Le prix de la vie

Chapitre 7 : Spock

9706 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/10/2018 19:31


   L'équipage présent sur le pont de l'Enterprise montre une agitation 1.5 fois supérieure à la normale quand Spock y pose le pied. Il reconnaît le frémissement d’excitation qui saisit les humains lorsqu'ils reçoivent un nouvel ordre de mission.

   Assis à son poste, le capitaine Kirk lève les yeux de son PADD et lui adresse un sourire étincelant et aussi peu professionnel que possible.

   « Spock, s'exclame-t-il joyeusement, vous tombez bien ! J'allais vous envoyer chercher. La Starfleet nous déroute légèrement. C'est la troisième fois depuis notre départ de la Terre et à ce rythme je crois que nous n'atteindrons pas les régions inexplorées de l'espace avant la fin de l'année !

   Spock retient comme tous les jours les remarques qu'il devrait faire à son capitaine. Son comportement envers lui, envers tout ses officiers n'est pas professionnel. Il devrait se soumettre au règlement, se tenir plus droit, sourire moins, être moins familier, montrer plus de respect envers les grades et l'institution de la Starfleet. Il ne dit rien. Il refuse de s'avouer qu'il apprécie Jim Kirk tel qu'il est, même s'il doute de jamais réussir à le comprendre.

   -En quoi consistent ces ordres capitaine ?

   -Une mission diplomatique, encore. Vous vous rappelez de Cykax ?

   -Effectivement.

   Le cas de Cykax fait l'objet de rapports réguliers dans la Starfleet et Spock a lu un bon nombre d'entre eux. La planète est entrée en contact avec la Fédération quarante et deux ans auparavant. Les dirigeants de la Fédération avaient alors pensé entamer des négociations pour commercer avec Cykax avant d'être obligée de faire marche arrière huit mois plus tard lorsque Cykax avait effectué un deuxième premier contact. Ils avaient alors réalisé que, contrairement à ce que leurs premiers interlocuteurs leur avait dit, la planète n'avait pas un gouvernement unique. On y trouvait à l'époque onze pays en guerre les uns contre les autres. Leur course à l'armement avait mené au lancement d'un programme spatial, assez similaire avec ce que la Terre avait connu dans la seconde moitié du XXème siècle. En quatre ans, sept pays effectuèrent un premier contact avec la Fédération et témoignèrent du souhait de la rejoindre. Celle-ci avait dû alors expliquer que sa politique était de refuser toute planète n'aillant pas encore d'unité politique.

   Depuis, la Fédération se contente d'observer la situation d'un œil neutre. En quarante deux ans, il y avait eu trois conflits d'envergure planétaire et de nombreux pays étaient apparus ou avaient disparus. Régulièrement, la Fédération se prope comme intermédiaires entre les belligérants, en vain.

   -Il semblerait qu'il y ait du nouveau à la surface, poursuit le capitaine. Il n'y a plus que deux blocs rivaux et les deux se sont adressés à la Fédération pour servir d'intermédiaires dans des tractations.

   -Les derniers rapports sur la situation étaient très pessimistes. Voilà qui est... inattendu, remarque Spock.

   -Inespéré même. Et comme nous sommes le vaisseau le plus proche – et le plus célèbre – c'est à nous que Starfleet a confié la tâche de vérifier la bonne volonté des deux camps avant d'envoyer une équipe de diplomates.

   -Donc la situation est potentiellement explosive, remarque Uhura depuis sa console.

   -Oui. Starfleet croit à la bonne volonté des dirigeants des deux camps, mais la méfiance est de mise. On débarque en pleine Guerre Froide après tout.

   -La comparaison me semble assez juste, approuve Uhura. Quoique, cela me rappellerait même Vulcain avant la réforme de Surak. »

   Spcok approuve de la tête, sans répondre. Parler de Vulcain, même deux ans après est encore difficile. Il doute de jamais pouvoir en parler sans avoir ensuite besoin de méditer pour maîtriser ses émotions. Il refuse de s’appesantir dessus et concentre son attention sur la mission.

   Les quarante huit heures qui suivent sont occupées à préparer celle-ci. Il faut décider qui descendra à terre, qui jouera les intermédiaires auprès de tel ou tel haut personnage de Cykax. Surtout, il leur faut apprendre tout ce qui risquerait de compromettre la mission. Les Cykaxiens se vexent pour un rien. Spock, comme les autres, apprend la bonne façon de s'adresser à un officier de la Cykax Unie, le groupe qui domine actuellement les trois quart du globe, et à un officier de la République de Cykax.

   Le plus difficile à régler, c'est la décision de l'endroit où l'équipe de l'Enterprise posera pour la première fois le pied sur la planète. Les Unionistes comme les Républicains veulent avoir la prééminence. Leur volonté d’apaisement ne va pas jusqu'à avoir déjà réussi à décider d'un lieu de tractation commun. Le capitaine tranche en tirant au sort en direct devant les représentants officiels des deux factions qui le regardent faire à travers l'écran de l'Enterprise.

   Les Unionistes les accueillent chaleureusement, avec parade militaire et démonstrations de tir. Spock ne peut s'empêcher de se sentir gêné devant ce bellicisme exacerbé. Malgré les menaces qui pèsent sur la Fédération, celle-ci ne s'est jamais montrée aussi belliqueuse. Le reste de l'équipe diplomatique semble tout autant gênée. Bien sûr, autre monde, autres mœurs, mais Spock doute que ce comportement soit un bon prémisse à la paix.

   Le soir, le capitaine réunit l'équipe descendue à terre autour de lui dans les appartements qui leur ont été attribués. En plus de Spock se tiennent là Uhura et trois linguistes et diplomates sous ses ordres, Chekov et deux ingénieurs présents pour montrer aux Cykaxiens les avantages d'une alliance avec la Fédération, un médecin et quatre membres de la sécurité.

   Spock écoute l'équipe se féliciter de ce premier contact, avec raison. Les Unionistes se sont montrés favorables à l'idée de la paix. Ils envisagent même une rencontre prochaine avec les Républicains sous l'arbitrage de la Fédération. Si Kirk et ses hommes arrivent à en convaincre les Républicains demain, ce sera le plus grand pas vers la paix jamais réalisé sur cette planète.

   L'équipe de sécurité est un peu moins satisfaite de la situation.

   « Ce n'est pas que je n'ai pas confiance envers ces gens, capitaine, déclare Fial, une grande Andorienne d'une cinquantaine d'années au visage sévère. Si les diplomates disent qu'ils veulent la paix je veux bien les croire. Mais mon boulot c'est de vous garder tous en vie. Et...

   -Je sais lieutenant, répond Kirk d'une voix lasse. L'impossibilité de la téléportation sur la planète vous gène.

   -Ce n'est pas que ça capitaine. Cette impossibilité je la comprend, et même elle me rassure. Sur une planète de paranoïaque comme celle-ci, je préfère être certaine qu'un commando contre la paix ne va pas surgir pour tenter de nous assassiner pendant la nuit. Le problème, c'est que l'on n'arrête pas de me dire depuis notre arrivée qu'il est normal que ce champ anti-téléportation nous empêche également de communiquer avec l'Enterprise. D'après ce que leurs techniciens ne cessent de me répéter, le champ anti-téléportation a été renforcé ici pour notre protection ce qui empêche les communications extra-planétaires. Pour contacter l'Enterprise nous sommes obligés de transmettre nos messages au centre de commandement de l'Union qui relaiera le message. Nous aurions dû être informés de cet état de fait.

   Spock fronce les sourcils. Effectivement, cette information est capitale.

   -Vous voulez-dire que toute communication est impossible et qu'on ne nous a pas prévenu ?, demande le capitaine.

   -Oui. J'ai essayé à plusieurs reprises de contacter l'Enterprise. Je n'obtient qu'un bruit statique.

   -Cela ressemble à un piège, murmure Uhura, l’inquiétude visible sur son visage.

   -Un peu trop à mon goût oui, approuve Kirk. Que la moitié de l'équipe de sécurité se tienne éveillée cette nuit. Demain matin nous rejoignons un avant poste républicain. Nous devrions y être en sécurité.

   -Et si le blocage persiste, capitaine ?, demande Spock.

   -Alors cela signifiera que que les deux camps nous ont tendu un piège et que nous devrons nous en remettre aux mains de Scotty pour passer outre le blocage. D'ici demain, reprenons des forces. »

   La petite équipe opine de la tête d'un air sombre et bientôt chacun rejoint la chambre qui lui a été attribuée. Spock se repose dans la sienne quelques heures avant de se relever, frais et dispos. Il fait encore nuit noire, à l'extérieur comme sur l'Enteprise en orbite, aussi est-il surpris de voir le capitaine levé et assis à la table de conférence dans la salle commune de leurs appartements.

   « Je n'arrivais pas à dormir, explique le capitaine en souriant. Les nouvelles de Fial m'ont gardé éveillé.

   Cet homme semble vivre avec l'idée qu'un sourire lui permettra de faire passer n'importe quelle excuse. Étant donné le nombre de fois où ces sourires ne lui ont valu que d'avantage d'ennuis, que ce soit auprès de McCoy, d'Uhura, d'un flirt ou d'un ennemi, Spock ne comprend pas pourquoi le capitaine persiste à utiliser cette vaine tactique. 

   Parfois, il s'accorde à reconnaître que ce sourire a une étrange puissance.

   Toutefois, il ne s'y laisse pas prendre, et s'assoit en face de Kirk, lui intimant du regard de retourner se coucher. Aucun humain de sa connaissance ne montre moins de souci de préservation de sa santé.

   -Très bien, soupire Kirk avec un nouveau sourire d'excuse. J'irais dormir quelques heures avant le départ. Je veux juste finir ça.

   -Finir quoi ?

   Kirk tend à son vice-capitaine l'objet qu'il tient en main. C'est un communicateur qu'il a commencé à désosser.

   -J'essaie de modifier cet engin pour outrepasser leur blocus. En vain pour le moment. Si seulement j'avais accès à un de leurs ordinateurs je devrait y arriver, mais ces paranoïaques ont trop peur que nous transférions des informations à leurs ennemis pour nous laisser nous en approcher. Peut-être que si...

   -Si je puis émettre une suggestion capitaine, le coupe Spock, je doute que le manque de sommeil et de matériel vous fasse parvenir à une solution. Je m'occupe de ceci. »

   Il s'accroche au peu de sang-froid qu'il arrive à conserver face au capitaine en déclarant ces mots et en lui prenant le communicateur. Parfois, il doute que même un Vulcain ayant subi le rituel de Kohlinar puisse rester calme en présence de Jim Kirk. Étonnamment, le capitaine ne rechigne pas et retourne se coucher d'un pas presque titubant.

   Spock se met à examiner le communicateur aux pièces éparpillées sur la table par le capitaine. L'intérieur de l'appareil a été légèrement modifié et Spock observe avec intérêt les modifications, les ajouts et les retraits que Kirk a effectué. Mais il a beau faire, il ne parvient pas à comprendre ce que son supérieur tentait d'obtenir. Il le reconnaît, son supérieur le dépasse dans un certain nombre de domaines. Ce qu'il a tenté d'accomplir dans son état semi-comateux, Spock n'arrive pas à le comprendre et décide de le laisser finir son œuvre au matin. Il finit donc par reposer l'appareil et se met à méditer.


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   Dans l'équipe, personne ne se montre particulièrement surpris quand au matin on leur annonce que le problème de communication avec l'Enteprise n'est pas réglé. Les Unionistes promettent de faire de leur mieux pour rétablir les communications à défaut de la téléportation d'ici un jour ou deux.

   Le capitaine leur adresse un sourire aimable et les remercie de leurs efforts avant de saluer les officiels qui les ont accompagnés durant leur court séjour dans l'avant poste.

   « Sortons vite de ce panier de crabes, grince-t-il en se retournant, juste assez fort pour que Spock l'entende.

   -Je crains que ce ne soit pour retrouver une situation comparable de l'autre côté de la zone de démarcation, répond Spock tout aussi bas. »

   Ils sont les premiers à franchir ensemble la lourde porte blindée de l'avant poste de l'Union. Après vingt-trois heures passées sous terre, retrouver l'air de la surface est agréable et chacun pousse un soupire de soulagement avant de goûter à cet air frais.

   Quand tout le monde est sorti, la délégation se met à avancer avec précaution vers l'avant poste républicain, à peine visible à presque cinq kilomètres de là. Enfoncé dans la terre, cet avant poste est le jumeau du bâtiment qu'ils viennent de quitter, forteresse enterrée et martelée d'impacts. Quand la porte blindée se referme derrière eux, Spock voit quelques membres de l'équipe frisonner légèrement. L'expression terrienne « il y a comme un malaise dans l'air » lui parait très appropriée pour décrire la situation.

   Ils marchent en silence pendant un long moment, faisant attention à ne pas dévier du chemin qu'on leur a indiqué, matérialisé de loin en loin par un bâton enfoncé dans la terre meuble.

   « Comment peut-on infliger autant de dégâts à sa propre planète ?, finit par demander Uhura en essayant de cacher le mépris et le dégoût dans sa voix.

   La jeune femme ne supporte pas la bêtise et cette longue guerre semble en être une énorme. En contemplant le paysage désolé devant ses yeux, Spock ne peut que donner raison à son amie. Sur des centaines de mètres à la ronde, il ne reste plus que de la terre et de la roche criblée de traces d'impact de balles et de bombes. Les rares troncs déchiquetés qui se dressent encore sur les collines environnantes témoignent qu'une forêt touffue se dressait là il n'y a pas si longtemps.

   -Ça ressemble aux descriptions des champs de bataille du vingtième siècle terrien, approuve un des linguistes. J'ai lu quelque chose sur la bataille de Stalingrad.

   -Verdun et la Marne plutôt, le reprend un second. Il y a même des tranchées.

   En effet, plus ils se rapprochent de la ligne de démarcation entre les deux camp, plus ils peuvent voir des tranchées à moitié effondrées. Sous la terre du sentier, ils entendent parfois un craquement terrible, celui des os de cadavres enterrés à la va vite.

   -Je n'aime pas ça, frisonne un ingénieur. Comment peut-on laisser ses morts à pourrir ainsi ?

   -''Cette tranchée toute neuve était ourlée de terre fraîche, comme une fosse commune. C'était peut-être pour gagner du temps qu'on nous y avait mis vivants'', murmure le capitaine.

   Uhura regarde avec étonnement celui-ci.

   -C'est une citation ? D'où vient-elle ?

   -Les croix de bois, un vieux roman français sur la Grande Guerre.

   Comme trop souvent encore, Spock est étonné par la culture et la mémoire de son capitaine. Les regards des autres personnes présentes est tout aussi parlant. Sans se soucier de ces regards, Kirk se penche sur le sol pour ramasser un minuscule objet. Regardant par dessus son épaule, Spock reconnaît une sorte de médaille porte-bonheur comme en portent les soldats de l'Union. On y voit un enfant tenant une gerbe de céréales.

   -Dans ce sol sans couleur

   Sous ce ciel sans couleur,

   Qui délayait les silhouettes,

   Il fallait attaquer

   A trois heures trente.

   A trois heures trente,

   Les troupes, coûte que coûte...

   Coûte que coûte !

   Mon général, qu'est-ce que ça vous coûtait ?

   Le capitaine se relève avec un regard lointain puis secoue la tête comme pour chasser des souvenirs sinistres. Il finit par croiser le regard de Spock.

   -Ils ont raison, l'endroit est sinistre à souhait. Ne nous y attardons pas.

   Ils se remettent tous en marche. Bientôt, certains se mettent à parler de tout et de rien pour éloigner l'inquiétude qui les submerge. Le capitaine, lui, reste silencieux et marche en arrière, les yeux en alerte constante. Spock ralentit pour se mettre à sa hauteur.

   -Que se passe-t-il capitaine ?

   -Je ne sais pas. Il y a quelque chose que je n'aime pas du tout ici. Un instinct idiot peut-être mais... »

   Spock a appris à se fier aux instincts de son capitaine. Il se met lui aussi à examiner le paysage qui les entoure. Rien ne lui semble anormal. Bientôt, ils arrivent en vue d'un tronc encore debout mais fendu sur toute sa longueur. On leur a expliqué que celui-ci marquait la frontière actuelle entre les terres de l'Union et celles de la République. Encore quelques pas, et ils seront sur le territoire de la seconde. C'est l'un des membres de la sécurité qui franchit le premier cette frontière invisible.

   Aussitôt, l'enfer se déchaîne autour de la délégation. Quelque chose explose sous les pieds de l'homme de la sécurité. Il s'écoule tout au plus une demi seconde avant que Spock entende des détonations retentir au même instant devant et derrière lui. Avant qu'il n'ait le temps de réagir, il est plaqué au sol par quelqu'un et s'effondre dans un trou, la tête la première.

   Il sent sa tête heurter violemment une pierre et il perd conscience. Quelques instants ou quelques heures plus tard, il l'ignore, il reprend conscience progressivement. Sa tête bourdonne et il lui semble qu'on la martèle de coups. Il lui faut quelques minutes pour retrouver ses esprits et réaliser que le bruit n'est pas dans sa tête, mais tout autour de lui. C'était le son produit par des dizaines d'obus percutant le sol, envoyant en l'air des mètres cubes de poussière, de terre et de roche. Certains tombent trop près de là où Spock se tenait, et la terre tremble sous l'impact.

   À côté de lui, Uhura a plaqué ses mains contre ses oreilles, dans un effort inutile pour faire cesser le bruit. Son uniforme est déchiré à l'épaule, mais elle ne semble avoir que quelques égratignures. À côté d'elle, Stephan Cho, l'un des ingénieurs, s'efforce de bander sa jambe couverte de sang. Ils sont les seuls à avoir pu se mettre à l'abri dans la minuscule dépression qu'ils occupent, sans doute créée par des obus lors d'une ancienne bataille. À quelques mètres au-dessus de la tête de Spock, un bras portant une manche rouge repose lâchement. Du sang s’égoutte le long de sa manche.

   Au-dessus de lui, entre deux salves de tirs, il entend un blessé gémir. Il n'y a personne d'autre en vue, et Spock ignore si le capitaine ou Chekov sont encore vivants. Il espère qu'ils auront trouvé une tranchée comme lui et ses deux compagnons.

   Les tirs durent jusqu'au crépuscule, presque sans interruption. Ni Spock, ni ses deux compagnons ne parlent durant cette longue journée. Ils ne parviendraient de toute façon pas à s'entendre au-dessus des explosions régulières. Chaque seconde de silence leur paraît une bouffée d'oxygène, durant laquelle Spock retient son souffle, espérant que ce silence annonce la fin des combats. Cet espoir est toujours trop vite déçu.

   Avec la nuit, vient le silence. Le blessé s'est définitivement tu quelques heures plus tôt.

   Spock et ses compagnons sont alors trop fatigués pour réfléchir ou se soucier de leurs camarades. Ils s'endorment quasi instantanément. Dans leurs rêves, le canon continue de tonner. Spock se réveille en sursaut, avec l'impression d'être encore plus épuisé qu'avant de dormir. Les obus ont recommencé à tomber autour d'eux.

   Cette seconde journée se déroule exactement comme la première. Spock, Uhura et Cho se tiennent serrés les uns contre les autres, se protégeant ainsi des débris qui tombent du ciel. La pluie de métal et de pierre dure pendant quinze heures avant de s'interrompre aussi brutalement qu'elle a commencé. Cette fois, le crépuscule n'est pas encore tombé et Spock peut observer la fatigue sur le visage de ses deux compagnons. Le teint de Cho est livide et le bandage sur sa jambe imbibé de sang.

   « Il faut s'occuper de cette blessure, murmure Uhura à Spock une fois qu'ils se sont éloignés de quelques pas en restant accroupis. Et je m'inquiète pour les autres.

   -Je vais sortir et voir.

   Uhura l'approuve et retourne auprès de Cho pour voir ce qu'elle peut faire pour lui. Spock s'éloigne encore un peu et entreprend de sortir du trou sans faire tomber davantage de terre sur eux. Il tombe presque nez à nez avec le cadavre du docteur qui les a accompagné. Voilà qui réduit les chances de Cho de s'en sortir. Spock continue à ramper avec précaution jusqu'à rejoindre le sentier que l'équipe suivait. Il y découvre les restes mutilés d'un homme, mais pas d'autres traces de son équipe. Il s'apprête à continuer vers l'est quand une tête sort du sol à sa gauche.

   « Spock, vous êtes en vie !

   Le visage tuméfié de Fial est empreint d'un immense soulagement que Spock doit s'avouer partager.

   -Le lieutenant Uhura et Cho sont un peu plus loin. D'autres sont avec vous ?

   -Le capitaine et quelques autres. On a eu la chance de trouver cette tranchée à moitié comblée. Je venais voir s'il y avait d'autres survivants.

   -Vous êtes en sécurité ?

   -La tranchée semble bien étayée, pas de risques qu'elle s'effondre, grimace Fial.

   -Alors je fais venir les autres, décide Spock. Notre position est bien moins protégée.

   -Aidez-moi à monter alors, je vais vous aider.

   Spock aide la jeune femme à le rejoindre et, toujours à plat ventre ils retournent vers le trou où se terrent Uhura et Cho. Ils les aident à sortir avant de suivre Fial en sens inverse.

   -Attention à ne pas nous faire remarqué, leur enjoint celle-ci. J'ai essayé de sortir hier soir et ils ont recommencé à tirer autour de nous. Ils ne tiennent pas à ce qu'on s'échappe.

   -Mais pourquoi ?, demande Uhura. S'ils tiennent tant que ça à nous tuer pourquoi ne pas concentrer leurs tirs sur nos refuges ?

   -Le capitaine a une idée. Il vous dira lui-même. »

   Ils poursuivent leur route en silence, allongés, puis accroupis dans la tranchée. Celle-ci se termine en un brutal cul de sac causé par un effondrement. Fial et Uhura aident Cho à s'allonger auprès d'un autre blessé tandis que Spock examine leur environnement. Ils sont en effet mieux protégés des explosions ici, pourvu que celles-ci ne soient pas assez proches pour causer un effondrement de la tranchée. Malheureusement, il n'y a pas d'abri souterrain, ce qui signifie qu'ils sont condamnés à rester en extérieur quel que soit le temps.

   Par contre, il y a suffisamment de place pour que chacun des survivants soit à son aise. Des quatorze membres de l'équipe diplomatique, ils ne sont plus que huit. Spock reconnaît Liliane VanDyck, linguiste émérite, dans la blessée qui se repose auprès de Cho et Joss Jones, un autre membre de la sécurité, qui examine l'état de santé de Cho. Soulagé, Spock voit le capitaine et Chekov accroupis autour d'une pierre, en pleine discussion, et s'empresse de les rejoindre.

   « Capitaine, salue-t-il. C'est un soulagement de vous voir en vie.

   Une étrange expression s'étale sur le visage du capitaine, comme s'il avait commencé à sourire de joie et de soulagement mêlés avant d’opter pour une grimace d'horreur. Kirk s'empresse d'effacer cette expression et serre brièvement le bras de Spock. Celui-ci se surprend à amorcer un geste de réciprocité avant de s'interrompre.

   -Content de vous voir aussi Spock. Chekov, nous reprendrons plus tard.

   Le jeune homme comprend la demande implicite et rejoint le reste des survivants. Spock tourne aussitôt un œil inquisiteur vers le capitaine.

   -Vous vous rappelez le communicateur que j’essayais de modifier pour joindre l'Enterprise ?, lui demande celui-ci en s'asseyant sur le sol. J'ai mis Chekov là dessus. Je doute qu'il y parvienne avec la technologie qu'on a sous la main, même si on a trouvé deux trois trucs dans des caisses abandonnées lorsque les troupes qui occupaient la tranchée se sont repliées.

   -Des choses utiles ?

   -Un vieux communicateur qu'on a désossé pour ses composants, une trousse médicale d'urgence, deux trois couvertures. Rien d'autre hélas. 

   -La Fédération sera rapidement prévenue. Notre situation ne devrait pas se prolonger trop longtemps. »

   Kirk reste silencieux un long moment, trop long aux yeux de Spock. Finalement, il se lève et rejoint les autres. Inquiet, Spock lui emboîte le pas.

   « Comment va Cho ?, demande le capitaine.

   -Inconscient depuis notre arrivée, déclare Fial. Il a perdu beaucoup de sang. Trop peut-être, et la blessure ne veut pas se refermer. Il a besoins de soins urgents.

   -Et VanDyck ?

   -Ca ira capitaine, répond celle-ci.

   -Trois fractures de la jambe et deux dans le bras, complète Fial. Tant qu'on ne la déplace pas son état ne risque pas d'empirer.

   -Très bien, murmure Kirk, comme s'il cherchait à s'en convaincre lui-même.

   Uhura lance un regard scrutateur à son capitaine. Spock comprend que son impression que quelque chose ne va pas avec le capitaine est correct. Il espère que son amie comprend mieux que lui ce qui se passe.

   -Je vais être tout à fait sincère avec vous, déclare le capitaine d'une voix tellement neutre qu'elle en est inquiétante. Nous n'étions pas censés en sortir vivants. Un des deux camp, non, les deux camp probablement, ont miné le sentier à l'endroit du passage de la frontière pour pouvoir rejeter la faute sur l'autre. Ils espéraient visiblement obtenir ainsi le soutien de la Fédération obligée de montrer le sort qu'elle réserve à ceux qui s'attaquent à ses représentants, surtout des représentants aussi célèbres que nous. Malheureusement, certains d'entre nous ont survécu, ce qui signifie que la Fédération va intervenir, mais pour tâcher de nous sortir de là.

   En quoi est-ce une mauvaise nouvelle capitaine ?, demande Uhura. L'intervention de la Fédération...

   -Arrivera trop tard.

   Un silence incrédule accueille cette déclaration. Le capitaine ne leur laisse pas le temps de digérer cette nouvelle.

   -Elle arrivera trop tard pour Cho, c'est certain. Et elle arrivera presque certainement trop tard pour nous. Les deux camp n'ont pas intérêt à ce que nous soyons retrouvés vivants. Ce serait courir le risque que nous disions qu'une mine a explosé devant nous et que tout ceci était prémédité. Si nous sommes mort, chaque camp peut encore espéré convaincre la Fédération que ce sont les autres qui ont tiré les premiers. Plus ils tergiverserons, plus ils auront de chance qu'aucun ne nous ne puisse parler. Leurs tirs d'hier et d'aujourd'hui sont là pour nous empêcher de nous évader. Nous sommes prisonniers.

   -L'Enterprise...

   -Aura reçu l'ordre de ne rien faire en attendant l'arrivée des renforts pour ne pas donner plus d'otages aux belligérants. Et puisque la téléportation est impossible ici, ils risqueraient de se faire abattre en plein vol.

   -Mais la Fédération arrivera bientôt, insiste Chekov sur un ton de supplication. Elle nous sortira de là.

   -Mettons que les officiers agissent au plus vite et mettent en place une équipe de secours militaire et diplomatique. Le vaisseau de la Fédération le plus proche doit être à une semaine d'ici. Cela veut dire qu'aucun officier avec le rang nécessaire pour négocier ne sera là avant six jours au moins. Et je vais être franc, nous n'avons pas assez de vivres pour tenir jusque là. Du moins, pas tous.

   Jamais de sa vie Spock ne s'est senti aussi... étranger. Il n'avait pas réalisé. Il est à moitié vulcain. Il n'a pas mangé depuis trente six heures et pendant ce temps a dormi six heures d'affilée. De la nourriture serait la bienvenue, mais il peut encore s'en passer sans problème. Les Andoriens et les Humains n'ont pas cette résistance.

   Il observe les visages de ses compagnons. Tous affichent déjà des cernes immenses dues à la fatigue. La faim ne se lit par sur leurs visages. Pas encore. Mais tous ont désormais saisi la situation dans laquelle ils se trouvent.

   -La bonne nouvelle, poursuit Kirk, c'est que dans les caisses que nous avons trouvé il y a de la nourriture, et qu'elle devrait être encore mangeable. Ce lieu était un théâtre d'opération juste avant qu'on nous appelle et n'a du être évacué que pour que les ''pourparlers'' puissent se dérouler ici. Nous avons également les quelques rations d'urgence que Fial et Jones transportaient.

   -Est-ce assez pour tenir une semaine ?, souffle Uhura.

   -Si nous les rationnons suffisamment, oui. Je dois donc vous demander à tous de nous remettre vos armes à Spock et moi-même.

   -Est-ce nécessaire capitaine.

   -Poussés par la faim, l'homme est réduit aux pires extrémités, murmure Kirk les yeux fermés. Spock et moi seul accéderont à nos provisions. La distribution sera équitable, en fonction des besoins de chacun.

   Personne n'émet de protestation. Les phaseurs sont remis au capitaine qui les range soigneusement dans une caisse. Il fait signe à Spock de garder la sienne, et fait de même.

   -Merci, finit-il par déclarer de la voix monocorde qu'il a adopté depuis le début de son discours. Maintenant dormons. Profitons de ce répit. »

   En silence, chacun s'installe. Comme Kirk, Spock s'allonge près de la caisse des vivres. Uhura, elle, s'allonge près de Chekov qu'elle entreprend de rassurer à mi-voix. Personne ne fait mine de remarquer les larmes du jeune homme, visibles malgré la nuit qui tombe. Comme la veille, Spock s'endort comme une masse dès que sa tête a touché le sol.

   Un cri dans la nuit le réveille.

   « A boire ! »

   Ce cri pitoyable qui les fait tous se redresser, c'est Cho qui l'a poussé. Spock se lève pour fouiller dans leurs réserves à la recherche d'une bouteille d'eau, mais la main de Kirk l'arrête.

   « Non, déclare le capitaine, implacable.

   -Il a besoin...

   -Il va mourir de toute façon. J’espérais qu'il meure dans son sommeil. Cela aurait été... plus facile. Pas d'eau pour lui. Nous n'en avons pas beaucoup, ne la gaspillons pas pour ceux qui n'en auront bientôt plus l'utilité. »

   C'est une décision logique, mais ce raisonnement chez Jim Kirk est choquant aux yeux de Spock. Il scrute le visage de son capitaine mais ne parvient pas à y déceler la moindre émotion. Il finit par acquiescez à l'ordre qui lui est fait et Kirk cesse d'emprisonner sa main d'une poigne de fer.

   Le capitaine se lève et rejoint le blessé. Le reste de l'équipe s'est réunie autour de lui et lève les yeux vers Kirk, attendant qu'il offre l'eau tant réclamée par le blessé.

   -A boire, murmure encore celui-ci, à boire !

   Ses lèvres sont desséchées et sa peau livide. Ses yeux tournent dans les orbites sans réussir à se fixer sur quoi que ce se soit. Uhura pose la main sur son front.

   -Il a la fièvre. Il délire. Il lui faut de l'eau.

   -Il n'y en a pas pour lui. Il n'y en a pas assez pour nous s'il ne pleut pas rapidement.

   -Comment pouvez-vous dire une chose pareille ?, hurla Uhura en se redressant pour faire face à son capitaine. Vous allez le laisser mourir ainsi ?

   Le visage de Kirk se crispa.

   -Non, déclara-t-il en sortant son phaseur. Ecartez-vous Uhura.

   -Vous n'allez-pas... ?

   -Il le faut. Notre survie dépendra des mesures que nous prendrons. Allons-nous préférer une mort lente pour tous ou une mort rapide pour quelques uns ? Ecartez-vous. »

   Uhura trébuche plutôt qu'elle ne s'écarte de l'arme que tient Kirk et s'effondre, les genoux tremblants, cherchant un soutien dans le regard de Spock. Celui-ci reste silencieux. Il ne se sent pas capable d'arrêter ou d'encourager Kirk. En cet instant, la logique vulcaine à laquelle il se raccroche n'est pas capable de lui apporter la moindre réponse ou du réconfort. Elle semble bien vaine face à l'homme qui agonise en gémissant.

   Pendant une trop longue seconde Kirk semble prêt à tirer, puis sa main tremble et l'arme tombe à ses pieds. Il s'éloigne vivement, et personne ne croise son regard.

   « Comment a-t-il pu penser un instant à tuer Cho ?, siffle Uhura, horrifiée et ulcérée à la fois. C'est un meurtre de sang froid ! »

   Spock n'a aucune réponse à lui donner. Il rejoint le capitaine, assis près des caisses, sa tête entre les mains. En l'entendant arriver, Kirk lève un visage défait.

   « J'ai raison n'est-ce pas ?, souffle-t-il. Il faut faire ce qu'il faut pour qu'un maximum survive.

   -C'est ce que dicte la logique, acquiesce Spock, incertain.

   -La logique ! Si on écoute la logique... !

   Le capitaine saisit la main de Spock d'un geste impérieux et Spock retient un coquettement de stupéfaction. Il y a bien longtemps que Kirk a appris a respecter l'appréhension vulcaine envers les contacts corporels et les risques de violation de l'intimité qui l'accompagnent. Mais en cet instant, Jim Kirk est visiblement bien trop submergé par l'émotion pour y penser. Spock ne retire pas sa main mais ferme ses pensées et s'efforce d'ignorer la sensation de peur, de nausée et d'horreur qui submerge Kirk.

   -La survie dépendra de mesures drastiques, murmure celui-ci. Est-ce que le laisser vivre signifie la mort lente pour d'autres ?

   -Capitaine...

   -Non, non, continue Kirk en accentuant sa pression inconsciente, sa voix devenant presque inaudible. Je refuse. Je ne serais pas... Il avait tord. Il avait tord.

   -Jim...

   S'arrachant à la folie qui semble l'avoir saisi soudain, Jim rive son regard dans celui de Spock.

   -J'assumerai ma décision, déclare-t-il d'une voix plus claire. Je me laisserai pas dicter mes actes par... Jamais. »

   Sans laisser le temps à Spock de l'interroger sur son comportement, le capitaine se redresse et ouvre la caisse de vivres où il saisit l'une des trois outres d'eau qui constituent leurs seules réserves. Il rejoint Cho et en verse quelques gorgées entre ses lèvres. Un soupir de soulagement s'échappe de la gorge du blessé.

   « Ceci, déclare Jim, est prit sur ma part. Personne d'autre ne sera privé.

   -Absurde, répond Spock. Je suis vulcain et plus à même de résister une longue période sans eau. Que cette eau soit retenue sur ma part.

   -Spock...

   -J'insiste capitaine. Vous devez garder votre clarté d'esprit le plus longtemps possible pour nous tirer de là.

   Cet argument atteint le capitaine comme Spock l'a espéré. Il hoche la tête et donne une dernière gorgée d'eau au moribond. Uhura pose sa main sur l'épaule de Kirk.

   -Vous avez prit la bonne décision capitaine.

   -Non, répond celui-ci avec un regard hanté. La moins pire seulement. »

   Sans un mot de plus, il part se rallonger à côté des caisses. Spock reste aux côtés du blessé, sachant qu'il sera incapable de dormir, pas après avoir senti une telle détresse émaner de son capitaine et ami. Il n'a jamais rien ressenti de pareil sauf à deux reprises, la première lors de la destruction de Vulcain, lorsqu'il perdit tout contrôle de lui-même. La seconde avait également émané de Jim, lorsque celui-ci l'avait involontairement touché alors qu'il était en état de détresse émotionnelle après avoir retrouvé un ami d'enfance. Spock avait alors ressenti la même horreur, le même dégoût de soi et du monde.

   Tout en écoutant la respiration sifflante de Cho, Spock tente de méditer, en vain. Les paroles de Jim ne semblent pas pouvoir quitter son esprit. Pourquoi ces mots semblaient ne pas sortir de la bouche de Jim mais d'un autre ? L'expression humaine ''n'être plus soi-même'' s'applique à Jim Kirk comme jamais auparavant.

   Spock voudrait pouvoir... Il ne sait quoi faire pour épauler Jim. Il ne voit pas ce qui le trouble tant. Ils ont été dans des situations tout aussi risquées pour eux et leurs hommes sans que le capitaine ne perde ainsi son sang-froid. Alors pourquoi celui-ci semble perdre pied ?

   Ses questions restent sans réponse. Il renonce à méditer et rouvre les yeux, réalisant que Cho s'est tu. L'ingénieur a cessé de respiré et fixe le ciel, les yeux grands ouverts dans une expression de souffrance et d'étonnement. Spock lève les yeux et observe le soleil se lever, ses muscles se crispant déjà d'appréhension. Bientôt, trop tôt, les bombes recommencent à tomber.


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   A la huitième aube, Spock est réveillé par le silence. Pour la première fois depuis semble-t-il une éternité les obus ne tombent pas autour d'eux. Cette absence réveille les survivants exténués tout autant que la présence permanente de ce bruit désormais familier. Peu à peu, les têtes se redressent, un espoir désespéré affiché sur leurs visages creusés. Six jour sans manger plus que quelques miettes, à dormir la face contre le roc et la terre sèche, c'est beaucoup, c'est peu par rapport à ce qui les attend peut-être.

   « Est-ce que c'est fini ?, murmure Uhura d'une voix vide. On vient nous chercher ?

   -Non, répond Kirk. La Fédération est arrivée voilà tout. Les Républicains et les Unionistes leurs montrent qu'ils sont prêts à être raisonnable, pourvu que la Fédération fasse exactement ce qu'ils veulent. Dès que les nôtres auront refusé, les échanges de tir reprendront. La Fédération doit comprendre qu'elle n'a pas le choix. Mais cette tactique ne marchera pas avec la Fédération. Les bombes vont recommencer à tomber.

   Quelques heures plus tard, un énorme bruit retentit, faisant résonner ciel et terre. Aucune des personnes terrées dans la tranchée ne sursaute. Ils sont déjà résignés et la plupart n'ont plus la force de se révolter contre cette tempête de métal qui les environne. Uhura reste recroquevillée dans son coin. Elle n'a pas changé de posture depuis deux jours, ne relevant la tête que lorsque Kirk distribue la nourriture. Chekov reste concentré sur le communicateur qu'il continue à essayer de modifier jour et nuit, même lorsque l'absence de lumière devrait l'empêcher de continuer. Les deux membres de la sécurité sont ceux qui tentent le plus d'entretenir le peu de forces qui leur reste, se forçant à marcher de long en large dans leur prison en plein air. Fial insiste là dessus tous les matins. Il faut qu'ils soient en état de se défendre si quelqu'un décide que les achever discrètement est la meilleure solution.

   Spock approuve cette décision et accompagne Fial et Jones dans leurs exercices matinaux avant de recommencer à méditer, afin de ne pas penser à la faim qui commence à le dévorer de l'intérieur. Il a encore de grandes réserves de force, mais son esprit semble refuser de penser à autre chose qu'à de la nourriture. Des odeurs des repas de son enfance sur Vulcain envahissent ses narines. Des images de viande, crue ou cuite s'imposent à lui, lui mettant l'eau à la bouche.

   Il se force à détourner ses pensées de la nourriture et rejoint le capitaine, assis à côté de la caisse de nourriture. Celle-ci est vide désormais, mais il semble être plus à l'aise quand il reste près d'elle. Étrange, pense Spock.

   « Capitaine, salut-il en s'asseyant pour économiser ses forces.

   -Spock, sourit son interlocuteur, nous sommes en train de mourir de faim ici. Faites-moi le plaisir d'oublier un peu que je suis votre supérieur.

   -Jim, reprend Spock. Vous n'allez pas tenir encore très longtemps. Il faut faire quelque chose.

   -Inquiet pour nous autres faibles humains ?

   -Oui. »

   Spock l'avoue, il a peur. Peur pour Nyota et Chekov qui maigrissent à vue d’œil depuis deux jours, peur pour VanDyck qui souffre le martyr à cause de ses multiples fractures, peur pour Fial qui ne tient le choc émotionnel que par une discipline terrible prête à craquer à tout moment.

   Spock lui même est compromis. Face à la souffrance des siens, il ne peut rester aussi détaché que d'habitude. La souffrance de Jim, surtout, l'effraie. Il est déjà amaigri, et Spock le soupçonne d'avoir moins mangé que les autres. Il se referme sur lui-même et ne cherche même pas à réconforter son équipage et se contente de le regarder de loin, comme s'il voulait s'en détacher. Il ne bouge presque plus, avec des mouvements lents, comme pour ménager ses forces. Son regard est celui d'un homme épuisé, qui a déjà abandonné. Spock cherche quelque chose à dire, n'importe quoi qui puisse ramener son capitaine et ami vers lui, vers eux.

   Avant même qu'il parle, un sourire ravi, le premier qui soit sincère depuis l'explosion, s'étale sur le visage de Jim.

   -De la pluie Spock, chuchote-t-il avec une joie d'enfant, c'est de la pluie.

   Ayant grandi sur Vulcain, Spock considère d'habitude la pluie avec un mélange de répulsion et d'envie. Aujourd'hui, c'est avec délectation qu'il lève la tête pour recueillir les gouttes d'eau sur son visage et dans sa bouche. Uhura éclate de rire et se relève, esquissant un pas de danse. Chekov, lui, recouvre aussitôt le communicateur démantibulé pour le protéger avant de s'abandonner à la même joie enfantine.

   Jim se redresse, manifestant enfin de l'énergie et quelque chose qui ressemble à de l'espoir.

   « Vite, enlevez vos chemises, déclare-t-il en suivant son propre ordre.

   -Je vous demande pardon ?, s'offusque Fial.

   -L'eau va imprégner nos vêtements. Il suffira de les presser pour la récupérer. Laissez-les s'imbiber d'eau et venez m'aider à ouvrir ces caisses ! »

   En quelques secondes, tous s'activent, à l'exception de VanDyck toujours clouée au sol. Les couvercles des caisses sont arrachées et leur maigre contenu éjecté pour recueillir l'eau de la pluie.

   Celle-ci semble s'arrêter et tous les cœurs se serrent d'angoisse, puis tout d'un coup se transforme en un rideau serré et violent. Le froid est brutal sur la peau nue, surtout pour Spock, mais tous continuent de presser leurs uniformes au-dessus des deux seules caisses non percées qu'ils peuvent utiliser.

   Lorsque la pluie s'arrête, il y a trois centimètres d'eau au fond des deux caisses. C'est peu, mais c'est la chose la plus précieuse au monde aux yeux de Spock. Épuisés par cette agitation, les humains et l'andorienne se laissent tomber sur la terre transformée en boue, la respiration erratique. Spock, lui, frisonne de froid. La pluie semble avoir pénétré jusqu'à ses os.

   Jim lui offre un sourire de compassion et retient à son tour un léger frisson. Il se redresse, le dos plein de boue. Spock est satisfait de le voir repousser la tentation d'émettre une remarque sur la vision qu'Uhura et Fial offrent à leurs compagnons d'infortune. Malgré le grondement ininterrompu des obus, tous ont reprit courage. Ils ne parlent pas, le sifflement des bombes couvrant le bruit des paroles, mais il y a des sourires et des poignées de main échangées.

   Ils accueillent le crépuscule avec soulagement, se redressant pour boire un peu dès que les canons se taisent. Le sourire de Jim a disparu tandis qu'il tend à chacun un minuscule bout de pain rassi.

   « C'est la fin de nos provisions. Mangez-le maintenant.

   -Je peux encore tenir un peu, proteste Fial.

   -Il n'y a rien de pire que de garder un morceau de nourriture pour le manger après trois tours de famine. Il vous retournerait l'estomac et vous n'arriveriez pas à le garder. Et vous prenez le risque que l'un de nous ne cède à la tentation de vous l'arracher par la force. Mangez. »

   Tous avalent cette dernière bouchée sous le regard scrutateur du capitaine. Lui garde son quignon, le faisant tourner et retourner entre ses doigts. Finalement, il le met de force dans la main de Chekov. Celui-ci fait mine de le lui rendre.

   -Capitaine, je ne peux pas accepter.

   -Si, c'est un ordre. Vous êtes le plus affaibli de nous tous par la faim.

   -Vous n'avez pas plus mangé que nous capitaine, proteste Uhura. Je vous soupçonne même de vous être privé.

   -Et après ? C'est mon droit. Je peux tenir plus longtemps que vous sans manger.

   -Comment le savez-vous ?

   -Je l'ai déjà fait ! »

   Ces derniers mots, Jim les hurle presque avant de se taire, réalisant ce qu'il vient de dire. Il se lève brusquement et s'éloigne à l'autre bout de la tranchée où il envoie un poing rageur dans la paroi ameublie par la pluie.

   « Il l'a déjà fait, souffle Chekov avec horreur. Qu'est-ce que ça veut dire ?

   -Je ne sais pas, répond Uhura. Je ne suis pas sûre de vouloir savoir.

   Son visage est marquée par l’angoisse tandis qu'elle tourne son regard vers Spock.

   -Nous ne pouvons pas le laisser faire Spock. Se sacrifier ainsi pour nous...

   -C'est son choix. La survie dépend de mesures drastiques.

   Fial se fige en entendant ces mots.

   -Comment osez-vous dire ça ?

   -Je ne fais que répéter...

   -Les paroles d'un assassin.

   -Je vous demande pardon ?

   -Ces mots, ils ont été prononcés par Kodos lors du massacre de Tarsus IV. Ils lui ont servi à justifier son massacre. Je faisais partie de l'expédition de secours. J'ai pu entendre son discours enregistré au moment du massacre. Il n'a pas pensé à l'effacer en fuyant. Vous êtes allé fouillé dans les archives de la Starfleet pour l'écouter ? Il n'a jamais été publiquement diffusé.

   -Ce ne sont pas les mots de Kodos, ce sont ceux de Jim, explique Spock. Il...

   L'expression de compréhension horrifiée qu'affiche Uhura doit se lire également sur son visage se dit Spock. Il fait un rapide calcul mental et le résultat le plonge dans une colère froide. Rien, mis à part la mort de sa mère ne l'a jamais mis autant en fureur contre l'univers.

   -Ce n'est pas possible, gémit Uhura. Il aurait eu treize ans. Ce serait trop affreux. »

   Elle est coupée dans ses réflexions par la reprise des tirs. Il fait nuit noire désormais mais la lueur des explosions illumine leurs visages défaits.

   Après cela ils se taisent. Aucun d'entre eux ne dit mot pendant les trois jours et trois nuit que dure le pilonnage. Il est impossible de dormir, de penser. Le bruit les rend sourd, les vibrations du sol les empêche de dormir. Il semble à Spock que chacun de ses battements de cœur n'est plus que l'écho des détonations incessantes. La seconde nuit, une bombe explose trop près de la tranchée et ce n'est qu'au matin qu'ils découvrent le cadavre de VanDyck, morte étouffée et écrasée sous l'avalanche de pierre et de terre dont elle n'a pas pu se dégager. Seul Spock a encore la force d'aller recouvrir complètement son corps de terre.

   Après cela, ils se sont tous silencieusement regroupés, comme si le fait de se toucher pouvait être un réconfort. Seul Spock est resté à l'écart, tâchant de conserver le peu de contrôle sur lui-même qui lui reste. La méditation ne lui est plus d'aucune aide. Seul le besoin de manger et de dormir occupe ses pensées. Mais il n'y a plus rien à manger, et il ne reste que quelques gorgées d'eau pour chacun d'eux. En silence, ils attendent la mort ou les secours.

   Quand les bombes se taisent, ils réalisent qu'ils sont incapables de dormir. Sans le tonnerre des obus, ils sont comme perdus dans un monde trop silencieux. Ils restent étendus sous un soleil de plomb, affalés les uns contre les autres. Spock finit par bouger et tend une main hésitante vers leur trésor, qu'ils ont conservé jusqu'au dernier moment. Il fait passer la dernière coupe d'eau à son voisin et chacun y pose ses lèvres. Après l'avoir finie, Jim lève vers Spock un visage marqué par la douleur, aux lèvres craquelées par la soif.

   « Ce ne sera plus long maintenant, exhale-t-il en un soupir.

   Il a raison, Spock est obligé de le reconnaître, même si cela lui coûte. Jim est à bout de forces. Il ne cherche même pas à se battre contre la faim. Pour la première fois depuis leur rencontre, Spock voit Jim abandonner un combat, et c'est la chose la terrifiante qu'il ait jamais vu. Les autres ne sont pas dans un meilleur état. Nyota n'a jamais été bien épaisse mais sa maigreur est désormais éprouvante à observer.

   Un rire pitoyable sort de la bouche de Jim.

   -Je croyais que c'était fini. Mais j'y suis toujours n'est-ce pas ? Il semblerait que ma destinée soit de crever de faim le nez dans la boue.

   -Tarsus. Vous étiez à Tarsus n'est-ce pas Jim ?, demande Uhura en serrant la main de Jim entre les siennes, tout aussi maigres.

   -Oui. Et vous savez quoi ? Tout ce à quoi je pense maintenant, c'est que je ne vaux pas mieux que lui. Kodos. Et s'il avait raison ?

   -Il avait tord, déclare Fial d'un ton péremptoire. C'était un monstre.

   -Si j'avais pu être certain que même un seul d'entre vous survivrait si les autres mourraient... L'aurais-je fait ?

   Le regard de Jim est très loin de cette tranchée, dans un autre lieu et un autre temps.

   -Tu n'es pas Kodos Jim, lui assure Nyota. Tu n'as pas pu achever Cho, et cela aurait été miséricordieux de le faire.

   -Elle a raison, poursuit Spock. Je ne prétend pas comprendre ce qui s'est passé sur Tarsus, mais dans les mêmes circonstances, je sais que vous auriez agi différemment.

   -Et si il n'y avait pas d'autres solutions que celle qu'a adopté Kodos ?

   -Vous auriez cherché un moyen. Cela suffit à vous distinguer de lui.

   Jim secoue la tête visiblement peu convaincu.

   -Vous ne pouvez pas comprendre. Tarsus c'était...

   Il se tait, et réunit visiblement ses pensées. Il ouvre la bouche pour parler et renonce. Instinctivement, Spock pose sa main sur l'avant-bras de Jim pour le soutenir. Il veut lui signifier silencieusement que, qu'il parle ou qu'il se taise, Jim ne vaudra pas moins à ses yeux, qu'il est le centre de son monde, qu'il l'a bouleversé et réduit en miettes pour le reconstruire, meilleur encore. Qu'il le suivra partout où il ira, qu'il est son capitaine, le seul que Spock puisse suivre désormais. Qu'il est son ami, le plus sincère et dévoué des amis. Le regard de Jim remonte de la main de Spock à ses yeux et il hoche la tête pour montrer qu'il vient de comprendre la profession de foi silencieuse du demi-vulcain. Le capitaine serre doucement son bras en remerciement.

   Il se soulève à grand peine pour faire face aux autres survivants, refusant le soutien de leur présence tandis qu'il s'adresse à eux. Sa main est restée posée sur le bras de Spock qui le laisse faire, accordant à Jim la seule aide qu'il peut lui offrir.

   -Autant le raconter une fois avant de mourir, déclare Jim, avant de poursuivre si doucement que Spock est certain d'être le seul à l'avoir entendu. Cela les distraira de notre mort prochaine. Racontons leur une histoire.

   Ces mots sont douloureux pour Spock, mais il ne les relève pas. Le capitaine ferme les yeux, incapable de regarder quiconque en face en cet instant. Il ouvre la bouche, avale une grande goulée d'air et commence à parler.

   -Tarsus, c'était pire. »

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