Le prix de la vie
CHAPITRE 4 : NYOTA
Le pire après une catastrophe comme les actions terroristes de Khan Noonien Singh, ce n'était pas les cérémonies de commémoration et les enterrements, songe Uhura en fixant d'un œil vide l'écran de son ordinateur. Non, pour elle, le pire c'est l'instant où le devoir vous force à interrompre trop tôt le travail de deuil. Cela fait un mois que Khan a été arrêté, deux semaines que le capitaine Kirk est sorti du coma, six jours depuis l'enterrement des pauvres membres de l'équipage qui n'ont pas survécu aux plans de Khan et de l'amiral Marcus. L'Enterprise ne sera pas réparée avant au moins trois mois, et pourtant Uhura et les autres officiers du vaisseaux doivent oublier leurs camarades pour commencer à recruter leurs successeurs.
Devant son ordinateur, en contemplant les curriculum vitae étalés d'une dizaine de candidats potentiels, Uhura a l'impression d'être un charognard. Elle finit par relever ses yeux de l'écran. Elle est pour le moment incapable de se concentrer suffisamment sur sa tâche.
Comme à chaque fois qu'elle a redressé la tête durant toute l'heure passée devant son écran, Uhura s'étonne de voir que la vie continue normalement à San Francisco. En deux ans elle a vu trop de scènes de destruction, mais l'Enteprise reste rarement longtemps pour aider à réparer les dégâts. Voir la ville se reconstruire pas à pas est étrange.
Le parc où elle s'est installée n'a pas subit trop de dommages. Ce sont les grattes ciels, de l'autre côté du parc, au bord de la baie, qui ont reçu le plus de dégâts lors de l’atterrissage brutal du vaisseau de Khan. Des dizaines de grues s'intercalent entre les géants de verre et d'acier et tournent lentement en montant les matériaux au niveau des étages les plus endommagés. La jeune femme contemple la scène quelques minutes avant de reporter son regard vers le parc et de sursauter.
Pendant sa rêverie, quelqu'un s'est silencieusement installé sur le banc à côté d'elle. Il y a un an à peine, elle aurait froncé les sourcils et serait partie dans un silence méprisant. Aujourd'hui, elle sourit doucement à son capitaine et le scrute discrètement du regard. Il a l'air épuisé, ce qui n'a rien d'inattendu après sa mort et sa résurrection. Mais les soucis sont également inscrits sur son visage. Uhura comprend et compatit. Elle sait que la mort de l'amiral Pike l'a durement marqué. La jeune femme devine que le vieil homme a été la seule véritable figure paternelle que Jim Kirk avait connu.
Jim Kirk est une personne bruyante, qui aime à entendre le son de sa propre voix. Ou plutôt, se corrige mentalement Uhura qui le connaît mieux désormais, qui ne supporte pas de rester seul avec ses pensées. Pourtant, il se contente de rester tranquille et silencieux aux côtés de son officier, les yeux fixés sur les tours en reconstruction.
S'il ne parle pas, ses yeux aussi manquent de leur vivacité habituelle. Uhura manque de frisonner en se rappelant ces yeux bleus grand ouverts, figés dans une expression de peur tandis qu'il repose contre la porte de sécurité du réacteur de l'Enterprise.
« Tout va bien capitaine ?, finit-elle par demander pour arrêter les souvenirs qui affluent dans sa tête.
-Tout va bien, répond trop rapidement Kirk. Et vous Uhura ? J'ai appris...
Uhura ne peut retenir un soupir d'agacement. Depuis sa rupture avec Spock tout les membres de l'équipage semblent être décidés à l'approcher avec de gros sabots pour voir comment elle va. La jeune femme envisage de se déplacer partout avec un panneau expliquant que la rupture s'est faite par consentement mutuel, couvait depuis longtemps et que toutes les personnes impliquées vont bien et restent amies. Le problème quand on cohabite pendant un an avec autant de personnes, chaque membre de l'équipage finit par se comporter comme un membre de votre famille. Uhura a appris à renoncer à une bonne partie de son intimité.
-Tout va bien capitaine, et rien de tout ceci n'influera notre manière de nous comporter sur le pont.
-Je le sais parfaitement. Vous êtes tous deux des parangons de discipline et s'il ne tenait qu'à moi vous auriez reçu une récompense depuis longtemps pour votre parfait professionnalisme. Non, je veux savoir comment vous allez, vous.
-Je vais bien, répondit-elle sincèrement. Vous deviez bien avoir réalisé que cela couvait et... je vais bien.
-Mais quelque chose ne va pas.
Des fois, Uhura voudrait frapper son capitaine pour être aussi obtus et frivole qu'il l'est le plus souvent. D'autre fois c'est à cause de sa clairvoyance qu'elle voudrait le frapper.
-C'est juste le recrutement capitaine. C'est un mauvais moment à passer, voilà tout.
Kirk hoche la tête. Nul ne le sais plus que lui. Il est le capitaine, il porte le poids de chaque mort qui a eu lieu sous son commandement. Uhura aurait voulu qu'il ne la fasse pas lui rappeler ces soucis. Elle connaît les accusations dont il s'accable. Elles se lisent dans son regard.
-C'est un mauvais moment à passer, approuve Kirk d'une voix qui trahit ses doutes. Des personnes prometteuses au moins ?
-Oui, quelques unes. Je n'en suis encore qu'au premier coup d’œil, je vous soumettrais mes candidats dès que j'aurais fait le tri. Il y a encore le temps.
-Trois mois si tout va bien. On a tout le temps du monde pour le recrutement tant qu'on est coincés à terre.
Soudain, le regard du capitaine s'illumine. Il se penche vers elle, comme pour une confidence.
-D'ici là, il est temps de vous joindre à mon petit complot. Venez. »
Par réflexe – elle connaît son capitaine et s'attend au pire – Uhura fronce les sourcils. Kirk lui répond par un sourire, sincère cette fois. C'est parce qu'elle est soulagée de le voir aller mieux et qu'elle est décidée à le garder occupé pour qu'aucun d'eux ne se mette à ruminer encore que la jeune femme décide de le suivre, cette fois.
Il l’entraîne dans des rues étroites de San Francisco et se déplace avec aisance entre les flux et reflux de la marée humaine qui caractérise la ville. Uhura, qui a passé deux ans de plus que lui a l'académie, réalise vite qu'il connaît bien mieux la cité qu'elle-même. Bientôt, elle est totalement perdue. Les buildings familiers ont fait place à des rues aux vieilles maisons serrées et à la peinture écaillée.
« Où sommes-nous capitaine ?, finit-elle par demander. Je ne reconnais pas le quartier.
-Ça ne paye pas de mine n'est-ce pas ? Le quartier n'a quasiment pas changé depuis la fin du XXIeme siècle. Ses habitants tenaient à ne pas subir la proximité des buildings qui se construisaient alors à toute allure. Ils se sont réunis en association et ont réussi à patrimonialiser leur quartier vers 2087. Les buildings environnant étaient obligés d'avoir des murs végétalisés pour limiter la ''pollution visuelle'', c'était le terme de l'époque. Le problème, c'est que les habitants avaient obtenu qu'une loi soit votée pour tout préserver. Du coup, il a été impossible de rien changé et quand le quartier a périclité, tout c'est dégradé, les murs végétalisés ont disparu mais il a été impossible de tout détruire et reconstruire.
Une fois de plus, Kirk surprend Uhura par sa culture. Sans doute son étonnement doit se voir car le capitaine hausse les épaules en souriant.
-J'adore cette ville. J'ai appris à connaître deux trois coins comme celui-ci qui ne sont pas dans les guides touristiques. Le quartier n'est pas bien beau mais il recèle des surprises. Venez. »
Uhura le suit sans se poser davantage de questions. Bientôt, ils s'arrêtent devant une boutique à la devanture miteuse et si poussiéreuse qu'on peine à voir l'intérieur. L'intérieur est loin d'être à l'avenant. Dans la boutique, tout est propre et bien rangé, sans un gramme de poussière. Pendant un petit moment, la jeune femme se demande à quel point l'endroit et la marchandise sont légaux. C'est avec un certain soulagement qu'elle remarque la présence d'étiquettes indiquant le prix et la provenance sur chaque objet présent. Il y a là des livres et des objets d'arts de toute provenance, quoique principalement terrienne. Elle reconnaît entre autres quelques très beau exemples d'art bambara, ifé et coréen.
« Où sommes-nous capitaine ?
-Il y a pas mal de boutiques d'art dans le quartier, tenues par des gens qui préfèrent la tranquillité à l'afflux des touristes venus de toute la Fédération. J'ai repéré quelque chose dans celle-ci et je veux votre avis. Tenez, qu'en dites-vous ?
Uhura se penche vers l'objet que lui tend Kirk. Du coin de l’œil, elle voit la propriétaire de la boutique, une asiatique d'âge moyen, les observer avec précaution tout en les laissant tranquille. Elle reporte son attention vers l'objet, un lourd volume relié de cuir. Quand elle l'ouvre, elle se retrouve à admirer les illustrations qui entourent une série de textes en russe. Sa connaissance de la langue écrite est rouillée pour le moins – elle a plus l'occasion de pratiquer des langues extra-terrestres à l'oral que des langues terriennes – mais elle pouvait déchiffrer le texte sans problème. C'était une série d'anecdotes sur la série, des contes, des histoires de personnes célèbres et d'inventions.
La jeune femme interrogea Kirk du regard. Elle ne comprenait toujours pas pourquoi il l'avait entraîné ici.
-Je l'ai dit, on trouve de tout dans ces boutiques. Parfois il y a de vrais œuvres d'art, parfois des arnaques. C'est la première fois que je viens dans celle-ci et je veux être sûr qu'on ne m'a pas menti sur le contenu de ce bouquin. Alors Uhura, dites-moi : est-ce que c'est le cadeau parfait pour Chekov ?
-Je pense, oui, finit par répondre Uhura. C'est son anniversaire ? Je n'avais pas noté la date !
Elle se sent presque mal de cet oubli, même si les événements de ces derniers mois sont une excuse. Cela lui revient maintenant, Chekov va fêter sa majorité, même s'il a déjà été émancipé pour pouvoir prendre sa place sur un vaisseau spatial.
-Je crois qu'on a tous besoin de se rappeler que la vie continue, murmure Kirk sans la regarder en reprenant le livre. Je pensais organiser quelque chose, un repas au restaurant avec les membres de l'équipe qui sont à San Francisco pour le moment.
-Je m'occupe de contacter tout le monde, décide Uhura. Vous faites les réservations, je suis sûre que vous connaissez l'endroit parfait. »
Elle n'admet aucune protestation de Jim qui, pendant tout le temps où ils effectuent l'achat puis retournent vers des quartiers plus animés de San Francisco, tente de la persuader qu'il peut se charger de tout. L'aspect le plus gamin du jeune capitaine, le voilà : il est incapable de ne pas tout porter sur ses épaules, que ce soit la préparation d'une soirée ou la responsabilité d'une catastrophe. Si ses officiers le laissaient faire, il tenterait de manier l'Enterprise à lui tout seul et se tuerait à la tâche avant son vingt-septième anniversaire.
Quand elle contacte les autres officiers de l'Enterprise, puis les membres de l'équipage amis avec Chekov, Uhura découvre qu'elle est la première à qui Kirk ait parlé de son idée. Elle en est flattée, sans trop savoir pourquoi.
L'idée de Kirk, elle s'en convainc peu à peu, était parfaite. C'est la première fois depuis les attentats de Khan que l’équipage montre autant d'entrain et d'optimisme. Du premier au dernier, chaque membre de l'équipage la contacte pour confirmer sa présence ou sinon, pour envoyer un cadeau personnel ou demander comment ils peuvent participer. Elle reçoit des centaines de mots touchants pour Chekov de la part des absents, à l'intérieur desquels elle découvre des rappels d'anecdotes sur la vie à bord durant les derniers mois qui côtoient des promesses de resservir tous ensemble à bord. Plus fort encore, certains messages que réceptionne Uhura déclarent que la personne envisageait jusque là de demander sa mutation pour un poste moins dangereux, mais que l’événement lui a rappelé que l'Enterprise est une famille et qu'elle restera finalement.
Uhura est touchée par chaque message. Quand elle en fait part à Spock, alors qu'ils discutent à distance, celui-ci étant pour quelques semaines à la Nouvelle-Vulcain, il hoche la tête.
« La faculté des humains à se renforcer en tant que groupe autour d'un événement est fascinante, déclare-t-il.
-Pas d'un événement, rétorque-t-elle, d'une personne. Kirk a assez de charisme pour levez une armée s'il voulait s'en donner la peine.
-Alors espérons... quelle est l'expression ? qu'il n'utilise par ses pouvoirs au service du mal. »
Le lendemain, Spock lui annonce sa décision de rentrer plus tôt pour participer à la fête. Uhura coche son nom sur la liste et se promet de signaler plus tard l'énorme effort de sociabilité qu'il a décidé de faire à Kirk et Chekov.
La petite fête en l'honneur de Chekov prend vite des proportions inattendues. Le tiers de l'équipage veut être présent. Uhura est obligé d'écrire un message collectif pour s'excuser auprès de la plupart de ces personnes et de leur expliquer qu'il serait impossible de trouver un lieu assez grand pour tous les accueillir et leur donner l'assurance personnelle du capitaine Kirk qu'ils se retrouveront de toute manière tous à bord de l'Enteprise dans quelques mois pour fêter son second départ. Au final, c'est une dizaine d'officiers, une quinzaine d'amis proches de Chekov à bord du navire et quelques membres de sa famille et de ses amis de Russie qui accueillent le jeune homme stupéfait dans un immense entrepôt des débuts de l'ère spatiale reconvertit en restaurant, bar et dancing. À eux seuls, ils constituent la moitié de la clientèle présente et l'autre moitié leur jette des regards à la fois exaspérés par le bruit et avides d'examiner le célèbre équipage.
Chekov est visiblement ému aux larmes en arrivant et Kirk s'empresse de préserver la dignité du jeune homme en s'intercalant entre lui et les invités pour un petit discours impromptu. Quand il pousse l'enseigne vers la foule, si celui-ci a les yeux un peu rouge, personne n'en fait mention.
Après le repas, les discours de circonstances et la remise des cadeaux à un Chekov qui bafouille d'émotion, les invités commencent à se lever et discuter en petits groupes. Il y a même une petite piste de danse où bientôt Kirk et Sulu font danser les amis du jeune homme. Uhura reste l'une des dernières assise à table, sirotant sa boisson tout en fixant le capitaine en plissant des yeux. Scotty, l'un des rares à ne pas s'être joints aux danseurs, s'installe sur sa droite.
« Que se passe-t-il Uhura ?., demande-t-il en s'appuyant sur la table d'un geste nonchalant. On dirait que vous essayez de résoudre un puzzle particulièrement difficile.
C'est à peu près le cas. Uhura n'a jamais vu d'énigme plus complexe que James Tibérius Kirk. Quand il lui a parlé de son projet d’anniversaire, qu'il surnommait projet Matriochka, elle avait manqué levé les yeux au ciel, tout en étant touchée de son attention pour son équipage. L'idée qui lui a traversé l'esprit, qui a traversé l'esprit de tout l'équipage, c'est celle-ci : il n'y a que Kirk pour penser qu'une fête est la solution à tous les problèmes. Uhura avait tort, elle le reconnaît : cette fête était la solution à tous leurs problèmes. L'équipage s'est renforcé et elle a reçu ces derniers jours de nouvelles candidatures. Dans chaque lettre de motivation est cité le désir d'appartenir à une équipe si soudée. Encore une fois, le charisme de Kirk a frappé.
Dans sa tête, Uhura manipule les pièces du puzzle Kirk. Fin psychologue. Tête brûlée. Tour à tour respecteux et odieux avec les femmes, comme s'il cherchait volontairement à se faire rejeter. Brillant stratège fonçant droit devant lui sans réfléchir la plupart du temps. Meilleur ami d'un docteur, ne supportant pas ceux de sa profession. Il se construit une famille sur l'Enteprise mais ne contacte jamais la sienne. Il est autoritaire mais ne supporte pas l'autorité. Une maniaquerie incroyable dans le suivi de son régime alimentaire, un manque total de considération pour sa santé dans tous les autres domaines. Dévoué toujours, égoïste parfois. Polyglotte, joueur d'échec émérite, passionné d'histoire, d'architecture, d'ethnologie. Doué avec les enfants, pas avec les adultes.
Uhura est certaine qu'il lui manque quelques pièces pour assembler le puzzle qui donnera sens à la personne qu'est aujourd'hui Kirk. Tant de contradictions, tant de secrets. Pourquoi ?
À cause de cela, Uhura est encore incapable de considérer Kirk comme un ami. Elle ne supporte pas les secrets. C'est pour cela qu'elle est devenue linguiste et qu'elle est rentrée à la Starfleet : pour décrypter les secrets des peuples qu'elle rencontre. Pour trouver véritablement sa place dans l'équipage, elle a besoin de déchiffrer le mystère Kirk.
-Je connais ce regard, déclare McCoy en prenant place de l'autre côté de la jeune femme.
-Vraiment ?
-Oh oui.... J'ai arboré le même durant mes deux premières années à l'académie. Vous êtes en train d'essayer de disséquer Kirk a distance. Mais est-ce pour le comprendre ou pour le tuer ?
-J'ai renoncé à contre cœur à l'idée de le tuer il y a des mois, plaisante Uhura. J'ai calculé mes chances de survie et de promotion plus élevées si je reste à ses côtés.
-Sage décision. Je détesterai avoir à vous envoyer des oranges en prison pour les cinquante prochaines années.
-Oh ne vous inquiétez pas, si je change d'avis je ne me ferais pas prendre. Je ferais accuser l'un de vous et je deviendrai le capitaine de l'Enterprise.
-Voilà qui nous promettrais plus d'heures de sommeil et moins de manœuvres désespérées pour nous tirer d'affaire, intervient Scotty. Je suis prêt à vous aider à nous débarrasser de ce bruyant énergumène !
Tous trois rient doucement puis le visage du docteur se fait plus sérieux tandis qu'il rapproche sa chaise d'Uhura.
-Ne vous mettez pas martel en tête à essayer de déchiffrer le comportement de Jim, Uhura. Vous n'arriveriez à rien. Je le sais, j'ai essayé pendant trois ans. Vous attraperez une migraine pour seul prix de vos efforts.
-Il doit bien y avoir quelque chose, marmonne Uhura d'un ton qui ressemble au geignement d'un enfant à qui on refuse une friandise. Quelque chose qui explique pourquoi Kirk est... Kirk.
-Oui, il y a quelque chose, répond d'une voix presque solennelle McCoy. Je ne l'ai pas trouvé. Je doute même qu'on découvre ce dont il s'agit même en fouillant dans les archives de Starfleet. Jim est trop bon hackeur quand il s'en donne la peine pour ne pas avoir effacé ses traces. Il refuse d'en parler et même d'y penser. J'ai fini par accepter Jim comme il est, avec son exubérance, ses incohérences et tout le reste. Pouvez-vous faire de même ?
-Cela ne me plaît pas.
-Bien sûr que non. Vous détestez les secrets Uhura.
Elle l’interromps d'un farouche hochement de tête.
-Ce n'est pas que ça. Oui, je n'aime pas ne pas comprendre Kirk. Mais cela ne m'empêche pas de lui faire confiance comme capitaine. C'est... je ne peux pas être son amie comme cela, seulement son officier. Et je m'inquiète pour lui.
-Moi aussi, déclare Scott qui s'est tenu en retrait pendant la majeure partie de la conversation. Ce n'est pas sain de se cacher derrière autant de couches et de faux sourires que le capitaine le fait. Il finira par se faire du mal, sans le vouloir.
-Pas sous ma garde, gronde le docteur. »
Uhura a envie de le croire. Par considération pour McCoy, le meilleur et le plus vieil ami de Kirk, elle retient la phrase cruelle qui cherche à sortir.
Et s'il décidait de se faire volontairement du mal, docteur, arriverions-nous à l'en empêcher ? Qu'est-ce qui dit d'ailleurs qu'il ne l'a pas déjà tenté ?
C'est une autre pièce du puzzle. Jim Kirk est tellement prêt à risquer sa vie pour les autres que cela frôle le comportement suicidaire. À moins que cela ne fasse plus que le frôler.
Le cœur au bord des lèvres, elle finit par se lever, saluant d'un demi sourire ses compagnons de table. Kirk a quitté la piste de danse et discute avec Chekov, qu'elle n'a pas vraiment eu le temps de féliciter.
« ...Uhura a fait la moitié du travail d'ailleurs, entend-elle déclarer le capitaine en la voyant arriver. Au moins.
Elle lève les yeux au ciel.
-Jim Kirk qui refuse de s'attribuer tous les lauriers. J'aurais vécu pour vivre ce jour. »
Bien sûr, Kirk lui répond par un sourire ravi. Il aime autant qu'elle leurs échanges de piques assassines. Chekov sourit devant leur routine et s'empresse de remercier Uhura. La joie du jeune garçon – non, jeune homme désormais – est contagieuse et Uhura oublie ses questions sur Kirk pour demander des nouvelles de sa famille au jeune enseigne. Cinq ans dans l'espace, c'est terriblement long et lui comme elle comptent profiter un maximum des trois mois qu'il leur reste. À côté d'eux, Kirk écoute la conversation avec un sourire qui cache mal sa tristesse. La famille est un sujet tabou avec lui. Il est difficile de décider si c'est parce que le sujet lui rappelle de bons ou de mauvais souvenirs. Uhura finit par changer habilement le sujet de la conversation pour lui permettre de participer.
Peu à peu autour d'eux les gens viennent saluer Chekov et Kirk et s'en vont doucement. McCoy, Sulu et Scotty partent ensemble parmi les derniers, à la recherche d'un bar pour un dernier verre. Chekov et sa famille font aussi leurs adieux, leur navette pour Saint Pétersbourg partant tôt le lendemain.
Uhura se retrouve à partir la dernière avec Kirk et Spock. Tous trois logeant dans le même hôtel réservé aux officiers sur le campus de Starfleet, ils se retrouvent à marcher côte à côte en silence dans les rues de San Francisco. Le temps est doux pour un mois d'octobre et de nombreuses personnes profitent de la vie nocturne de la ville. De temps en temps, quelqu'un les reconnaît et leur offre un salut plus ou moins discret. Leur deuil récent leur offre, si ce n'est l'anonymat qu'ils ont définitivement perdu sur Terre, au moins un peu de solitude de la part de la foule compatissante.
« Jimmy ?
Kirk interromps sa marche, reconnaissant clairement la voix qui l'interpelle. Curieuse, elle se retourne pour voir un jeune garçon, à peu près de l'âge de Chekov, brun, le regard honnête, la carrure un peu frêle pour son âge. Il s'avance vers le capitaine avec un grand sourire ravi et des yeux pleins d'admiration. À la dernière seconde, il s'arrête d'un air gêné.
-Excusez-moi, vous ne me reconnaissez peut-être pas mais...
Sans attendre la suite de son discours, Kirk attire le jeune homme dans une chaude étreinte.
-Kevin Riley, bien sûr, murmure-t-il d'une voix rauque d'émotion. J'ai failli ne pas te reconnaître. Les dernières photos que j'ai de toi remontent à quelques années.
-Vous... vous avez des photos de moi ?
-Bien sûr. Qu'est-ce que tu crois, que je n'ai pas gardé un œil sur vous tous ?
Pour Uhura, qui est une spécialiste des langages, y compris de l'expression corporelle, il est clair que quelque chose ne va pas. Le regard de Kirk, qui cherche toujours consciemment ou inconsciemment le regard de ses officiers, qu'ils soient sur le pont ou en dehors, est fuyant. Ses épaules sont contractées, comme lorsqu'il se prépare à un combat physique. Son sourire envers le jeune homme est réel, certes, mais sa mâchoire est serrée. Quelque chose ne va pas.
Le problème ne vient pas du jeune homme, le plaisir de Kirk n'a pas l'air feint. Non, réalise Uhura, le problème c'est leur présence à elle et Spock. Ils sont de trop, même si elle ne sait pas pourquoi. Peut importe, elle s'empresse d'imiter un bâillement.
-Si vous devez discuter entre vieux amis je préfère vous laisser, je suis exténuée. Spock ?
Le demi-vulcain la regarde en levant un sourcil interrogatif. Ils se connaissent depuis si longtemps qu'il comprend immédiatement son ordre silencieux de la suivre, même si le langage corporel de Kirk lui a échappé. Après des adieux rapides à un Riley étonné et un Kirk soulagé, ils s'éloignent à grand pas.
« Le capitaine avait un comportement étrange, finit par dire Spock une fois que tous deux sont hors de portée de vue et d'oreille.
-Oh, tu as remarqué ?
-Non. Le langage corporel des humains m'est encore étranger. Toutefois, en analysant après coup la posture du capitaine je lui ai trouvé certaines ressemblances avec celle qu'il adopte en cas de combat. Que se passe-t-il ?
-Tu veux chercher à comprendre le comportement d'un humain ? De Jim Kirk ?
-Oui.
Voilà qui laisse Uhura un instant sans voix. Spock a renoncé depuis longtemps à comprendre les incohérences de l'humanité. Il les accepte tout simplement. Uhura est même persuadé qu'il les apprécie secrètement. Même elle, il n'a jamais cherché à comprendre ses incohérences, et c'est l'une des raisons de leur rupture. Ils ont réussi à dépasser leurs différences culturelles mais pas à laisser pénétrer l'autre dans leur intimité. Ils n'ont pas vraiment essayé non plus.
C'est pourquoi Uhura est surprise de voir le vulcain faire autant d'efforts pour comprendre Kirk.
-Il est logique qu'un officier cherche à comprendre le comportement de son capitaine, répond Spock en réponse à sa question muette. Une bonne compréhension permet d'améliorer la cohésion et l'efficacité d'un équipage.
Uhura lui sourit affectueusement. Bien sûr, ce n'est qu'une question de logique. Spock n'accepterait jamais d'avouer que le mystère Kirk le rend aussi curieux qu'elle.
-Quelle explication donne-tu à son comportement alors ?
-Le capitaine a montré tous les signes caractéristiques de la joie chez un humain qui retrouve un congénère apprécié. Pourtant il a montré une crispation inhabituelle dans ces mêmes circonstances. Je ne comprend pas pourquoi.
-Parce qu'on était là. Je ne sais pas non plus la raison de cette réticence à notre présence, mais je suis certaine de mon analyse.
-Le capitaine n'a pourtant jamais montré de réticences à nous présenter ses connaissances.
C'est exact et son comportement en est rendu plus étrange encore. C'est en réfléchissant silencieusement au comportement de Kirk que les deux amis arrivent sur la base de Starfleet et à leur hôtel.
-Bonne nuit Spock, salue Uhura au moment de rentrer dans sa chambre. Merci d'être venu aujourd'hui, Chekov était très touché.
-Ce n'était que naturel, répond Spock, ce qui est sa manière de dire que l'équipage lui manquait. Que les actes du capitaine ne t'empêchent pas de dormir. »
Uhura émet un petit rire et referme sa porte. Elle est contente et soulagée de voir que son amitié avec Spock est toujours là. Elle lui parait même plus naturelle que la gêne qu'ils ressentaient l'un envers l'autre depuis avant l'attaque de Khan.
Quand elle se réveille le lendemain, la rencontre avec Riley lui est complètement sortie de la tête. Elle pense à d'autres choses autrement plus importantes et urgentes, comme le personnel qu'elle doit sélectionner et soumettre au capitaine, aux colloques linguistiques qui vont se tenir prochainement dont deux qui lui ont proposé de soumettre un papier, à son prochain départ pour Kinshasa où elle va passer quelques semaines en famille.
La jeune femme se met au travail rapidement dans la salle commune de l'hôtel. Elle pourrait travailler au calme dans sa chambre, mais après un an à bord de l'Enterprise, il lui est devenu étrange de travailler sans avoir autour d'elle des dizaines de personnes en train de circuler et discuter. La promiscuité permanente ne l'a pas rendu agoraphobe mais plutôt le contraire. Tout en travaillant, elle observe les employés de la Starfleet qui utilisent l'hôtel de la base et salue une connaissance ou deux.
Lorsqu'elle rejoint la salle de restaurant de l'hôtel, c'est sans surprise qu'elle retrouve plusieurs collègues attablés ensemble et qu'elle les rejoint. Scotty est là, de même que Sulu et Kirk, des plans et des pages de calculs s'étalant entre eux, au risque de faire tomber leurs plats. Aucun serveur ne tente de remédier à la situation, trop habitués au génie et à la frénésie travailleuse qui caractérisent la plupart des officiers de Starfleet. L'arrivée d'Uhura et de McCoy force toutefois les trois officiers à ranger leurs travaux pour leur faire de la place.
Après quelques bouchées et plaisanteries partagées avec ses collègues et amis, elle remarque deux choses incongrues. Kirk est inhabituellement silencieux et son assiette est pleine. La surprise sur le visage d'Uhura doit se voir car McCoy fronce les sourcils.
« Bon sang Jim, pas encore, grogne-t-il dans sa barbe. »
Seule Uhura, assise à ses côtés, et Kirk, qui devine le reproche plus qu'il ne l'écoute montrent qu'ils ont entendu la remarque. Le capitaine a un sourire apaisant – et faux selon Uhura – pour son ami et reprend sa conversation avec Sulu. C'est alors qu'Uhura note à quel point les cernes sous ses yeux sont énormes. Il n'a pas dormi de la nuit.
Uhura n'est pas une idiote. Elle sait additionner deux et deux. Après un an à bord de l'Enterprise, elle peut détecter quand le comportement du capitaine Kirk n'est pas normal. La veille au soir, son moral était parfait, jusqu'à leur rencontre avec le jeune Riley. Maintenant, Kirk est sombre, Kirk ne dort pas, Kirk ne mange pas. Or, s'il y a un aspect de sa vie où Kirk est maniaque, c'est la nourriture. Ne pas le voir manger est aussi incroyable que d'imaginer Spock souriant et serrant les mains de chaque personne qu'il rencontre.
Ce n'est pas seulement que Kirk ne mange pas, c'est sa façon de se comporter vis à vis de sa nourriture qui est inquiétante. Uhura le voit triturer sa nourriture du bout de sa fourchette, embrocher sur celle-ci de petits morceaux de nourriture, l'élever de quelques centimètres avant de la reposer dans l'assiette en contenant un haut le cœur, avant de recommencer ce manège.
Comment une simple rencontre peut-elle mettre l'homme qu'une rencontre avec l'assassin de son père a laissé de marbre dans un tel état ? Uhura tente de se souvenir s'il a eu un comportement menaçant d'une quelconque façon envers son interlocuteur, mais rien ne lui revient. Riley n'avait rien de particulier, à part peut être un accent prononcé que Uhura ne parvient pas à remettre. Elle connaît pourtant la plupart des accents terriens et ceux des humains d'autres planètes. Celui-là, elle ne l'a entendu nulle part. Tout au plus retrouve-t-elle une façon d'avaler certaines lettres assez similaire chez Kirk. Elle a toujours noté quelque chose de particulier dans l'accent du capitaine, quelque chose qui ne lui vient pas de ses années en Iowa. L'accent plus prononcé de Riley pourrait indiquer qu'il est né ou a passé son enfance sur un monde où Kirk est arrivé à un âge plus avancé.
Riley et Kirk pourraient donc avoir passé un temps de leur vie au même endroit, probablement durant leur enfance et adolescence respective, vu leur différence d'âge et le temps qu'il a fallu à Kirk pour reconnaître Riley. Si le Kirk enfant avait le dixième du charisme du Kirk actuel, le regard d'admiration de Riley devient limpide à comprendre. Il est plaisant d'imaginer un Jim Kirk adolescent, boutonneux et tout en genoux, la voix muant à peine, ulcéré d'être suivi partout par un gamin à peine sorti de ses couches.
Uhura a reçu une formation de diplomate. Elle devrait donc savoir quand il est préférable d'abandonner un sujet plutôt que de braquer son interlocuteur. Sa curiosité est son défaut et en cet instant elle est accentuée par l’inquiétude qu'elle ressent pour son ami.
« Au fait capitaine, qu'est devenu le jeune homme d'hier soir ? Je me serais attendue à le voir près de vous si vous ne vous êtes pas vu depuis longtemps.
La main de Kirk se crispe sur son couvert.
-Oh il avait des choses à faire, répond-il d'un ton qui pourrait passer pour nonchalant auprès d'un observateur peu attentif. Il s'apprête à tenter de rentrer dans Starfleet.
Uhura a un petit sourire. Que le jeune homme tente de suivre les pas de celui qui a l'air d'être son héros n'a rien de surprenant. Il est probable que dans les années à venir nombreux soient ceux qui tentent de suivre la voie de Jim Kirk, capitaine et héros de la fédération.
-De qui parlez-vous ?, demande Sulu avec curiosité.
-Nous avons croisé un jeune admirateur du capitaine hier soir. Les yeux pleins d'étoile, comme Chekov.
-Il me suivait partout quand il était gamin, se souvient Kirk avec un sourire nostalgique mais des yeux chargés de lourds souvenirs. Impossible de le garder éloigné de plus de quelques mètres. J'ignorais qu'il voulait rentrer à la Starfleet. J'ai dû mal à m'imaginer ce gamin qui avait toujours la morve au nez sur un vaisseau spatial.
-Vous vous étiez perdus de vue ?
-J'avais des nouvelles par des amis communs. Des photos, ce genre de chose.
-Et d'où vous connaissez-vous ?
En un an à bord de l'Enterprise, l'équipage a dû croiser une trentaine d'amis de Kirk, anciens amants et amantes compris. Kirk est toujours ravi de leur présenter ses compagnons de voyages. Uhura, Sulu et Scotty en particulier se sont pris à apprécier ces rencontres qui leur permettent d'en savoir plus sur leur capitaine et qui sont aussi l'occasion d'entendre un certain nombre d'anecdotes truculentes sur celui-ci. Ils ont pris l'habitude de poser des questions et celle de Sulu n'a rien d’exceptionnelle.
Pourtant, elle prend visiblement Kirk de court. Il saisit un verre d'eau pour se donner une contenance mais est obligé de le reposer presque immédiatement pour ne pas le renverser. Il s'efforce de regarder ailleurs.
-J'ai un moment vécu près de chez lui, arrive-t-il à dire, les yeux rivés dans son assiette. Quand... Ça n'a pas duré, mais nous sommes restés en contact. »
Sentant un malaise, ses compagnons abrègent la conversation et le repas. Kirk est le premier à se lever et dès qu'il est hors de portée de voix, tous se tournent vers McCoy, inquiets, mais ne sachant pas comment phraser cette inquiétude.
« Que se passe-t-il ?, finit par demander Sulu. Je n'ai jamais vu le capitaine agir comme ça.
-Si je le savais..., répond McCoy le front chargé de soucis. Depuis que je le connais je l'ai vu cinq ou six fois dans cet état. Il est tendu, cesse presque complètement de manger pendant quelques jours puis reprend sa vie comme si tout était normal. Il y a au moins deux fois où je suis presque sûr que ce comportement avait quelque chose à voir avec un décès dans ses relations. Le reste du temps, seul Jim sait ce qui peut causer chez lui ce comportement. Il refuse absolument d'en parler.
McCoy a l'air de subir un affront personnel, comme pour tout ce qui concerne la santé de son ami. Uhura repose ses propres couverts, l'appétit coupé.
-Si j'avais su je n'aurais jamais parlé de la rencontre d'hier soir.
-Vous ne pouviez pas savoir Uhura.
-Il n'empêche... Je vais aller m'excuser. »
Elle n'écoute pas la tentative de McCoy de la convaincre que laisser Kirk seul est la meilleure chose à faire. Tout en sortant du restaurant, elle se fustige mentalement pour sa curiosité et son impétuosité. Le fait de décortiquer l'énigme Kirk est-il donc plus important pour elle que les sentiments de son capitaine ? Certes, elle ne pouvait s'attendre à une telle réaction, et elle n'est qu'en partie responsable de l'état mental actuel de Kirk, mais elle s'en veut tout de même. Elle a démontré au cours du repas qu'elle était capable d'autant d'insensibilité qu'un... qu'un vulcain, par exemple.
Tout en préparant mentalement ses excuses, elle s'engouffre dans le hall d'entrée de l’hôtel. Ne voyant pas Kirk, elle prend le chemin de sa chambre, espérant qu'il n'est pas carrément sorti de l'hôtel. À son grand soulagement, elle le voit bientôt et accélère pour le rattraper. Le capitaine, les yeux fixés au sol, s’apprête à tourner au bout du couloir quand son chemin croise celui de Spock. Celui-ci, surpris, entame un geste de salutation machinal envers le capitaine. Kirk, incapable dans son état de remarquer la présence du Vulcain, s'encastre quasiment dans celui-ci. Spock transforme instinctivement son salut en un geste destiné à repousser le contact physique.
Quand il écarquille les yeux de surprise et presque d'effroi, Uhura réalise que leurs mains se sont accidentellement touchées. Kirk sait, bien sûr, à quel point un tel contact est un viol de l'intimité la plus profonde pour un vulcain. Pris dans le tourment de ses émotions, il se raccroche pourtant de tout son instinct humain à ce contact familier et agrippe la main de Spock comme un noyé sa bouée. Il s'effondre contre Spock et seule la force vulcanienne de celui-ci les empêche de tomber par terre.
Uhura accourt pour les aider. Elle souffre pour eux en imaginant ce qu'ils doivent ressentir à ce contact télépathique que ni l'un ni l'autre n'a souhaité. La jeune femme saisit Kirk par l'épaule, s'efforçant de son autre bras de dénouer les mains emmêlées de Kirk et Spock sans toucher celle du second pour ne pas ajouter à son inconfort. Les yeux de Kirk la transpercent sans la voir et s’agitent dans tous les sens. Il n'a pas l'air de réaliser où et avec qui il se trouve.
« Capitaine, Jim, tout va bien, vous pouvez le lâcher, murmure-t-elle, espérant l'atteindre.
-Vais vomir, réussit à balbutier le capitaine sans toutefois lâcher la main de Spock.
-Nyota, ordonne celui-ci. Ma clé, dans la poche droite de mon uniforme. »
Uhura lâche Kirk et attrape la clé. Elle court ouvrir la porte de son ami, fort heureusement peu éloignée et s'écarte immédiatement. Spock guide Kirk vers la salle de bain en étant presque obligé de le porter tellement les jambes du capitaine flageolent. Uhura ferme vivement la porte de la chambre en s'assurant que nul n'a été témoin du spectacle qu'ils devaient donner. Kirk a à peine le temps de se pencher vers le lavabo avant de vomir le peu qu'il a réussi à avaler depuis le matin. Bientôt seule de la bile sort de sa bouche. Sans mot dire, Spock le soutient tout du long.
Quand il a finit, Kirk s'effondre dans les bras de son second, à moitié inconscient. Uhura fait signe à Spock de garder le silence et de déposer Kirk sur le lit. À peine sa tête s'est elle posée sur l'oreiller que Kirk s'endort. Uhura se penche immédiatement pour l'examiner. Il est pâle comme un mort et seul un léger souffle indique qu'il est vivant. Son état est toutefois rassurant, assez pour que Uhura n'éprouve pas le besoin urgent de faire venir McCoy.
« Le docteur McCoy est-il présent dans l'enceinte la base ?
-Oui, mais ne l’appelons pas Spock, s'il te plaît.
-Pourquoi ? Le capitaine a certes l'habitude de repousser ses séjours à l'infirmerie mais son état...
-Si à son réveil nous avons l'impression que sa santé est en danger, je serais la première à appeler McCoy. Mais je pense que Jim sera suffisamment humilié que nous l'ayons vu dans cet état. N'en rajoutons pas.
Le silence de Spock est réprobateur, mais il ne fait pas mine de saisir son communicateur. Uhura se laisse tomber sur l'unique fauteuil de la pièce, mentalement épuisée. Tout en massant ses tempes, elle observe, soulagée, la poitrine de Kirk se soulever lentement. Spock s'empare de la chaise de bureau qui constitue le seul autre siège de la chambre d'hôtel et s'installe près d'elle. Lui aussi concentre toute son attention vers le dormeur.
-Que lui est-il arrivé ?, finit-il par demander.
-Il n'était pas bien ce midi. Il n'avait pas dormi je crois et pas mangé.
-C'est des plus inhabituels. Le capitaine a une certaine tendance à oublier de dormir lorsque nous sommes en mission mais le pourcentage de fois où il a sauté volontairement un repas est très faible, pour le même laps de temps.
-Combien ?, demande Uhura avec curiosité.
-0,0000003%.
-Oh, fait la jeune femme, qui s'attendait d'après ses observation à un résultat très bas, mais pas autant. Je... je l'ai interrogé sur le jeune homme d'hier soir, Riley. J'étais curieuse, et Kirk est d'habitude plus que d'accord pour parler de ses amis.
Spock opine de la tête.
-Le capitaine est avide de partager ses expériences et ses amis, plus que la plupart des terriens.
-C'est pourquoi je n'ai rien vu de mal à ma curiosité. Il... s'est dérobé. Il ne voulait pas en parler et il est parti rapidement. J'ai voulu m'excuser et je l'ai suivi. Je ne pensais pas... J'imagine que c'est le fond du problème, je n'ai pas pensé du tout.
Un silence inconfortable s'installe dans la pièce. Uhura reporte finalement son regard de Kirk vers Spock. Le visage de celui-ci est inhabituellement expressif. Rien d'étonnant, sans doute, étant donné qu'il n'était pas préparé à ce que Kirk viole sans le vouloir l'un des plus profond tabous vulcains.
-J'ai vu... commence Spock, les yeux hantés, avant de s'interrompre.
Cette fois-ci, Uhura refrène sa curiosité.
-Ne me dis rien. Ce que tu as vu lui appartient.
-J'ai entendu, poursuit Spock comme s'il ne l'avait pas entendu, j'ai entendu des cris d'enfants. Des hurlements de peur, des coups. J'ai vu du feu, du feu, du sang et de la fumée. Je ne saisis pas. Cela n'avait pas de sens.
-Ce n'était peut être pas des souvenirs mais la réminiscence d'un cauchemar, suppute Uhura.
-Oui, répond Spock d'un ton peu convaincu. Un cauchemar. »
Le communicateur d'Uhura bippe et elle s'en empara. La voix de McCoy résonne à l'autre bout.
« Uhura, enfin. Êtes-vous avec Jim ? Je n'arrive pas à le joindre.
Uhura lance un regard rapide vers le lit. Kirk a ouvert les yeux et la fixe, les yeux sans vie.
-Je viens de le quitter, finit-elle par dire, choisissant le mensonge plutôt que d'accabler encore son capitaine et ami.
-Comment allait-il ?
-Mieux. Retentez de le joindre plus tard, sans doute répondra-t-il. Si vous me permettez...
-Très bien, je vous laisse. Tenez-moi au courant si vous le revoyez. »
Uhura n'est pas sûre que le docteur ai gobé son mensonge. Elle est toutefois prête à le répétez en face de lui s'il le faut. Kirk affiche un air soulagé que la jeune femme peut comprendre. Elle hésite un moment sur ce qu'elle doit lui dire. S'excuser ? Elle ne pense pas qu'il voudrait de sa pitié en cet instant. Elle finit par se lever et affiche un mince sourire sur son visage.
« Je vais vous laisser vous reposez capitaine. Si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas à me joindre.
Elle ferme la porte derrière elle et s'effondre instantanément contre le mur. De lourds sanglots silencieux la secouent. Spock sort à son tour et se tient à ses côtés, attendant que son débordement émotionnel soit terminé. Même si le Vulcain est au-dessus de cette faiblesse humaine, il l'accepte et ne la juge pas chez elle. C'est une des choses qu'elle apprécie le plus chez son ami.
-J'ai conseillé au capitaine de se reposer là où il est tant qu'il en a besoin. Il semblait d'accord avec cette idée quand je l'ai quitté.
-Veux-tu venir dans ma chambre en attendant qu'il quitte la tienne, finit par demander Uhura une fois qu'elle a retrouvé une contenance.
-L'invitation est appréciée. Il me faut méditer. »
Méditer. Uhura aimerait pouvoir en faire autant, ou être capable d'oublier purement et simplement ce qu'elle a vu. Elle ne peut hélas qu'espérer qu'avec le temps, la douleur immense qu'elle a vu chez Kirk diminuera ou qu'il se tournera vers ses amis pour l'aider. Ce jour-là, elle se jure qu'elle sera là.