Les liaisons épistellaires
Chapitre 4 : La musique adoucit les mœurs
5815 mots, Catégorie: K+
Dernière mise à jour il y a 2 mois
4. La musique adoucit les mœurs
Mon cher Jim,
Je suis vraiment désolé d’avoir mis autant de temps à vous répondre. Ce qui s’est passé sur Gal au cours du dernier mois a totalement accaparé mon attention, je ne savais plus où donner de la tête et je n’ai pas eu le temps de penser à mes affaires personnelles. Des dizaines de blessés de guerre ont afflué sur le Constellation et nous avons dû faire avec les moyens du bord, à savoir une infirmerie bien trop petite, un personnel bien trop peu nombreux et les ordres parfois contradictoires des membres du haut commandement qui n’ont pas l’air de bien comprendre ce que recouvre l’expression « zone de guerre ». Je préfère ne pas vous raconter les horreurs que j’ai vues et auxquelles nous avons dû faire face. Mon équipe médicale a été exemplaire, mais j’ai eu des mots avec le capitaine Decker – pardon, le commodore Decker, puisqu’il a été promu pour « actions héroïques ». Là encore, je préfère ne pas vous dire ce que j’en pense. Toujours est-il que nous avons eu quelques désaccords et que je me suis peut-être montré un peu trop direct avec lui. J’ai écopé d’un avertissement officiel, ce dont je me fiche éperdument, comme vous vous en doutez peut-être, mais cela n’a pas arrangé l’ambiance déjà tendue au sein du vaisseau. [1]
Quoi qu’il en soit, nous sommes maintenant en route pour Antarès, où on nous a promis une semaine de permission. Pour ma part, je me contenterai de dormir pendant sept jours d’affilée, si une nouvelle catastrophe ne nous tombe pas sur la tête. Mais assez parlé de moi. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt vos dernières lettres, et constaté avec plaisir que vous n’avez pas perdu votre temps avec votre Vulcain : que de progrès en seulement quelques semaines ! Mais j’étais certain que nul, pas même un ordinateur sur pattes, ne pouvait vous résister lorsque vous vous êtes mis en tête de vous mettre quelqu’un dans la poche. L’idée des échecs était particulièrement bien vue, je dirais même un peu sournoise, car il est difficile à un Vulcain de résister à une activité qui lui permettra d’exercer sa logique ET de mettre en avant son intelligence supérieure. Je me demande quel sera votre prochain coup dans la partie que vous avez engagée contre lui et dont il a de grandes chances de ressortir mat.
J’apprends avec plaisir que vos missions sont de plus en plus intéressantes. Vous avez passé avec succès les tests que le haut commandement vous a fait passer, j’imagine – avec, peut-être, une petite dose de provocation que votre premier officier est censé tempérer. Le pauvre, il doit être complètement déboussolé avec un capitaine tel que vous !
Je suis désolé pour la brièveté de cette lettre. Ma présence est requise à l’infirmerie pour je ne sais quel nouveau cataclysme. Je vous envoie ce message rapide en attendant de pouvoir me poser pour vous en écrire un plus long.
Amitiés
Leonard H. McCoy
Ko-mekh, [2]
De nombreux événements se sont déroulés depuis notre dernier échange épistolaire et il me faudrait davantage de temps que je n’en possède actuellement pour vous en faire un compte-rendu exhaustif. J’irai donc à l’essentiel et compléterai cette lettre par un second envoi lorsque notre mission sur Yaris V sera achevée.
Yaris V est une planète de taille moyenne, de classe M, qui orbite autour de l’étoile Achernar. Ses habitants ont initié la conquête spatiale voilà près de cent ans et récemment découvert le principe de la distorsion, ce qui a bien évidemment attiré sur eux l’attention de la Fédération. Un premier contact a été établi de manière semi-formelle il y a deux ans : des scientifiques et des philosophes andoriens, humains, tellarites et vulcains ont abordé des penseurs et des savants siray (le pluriel des mots sur cette planète consiste à les prononcer à l’envers, règle grammaticale qui, à ma connaissance, n'existe dans aucune autre langue connue). Ces rencontres ont été productives et fécondes, et ont permis de démontrer que le peuple de Yaris est éminemment pacifique, laissant augurer de bonnes relations entre cette planète et la Fédération.
Au deux-cent-soixante-cinquième jour terrestre de notre mission, il y a donc deux semaines, nous avons reçu l’ordre de nous diriger vers Yaris dans le but d’établir avec le gouvernement en place un contact officiel. Il s’agit, comme vous le savez en tant que femme d’ambassadeur, d’une mission particulièrement importante et prestigieuse, réservée généralement aux capitaines les plus expérimentés de la Flotte. Or, vous n’êtes pas sans savoir non plus que le capitaine Kirk compte parmi les plus jeunes officiers supérieurs de Starfleet. L’équipage a donc été saisi d’étonnement lorsque nous avons reçu l’ordre officiel de nous rendre sur Yaris. Le capitaine n’était pas le moins surpris, mais il en est rapidement arrivé à la même conclusion que moi : il s’agissait ni plus ni moins d’une nouvelle mise à l’épreuve. Il est possible que l’Enterprise participe d’ici quelques mois à une mission historique dont je vous reparlerai dès que nous en aurons confirmation ; mais avant de la confier au capitaine Kirk, le haut commandement de Starfleet a probablement souhaité s’assurer de sa capacité à gérer une mission diplomatique importante.
Il me semble vous avoir déjà expliqué dans ma précédente missive à quel point le nouveau capitaine de l’Enterprise possède une façon particulière d’envisager les choses. S’il est parfaitement capable de suivre à la lettre une procédure complexe ou un raisonnement logique élaboré, il lui arrive parfois d’improviser en se fiant davantage à son intuition qu’à une analyse intellectuelle de la situation. Ainsi que vous pouvez l’imaginer, je trouve cette façon de procéder déstabilisante ; cependant, force est de constater qu’elle fonctionne. La manière dont il a géré la mission sur Yaris V n’a pas dérogé à la règle : après avoir longuement échangé avec les représentants de la planète, obtenu la signature d’un traité et fait descendre une équipe de scientifiques, il a obtenu du haut commandement de Starfleet que la totalité de l’équipage puisse visiter la planète, par groupes d’une cinquantaine de personnes, afin d’interagir avec les habitants, de se mêler à eux pour les habituer à nous et vice-versa. Bien sûr, cette procédure a déjà été utilisée à plusieurs reprises, mais jamais sur une aussi grande échelle. Elle a été couronnée de succès de part et d’autre, car les Siray ont pu se familiariser avec de nouvelles espèces, et notre équipage a ainsi obtenu une permission inattendue sur une planète hospitalière.
Vous me reprochez toujours de ne vous livrer que des chiffres, des faits et des statistiques dans les lettres que je vous envoie, et malgré mes efforts pour personnaliser ces dernières, il semblerait que je manque souvent mon but. Peut-être vais-je pouvoir cette fois satisfaire votre demande d’informations personnelles en vous relatant ma propre visite de Yaris.
Chaque membre de l’équipage devait passer la journée avec un des Siray qui s’était porté volontaire pour nous accueillir ; le capitaine a veillé à former des duos selon les affinités de chaque personne, si bien que je me suis retrouvé apparié à une chercheuse qui s’intéresse non seulement aux trous noirs, mais à d’autres domaines scientifiques variés. Elle m’a fait visiter son laboratoire de recherche ainsi que le télescope récemment construit par l’Institut auquel elle appartient, puis m’a proposé de nous rendre au musée archéologique proche afin que je puisse mieux comprendre l’histoire de son peuple. Toutes ses remarques étaient très intéressantes et m’ont permis de compiler des données sur Yaris dès mon retour sur l’Enterprise. Alors que le soleil se couchait, elle a offert de m’emmener à un concert où elle avait prévu de se rendre elle-même. Vous connaissez ma curiosité pour la musique, aussi ai-je accepté, bien que le temps minimal que, selon un décret du capitaine, chaque membre de l’Enterprise devait passer sur la planète fût écoulé.
Les Siray pratiquent une forme d’art total qu’ils appellent « musique », mais qui est en réalité bien plus que cela et qui s’adresse à trois de leurs quatre sens. (Bien qu’ils soient pourvus d’un appendice nasal, ils sont anosmiques, ce qui explique, odorat et goût étant intimement liés, que la gastronomie yarisienne soit essentiellement constituée de plats fermentés, faisandés et épicés. Les membres de l’équipage qui se sont rendus dans un restaurant l’ont apparemment regretté.) Nous avons été installés dans des caissons composés d’une mousse extrêmement tendre, qui a recouvert l’essentiel de notre corps, mais que nous pouvions repousser ou réajuster d’un simple mouvement d’épaules en cas d’inconfort. Les caissons étaient tournés vers une scène centrale sur laquelle se tenaient sept musiciens et deux chanteurs. Lorsque la musique a commencé, des volutes de fumée se sont élevées de la scène et ont commencé à former des images sous les yeux des spectateurs. Les couleurs changeaient, créaient des formes non figuratives qui se mêlaient à la musique tandis que les caissons vibraient au rythme des percussions. Il m’a rarement été donné d’assister à un concert aussi ingénieusement conçu et je pense que des relations entre Vulcains et Siray pourraient être aisément consolidées par un projet commun portant sur la musique. Leurs instruments sont remarquables et ils utilisent de manière bien plus consciente que la plupart des humanoïdes les mathématiques pour créer des mélodies. L’association de plusieurs sens pour former un art total n’est pas sans rappeler certains concerts donnés à ShiKahr. Il m’est venu à l’esprit que mon père pourrait tirer parti de cette information et, peut-être, initier un contact privilégié avec les Siray. Je vous enverrai dans une missive ultérieure des détails concernant ce peuple et leurs techniques musicales afin que vous puissiez les communiquer à Sarek. [3]
En sortant du concert, je me suis rendu compte que le capitaine Kirk y avait assisté aussi, car nous nous sommes retrouvés côte à côte dans la foule qui sortait de la salle et nous sommes rentrés ensemble sur l’Enterprise après avoir pris congé de nos hôtes. Le capitaine Kirk est un homme étonnant. Bien qu’il soit un homme d’action, de décision et de commandement, ses connaissances en histoire, littérature et archéologie sont très étendues ; sans autre formation scientifique que celle, générale, qui lui a été dispensée à l’université de Starfleet, il est très rapide à comprendre un raisonnement physique, biologique ou mathématique, et son goût personnel le porte vers des jeux d’esprit tels que les échecs tridimensionnels ou le go-suk d’Andoria. J’ignorais que la musique faisait partie de son champ d’intérêts, et je n’aurais pas imaginé que cette forme particulièrement savante d’harmonie lui plairait, mais il semblerait que le capitaine Kirk recèle encore quelques surprises.
Mon service commence dans onze minutes et je dois me préparer pour la compilation des données récoltées sur Yaris. J’espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé.
Longue vie et prospérité
Spock
Mon cher Bones,
Je suis heureux et soulagé d’avoir enfin reçu de vos nouvelles. Pas d’excuses entre nous : je sais très bien à quel point le service peut être exigeant, surtout pour un médecin en chef confronté à une catastrophe aussi grande que celle de Gal. J’espère que vous avez pu vous reposer un peu, souffler après ces dernières semaines qui, je n’en doute pas, ont été aussi épuisantes qu’angoissantes.
De mon côté, beaucoup de nouvelles excitantes, mais je vais me concentrer sur un point sur lequel j’aimerais vous demander votre avis, car nous sommes en plein milieu d’une mission de premier contact et la collecte de données, leur tri, les demandes de précisions mobilisent tout l’équipage en permanence. Après presque neuf mois de voyage interstellaire pour l’Enterprise, le haut commandement semble accepter ma façon de faire et m’a confié cette mission délicate, dont, je pense, je ne me suis pas trop mal sorti. Mais je vous raconterai tout cela en détail lorsque j’aurai un peu plus de temps devant moi.
Je voulais vous parler (encore) de Spock, et de ce que je viens de découvrir à son sujet. Pour tout vous dire, je sors tout juste de sa cabine : une première ! Jusqu’ici, mon premier officier n’avait jamais daigné m’inviter chez lui. Pour vous résumer les épisodes précédents, nous sommes depuis presque un mois en orbite autour de Yaris V, où nous avons établi un contact officiel, rencontré les responsables politiques, échangé avec des scientifiques et des philosophes (déjà abordés, avec succès, par une délégation discrète il y a quelques temps). Ce travail long et prenant, mais passionnant en tous points, explique que je ne vous aie pas écrit récemment (à mon tour !). Pour clore cette mission, j’ai proposé à tous les membres de l’équipage volontaires de descendre sur la planète, accompagnés d’un volontaire de Yaris, afin de découvrir la population, la vie à la surface, la civilisation extrêmement riche de ce peuple. L’enthousiasme a été communicatif des deux côtés. Même Spock a accepté de descendre, bien qu’il ait hésité en arguant de la nécessité de continuer à compiler les données. Il ne m’a pas fallu beaucoup d’arguments pour le décider, et nous avons passé, chacun de notre côté, une journée sur Yaris. Le soir venu, mon contact sur la planète m’a invité à un concert et j’ai accepté, plus par curiosité que par véritable goût musical. J’apprécie la musique, mais je suis loin d’être un expert, et pourtant, ce concert m’a bouleversé. Je vous en reparlerai lorsque je serai capable de mettre des mots sur ce que j’ai ressenti.
En sortant de la salle, je me suis trouvé à côté de mon premier officier, qui avait assisté au même concert que moi. J’avais pensé, un peu stupidement, je vous l’accorde, que la musique, comme tant d’autres loisirs, ne faisait pas partie des activités qui pouvaient l’intéresser ne serait-ce que vaguement. Une fois téléportés à bord du vaisseau, et après avoir vérifié que tout s’était bien passé pour les autres membres de l’équipage, nous avons regagné ensemble nos cabines respectives, et j’ai engagé la conversation sans me douter du tour qu’elle prendrait.
– Un concert, Spock ? ai-je plaisanté. Et après l’heure minimale requise pour remonter à bord ? Je suis surpris, je ne vous savais pas mélomane. Peut-être vouliez-vous être poli envers votre hôte ?
J’ai tout de suite vu, à la manière dont il s’est raidi, que j’avais visé à côté et fait un faux pas.
– Vous ignorez peut-être, capitaine, a-t-il répondu (assez froidement, même pour Spock dont l’intonation est rarement chaleureuse), que la musique est la forme d’art la plus répandue et la plus pratiquée sur Vulcain, en raison, peut-être, de son évidente proximité avec les mathématiques. Mon peuple y a toujours trouvé un grand intérêt.
Oups. En effet, j’avais bien manqué ma cible. Sans pouvoir m’empêcher de remarquer qu’une fois de plus, il se dissimulait derrière les goûts de « son peuple » pour parler des siens, j’ai rétropédalé :
– Mes excuses, M. Spock, je l’ignorais. Le concert vous a donc plu ?
Il s’est imperceptiblement détendu. (Je commence à avoir l’œil pour repérer ce genre de détails.)
– Il était très ingénieusement conçu. La stimulation des trois principaux sens des Siray – et de la plupart des humanoïdes – était admirablement dosée et agencée. Les subtiles différences de rythmes et d’harmonies, pour une oreille attentive, étaient même virtuoses. Puis-je vous demander si vous avez apprécié le spectacle, capitaine, ou bien si vous désiriez seulement éviter de vous montrer discourtois envers votre hôte ?
La façon dont il m’a renvoyé ma question dans les dents m’a fait m’interroger sur sa prétendue incapacité à comprendre l’ironie, mais je n’ai pas relevé. C’était de bonne guerre. Parce qu’il est Vulcain, je l’avais pensé trop insensible pour aimer la musique ; il me jugeait à son tour, en tant qu’humain, trop stupide pour la comprendre.
– Non, j’ai sincèrement beaucoup aimé le concert. Je ne prétends pas en avoir saisi toutes les subtilités, mais mes sens très humains ont malgré tout été comblés par la beauté de l’harmonie associée aux couleurs. Cette technique était nouvelle pour moi, je n’avais jamais entendu parler d’un tel mode de spectacle, et vous ?
– Moi non plus, voilà pourquoi j’ai été vivement intéressé. Il s’agit à la fois d’une musique savante, qui utilise un spectre de fréquences proche de celui qu’emploient les Vulcains, bien plus large que celui perceptible par l’oreille humaine, et d’une musique harmonieuse qui doit permettre à la majorité des Terriens de l’apprécier. Appartenant à ces deux cultures, j’ai été bien évidemment sensible à ces deux aspects.
Entendant Spock parler de sa double culture, j’ai été pris de curiosité et enchaîné sans réfléchir :
– Avez-vous reçu une éducation musicale à la fois vulcaine et humaine ?
– En effet, capitaine. Ma mère était enseignante et proposait beaucoup de cours autour de la musique classique terrienne. J’ai donc très tôt écouté Brahms, Schubert et Chopin aussi bien que T’Vaal ou Satek – deux compositeurs vulcains particulièrement appréciés par mon père. [4]
Nous étions arrivés devant la porte de sa cabine, et, je ne sais pourquoi, j’ai continué sur ma lancée :
– Je serais très curieux d’entendre de la musique vulcaine. J’ai bien conscience de nos différences anatomiques, et je sais que je ne parviendrai jamais à percevoir certaines fréquences utilisées par vos compositeurs, mais ce point mis de côté, une oreille peut s’éduquer et progresser. Enfant, j’ai mis beaucoup de temps avant d’apprécier réellement certains compositeurs jugés difficiles, comme Honegger ou Boulez.
– Vous plairait-il d’entendre un instrument typiquement vulcain ?
La question est sortie de ses lèvres, spontanée et quasi instinctive, et ma réponse a été tout aussi rapide :
– Volontiers, si vous en avez des enregistrements.
– Si vous n’êtes pas trop fatigué de votre journée sur Yaris…
Il semblait hésiter. J’étais pour ma part ravi de sa proposition – c’était la première fois qu’il baissait la garde à ce point – mais je ne voulais pas le forcer.
– J’ai passé une excellente journée et je n’ai pas la moindre envie de dormir après toutes les merveilles que j’ai contemplées, mais nous pouvons également remettre cela à un autre jour si vous préférez.
En guise de réponse, il a ouvert la porte de sa cabine et m’a fait signe d’entrer. Un peu abasourdi du naturel avec lequel les événements s’enchaînaient, je l’ai précédé machinalement.
La cabine de Spock est tendue de rouge et emplie d’objets qui évoquent pour certains sa planète natale, et pour d’autres, j’imagine, certains des voyages qu’il a déjà effectués sur l’Enterprise. Je suis peut-être le plus jeune capitaine de la Flotte, mais Spock n’a que trois ans de plus que moi, et il a commencé sa carrière en tant qu’officier scientifique il y a une dizaine d’années… Mais passons. Je m’attendais à une chambre impersonnelle, et pas à cette ambiance à la fois chaleureuse et… et chaude, car la température qui règne chez Spock est supérieure de plusieurs degrés à celle qui règne sur le vaisseau. Il s’est rendu compte de ma surprise et a insisté pour la redescendre à un niveau plus acceptable pour moi, puis il m’a proposé une tasse de thé. Pendant qu’il emplissait sa petite théière noire, j’ai regardé autour de moi, et aperçu, accrochée au mur, une magnifique lyre, ou une harpe, enfin quelque chose qui y ressemblait. Suivant mon regard, Spock a hoché la tête.
– Vous avez devant vous une ka’athyra (j’avoue que j’ai dû consulter un dictionnaire vulcain-standard pour l’écrire correctement dans cette lettre). Je vais m’efforcer de jouer quelque chose qui ne sonnera pas trop « vulcain » à vos oreilles.
Je croyais qu’il avait l’intention de me faire écouter un quelconque enregistrement, ce qui était stupide, car il n’aurait pas eu besoin de m’inviter dans sa cabine pour cela : il aurait eu accès aux banques de données depuis la mienne. Au lieu de cela, il a décroché la lyre, a accordé les cordes, et a entrepris de me jouer un morceau « pas trop vulcain » pendant que le thé infusait.
J’ai appris dans la soirée qu’il sait également jouer du piano, sa mère lui ayant enseigné quand il était jeune (soit dit en passant, s’il joue seulement moitié moins bien qu’il joue de la lyre, j’aimerais vraiment l’entendre). De fait, j’ai eu le temps d’apprendre un certain nombre de choses sur mon premier officier, car la soirée en question s’est prolongée. Nous avons écouté beaucoup de musique, humaine et vulcaine. Je crains que Spock ne partage pas certains de mes goûts (les Beastie Boys, étonnamment, ne l’ont pas emballé outre mesure [5]), mais nous sommes malgré tout tombés d’accord sur quelques incontournables.
Je ne vous remercierai jamais assez de m’avoir donné le conseil d’apprendre à connaître mon premier officier. Je découvre chaque jour un peu plus que ce M. Spock que je pensais inaccessible, froid et rigide et, surtout, aux antipodes de ce que je suis de mon côté est peut-être en réalité, sur tout le vaisseau, la personne avec qui j’ai le plus à partager.
Mon réveil sonne dans deux heures. Je sais qu’il sera aussi impeccablement coiffé et tout aussi rapide à la détente que d’habitude, mais pour ma part, je sais que je vais avoir un peu de mal, je vais donc arrêter là cette lettre et vous souhaiter une bonne semaine de permission bien méritée sur Antares. Cette lettre vous arrivera probablement après ladite permission, mais sachez, Bones, que je pense bien à vous et que si mon médecin en chef abandonnait son poste, je vous réclamerais immédiatement.
Amitiés
Jim Kirk
PADD KEVIN RILEY ⌂ [6] - Communication interne privée : Bonjour, Nyota. Etes-vous toujours sur Barin ?
PADD NYOTA UHURA ⁕ - Communication interne privée : Bonjour, Kevin. Oui, j’attends Christine et Hikaru qui finissent leurs achats et nous remontons sur le vaisseau. Comment va votre bras ?
⌂ Je suis vraiment désolé de vous laisser tomber comme ça au dernier moment !
⁕ Ne soyez pas ridicule. Je me doute bien que vous n’avez pas choisi de vous casser le bras pour ne pas avoir à jouer du violon à l’anniversaire de Charlene !
⌂ J’aurais tellement voulu vous accompagner. J’ai toujours pensé que jouer de la musique ensemble pouvait créer entre deux personnes un certain lien qui…
⁕ Kevin, je vous arrête tout de suite, car de un, vous savez que vous êtes lourd quand vous pratiquez ce genre de drague, et de deux, quand vous saurez qui est votre remplaçant, vous allez regretter cette théorie !
⌂ Vous avez trouvé quelqu’un ? Je veux dire, quelqu’un d’autre que Scotty ?
⁕ Oui, ne vous inquiétez pas, tout est arrangé et nous n’aurons pas à subir la cornemuse pour cette fois.
⌂ Oh, Dieu merci ! Je ne suis presque pas jaloux de l’heureux élu. De qui s’agit-il ?
⁕ Eh bien, je voulais garder la surprise, mais je vous imagine en train de broyer du noir tout seul dans votre chambre avec votre bras cassé, alors je vais vous le dire. Je ne crois pas me tromper en disant qu’il s’agit de la personne la moins prévisible parmi les 430 membres de l’équipage.
⌂ Ne me dites pas qu’Elizabeth Denher joue de la musique ! [7]
⁕ … je n’avais pas pensé à elle, mais non. Il s’agit de quelqu’un que Charlene apprécie. Je n’aurais pas eu la cruauté d’inviter le Dr Denher à son anniversaire, étant donné les relations… disons… tendues qui sont les leurs.
⌂ Alors, je donne ma langue au chat ! Comment avez-vous fait pour trouver quelqu’un aussi rapidement ?
⁕ J’ai cinq minutes à tuer, je vais vous raconter l’histoire. Hier soir, j’ai frappé à plusieurs portes pour expliquer mon problème – Riley s’est cassé le bras, il ne pourra pas jouer de violon pour l’anniversaire de Charlene, seriez-vous capable de le remplacer, n’importe quel instrument à cordes ferait l’affaire, blablabla… Mais personne ne semblait avoir de dispositions pour la musique parmi les amis de Charlene. Alors, il m’est venu une idée : dans la base de données, je pourrais trouver des informations sur les membres musiciens de l’équipage et aller les démarcher ou les corrompre en leur proposant une soirée bien arrosée en échange de leur prestation.
⌂ Pas bête. Mais ce sont des données personnelles auxquelles vous n’avez pas accès, si je ne me trompe ?
⁕ Vous ne vous trompez pas. C’est pour ça que je suis allée voir le capitaine.
⌂ Ah, oui… Carrément !
⁕ Kirk aime bien faire la fête, je savais qu’il comprendrait mon problème. Je l’ai trouvé dans un couloir en grande conversation avec M. Spock, et je me suis dit que le plus efficace serait encore de lui demander à lui, parce que j’étais certaine qu’il se souviendrait avec précision des moindres détails concernant tous les membres de l’équipage.
⌂ Vous avez demandé à Spock de vous fournir une liste de musiciens ? N’est-ce pas un peu illogique, pour quelque chose d’aussi futile qu’une chanson d’anniversaire ?
⁕ Si vous posez cette question, c’est que vous ne me voyez pas venir avec mes petits pieds et mes gros sabots. Tant mieux, je vais vous surprendre. J’ai expliqué notre problème à nos supérieurs, et mon angoisse à l’idée d’être accompagnée au chant par la cornemuse de M. Scott. [8] J’en étais à la partie où j’expliquais au capitaine Kirk à quel point j’appréciais Scotty, mais à quel point le son d’une cornemuse, certes très convenable pour une occasion solennelle ou traditionnelle, ferait probablement fuir les invités, lorsque j’ai surpris un coup d’œil entre le capitaine et M. Spock. Le premier semblait demander au second la permission de dire quelque chose. M. Spock a fait un rapide signe de tête, et le capitaine a déclaré qu’il avait sous la main le meilleur joueur de ka’athyra possible.
⌂ Une ka’athyra ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ?
⁕ Ce « truc », mon cher Kevin, est une lyre vulcaine.
⌂ …
⁕ Vous êtes toujours là ?
⌂ Vous voulez dire que Spock va vous accompagner à la lyre pour l’anniversaire de Charlene ?!?
⁕ Affirmatif.
⌂ Et vous l’avez entendu jouer ? Ça ne sonne pas trop… je ne sais pas, trop vulcain ?
⁕ Attendez de l’entendre, vous verrez… Ah, voilà Christine, je dois vous laisser. A ce soir, et pas un mot à qui que ce soit !
⌂ Mes lèvres sont scellées.
PADD CHRISTINE CHAPEL ⸙ - Communication interne privée : Nyota, tu dors ?
PADD NYOTA UHURA ⁕ - Communication interne privée : J’allais me mettre au lit. Qu’y a-t-il ?
⸙ Merci pour l’organisation de la soirée. Charlene était contente, j’imagine ?
⁕ Je pense que oui, étant donné que quand je suis partie, elle était en train de s’étouffer de rire avec Kevin et Esteban… Il faut dire qu’ils ont pas mal bu tous les trois. Moi-même, je suis passablement éméchée.
⸙ Je ne voulais pas te déranger. Oh, et bravo pour la chanson !
⁕ Ah, merci. Mais je dois rendre la moitié du crédit à M. Spock et à sa virtuosité.
⸙ Il faut reconnaître qu’il joue divinement bien. J’aimerais beaucoup le réentendre. Tu crois que tu pourrais le persuader de venir jouer de temps en temps en salle de loisirs ?
⁕ Euh… Ce n’était pas dans mes plans, mais si ça te fait plaisir… D’où te vient cette passion soudaine pour la musique ?
⸙ …
⁕ … la musique vulcaine, qui plus est ?
⸙ …
⁕ Christine ? Tu as quelque chose à me dire sur les instruments traditionnels vulcains ?
⸙ …
⁕ … ou peut-être sur notre premier officier vulcain ?
⸙ Oh, mon Dieu. Ça se voit à ce point ?
⁕ Absolument pas. Je suis juste douée d’un sixième sens, surtout quand j’ai un peu trop bu. Mais tu en as trop dit, ou pas assez, et comme je suis soudain parfaitement réveillée suite à tes révélations fracassantes, je te laisse cinq minutes pour rappliquer dans ma cabine et tout me raconter ! [9]
[1] Comme vous devez vous en douter, ce n’est absolument pas canon. On ne sait absolument RIEN de ce qu’a vécu Bones avant d’atterrir sur l’Enterprise, donc j’invente.
[2] En Vulcain, « mère ». La lettre de Spock a été très difficile à écrire et elle ne me satisfait toujours pas, mais bon, à un moment, je dois admettre mes limites et poster tel quel…
[3] A ce stade de la timeline, Spock ne s’est toujours pas réconcilié avec son père. J’imagine qu’il écrit régulièrement à sa mère pour la tenir au courant de l’endroit où il se trouve, de ce qu’il fait, etc… et qu’Amanda transmet ensuite les informations à Sarek qui fait semblant de n’en avoir rien à faire. La musique est peut-être une chose qui pourrait les rapprocher (j’ai imaginé, partant d’éléments canon comme la lyre vulcaine, qu’il s’agissait d’un art apprécié des Vulcains, notamment en raison de ses fondements mathématiques), mais Spock ne l’avouera jamais.
[4] Est-il besoin de préciser que ces noms vulcains ne sortent que de mon imagination ?
[5] C’est juste un petit clin d’œil aux films récents, dans lesquels Kirk écoute « Sabotage », une chanson des Beastie Boys…
[6] Kevin Riley est le type super relou qui chante « I’ll take you home again, Kathleen » dans l’épisode « The naked time ». On sait qu’il a connu la dictature de Kodos sur Tarsus avec Kirk. J’ai imaginé tout un petit groupe d’amis (Uhura, Sulu, Charlene Masters, Christine Chapel, Esteban Rodriguez, et Scotty même s’il est plus vieux que les autres ; Chekov en fera partie par la suite, quand il arrivera sur le vaisseau), je ne sais pas si c’est cohérent mais bon, c’est ma fanfic et je fais ce que je veux tant que ça ne contredit pas le canon…
[7] Elizabeth Denher est la psychologue qui est atteinte du même syndrome étrange que Gary Mitchell dans « Where no man has gone before » (elle ne se prend pas pour une déesse, mais elle n’en est quand même pas loin).
[8] Je n’ai absolument rien contre les gens qui jouent de la cornemuse (sauf contre mon voisin quand je vivais à Dijon, qui était débutant et s’entraînait juste sous ma fenêtre vers 23h le jeudi soir) mais pour un anniversaire, je trouve ça moyennement festif. J’imagine que Scotty s’est proposé pour accompagner Uhura (j’avoue, dans TOS, je shippe un peu Scotty-Uhura, c’est comme ça) mais que personne n’était emballé. Pour moi, la cornemuse est liée à la mort de Spock (Scotty en joue à la fin de « The wrath of Khan »), c’est donc tout sauf festif…
[9] Dans cette fin de chapitre, deux choses « canon » : le fait que Spock joue de la lyre en salle de loisirs (Uhura fredonne quand il joue, et il finit par l’accompagner de bon cœur, même quand elle improvise une chanson sur lui dans « Charlie X ») et les sentiments de Christine Chapel pour Spock, que je voulais évoquer à un moment donné. J’ai imaginé qu’Uhura et elle se connaissent depuis très longtemps (d’où le tutoiement, très rare dans TOS, du moins j’ai l’impression car j’ai tout vu en VO et je ne me fie qu’aux sous-titres).