Who you gonna call?

Chapitre 6

2854 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/02/2023 18:52

« -Ray l’Occulte, Ray à votre service.

-Docteur Stantz ? »

Ray lâcha son livre d’un seul coup. « Et merde, j’ai oublié son bouquin dans la Ectomobile ! » se flagella-t-il mentalement en reconnaissant sa voix.

« - Mademoiselle Jones ! (il avait beaucoup pensé à elle au cours de ces quatre derniers jours) Merci de me rappeler !

Elle alla droit au but :

-Avez-vous pu estimer mon livre ?

La voix de Stantz se fit hésitante :

-C'est-à-dire… J’ai été un peu débordé récemment. Je l’ai feuilleté (pour ne pas dire survoler), il est très… complet… »

-… Mais vous ne pouvez pas me donner de prix, c’est ça ? »

Alba tourna le dos à la salle principale du bar, faisant tourner la carte de visite de Raymond Stantz entre ses doigts puis elle se boucha l’oreille qui n’était pas collée au combiné pour que le bruit de fond ne lui fît pas manquer un mot de la conversation.

Ray Stantz s’excusa. Si elle avait été en face de lui, elle aurait vu la pointe de ses oreilles rougir de honte.

Elle s’adossa au mur à côté du poste téléphonique à pièces, le cordon du téléphone enroulé autour d’un poignet, glissa la carte dans la poche arrière de son short.

« - J’ai vraiment besoin que vous estimiez mon livre, insista-t-elle.

-Donnez-moi encore quelques jours, lui demanda Stantz sincèrement contrit.

Voyant qu’elle n’avait bientôt plus de pièces, Alba Jones conclut :

-Je repasse récupérer mon livre vendredi. Au revoir ».

Elle raccrocha juste avant que la communication ne soit coupée.

Son dernier pourboire venait de passer dans cet appel.


Elle tira sur son tee-shirt trop court aux armoiries du Jinx Club de Mott Haven, version chiche des Hooter Bars du centre. Elle se rendit discrètement aux toilettes et s’enferma dans une des cabines. Elle s’assit sur la cuvette, enfouit son visage dans ses mains et se mit à pleurer à grosses larmes, elle avait retenu son chagrin une grande partie de la journée. Elle se sentait toute petite, épuisée et seule. Terriblement seule.


Elle repensa à Henry Saint-Clair, petit homme érudit et tatillon. Il lui avait appris à lire et il avait toujours eu du temps à lui consacrer, autrefois. Elle en voulait rageusement à Clay ; Clay et sa couardise de renommée mondiale.

Le livre de son grand-père lui manqua subitement énormément aussi. Elle se tamponna rapidement les yeux avec un carré de papier hygiénique, se redressa, renifla un bon coup et repartit en direction de la cuisine.

La cuisine était le territoire de Sebastian Lacroix, Bash pour les amis. La presque gloire universitaire de football américain, aujourd’hui cuistot d’un rade pourri du Queens. D’origine créole, Lacroix faisait rimer « friture » avec « luxure », aux dires des clients. Personne ne venait lui chercher des noises sur son territoire. Un peu plus âgé qu’Alba, il mesurait plus de deux mètres et avait dépassé sans peine le millstone des 140 kilos. Cheveux crépus, barbe bien taillée, des yeux francs et un sourire contagieux. Rien qu’à le voir de dos occupé à retourner des kilomètres de bacon, le sourire revint à Alba.

« -Ah, c’est toi ! s’exclama Bash, il y a les commandes pour la sept et la onze qui arrivent… Wouah, t’as une petite mine, ma grande…

-     Ça va, Bash.

-     Dure journée… Les ouvriers du téléphone, encore ?

-     L’un d’entre eux m’a jeté une capote neuve en guise de pourboire. »

Le dégoût sur le visage de Sebastian :

« - Ma mère dirait « de vrais porcs qui ne feraient même pas du bon bacon ».

Alba gloussa et saisit les deux plats que le cuisinier lui désignait. Ils partagèrent un regard complice.

« -Fais attention à toi, Alba, lança Bash en fricassant des œufs, et ne fais pas ce que je ne ferai pas !

-     Ça, ça ne risque pas ! »

Lacroix lui adressa un clin d’œil. Etre en salle était infernal pour les serveuses. Rudy Costello, le patron du Jinx Club, avait décrété qu’elles devaient porter des shorts en lycra noir et des tee-shirts blancs échancrés avec le logo du bar, le tout très serré et très court. Les employées portaient des chaussures à leur convenance, c’était le seul point négociable. Le Jinx Club comptait cinq hommes, du barman au cuistot en passant par les videurs et le patron et une huitaine de serveuses. Certaines ne faisaient que passer. Alba allait terminer sa première année au Jinx. La bière était tiède et à profusion ; la nourriture savoureuse et bon marché ; un groupe venait jouer le week-end et les filles étaient belles à regarder. La salle enfumée, basse et sombre comptait son lot d’habitués : des hommes et peu de femmes.

Alba Jones servit le type de la table onze puis le trio de la table sept. Des hommes qu’elle n’avait pas encore vus, de ces gars avec de bonnes têtes de pères de famille respectables. Quand elle posa leur commande sur la table, l’homme à sa droite lui donna une tape sur la fesse en riant grassement. Elle fit un bond de côté et les regards égrillards ne firent qu’attiser sa colère.

« -Allez, fais pas ta sainte-nitouche ! s’écria l’auteur du geste, t’es payée pour ça !

La jeune femme brandit son plateau d’un geste menaçant. Une main d’homme se referma sur son épaule comme une pince de homard :

-Jones, quand le monsieur te fait des compliments, tu dis merci. »

« Il ne manquait plus que ça, » pensa Alba.

Son patron était juste derrière elle. Rudy Costello. Costello et ses mains de terrassier qui broient tout ce qu’elles peuvent saisir. Athlétique, brun, des pommettes hautes et marquées et des yeux enfoncés. Mâchoire carrée. Tout en angles et un goût discutable pour la mode. Cheveux gominés et plats, un costume en velours rouge foncé, une chemise colle pelle à tarte orange pâle et des boots en lézard brique.

Costello parlait en faisant traîner les mots :

« -Dis merci, monsieur.

Alba dut déglutir pour qu’un merci à peine audible ne franchisse ses lèvres.

-     Et souris, putain de merde ! »

La jeune femme ne parvint qu’à grimacer et elle fila aussi vite qu’elle put en entendant le barman appeler. La démonstration de force du patron plut au trio bon chic bon genre. Costello leur promit une tournée. Il se dirigea vers le bar où Alba attendait que le barman ne remplisse son plateau. Costello fonça droit sur elle et la poussa sans ménagement contre la porte battante de la cuisine. La porte s’ouvrit et Rudy Costello attrapa la jeune femme par les épaules dès qu’elle eut franchi à reculons le seuil de la cuisine. Ses doigts s’enfonçaient dans la chair des bras de son employée, il serrait tel un boa constricteur. D’un geste sec, il la projeta contre le mur le plus proche :

« -Je t’ai déjà prévenue, lui aboya-t-il en plein visage, t’es là pour faire tout ce qu’on dit pourvu que le fric rentre ! Tu m’as compris ? Tu sais pourquoi Barbara et Jazz ont des pourboires à la pelle et pourquoi toi, t’as que dalle ? Faut encore que je te l’explique ? Elles ne font pas leur putain de princesse !

Du côté du grill, la main de Sebastian Lacroix tordit le métal de sa spatule. Alba et lui avaient trop besoin de ce boulot. S’il touchait un cheveu de Costello, s’en était fini d’eux deux. Le club leur permettait de survivre, la vie à New York n’était pas belle pour tout le monde.

Alba regardait au-dessus de l’épaule de son patron, la silhouette de son pote de galère l’empêchait de craquer. Elle savait que Bash pouvait d’un seul geste dévisser la tête de con de Costello. Perdre cet emploi ne pouvait pas être une option, ni pour Alba et ses problèmes, ni pour Bash qui contribuait à soutenir ses parents et ses frères plus jeunes. L’image du livre-dossier de son grand-père se présenta à son esprit et Alba serra les dents, elle ne tiendrait sûrement pas longtemps avec ce qu’il pourrait rapporter. Elle était à peu près sûre que les doigts de Costello s’étaient appliqués jusqu’aux empreintes digitales sur sa peau. « On est des vétérans de rades, de Hell’s Kitchen aux frontières du New-Jersey », lui avait dit Bash un jour. Ils se devaient d’être forts, même pour un salaire dérisoire.

Costello secoua la jeune femme par l’épaule :

« -Tu vas retourner dans cette salle et tu vas sourire, oui, tu vas sourire comme une foutue Miss Univers. »

Il la poussa en direction de la porte et comprit que le cuisinier le regardait :

« -T’as un problème, négro ? »

Sebastian Lacroix tourna le dos à Costello.

« -J’aime mieux ça », grommela le patron.


       La tonalité résonna dans le combiné. Ray Stantz maudit son étourderie. Entre le regain de phénomènes paranormaux, les événements du Nouvel An, la librairie, les inventions d’Egon et les états d’âmes de Peter, il n’avait tout simplement pas une seconde à lui. Il raccrocha et se dit qu’il devrait peut-être montrer le fameux livre à Egon. Ce dernier aurait sûrement un avis éclairé sur la question. Stantz raccrocha. Il s’en voulait d’avoir déçu la jeune femme. Elle était sortie de nulle part, avec son gros bouquin, ses grands yeux sombres et ses mains élégantes et douces. Elle l’avait franchement intrigué. Il avait encore jusqu’à vendredi pour tenir sa promesse et il savait que jusqu’à ce jour, il allait se surprendre à beaucoup penser à elle.




Vendredi au QG


« - Qu’est-ce que c’est, ce truc ? »

Winston Zeddemore se gratta la tête en trouvant l’énorme reliure abandonnée sur le siège passager avant de l’Ectomobile.

« Hé, mais c’est lourd en plus ! »

Il en oublia la cigarette qu’il s’apprêtait à allumer. Il tourna les pages. Il y avait des pages entières tapées à la machine, écrites à la main. Des croquis de créatures aux formes géométriques, certaines avaient des aspects réalistes. Il y avait beaucoup de schémas et de photos sépia. Des noms aux consonances exotiques : « Ah-Puch » ; « Tezcatlipoca » ; « Metnal ».

Sûrement un truc que Ray a oublié pour sa boutique, songea Zeddemore en emportant le livre à l’étage du quartier général, vachement bizarre mais en même temps pas plus que la plupart des trucs que Ray a l’habitude de lire.

Janine Melnitz, la secrétaire des chasseurs de fantômes, croisa Zeddemore sur le palier au-dessus de l’entrée. Elle retournait à son bureau du rez –de chaussée, un mug de café fumant à la main. Elle regarda l’homme par-dessus la monture épaisse de ses lunettes :

« - Vous avez trouvé de la lecture, Winston ?

-Heu, non… ça doit être à Ray. Je dirais bien que ça vient de la librairie. Je vais juste aller le poser sur la table du coin repas… Tout va bien sinon ?

-C’est calme, aujourd’hui, affirma Janine de sa voix nasillarde.

-Je pose ça et je rentre chez moi. Egon et Ray sont d’astreinte.

- Je ne vais pas tarder à m’en aller, moi aussi, fit la secrétaire, j’ai rendez-vous avec Louis. Faut qu’on cause.

-Bon courage… enfin, je voulais dire « bon après-midi », dit poliment Winston.

Zeddemore posa effectivement le livre comme il l’avait dit. Une série de petites détonations suivies d’une légère puanteur le surprit. Dans le laboratoire attenant, Egon Spengler devait encore expérimenter de ces choses qui lui étaient normalement interdites. Des bruits de marteau sur du métal rassurèrent quelque peu l’afro-américain : le docteur Spengler n’avait pas réitéré son exploit du mois dernier où il s’était intoxiqué avec un mélange de son cru.

Prenant le chemin de la sortie, Winston se fit la réflexion qu’il y irait bien voir les infos sportives dans un bar avant de rentrer.

Arrivé en bas des marches, il vit son collègue Stantz penché dans l’Ectomobile et pestant vivement.

« -ça ne va pas ? demanda Winston.

-J’ai perdu quelque chose, râla Stantz, un truc suuuuuuuper important.

- Important comme quoi ?

-Un livre. Un dossier. Enorme. Couverture verte, il me semble.

- Il est à l’étage. Tu l’avais oublié dans la voiture. »

Ray poussa un grand soupir de soulagement :

- Toi, t’es un frangin ! Merci, Winston. »

Winston dépassa Ray puis revint sur ses pas :

« -Il est super bizarre, ce livre. Je l’ai regardé, comme ça et ça m’a vaguement rappelé quelque chose.

-     Je monte le montrer à Egon, s’empressa Ray, à demain !

-     Ouais, salut ! »


« -Spengler, je peux te montrer un truc ? »

Egon Spengler avait les yeux rivés sur son microscope. L’empressement et l’enthousiasme de Ray lui firent quitter son analyse des champignons de moisissure trouvés sur un site de capture de fantôme.

Stantz lui mit sous le nez un énorme document :

« - Une cliente m’a apporté ça. Selon elle, c’est une documentation de l’expédition Montalbano des années cinquante et qui aurait appartenu à Marcellus Jones, dont elle serait la petite-fille.

-Marcellus Jones ? L’auteur de « L’homme qui revint de Metnal » ?

Ray hocha la tête.

-     J’ai bien aimé ce livre, admit Egon en feuilletant ce que Ray avait posé devant lui, tu savais que le dernier membre de l’expédition Montalbano était mort il y quelques jours ?

-     Etrange coïncidence, souligna Ray, je me suis posé la question si ce livre n’avait pas été volé.

-     Il me semble que Jones a dédié son livre à son fils, Frederick et à la fille de celui-ci, ajouta Egon puis reportant son attention sur le livre, regarde, il y a une photo de Marcellus Jones avec une jeune fille, juste ici. »

Spengler sortit d’entre les pages une photo récente en couleurs qui servait de marque-page. Ray Stantz ne pouvait plus avoir de doute : Alba Jones ne lui avait pas menti. Elle posait avec son grand-père, une sorte de Père Noël coriace, devant une maison de briques rouges. Tenant l’homme par le bras, elle souriait, radieuse et insouciante comme l’adolescente qu’elle avait dû être. Sur le dos de la photo, « Gramps et Alba, Queens, 1981 … Les souvenirs gardent en vie ».

« - Je dois estimer le bouquin d’ici vendredi, poursuivit Ray, elle sera sûrement contente de retrouver cette photo… étant donné que je ne vais pas pouvoir lui en proposer une forte somme…

-     Ray, nous sommes vendredi.

Stantz ferma les yeux et vociféra contre lui-même.

Egon scrutait les photos. L’une d’entre elle se décrocha quand il tourna la page.

-     Il y a quelque chose d’écrit sous la photo », constata Spengler.

Ray se pencha avec lui sur le segment écrit à la main. Ecriture phonétique. Les deux hommes se mirent à déchiffrer l’inscription, la répétant plusieurs fois sans en comprendre le sens.

-     Ça me dit quelque chose, fit Ray les sourcils froncés.

-     Huuum, je crois qu’on ne va pas tarder à le savoir, commenta Spengler en reprenant son microscope, regarde dans la base de données. »


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