Amiral. M
« Commandant Musel ? »
Meinhard leva les yeux du data-bloc posé sur ses genoux. L'enseigne de vaisseau (de première classe) Raf Cardones, assistant de Venizelos et faisant à présent fonction d'officier tactique à bord du Brunhilde, se tenait près de lui, l'angoisse douloureusement peinte sur ses traits juvéniles.
« Oui, enseigne ?
— Euh... je crois que nous avons un problème, commandant », dit Cardones, l'air mal à l'aise. Meinhard haussa les sourcils et il se crispa. « C'est... euh... à propos des droïdes sondes, commandant.
— Que se passe-t-il, enseigne ?
— Je... enfin, vous voyez... Eh bien... » Le jeune officier s'interrompit et se ressaisit. « J'ai mal programmé les paramètres de détection, commandant, fit-il d'une traite. Je les ai réglés sur directionnel au lieu d'omnidirectionnel, et je... euh... je crois que j'ai commis aussi une petite erreur dans leurs programmes de télémétrie. Je... n'arrive pas à leur faire accepter la reprogrammation à distance, commandant.
— Je vois. » Meinhard se laissa aller en arrière dans son fauteuil, posa les coudes sur les bras et joignit le bout des doigts sous son menton. L'enseigne de vaisseau avait l'air d'un chiot qui s'attend à recevoir une punition; pire, il avait l'air d'un chiot qui pense mériter une punition. Son humiliation était évidente et Meinhard avait envie de lui tapoter la tête en lui assurant que ce n'était pas grave, mais refoula cette bouffée de compassion.
« Eh bien, enseigne, fit-il au bout d'un moment, que proposez-vous ?
— Moi, commandant? s'exclama-t-il d'une voix presque couinante. Je ne... » Il se tut et prit une inspiration. « Je pense qu'il va falloir récupérer les droïdes et les reprogrammer, commandant, dit-il enfin.
— Inacceptable », répondit Meinhard sèchement. Il le regarda d'un œil atterré et le commandant dut se mordre fermement la langue pour rester impassible. Un officier tactique plus aguerri aurait déjà entrevu la solution : les têtes détectrices des sondes de reconnaissance étaient conçues pour se connecter directement au réseau de données tactiques de leur bâtiment mère et le canal tactique était dédié. Les éventuelles erreurs de l'enseigne n'avaient pas pu l'affecter, parce qu'il était câblé pour empêcher précisément ce genre d'accident. Passer par le canal tactique ne serait pas une mince affaire – à cause du temps que cela prendrait davantage que de la complexité de la tâche –, mais cela permettrait d'accéder à la télémétrie standard et même de la reprogrammer de fond en comble depuis la console de Cardones, via les connections de mise à jour.
Tout cela, Meinhard le savait, mais n'avait nulle intention de lui en faire part. Cardones aurait dû parler à Zorn avant de s'exposer au mécontentement de son commandant – et Zorn aurait dû commencer par mieux encadrer un officier aussi inexpérimenté. Musel allait leur faire apprendre la leçon – à tous les deux – d'une façon qu'il espérait inoubliable.
« Eh bien, enseigne ? » fit-il enfin. Il battit des paupières. « Comment comptez-vous résoudre le problème ?
— Je ne... » Il s'interrompit à nouveau et détourna un instant le regard avant de le ramener sur elle. « Auriez... Le commandant aurait-il une suggestion à faire ?
— Non. » Son timbre glacé de ténor acheva de lui faire perdre contenance et Meinhard se gendarma pour effacer toute trace de compassion de son regard. « Vous êtes l'officier tactique du bord, monsieur Cardones, poursuivit-il d'un ton où ne perçait ni condamnation ni sympathie. La programmation des droïdes était de votre responsabilité, de même donc la correction de votre erreur. Réglez le problème, enseigne. »
Il lui adressa un dernier coup d'œil suppliant, puis il renonça et hocha la tête.
« Bien, commandant », fit-il d'une toute petite voix.
Le Brunhilde effectua son dernier changement de cap et prit une trajectoire de routine, décélérant pour s'insérer doucement en orbite. Meinhard, sur la passerelle, l'œil fixé sur Praxlis qui grossissait à l'affichage visuel, savourait l'atmosphère qui régnait autour de lui. À l'apathie de leur arrivée n'avait pas succédé l'esprit de corps qu'il aurait souhaité, mais au moins l'attitude actuelle de l'équipage représentait-elle un vaste progrès.
Les six derniers jours avaient été rudes pour tout le monde... et infernaux pour certains. Le capitaine de corvette Xantos avait de bonnes raisons d'être épuisée; elle avait pratiquement mené son monde au fouet lorsqu'elle avait compris que le commandant Musel n'avait nulle intention de ralentir le largage des droïdes, mais elle s'était menée encore plus durement et, à sa propre surprise, elle avait réussi à tenir les échéances. Le bricolage qu'elle avait improvisé à la dernière minute était quasiment génial et les droïdes étaient désormais en place; il subsistait certes des manques inquiétants, mais au moins Meinhard disposait d'un réseau d'alerte qui couvrait soixante-dix degrés de part et d'autre de l'écliptique, et Xantos avait peine à savoir si elle était davantage fière des réalisations de sa section ou furieuse des exigences de son commandant.
Elle n'était d'ailleurs pas la seule à balancer entre ces deux sentiments. Le lieutenant Cardones, à sa grande stupéfaction, plus sans doute qu'à celle de quiconque, était parvenu à corriger ses erreurs de programmation des droïdes; il avait dû demander à Zorn de l'aider pour la reprogrammation à distance, comme l'espérait Meinhard, et il avait passé d'interminables heures sur le projet, mais au moins il s'en était occupé. Et, à vrai dire, Meinhard se réjouissait de la réaction positive de Zorn ; autant qu'il le sût, elle n'avait pas réprimandé Cardones, alors qu'elle avait dû se rendre compte sans plaisir de sa négligence envers le jeune officier, et, d'après les conversations qu'il avait surprises, elle l'avait subtilement amené à trouver tout seul la solution des connexions.
Tous les officiers de Meinhard étaient tous épuisés, sur les dents, mais et ils fonctionnaient enfin comme un seul homme. Le commandant aurait préféré aboutir à ce résultat par un autre moyen, mais si déclencher un réflexe d'autodéfense était la seule façon de leur faire se bouger le train, il était prêt à supporter la mauvaise humeur qui en résultait.
Le commandant porta son attention sur son affichage tactique les sourcilles froncés. Le Brunhilde traversait lentement les orbites de garage externes et le point holo d'un petit bâtiment isolé brillait d'un éclat rouge.
C’était une corvette Corellienne CR90, un vaisseau diplomatique rapide, bien armée, de conception robuste, et totalement modulaire.
De par ses caractéristiques, la Corvette pouvait être adaptée pour remplir de nombreuses missions. Très appréciée de l'Alliance Rebelle, elle prendra le surnom de "Forceur de blocus", en raison notamment de sa rapidité, qui a plus d'une fois contribué au succès des Rebelles. Sa présence inquiéta aussitôt Meinhard, car il jouissait de l'immunité diplomatique et il était enregistré sous le pavillon de l’Alliance Galactique.
La présence de ce bâtiment l’inquiéta, il savait que l’Alliance disposait d'un consulat et d'une légation commerciale sur Praxlis, mais c'est seulement en lisant les données officielles fournies par Greejatus qu'il avait appris que la République maintenait en poste permanent un bâtiment de courrier diplomatique.
Légalement, rien ne s'y opposait, mais, logiquement, la seule raison possible de l'existence d'une mission consulaire plénière sur Praxlis était la couverture d'opérations secrètes. Une simple mission aurait pu gérer les intérêts de l’Alliance pour tout son trafic concernant le terminus de Praxlis, et les locaux n'avaient rien d'intéressant à exporter, malgré les rapports des «navires marchands légitimes » de la nouvelle république galactique qui portait désormais le nom d’Alliance Galactique commerçaient avec eux.
Ces rapports tarabustaient Meinhard. L’Alliance, tout entière à avait du mal à garder les systèmes sous sa coupe après la guerre des Vong. Corellia était en tête, et d’après les infos, les Bothan et la ligue de Commenor allaient bientôt rejoindre la confédération Corellienne. Une nouvelle guerre civile plus meurtrière allait avoir lieu, et la présence de l’Alliance sur un territoire de la Bordure Extérieure signifiait évidemment qu’ils mijotaient quelque chose.
Mais quoi ?
Quoi qu'il en soit, leur présence ne lui plaisait pas et celle de cette corvette encore moins. Les valises diplomatiques jouissaient de l'immunité, quelle que soit l'identité de leur porteur, et il y avait suffisamment de navires marchands en vue pour transporter les messages que le consul voulait envoyer; le seul avantage à garder un courrier en station permanente était sa vitesse supérieure – et le fait que le bâtiment tout entier était couvert par l'immunité et par conséquent à l'abri de toute inspection ou fouille, sans égard pour ses autres activités.
Pour Meinhard, cela sous-entendait un motif caché, sans hésiter il se tourna vers le lieutenant Jaggers.
« Com, veuillez appeler le bureau du gouverneur résident; informez dame Shwankir que je lui serais reconnaissant de m'accorder un entretien le plus tôt possible.
— Bien, commandant.
— Merci. »
*
Très droit, son bloc mémo sous le bras, le lieutenant regardait avec un sourire poli le capitaine du cargo marchand Corellien au bord de l'apoplexie.
« ... alors, vous et votre "équipe douanière" de pouilleux, vous pouvez aller vous faire voir ! » Sa diatribe terminée, le Corellien braqua un regard furibond sur le mince officier.
« Ce n'est malheureusement pas possible, capitaine Ozik, répondit le lieutenant avec une courtoisie pointilleuse. D'après le Centre de contrôle de Praxlis, vous avez débarqué du fret à... (il consulta son bloc mémo) la plateforme orbital Baker-Tango quatorze. Comme vous le savez sans doute, capitaine, cela constitue un transfert de matériel en espace impérial; par conséquent, en application du paragraphe dix, alinéa trois, des règlements commerciaux tels qu'amendés par le sénat galactique, l'officier des douanes le plus haut gradé a pour obligation d'inspecter votre cargaison avant de vous autoriser à poursuivre vers le bars de Tingel. Par suite, je dois hélas insister pour effectuer mon devoir avant de vous laisser continuer. Je regrette naturellement tout dérangement que cela pourrait causer. »
Le capitaine Ozik avait pris une teinte alarmante brun-rouge foncé et bredouillait des paroles incohérentes. Venizelos se contenta d'incliner la tête de côté et d'attendre avec une civilité inébranlable la réaction de ce Corellien qui se prenait pour Han Solo.
« Nom d’une bouffée carbonique ! Ça fait cinq années que je fais ce circuit, rugit enfin le capitaine, et c'est bien la première fois qu'un cul-pincé de bleusaille en uniforme de parade m'arraisonne, moi, pour inspecter ma cargaison ! Vous ouvez toujours courir, mon petit bonhomme !
— Peut-être, capitaine, dit Venizelos en effaçant son sourire, mais si vous décidez de refuser l'inspection, vous n'aurez pas l'autorisation de passer.
— Ah ouais ? Et comment vous comptez m'en empêcher, petit morveux ? ricana Ozik.
— En faisant tirer sur votre navire si vous tentez de forcer le passage », répondit Venizelos d'une voix glaciale et qui ne tremblait pas.
L'homme cessa brusquement de ricaner et regarda le frêle lieutenant d'un air incrédule.
« Mais ce serait un acte de guerre !
— Au contraire, capitaine, ce serait le simple exercice de l'autorité policière dans l'espace impérial, en stricte observation de la loi galactique communément acceptée.
— Vous n'oseriez pas, fit Ozik un ton plus, bas. Vous bluffez.
— Je suis officier de la Flotte Impériale, capitaine (Venizelos sentit une indéniable poussée d'adrénaline et de plaisir à affronter le grossier Corellien), et la Flotte Impériale ne "bluffe" pas. »
Il soutint sans ciller le regard de l'officier, dont la colère s'effrita visiblement. Il baissa les yeux sur le pont, puis haussa les épaules d'un mouvement irrité. « Bon, comme vous voudrez ! S'il n'y pas moyen de faire autrement, d'accord ! Mais mon ambassade sur Bastion en entendra parler, lieutenant !
Après le départ d’Ozik, l’officier de liaison se tourna vers Venizelos.
— Naturellement, capitaine. » Venizelos se mit au garde-à-vous, salua aimablement de la tête et s'engagea d'une démarche alerte dans le boyau qui le ramenait à sa navette. Le panneau se referma, le tube se décrocha et le pilote enclencha les réacteurs pour dégager l'appareil du périmètre de sécurité avant de brancher la propulsion principale.
Venizelos posa son bloc mémo sur son bureau rétractable, s'adossa dans son fauteuil et se mit à siffloter une rengaine populaire tandis que la navette prenait la direction du navire suivant de la liste, un grand cargo balafré de Bonadan. La seconde navette demeura le long du bâtiment Corellien, tel un symbole d'avertissement, jusqu'à ce qu’Ozik coupe sa propulsion et repasse le seuil de départ en sens inverse.
Grands dieux, Andreas ! » Hayna Delpin, l'officier de liaison du capitaine Dreylen auprès de l'équipe de Venizelos, dévisageait le lieutenant avec une expression incrédule. » Vous n'auriez tout de même pas fait tirer sur lui... Si ?
— Si, répondit Venizelos.
— Mais...
— Je fais mon boulot, c'est tout, Hayna.
— Je sais, mais, nom d'une nova, Andreas, on n'applique plus les réglementations dans le coin depuis... Merde, je crois bien qu'on ne les a jamais appliquées ! Le SAI n'a jamais eu le personnel nécessaire !
— Je sais. » Venizelos fit pivoter son siège pour lui faire face. Depuis mon arrivée, je me rends compte qu'un tas de trucs réglementaires n'ont jamais été faits. Je n'accuse d'ailleurs pas le capitaine Dreylen ni vos hommes; ce n'est pas votre rôle, c'est le nôtre, et nous ne l'avons pas rempli. Eh bien, maintenant, nous le remplissons.
— J'ai comme l'impression que votre capitaine ne va pas vous remercier du boucan que ça va faire, fit Delpin d'un air dubitatif.
— Peut-être, mais j'obéis à ses ordres, et je peux vous dire un truc sur le commandant Musel, Hayna : quand il donne un ordre, on l'exécute, point final.
Elle regarda le ciel puis sourit mielleusement :
— Votre commandant n’est pas quelqu’un de commode, dit-elle amusée.
— C’est vrai, il n’est pas commode du tout, affirma Venizelos qui regardait le lieutenant un peu étonné par le ton qu’elle prenait.
— Ouais ! ronronna-t-elle. Je commence tout juste à me rendre compte à quel point votre commandant n'est pas commode. Et vous voulez que je vous dise, Andreas ? Ça me plaît. »