Silent Hill : Return to Paradise
Chapitre 6 : Chapitre 07121/08121 (Billy & Miriam Locaine) Sumphusis
Catégorie: T
Dernière mise à jour 22/07/2010 19:59
18 février 1994... Nathan Avenue, Silent Hill… 15H00...
Billy n'aimait pas la nouvelle couleur de la maison. Elle faisait chochotte , elle ressemblait à une maison de fille, comme celle qu'avait sa sœur. Il aurait préféré qu'elle reste comme elle était, maintenant quand il irait dans son coin préféré pour jouer avec ses petits soldats, le décor serait bleu et franchement, ça ne collait pas avec la guerre. Mais ses parents décidaient de tout et il n'avait pas eu son mot à dire. Il aurait préféré du noir ou du rouge…
Billy était donc sortit comme presque tous les jours à cette heure-ci pour jouer avec son ballon. Mais l'odeur de peinture lui tournait un peu la tête, alors il avait dû s'éloigner de la maison, pas trop loin, dans Munson Street. Le bruit de son ballon qui rebondissait sur le sol se répercutait en écho sur les murs des bâtiments autour et il aimait bien ça. On ne rencontrait jamais personne dans cette rue, et Billy n'avait pas à craindre de tomber sur un inconnu. De toute façon, ses parents lui avaient bien dit : «si un inconnu t'adresses la parole, tu ne dis rien et tu reviens ici tout de suite nous prévenir». Mais Billy n'avait pas peur ; du haut de ses neuf ans, il se sentait capable de filer entre les doigts de n'importe qui.
Billy adorait sa sœur Miriam, mais des fois, il avait envie qu'elle le lâche un peu. Alors il venait jouer ici, car Miriam, elle, ne s'éloignait jamais trop de la maison. C'était une fille et elle avait peur de tout. A l'école, il devait tout le temps la protéger car elle se faisait embêter par les autres filles. Il était son grand frère et il prenait son rôle à cœur, il avait l'impression d'être un adulte.
Ses parents étaient venus à Silent Hill juste après la naissance de Billy ; l'appartement qu'ils avaient à Pleasant River était trop petit pour une famille qui s'agrandissait, et ils avaient eu la maison pour une bouchée de pain. Les maisons n'étaient pas chères à Silent Hill, et vraiment grandes en plus ; Billy aimait la maison : elle avait deux étages et il avait sa propre chambre et sa propre salle de bain. Le salon était gigantesque et il y avait plein de pièces secrètes. Il jouait souvent au détective à la recherche d'un indice du dernier meurtre qu'il avait entendu aux infos. Le dernier, c'était encore un type de Silent Hill qui était mort… On n'avait pas encore trouvé le coupable, mais Billy était sûr qu'il se cachait dans la maison, dans une des pièces fermées à clef, et il comptait bien le trouver et l'arrêter.
Billy rêvait de devenir policier, détective ou général dans l'armée. Arrêter les méchants, c'était son truc. Mais d'un autre côté, il aimait aussi le baseball, et être un champion ne lui déplairait pas non plus. Sa mère le voyait plutôt en médecin ou en avocat, mais ça ne l'intéressait pas.
Son ballon rebondit encore une fois sur le sol sec en claquant comme un gros élastique. Il le faisait rebondir de plus en plus haut. Quand le ballon revint vers lui, il le manqua. Billy courut après sa balle, qui s'était mise à traverser la Nathan Avenue en direction du parc. Il n'y avait pas de voiture, alors il ne prit pas la peine de regarder des deux côtés, comme sa mère le lui avait appris. Le ballon entra dans le parc en roulant dans tous les sens et Billy continua à courir après lui. Pendant qu'il courait ainsi, il remarqua que le temps s'était un peu couvert : de gros nuages noirs s'étaient amoncelés au-dessus de lui et un léger vent froid s'était levé. Ce n'était pas étonnant en février, mais c'était très soudain. Du coup, Billy ne pouvait pas voir où son ballon était allé se cacher, et il du fouiller tous les recoins du parc aux abords de la route pour le retrouver.
Il pleuvait maintenant. Billy était mouillé et misérable, et il n'avait pas retrouvé son ballon. Tant pis, il allait le laisser là où il était, il reviendrai le chercher demain. Il s'apprêtait à retraverser la rue quand il remarqua un grand panneau à l'entrée du parc, sur lequel on avait écrit un truc en rouge. Il se frotta les yeux pour lire : DEPÊCHE-TOI, TA MAMAN TE CHERCHE.
Qui avait écrit ça là ? Est-ce que ça lui était adressé ? Il se retourna et regarda de l'autre côté de la Nathan Avenue, fouillant des yeux le brouillard qui venait de se lever autour de lui. Quelque chose bougeait en face de lui. Une personne venait vers lui, sortant de la Munson Street. C'était une femme aux cheveux roux. Billy voulut courir vers elle, persuadé que sa maman était venue le chercher, mais il s'arrêta en pleine course. Elle avait les cheveux de sa maman, mais sa maman ne se promenait pas toute nue dans la rue… et elle n'avait pas une aussi grande bouche… une bouche monstrueuse… qui souriait…
Le corps huileux et répugnant, ruisselant d'eau de pluie, avançait comme un funambule sur un fil, les mains bien tendues en arrière pour conserver son équilibre précaire ; ce n'était pas un corps de femme, ni un corps d'homme : il était lisse comme du plastique, comme le corps de la poupée de Miriam. Et là où aurait dû se trouver un visage, une énorme bouche rouge et grimaçante prenait toute la place, comme une blessure béante d'où suintait du sang.
Billy voulut appeler sa maman et il cria de toutes ses forces, mais il savait qu'on ne l'entendrait pas. Il se retourna pour courir vers le parc, mais les grilles étaient fermées, et le texte panneau avait changé : MAMAN NE M'A JAMAIS SERRE DANS SES BRAS. Se sentant pris au piège, il prit la décision de se cacher dans le buisson où il avait cherché sa balle.
Recroquevillé sur lui-même, le menton sur les genoux, il écoutait attentivement les bruits que faisait la fausse maman en marchant sur le sol. Les pas se rapprochaient et Billy ferma les yeux en se disant dans sa tête : «Que ça s'arrête ! Que ça s'arrête ! C'est pas drôle ! Je veux ma maman…» Un autre bruit se fit entendre derrière lui : un raclement de métal contre l'asphalte… mais il n'eut pas le temps de se demander ce que c'était…
Un éclair blanc fendit l'espace devant lui et il sursauta de frayeur. Les branches lui entraient dans le visage, dans les yeux, dans la bouche, et une main lourde comme du plomb s'ingéniait à le maintenir dans cette position. Devant lui, juste devant ses jambes repliées, il y avait le tranchant d'une énorme hache, une hache comme il on en voyait dans les dessins animés. La hache remonta dans les airs, disparut de sa vue, puis s'abattit de nouveau, en plein sur son bras…
Non, ce n'était pas possible… Dans les dessins animés, la hache ne marchait jamais, elle ne tranchait pas le lapin en deux, qui réussissait toujours à s'en sortir sans une égratignure… Sur le coup, Billy ne sentit pas la douleur, il vit seulement son bras par terre à côté de lui et des flots de sang coulant dessus… Cela ne pouvait pas être vrai… Il était un enfant, il ne pouvait pas mourir, ça n'arrivait qu'aux gens à la télé… Mais quand la hache s'abattit pour la troisième fois, sur sa jambe cette fois, il ne pouvait plus nier la vérité : il était en train de se faire tailler en pièces, comme dans un film d‘horreur… Mais où était papa ? Et maman ?…
Une branche lui entra dans l'œil, et il ne vit plus rien, ne voulut plus rien voir, ni rien sentir. Si c'était ça la mort, alors ça n'avait rien à voir avec ce qu'il avait vu à la télé, et c'était trop horrible à supporter. Où étaient les anges et le tunnel plein de lumière que lui avait décrit sa maman ? Il ne les voyait pas… Il ne «voyait» que la hache qui s'abattait encore et encore, sur sa poitrine, sur sa tête… Maman ! Au secours ! Je meurs !… Papa ! Ne laisse pas faire ça !…
Mais personne ne pouvait entendre ses plaintes qui ne sortaient pas de sa conscience vacillante… et Billy mourut tout seul, dans la rue, sous la pluie, ignoré de ses parents et du reste du monde…
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Mr Locaine demanda à sa femme si elle avait vu Billy. Elle lui répondit qu'elle l'avait appelé et qu'il devait sans doute être rentré. Ne trouvant son fils nulle part, Mr Locaine décida de sortir pour le faire rentrer de force : cette pluie était vraiment torrentielle, et la météo ne l'avait pas du tout prévu. Il espérait que la peinture encore fraîche ne serait pas trop endommagée par ce temps.
Au moment, où il ouvrit la porte, la pluie s'arrêta brusquement ; le ciel était bleu, bien que quelques panaches blancs s'attardaient encore. Le soleil illumina la rue devant lui, et l'eau ruisselant le long du caniveau scintillait. Il regarda de l'autre côté de la rue, le parc de Rosewater, mais ne vit aucun mouvement : Billy jouait de temps en temps dans le parc, mais celui-ci était fermé depuis quelques jours…
Il l'appela «Billy !! Rentre à la maison !!» en se disant que comme il ne pleuvait plus, il allait devoir batailler pour que son fils obéisse. Mais il devait être trempé et la perspective d'un chocolat chaud accompagné des cookies que sa mère et sa sœur étaient en train de préparer devrait le convaincre.
Il traversa la rue en continuant d'appeler «Billy !» en fouillant les lieux du regard ; des ombres s'attardaient encore dans le parking désert et il espéra que Billy n'avait pas escaladé la grille pour entrer dans le parc.
Pendant qu'il se faisait cette réflexion, il sentit quelque chose toucher sa jambe . Il se baissa et ramassa le ballon en plastique de son fils, qu'il reconnaissait bien puisqu'il le lui avait offert. Mais pas de Billy. D'où venait le ballon ? Il appela plus fort «Billy !! C'est papa !!», sentant une montée d'adrénaline à la pensée de ce qui avait pu arriver àson fils. Bon dieu, avec ce tueur qui rôdait dans le coin, il n'aurait jamais dû laisser son fils sortir !! Mais il ne pouvait rien être arrivé à son fils, à sa petite famille, Billy s'était sûrement caché et il attendait que son père le trouve… Sûrement dans ce buisson…
Avec lenteur, Mr Locaine s'approcha du buisson et marcha dans une flaque de liquide poisseux ; il se baissa et toucha le sol : sans doute une flaque d'huile laissée par quelque voiture. Mais c'était rouge… et l'odeur était… très reconnaissable…
Paniqué, Mr Locaine appela son fils en hurlant tout en écartant fébrilement les branches cassées qui lui cachaient la vue ; et là, son pire cauchemar prit vie… Un petit corps coupé en morceaux… des petites mains… des petits pieds… une tête blonde… et un tee-shirt à l'effigie de son équipe de baseball préférée… maculés de sang rouge… rouge… tout était devenu rouge… Mr Locaine ne put même pas hurler devant ce spectacle, son monde s'écroulait…
Le sang de Billy Locaine coulait dans le caniveau le long des rues désertes et indifférentes de Silent Hill…
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Mme Locaine appela sa fille pour lui dire que les cookies étaient prêts. Elles adoraient cuisiner ensemble pour leurs hommes, surtout qu'ils rentreraient affamés et trempés. Miriam était un vrai cordon bleu comme sa mère, à seulement huit ans ; elle ferait une parfaire épouse plus tard.
Elle n'était pas malheureuse de sa vie : elle élevait deux adorables enfants et n'avait pas retrouvé de travail après son deuxième accouchement, car la vie de femme au foyer lui plaisait. Elle consacrait tout son temps à ses enfants et son mari, et le déménagement à Silent Hill huit ans plus tôt l'avait enchanté.
Enfin, avec cette histoire de tueur en série qui sévissait dans la ville, ce n'était guère rassurant, mais il n'arriverait rien à sa petite famille. Son mari allait rentrer d'un instant à l'autre avec Billy et les deux hommes de sa vie auraient bien besoin de ses cookies pour leur goûter.
Elle appela encore une fois sa fille, qui était sortie dans le jardin familial peu avant que son mari ne parte à la recherche de Billy. Elle prit un torchon et s'essuya les mains tout en se dirigeant vers la baie vitrée qui donnait sur le jardin. Elle ne voyait pas sa fille, ce qui était bizarre étant donné la taille de leur jardin. Elle était peut-être sortie dans la Munson Street, en passant par le portail de derrière. Sa fille ne sortait jamais toute seule et elle commençait à s'inquiéter.
Elle sortit de la maison d'où émanait une bonne odeur de cookies chauds, et traversa le jardin en appelant sa fille. Aucune réponse. Elle se pencha par-dessus le portail arrière qui donnait sur la Munson Street, en appelant «Miriam !!» d'une voix forte, mais la rue était noyée dans l'ombre, bien que la pluie se soit arrêtée et que les nuages se soit dispersés.
«Miriam ! Allez, ne fait pas peur à maman !» Mme Locaine remonta la rue en marchant vers la Katz Street, et soudain elle s'immobilisa : à ses pieds, elle vit quelque chose qui lui paraissait familier… mais tout à fait incongru en plein milieu de la rue. C'était… une mèche de cheveux blonds… un blond qu'elle connaissait… le même que celui de Billy... Elle se pencha pour la ramasser et la texture poisseuse la surpris : les cheveux étaient mêlés de sang frais…
Mme Locaine, sentant la folie la gagner, se mit à courir et se retrouva devant la résidence Blue Creek. Elle serrait convulsivement les mèches de cheveux de sa fille dans ses mains tremblantes et des sanglots commençèrent à la secouer incoerciblement : car elle avait trouvé sa fille… ou du moins ce qu'il en restait… Elle ne put regarder plus attentivement et détourna les yeux en poussant un cri misérable et étranglé… Elle posa la mèche de cheveux sur son sein et cria encore… car cette partie de sa fille était la seule chose qui restait de Miriam…
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18 février 1994... South Ashfield Heights… 16H10...
Aidan Bearchan marchait d'un pas lent dans les rues d'Ashfield, à la recherche de l'immeuble dont il avait trouvé l'adresse durant son enquête.
Il avait étudié attentivement le passé de Walter Sullivan : le garçon avait fait un court séjour à l'hôpital St Jérôme avant d'être prit en charge par l'hôpital Brookhaven de Silent Hill, pour finir dans un orphelinat ; à St Jérôme, on lui avait donné l'adresse de Frank Sunderland, le concierge de l'immeuble dans lequel Walter Sullivan, alors un nouveau-né, avait été trouvé. C'était Frank Sunderland lui-même qui avait sauvé le bébé et l'avait confié à l'hôpital. La seule chose qu'il savait à l' époque était le nom du couple qui avait abandonné leur bébé : Sullivan… Mais en creusant un peu, Bearchan pourrait peut-être en apprendre plus sur eux.
L'inspecteur s'immobilisa devant l'entrée un peu miteuse d'un appartement banal et en tout point semblable à ceux qui l'entouraient ; il monta les quelques marches et appuya sur le bouton de l'interphone sous lequel était écrit «Concierge». Une voix lui répondit, lui demandant le motif de sa venue ; Bearchan répondit qu'il enquêtait sur une affaire de meurtres et qu'il avait besoin de lui poser des questions sur un évènement remontant à exactement vingt-quatre ans. La porte grésilla et Bearchant entra dans le hall carré de l'immeuble. Des doubles portes menaient aux différentes parties du bâtiment, et des boîtes aux lettres trônaient près de l'escalier, vers lequel il se dirigea.
Sunderland lui avait dit qu'il demeurait à l'appartement 105 et Bearchan dû monter quelques marches pour atteindre le permier étage ; arrivé sur le palier, il vit que le concierge l'attendait devant sa porte, les bras croisés, et la mine un peu renfrognée ; un type aux cheveux grissonnnants, la soixantaine, bien bâti et aux traits malgré tout bienveillants.
- «Bonjour, je suis l'inspecteur Bearchan et j'enquête sur la vague de meurtres qui a commencé il y a quelques jours, vous êtes au courant ?» demanda Bearchan en guise de préambule.
- «Un peu que je suis au courant ! Ca fait froid dans le dos ! Qu'est-ce que je peux pour votre service ?»
- «J'aimerais vous poser quelques questions au sujet d'un évènement qui a eu lieu il y a vingt-quatre ans dans votre immeuble : une histoire sordide à propos d'un bébé, vous vous souvenez ?»
- «Pour sûr, on oublie pas un truc pareil !» s'écria Sunderland. «Il m'arrive d'en faire encore des cauchemars.»
- «Où cela s'est-il passé exactement ?»
- «Dans la 302. Une fichue piaule si vous voulez mon avis. Depuis ce drame, plus aucun locataire n'y est resté plus d'un an», se plaignit le concierge. «Vous voulez entrer ?»
- «Oui, merci, si cela ne vous dérange pas.»
- «Pensez donc ! Si je peux faire mon travail d'honnête citoyen en vous aidant à arrêter ce malade…»
Sunderland le précéda dans l'appartement 105, qui devait être en tout point identique aux autres appartements du quartier qu'il avait déjà visité ; seul l'ameublement et les touches personnelles de chaque résident étaient capables de donner un peu de chaleur à ses pièces toutes identiques. Bearchan le savait, son propre appartement ressemblait beaucoup à celui-ci.
Le concierge s'éclipsa dans le coin cuisine et revint avec deux tasses de café. Ils s'installèrent à la table basse au milieu du salon. Bearchan prit une gorgée de café par politesse, puis reposa sa tasse avant de regarder Frank Sunderland dans les yeux : l'homme semblait fatigué, il avait les traits tirés et ses mains tremblaient un peu. Bearchan s'enquit de sa santé :
- «Oh ! Rien qui vous concerne. Ma belle-fille est très malade et mon fils s'occupe d'elle. J'attends son coup de fil, mais j'ai l'impression qu'il a oublié…»
- «Je suis désolé, je peux repasser si vous voulez…»
- «Non, ça ira. Ca sert à rien de se faire du mauvais sang», décida Sunderland. «Les enfants, on se fait du souci pour eux et finalement, on se rend compte qu'ils se débrouillent très bien sans nous, pas vrai ? Vous avez des enfants, inspecteur ?»
- «Euh…», hésita Bearchan. «Non… l'occasion de s'est pas présentée…» Une douleur fulgurante mais brève traversa son corps tout entier…
- «Ah… Moi, je pense que quand on veut pas d'enfant, il faut pas se forcer ! Sinon ça finit comme avec les Sullivan, une vraie tragédie, ça… On devrait enfermer des criminels pareil !»
- «Parlez-moi de cette histoire», commença Bearchan, trop heureux que le concierge soit entré dans le vif du sujet.
- «C'étaient des gens qui présentaient bien, ils venaient de Silent Hill, je crois, il faudrait que je retrouve leur dossier (j'ai un dossier sur tout le monde ici). Ils venaient de se marier, si je me souviens bien, et ils commençaient leur vie de couple. L'appart était pas cher, bien situé, alors ils ont sautés sur l'occasion. Mais ils ne m'ont pas donné l'impression d'un couple uni… »
- «Comment cela ? Ils se disputaient ?»
- «Oh ! pas en public, mais le mari avait une façon de rabrouer sa femme qui me mettait mal à l'aise», répondit Sunderland, en se grattant le menton. «On voyait bien que c'était lui qui portait la culotte. Il devait avoir des origines hispaniques… Mais la femme était américaine, c'est sûr ; elle m'a dit venir de Silent Hill, je m'en souviens car mon fils et ma belle-fille y sont allés il y a trois ans et ça m'avait rappelé cette histoire…»
- «De Silent Hill ?» Bearchan s'étrangla presque en prononçant le nom.
- «Ouais, mais en fait, on a beaucoup de natifs de Silent Hill qui emménagent ici ; visiblement la ville de Silent Hill n'attire plus grand monde… »
- «La femme était enceinte ?»
- «Non, pas à leur arrivée. Ou alors je n'ai pas remarqué», se souvint Sunderland. «J'ai commencé à noter des rondeurs caractéristiques environ six mois après leur arrivée. Le mari était furax que sa femme soit enceinte. »
- «Il ne voulait pas d'enfant ?» interrogea Bearchan, outré malgré lui.
- «Visiblement non ! Il y avait de plus en plus d'éclats de voix au troisième étage, et les voisins se plaignaient du bruit ! Plus d'une fois je suis allé les voir pour tenter de régler le problème, mais le mari disait que de toute façon, ils allaient bientôt partir, parce que «le voisinage ne lui convenait pas» !»
- «Et la femme ? Que disait-elle ?»
- «Pas grand-chose. A mon avis, elle avait peur de son mari et elle semblait toujours au bord des larmes. J'aurai bien appelé la police pour tirer tout ça au clair, mais elle semblait m'implorer de ne rien dire. Je crois qu'il la battait…»
- «Alors qu'elle était enceinte ?»
- «C'était le cadet de ses soucis ! Quand bien même il aurait pu tuer le gosse que ça lui aurait fait ni chaud ni froid ! C'était une vraie brute ! »
- «Comment avez-vous trouvé le bébé ?»
- «Des voisins se plaignaient encore du bruit, notamment des cris d'un bébé, alors je suis allé voir. Personne ne répondait là-dedans alors j'ai utilisé mes clefs pour entrer dans la 302 et j'ai trouvé cette petite chose sans défense par terre, dans le salon : à mon avis, il venait tout juste de sortir, il avait même encore le cordon ombilical ! Je l'ai récupéré vous savez !»
Frank Sunderland montra une petite boîte dans la vitrine d'un buffet derrière l'inspecteur.
- «Juste un petit bout, pour garder un souvenir de ce pauvre gosse. Il avait vraiment mal démarré dans la vie, celui-là. On devrait pas faire ces choses-là. Si on veut pas d'enfant, il faut pas en faire. On peut pas les abandonner comme ça, sur le bord de la route. Un enfant, c'est quelque chose…»
- « Oui, je vois…», l'interrompit Bearchan, que le sujet mettait mal à l'aise. «Et les parents ?»
- «Envolés ! Littéralement ! On a jamais su où ils sont partis ! Ils ont même emporté les clefs et j'ai dû refaire un double. Et depuis, cet appartement n'arrive pas à garder ces locataires plus d'un an ; certains se plaignent de bruits bizarres… et même de cris d'enfants !»
Un énième appartement hanté… Bearchan avait déjà entendu parler de maisons où ils s'était passé des choses horribles et qui en gardaient le souvenir…
- «J'ai pris le gamin et j'ai appelé l'hôpital pour qu'ils viennent le prendre en charge», continua Sunderland. «J'ai juste dit qu'il s'appelait Sullivan mais on m'a demandé de lui donner un prénom, alors j'ai choisi Walter… C'était le nom de mon père, un fier gaillard, et je pensais que ça lui porterais chance… »
- «Qu'est devenu l'enfant ?»
- «Aucune idée. L'ai jamais revu. Il m'arrive de me demander ce qu'il lui est arrivé…»
- «Je n'ose pas vous le demander, mais… j'aimerais visiter la 302…»
- «Si ça vous chante… Ca a un rapport avec les meurtres ?» demanda le concierge en allant chercher son trousseau de clefs.
- «Peut-être… Rien n'est encore sûr, j'essaie juste d'éliminer certaines pistes…»
_§_
Les deux hommes sortirent de l'appartement 105 pour monter les étages jusqu ‘au troisième. Après avoir poussé la lourde double porte et traversé le palier, le concierge et l'inspecteur de police se retrouvèrent face au couloir dans lequel se trouvait l'appartement 302. Mais ils n'étaient pas seuls : une personne se tenait devant la porte de l'appartement.
Walter Sullivan avait posé ses mains et sa tête sur la porte close, son visage tourné vers les deux nouveaux venus ; il semblait parler tout seul, ses lèvres remuaient mais Bearchan ne pouvait entendre : c'étaient des mots chuchotés, murmurés, comme si Sullivan tenait une conversation intime avec une personne de l'autre côté de la porte ; mais le concierge avait certifié que la 302 n'avait pas de locataire…
A la vue de Walter Sullivan, dont il venait d'entendre la première partie de l'histoire en détail, Aidan Bearchan se sentit prit d'une vague tristesse, mais aussi d'un début de nausée en se rendant compte qu'on pouvait réellement abandonner un enfant comme une chose sans importance, comme un objet dont on voudrait se débarrasser parce qu'il devient encombrant…
L'inspecteur rentra en lui-même quelques secondes, essayant de se mettre à la place de ce père qui avait délibérément «jeté» son enfant, mais il ne le put… Si seulement il avait eu la chance de ce père indigne... Si seulement il avait eu la chance d'avoir un enfant en bonne santé, de pouvoir tenir ce petit être dans ses bras... Sa vie aurait-elle été différente ?
Walter Sullivan se redressa et s'éloigna de la porte, tout en regardant les deux hommes médusés devant ce spectacle. Son regard s'attarda particulièrement sur Aidan Bearchan, comme s'il avait pu lire ses pensées et connaître son état d'esprit.
- «Wal… Walter Sullivan…», balbutia le commissaire, atterré.
- «Sullivan ?!», s'exclama Sunderland, tout à fait surpris de trouver un visiteur qui ne s'était visiblement pas annoncé. «Vous voulez dire… Walter Sullivan, le gamin qui…»
Sullivan sourit aux deux hommes, de ce sourire vide que Bearchan connaissait bien maintenant. Il se dirigea vers eux.
- «Ne vous inquiétez pas, Mr. Sunderland. J'étais simplement venu voir ma mère, mais je m'en vais maintenant», prononça doucement Sullivan en passant à côté du vieux concierge qui semblait avoir prit vingt-quatre ans d'un coup.
Aidan Bearchan suivit le jeune homme des yeux et remarqua, juste avant qu'il ne disparaisse à l'angle lu couloir, le regard rempli d'un sentiment indéfinissable que Walter Sullivan portait au-delà de lui, vers la porte blanche au bout du couloir, que les deux hommes l'avaient surpris en train d'embrasser si tendrement… la matrice de laquelle il était sorti vingt-quatre ans plus tôt…
Et Aidan Bearchan s'apprêta à révéler à Frank Sunderland, cet honnête homme qui n'avait écouté que son cœur vingt-quatre ans plus tôt, que l'enfant dont il avait sauvé la vie était aujourd'hui suspecté de meurtres en série…