Amiral. M
La réaction du haut commandement ne se fit pas attendre, et Meinhard réalisa que son succès n’avait pas eu les effets désirés. Le Moff Quille n’avait pas perdu de temps, puisque son cousin le Moff Kaine qui commandait l’armée de secteur la plus puissante des vestiges envoya un message personnel au commandant Musel. D’abord élogieux, le texte avait viré à la récrimination, puis au cinglant... sans s'arrêter là. Il reprochait à Meinhard d’avoir adopté une stratégie contraire à l’esprit militaire, et qu’un officier de l’empire n’avait pas à frapper un adversaire dans le dos comme un voyou de Nar Shadaa.
Quel imbécile ! Faire face contre un Star Destroyer Imperial II c’est condamner l’équipage et son propre navire a une mort certaine. L’agressivité est belle et bonne quand elle est nécessaire, mais elle n’a pas sa place dans les tactiques réfléchies et coordonnées, ni dans les manœuvres disciplinées. C’est même le meilleur moyen de courir à la catastrophe. Avec des abrutis pareils aux commandes, pourquoi s’étonner qu’il ait suffit d’un fermier et d’une princesse égocentrique pour faire chuter l’Empire à Endor.
De même que cela n'avait pas apaisé le mécontentement de l'équipage du Brunhilde envers son nouveau capitaine. Le respect de ses membres pour son succès initial s'était mué en un sentiment beaucoup moins admiratif et leur fierté pour leur bâtiment (et pour eux-mêmes) en avait pris un sérieux coup. Le commandant aurait dû faire face aux Agresseurs, c’était même la première règle qu’on leur enseignait à l’académie ; « Soyez agressifs. N’hésitez jamais, ne tergiversez pas. Toujours plus près de l’ennemi ». Pour Meinhard qui avait étudié l’histoire depuis la chute de la République jusqu’à l’avènement de l’Empire, il avait constaté que cette règle était devenue obsolète. Thrawn l’avait comprise et avait même remporté plusieurs batailles décisives contre la Nouvelle République émergente, mais au lieu d’apprendre de son succès les officiers comme Quille ou Lecersen continuaient d’être obtus et refusaient de reconnaître la réalité. Si l’Empire voulait revenir en force, il devrait adopter une nouvelle approche. Et Meinhard Musel comptait bien changer tout cela.
Aujourd’hui, il rassembla tous ses officiers pour une réunion. Ce n'était pas obligatoire et de nombreux capitaines laissaient volontiers ce genre d'activité à leur second, puisque c'était son rôle de veiller à la bonne marche du bâtiment. Meinhard, lui, préférait recevoir les rapports directement; certes, cela exigeait de petits efforts pour éviter d'avoir l'air de saper l'autorité traditionnelle du second, mais il lui semblait que, d'une manière générale, les officiers d'un navire travaillaient plus efficacement entre eux (et avec leur commandant) quand ils avaient la possibilité de parler ouvertement de leurs problèmes ou, au contraire, de ce qui se passait bien et de discuter des besoins de leur service avec leur capitaine. Cette méthode lui avait bien servi à bord du Faucon-Tueur, où la collaboration enthousiaste de ses officiers avait considérablement contribué aux réussites du vaisseau.
Pourtant, dans le cas du Brunhilde, cela ne marchait pas. Les nouveaux subordonnés de Meinhard craignaient davantage son mécontentement qu'ils ne cherchaient à mettre leurs idées en commun avec lui.
Il les dévisagea et lut son propre échec dans leur posture rigide et leur expression fermée. Le lieutenant Jaggers, son officier des communications, était de quart, mais tous les autres étaient présents à la réunion... dont rien ne semblait devoir sortir.
Pour Meinhard les lois de l’univers avaient changé, il avait gagné la simulation, mais à leur tête il comprenait qu’il aurait dû perdre pour ne pas s’attirer les foudres des huiles, après tout ce n’était qu’une simulation, pas une vraie bataille. Mais pour le commandant Musel la victoire était tout. Ces hommes et femmes pouvaient-ils penser autrement ?
Que pouvait-il y avoir d’autre que la victoire ? La seule autre option était la défaite… et il savait depuis longtemps que c’était une alternative inacceptable. Ils ne voulaient certainement pas dire qu’il lui aurait été préférable de perdre contre Flennic ?
C’était impensable.
« Où en est notre demande de réapprovisionnement, mademoiselle Zorn ? » demanda-t-il. La second jeta un coup d'œil à un sous offcier, puis se raidit sur son siège.
« Nous avons l'autorisation d'embarquer du ravitaillement à partir de douze heures trente, commandant », dit-elle d'un ton formaliste. Trop formaliste : Zorn maintenait ses contacts personnels avec Meinhard au strict minimum en dressant entre eux une barrière qu'il n'arrivait pas à franchir. Elle était vif, efficace et manifestement compétente — et il n'y avait pas la moindre trace de sympathie entre eux.
— Du nouveau sur les palettes supplémentaires de missiles que nous avons demandées ? fit-il dans l'espoir, encore une fois, de percer cette retenue glacée.
— Non, commandant. » Zorn tapa une courte note sur son bloc mémo. Je relancerai la logistique de la Flotte à ce propos.
— Merci. » Meinhard parvint à retenir un soupir et renonça. Il s'adressa ensuite à Doma Xantos chef mécanicien et la plus haut gradée après Zorn. « Comment progresse l'installation des nouveaux composants du PLOUC, mademoiselle Xantos ? S’enquit-il d'une voix égale et calme qui dissimulait son quasi-désespoir.
— Je pense que les circuits de convergence de remplacement seront intégrés pour un test en ligne à la fin du quart, commandant », répondit Xantos en allumant son propre bloc mémo. Elle étudia l'écran en évitant de croiser le regard de Meinhard. « Ensuite, il faudra...
Sheva Zorn se rassit pour écouter le rapport de Xantos, mais son attention n'y était pas.
Elle contemplait le profil de Musel avec une rancœur sourde qui lui serrait la gorge et la brûlait comme un acide. Le capitaine paraissait aussi équilibré et assuré que toujours, il s'exprimait et prêtait l'oreille aux propos de chacun avec une courtoisie inébranlable, et Zorn n'en concevait que davantage de ressentiment. De formation, elle était officier tactique et elle se rendait donc parfaitement compte à quel point la mission de Musel avait été irréalisable, et pourtant contre tout attente il avait battu un gradé plus expérimenté, et les huiles au lieu de le féliciter l’avaient rabroué pour avoir OSÉ gagner contre un officier supérieur. Si bien qu’il gagna le surnom de Commandant Fantôme. Mais Zorn ne pouvait penser qu’elle s’en serait mieux tirée que lui, avant de se sentir rougir de confusion.
Mais, bon sang, qu'avait-elle donc ? C'était un officier impérial professionnel, pas une adolescente rongée de jalousie ! Son boulot, c'était de soutenir le capitaine, de faire en sorte que ses idées se réalisent, pas de se complaire dans une satisfaction amère lorsqu'elles étaient rejetées par les hauts gradés; son incapacité à passer outre ses réactions personnelles l'humiliait. Ce qui, naturellement, ne faisait qu'aggraver la situation.
Xantos acheva son rapport et Musel, sans se départir de sa courtoisie, se tourna vers le lieutenant Venizelos. Encore une tâche que Zorn aurait dû endosser : c'était à elle d'animer la réunion, d'évoquer les points à porter à la connaissance du capitaine et de subtilement étayer son autorité. Mais non : c'était une autre fonction de sa position qu'elle fuyait, et elle savait, tout au fond d’elle, qu'elle s'enfermait ainsi dans un piège : le temps passant, des habitudes se prendraient et elle finirait par lui être impossible de rentrer dans les responsabilités qu'elle négligeait; quant à Musel, il en viendrait à croire, à juste titre, qu'il ne pouvait pas compter sur elle et elle ne lui offrirait jamais l'occasion de démontrer qu'il se trompait. Sheva Zorn savait comment cela se terminerait : l'un des deux devrait s'en aller et ce ne serait pas le capitaine. Et ce serait normal, se dit-elle avec une honnêteté acerbe.
Elle parcourut à nouveau la salle de briefing du regard et sentit une émotion proche de la panique l'envahir. Elle risquait de tout perdre ! Il savait depuis longtemps qu'elle n'aurait jamais le commandant du Brunhilde, mais par ses actions – et son inaction – elle pouvait se dépouiller de ce qu'elle avait. Elle le savait, et pourtant ce n'était pas assez pour réagir.
Pour la première fois de sa carrière, connaître son devoir ne lui suffisait plus pour l'accomplir. Elle avait beau faire, elle était incapable de s'affranchir de la rancœur et de l'aversion qui sourdaient en elle.
Elle éprouva soudain la terrible tentation de confesser ses sentiments et ses fautes au capitaine, de le supplier de l'aider à s'en dépêtrer. Elle avait la certitude que ces yeux vairons le regarderaient sans condamnation, que sa voix de ténor lui répondrait sans mépris. Et cela rendait naturellement sa démarche impossible. Ce serait l'ultime capitulation, l'aveu que Musel méritait bel et bien ce commandement auquel elle savait depuis le début ne pas pouvoir aspirer.
Elle serra les dents et caressa en silence le couvercle de son bloc mémo.
*
Le carillon d'entrée retentit et Meinhard enfonça le bouton de l'intercom. « L'officier des communications, commandant », annonça d'une voix nette le traditionnel Stormtrooper en faction devant sa porte, et il haussa les sourcils.
« Qu'il entre », répondit-il, et la porte s'écarta en sifflant devant le lieutenant de vaisseau Houston Jaggers. Ce dernier avait une expression singulièrement lugubre lorsqu'il déposa un bloc à messages sur la main courante.
« Nous venons de recevoir une dépêche de l'Amirauté, commandant, dit-il. Des ordres d'affectation à un nouveau poste. »
Sa façon d'annoncer la nouvelle — et le fait qu'il l'apportait en personne plutôt que de l'envoyer par coursier ou par l'intercom — plongea Meinhard dans l'inquiétude. Il se composa un air de paisible intérêt et prit le bloc, puis se mordit la lèvre, atterrée, en prenant connaissance des instructions brèves et sans fioritures qu'affichait l'écran.
Poste de Praxlis. Sacré nom de Dieu, il savait qu'il avait mécontenté Quille, mais le Moff devait être dans une colère encore plus noire qu'il ne l'avait cru !
« Je vois », dit-il calmement.
Jaggers ne disait rien. Il n'y avait d'ailleurs pas grand-chose à dire.
« Eh bien, fit Meinhard en prenant une grande inspiration, au moins, nous voici au courant. » Il appliqua son pouce sur le scanner du bloc pour accuser officiellement réception du message, puis rendit l'appareil à Jaggers. « Transmettez au capitaine Zorn, je vous prie, et informez-la, avec mes compliments, que j'aimerais qu'elle se réunisse avec les lieutenants Andrassy et Brigham afin de vérifier et de mettre à jour nos cartes de Praxlis.
— Bien, commandant », répondit à mi-voix l'officier des communications. Il se leva, salua puis sortit. La porte coulissante se referma derrière lui et Meinhard ferma les yeux, désespéré.
Le poste du système de Praxlis n'était pas un poste de service — c'était l'exil. Les limbes.