Amiral. M

Chapitre 3 : Le défi

2004 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 5 ans

Meinhard prit enfin place dans le siège de commandement le maître de timonerie de service, à l'autre bout de la passerelle, et déchiffra son nom sur sa plaque de poitrine. « Veuillez l'indiquer dans le journal de bord, monsieur Brain, dit-il, puis il revint à l'écran de l'intercom. Je ne vais pas abuser de votre temps à faire des discours solennels, mesdames et messieurs. Nous avons trop à faire et trop peu de temps devant nous. Continuez. »

Il enfonça le bouton. L'écran s'éteignit puis fit signe a Zorn d’approcher. La grande seconde à la forte charpente traversa la passerelle tandis que le travail reprenait autour d'eux. Son regard croisa celui de Meinhard et il crut y lire comme une expression de malaise... ou de défi. Cette idée l'étonna, mais elle tendit la main dans le geste traditionnel d'accueil du nouveau capitaine et sa voix grave avait un ton égal quand il dit :

— Bienvenue à bord, commandant. Je regrette le désordre qui règne, mais nous sommes presque dans les temps et l'officier de port m'a promis deux nouvelles équipes de techniciens à partir du prochain quart.

— Très bien. Meinhard lui rendit sa poignée de main, puis se leva et se dirigea en sa compagnie vers la section éviscérée du contrôle de tir béante. « Je dois néanmoins avouer une certaine perplexité, capitaine Zorn. L'amiral Zevulon m'avait prévenu que nous devions subir un réarmement majeur, mais il ne m'avait rien dit de tout cela. » De la tête, il indiqua les panneaux ouverts et les écheveaux de câbles défaits.

— Nous n'avons guère eu le choix, commandant. Nous aurions pu nous accommoder des torpilles à proton au prix de modifications logicielles, mais le Plouc est essentiellement un système mécanique; pour le raccorder au contrôle de tir, il faut établir des connexions matérielles directes avec le système tactique principal.

— Le Plouc ? Meinhard n'avait pas changé de ton, mais Zorn sentit la surprise qui perçait sous son flegme et elle haussa les sourcils.

— Oui, commandant. » Elle s'interrompit. « Personne ne vous en a parlé ?

— Non, personne ». Qu’est-ce que c’est ?

— C’est une abréviation de Polarisateur Luminique Optimalement Usant à Condensation, expliqua-t-elle. Le PLOUC, en abrégé.

— Une nouvelle arme ?

— Oui commandant. Le champ de force du PLOUC s’attaque à la structure même des métaux – en particulier ceux qui composent les coques des navires. Le PLOUC est capable de traverser les boucliers et de réduire en poussière les blindages les plus épais. Le principe physique est très compliqué, bien sûr, mais je vous épargne les détails…

— Quelle quantité d'armement latéral cela nous a-t-il coûté ? demanda Meinhard au bout d'un moment.

— Nos quatre Turbolasers, répondit Zorn, et il vit ses épaules se contracter légèrement.

— Je vois. Vous avez également mentionné des torpilles à proton, je crois ?

— Oui, commandant. L'arsenal a remplacé – ou plutôt, il est en train de remplacer – tous nos lance-missiles latéraux sauf deux par ces armes.

— Tous sauf deux ? Le ton s'était fait plus sec cette fois, et Zorn réprima une bouffée d'amusement cruel. Pas étonnant qu'il soit dans tous ses états si personne ne l'avait averti ! Elle-même avait été aux quatre cents coups en découvrant ce qui se mijotait.

— Oui, commandant.

— Je vois, répéta-t-il, et il prit une profonde inspiration. Très bien, capitaine Zorn, que nous reste-t-il donc ?

— Il nous reste les canons laser, deux sur chaque flanc, plus les lance-missiles. Après le réarmement, nous aurons le Plouc ainsi que quatorze générateurs de torpilles, et l'équipement de poursuite demeure inchangé deux tubes lance-missiles et le laser axial de soixante centimètres.

Elle observa le nouveau commandant avec attention et il ne broncha – presque – pas. Cela augurait bien de son sang-froid, se dit-elle. Les torpilles à proton étaient des armes à tir rapide, destructrices, très difficiles à bloquer par la défense active et totalement inefficaces contre un objectif protégé par un rempart latéral de classe militaire.

Ce qui, évidemment, expliquait le Plouc ; cependant, si ce dernier équipement était capable (en général) de griller les générateurs de remparts latéraux de sa cible, il avait une faible cadence de tir et une portée maximale efficace extrêmement réduite. Mais si le capitaine Musel se faisait ces réflexions, il n'en laissa rien paraître dans sa voix.

« Je vois, dit-il pour la troisième fois, en hochant légèrement la tête de côté. Très bien, capitaine Zorn. J'ai sûrement dû vous distraire d'une tâche autrement importante que de bavarder avec moi. Mes affaires ont-elles été portées à ma cabine ?

— Oui, commandant. Votre intendant s'en est occupé.

— Dans ce cas, vous me trouverez dans mes quartiers à examiner les livres de bord si vous avez besoin de moi. Je voudrais inviter les officiers à dîner en ma compagnie ce soir – inutile de les interrompre dans leur travail pour faire les présentations. » Il se tut comme si il cherchait à se rappeler autre chose, puis ses yeux revinrent sur Zorn. « Auparavant, je tiens à faire le tour du bâtiment pour voir où en sont les travaux. Vous convient-il de m'accompagner à quatorze cents ?

— Naturellement, capitaine.

— Merci. À tout à l'heure. » Sur un hochement de tête, il quitta la passerelle sans un regard en arrière.

 

 

*

— Cela vous convient monsieur ? demanda l’intendant.

Meinhard hocha la tête avec satisfaction. C'était un des bons côtés du Brunhilde : jaugeant moins de quatre-vingt-dix mille tonnes, c'était un petit bâtiment selon les critères modernes, mais les quartiers du capitaine étaient spacieux comparés à ceux du Faucon-Tueur. Certes, d'un point de vue planétaire, ils restaient exigus, mais il y avait des années que Meinhard n'appliquait plus ces normes à son cadre de vie. Il jouissait même d'un compartiment salle à manger assez grand pour accueillir tous ses officiers lors des grandes occasions, et ça, à bord d'un navire de guerre, c'était vraiment du luxe.

— Essayons le système de communication, voulez-vous ? Appelez-moi l’amiral Zevulon.

— Très bien, monsieur.

Lucian Zevulon aurait déjà dû prendre contact avec lui, ne serait-ce que pour expliquer la situation, tout cela sentait une petite intrigue politique mais Meinhard voulait avoir le maximum de données avant de se lancer dans la mêlée.

— Meinhard, dit la voix de Zevulon.

L’holo-écran fit apparaître un homme grand de peau noir. Lucian Zevulon avait tout du vétéran de guerre infatigable qui avait encore de la ressource.

— Ravi de vous revoir monsieur, dit Reinhard en souriant à son mentor. Même si j’avoue que la situation dans laquelle vous m’avez embarqué m’a quelque peu… interloqué si puis-je dire !

— Voyez cela comme un avant-gout de ce qui attend un commandant avant la charge, j’ai préféré vous donner une dernière leçon avant de voir voler de vos propres ailes, mon garçon.

Meinhard sourit amusé, mais adopta aussitôt un visage de marbre.

— Quelle est la situation, monsieur ? Pourquoi dépouiller le Brunhilde des deux tiers de ses lance-missiles ? Et c’est quoi cette nouvelle arme ? A-t-on testé son efficacité sur le terrain ? 

Zevulon poussa un soupir et regarda Meinhard dans les yeux.

— Je vais être transparent avec vous, fils. Vous êtes tombé entre les griffes du Moff Drikl Lecersen et de sa clique, et c'était désormais à vous de faire passer leur bêtise pour du génie. 

— Je ne comprends pas monsieur !

Zevulon croisa les mains derrière son dos, puis expliqua avec une voix empruntes de gravité :

— Vous devriez savoir que deux grands courants de pensée tactique s'affrontaient à la Flotte : celui des traditionalistes, dont la tête de file était le Moff Quille, et celui de la « jeune école » du Moff Drikl Lecersen. Pour Quille, les principes fondamentaux en matière de tactique demeurent souverains quels que soient les types d'armement concernés, et il suffit d'intégrer les armes dernier cri aux modèles conceptuels existants, en opérant naturellement les ajustements qu'exigeaient les nouvelles capacités ainsi obtenues. La jeune école, en revanche, considère que les armes fixaient les choix tactiques et que la technologie, convenablement utilisée, rendait l'analyse historique caduque. Et, par malheur, les aléas de la politique faisaient que Lecersen et ses marchands de produits miracle avaient justement le vent en poupe.

— Monsieur, dit Reinhard avec un calme effrayant. Je ne m'intéresse pas à la politique, je ne comprends pas la politique et je n'aime pas la politique.

— Oh mais je le sais, dit Zevulon avec un sourire amusé. Mais vous devriez savoir le dilemme dans lequel est placé le gouvernement Pellaeon : confronté à l'opposition inébranlable des libéraux et des progressistes aux budgets militaires surgonflés, et aux soi-disant Hommes Nouveaux qui faisaient mine de chercher une alliance temporaire avec eux, l’amiral Pellaeon fut donc forcé d'attirer dans son camp l'Association des conservateurs pour faire contrepoids; il y avait peu de chances pour que les conservateurs gardent longtemps profil bas — leur isolationnisme xénophobe et leur protectionnisme étaient trop radicalement opposés au point de vue des centristes et des loyalistes selon lequel une guerre ouverte avec l’Alliance Galactique était inévitable —, mais pour l'instant leur présence était nécessaire et ils avaient demandé le prix fort pour leur alliance : ils avaient exigé un siège au conseil des Moff, et l’amiral Pellaeon avait dû s'incliner : il avait nommé Ardus Kaine chef de l’amirauté et lui y a donner le commandement du Marteau de la Nuit, la 18ème Armée de Secteur.

— Et le fait que le Moff Quille puisse être cousin de second degré à Kaine, dit Reinhard en inspirant longuement. Affecte le Brunhilde grandement puisqu’il éprouve une aversion personnelle pour le Moff Lecersen. Et moi comme par hasard je suis dans son équipe.

— Fiston j’ai promis d’être direct, je sais que vous vouliez un bâtiment à commander, et je n’ai pas hésité à vous donner le Brunhilde, car je sais que vous ferez de l’excellent travail.

— Vous m’avez surtout jeté dans un bourbier.

— Personne ne vous connaît encore Meinhard, dit Zevulon avec des yeux brillants. Je veux que vous leur montriez de quoi vous êtes capable, c’est l’occasion pour vous de sortir de l’ombre et de poser le premier pas dans cette galaxie immense. Bonne chance mon garçon !

L’hologramme disparut, et Meinhard inspira longuement. Apparemment, son affectation était la « récompense » pour être sortie premier à l'examen final du cours de perfectionnement tactique de l'amiral Zevulon, car le Brunhilde était aussi l'arme secrète de Lecersen pour les prochains exercices de la Flotte. Cela expliquait les contraintes de sécurité qui entouraient le réarmement (et dont Zevulon avait pris prétexte pour ne pas prévenir Meinhard), et le jeune homme imaginait très bien Quille en train de glousser de plaisir tout en se frottant les mains. En tout cas, si Meinhard avait su ce qui l'attendait, il aurait joyeusement accepté de perdre quelques points de pourcentage pour l'éviter, bon sang !

La simulation aura lieu dans deux jours, trois Star Destroyer Imperial II contre le Brunhilde avec des armes en moins, et une nouvelle arme pas encore testé sur le terrain, il actionna l’holocarte et fit apparaître quatre flèches colorés, trois bleus, et l’une rouge. Meinhard se penche en avant et actionna le simulateur tactique, très bien il n’avait jamais su refusé un défi, si Lecersen voulait tester son joujou il sera servi, si Quille s’attend à ce que le petit nouveau échoue, il sera déçu.

 


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