantage conçu pour l'endurance et la fiabilité que pour la vitesse, et ils nous échappent sans difficulté. Si vous n'aviez pas tant réduit notre trafic espace-surface, je croirais à des rendez-vous de contrebandiers.
— Ce n'est pas impossible, fit Meinhard d'un ton pensif. Nous ne travaillons sur eux que depuis un mois ; peut-être distribuent-ils encore de la marchandise qu'ils avaient déjà déposée à la surface.
— J'y ai songé, mais, même dans ce cas, il leur faudrait encore la remonter sous votre nez pour qu'elle leur soit utile. De plus, ça se passe beaucoup trop loin dans la brousse pour que ce soit vraisemblable.
Meinhard consulta les données de Jag, puis le regarda étonné.
— De l’épice de Kassel ? demanda-t-il surpris.
— Oui, j’en suis venu à soupçonner que quelqu'un hors planète fournit l’épice aux Praxiliens. Nous savons que son usage augmente même dans les régions où nous assurons la police régulièrement. Depuis que vous avez libéré les gens que j'avais assignés à l'inspection du trafic orbital et orbite-surface, j'ai pu envoyer nos patrouilles de routine plus loin dans l'intérieur et, apparemment, là-bas, les niveaux de consommation sont encore plus élevés. Plus encore, nous avons obtenu des échantillons d’épice de la région des Dos-Moussus, et ce n'est pas la même que celle qu'on produit sur Nal Hutta ou Nar Shadaa; les proportions sont légèrement différentes et le taux d'impureté inférieur, ce qui signifie, d'après mes agents, que cette nouvelle version est sans doute plus puissante.
— Et vous pensez qu'elle est fabriquée hors planète, conclut Meinhard sans ambages.
— C'est ce que je crains. Nous ne pouvons pas le prouver, mais, comme je vous l'ai dit, cette substance coûte très cher selon les critères praxiliens. Et, si difficile soit-elle à produire pour les locaux, n'importe quel labo sans grande compétence pourrait en fournir en grosses quantités s'il avait accès à la pâte dont elle est tirée.
— Combien faut-il de cette... pâte pour produire, disons, un gramme de drogue raffinée ? demanda Meinhard vivement.
— Beaucoup. Une seconde... Le lieutenant enfonça des touches sur sa console de données, puis hocha la tête. « II faut environ quarante kilos d’épice pour produire un kilo de pâte brute, et à peu près dix kilos de pâte pour obtenir un kilo du produit final. Soit un rapport de quatre cents pour un.
— Par conséquent, pour chaque dose vendue, ils doivent transporter... quoi ? Meinhard calcula de tête, puis regarda le lieutenant en fronçant les sourcils. Plus de treize kilos de d’épice ou un kilo trois cents de pâte hors de la planète ? Ça me paraît une masse trop volumineuse pour que ce soit pratique, Jag. D'ailleurs, s'il existait un trafic de quelque importance, nos premières inspections douanières auraient dû en apercevoir les derniers signes, même si votre équipe était passée à côté, ce qui m'étonnerait. Sans parler de la drogue proprement dite, l’épice ou la pâte ne doivent pas être faciles à dissimuler, et le lieutenant Venizélos surveille de près les navettes entrantes et sortantes, je puis vous l'assurer.
— Vous ne pensez donc pas qu'il y ait d'implication extra-planétaire ?
Meinhard tourna la tête et observa depuis son hublot la Corvette Corellienne attachée à l’ambassade de l’Alliance, qui survolait l’orbite de Praxlis.
— Oui je le pense ! répondit le commandant Musel d’une voix sombre. Et je commence à comprendre le plan dans son ensemble.
— Le plan de qui ? demanda Fel surpris.
— Du gars qui a imaginé tout cela. Dit Meinhard en regardant Jag dans les yeux. Il est temps de faire connaissance avec nos amis de l’Alliance Glacatique.