Silent Hill : Return to Paradise
Chapitre 5 : Chapitre 06121 - (George Rosten) Extasis
Catégorie: T
Dernière mise à jour 09/11/2016 01:05
17 février 1994... Silent Hill, Eglise… 07H46...
Les fidèles s'étaient tous réunis très tôt ce matin dans l'église, pour prier Dieu ensemble et lui demander un signe. La plupart d'entre eux ne savaient pas que les choses avaient commencé à bouger. Seuls les plus haut placés dans la hiérarchie de la secte étaient au courant : le bras droit de Dieu était en ce moment même en train d'effectuer le rituel tant désiré…
L'église présentait une architecture classique, bien qu'en y regardant de plus près, quelques détails pouvaient indiquer une certaine originalité : pas de crucifix, pas de chemin de croix, pas de fonds baptismaux ; à la place, sur les murs, une série de six tableaux racontant la naissance et la mort de Dieu ; dans le chœur, derrière l'autel, un triple vitrail représentant une femme vêtue de rouge, le visage caché derrière une tenture, flanquée de deux personnages ressemblant à des saints.
Les bancs qui faisaient face au chœur étaient en partie occupés par des fidèles silencieux et recueillis ; les places vides se faisaient plus nombreuses à mesure que le temps passait, George l'avait remarqué : après le rituel raté des Gillespie, beaucoup d'entre eux avaient perdu l'espoir et ne venaient plus aux messes. Le rituel en cours devait marcher, à coup sûr, mais cela prendrait du temps, voire des années… Mais George était patient…
« Au début, les gens n'avaient rien. Leur corps les tiraillaient et leur cœur ne connaissait que la haine. Ils se sont battus, sans cesse, mais la mort les éluda. Ils sombrèrent dans le désespoir de leur éternel bourbier… »
Ses prières n'étaient jamais vaines : car, plus que quiconque, il savait qu'Elle existait, et qu'Elle reviendrait… qu'Elle ramènerait le Paradis…
Ses yeux s'arrêtèrent sur le premier rang, juste devant l'autel, sur une jeune femme aux cheveux blonds, dont le visage trahissait une intense concentration : Claudia avait l'habitude d'en faire un peu trop, à son goût. Sentant son regard sur elle, elle se tourna doucement vers George. Ses yeux étaient vides, comme perdus dans un autre monde, tout comme ceux de Walter… Ils se ressemblaient tant… Sauf que Claudia, elle, ne souriait jamais. Elle était d'une austérité dépassant la simple vertu. Elle était consciente de son pouvoir, mais aussi du fait que beaucoup de frères et sœurs la considéraient comme un peu folle.
Claudia se retourna face à l'autel et rejoignit les mains. George avait pris l'habitude de l'observer de plus en plus souvent, ses derniers temps. Elle était devenue une femme maintenant, et si elle prenait le temps de s'occuper un peu d'elle, elle pourrait presque être séduisante… Mais il ne devait pas se laisser distraire…
« Un homme offrit un serpent au soleil et pria pour le salut. Une femme offrit un roseau au soleil et demanda la joie. Prenant pitié de la tristesse du monde, Dieu naquit de ses deux mortels… »
Walter priait aussi, juste à côté de lui. Quand il venait à Silent Hill, c'était toujours vers George qu'il se dirigeait en premier. Après tout, il était son disciple numéro un. Il avait reçu le privilège de l'élever car il était le leader de la secte de Valtiel. Un tel potentiel ne pouvait que tomber entre les meilleures mains possibles, et George s'était fort bien acquitté de sa tâche ; il avait formé l'esprit du garçon à une vie austère, pure et vertueuse.
Certes, le rituel de possession y était pour beaucoup, mais Walter avait été éduqué très tôt : à l'orphelinat déjà, on lui avait inculqué les principes de base. La lecture des écritures et les châtiments corporels y étaient monnaie courante. Sans oublier la punition la plus terrible : l'enfermement dans la prison… Humide, froide et terrifiante, la prison était la hantise des enfants, mais bizarrement, Walter n'avait jamais semblé en avoir peur : il considérait ces punitions comme un honneur tout particulier… Du moins, c'était ce que le maton, DeSalvo, lui avait dit à l'époque. Il avait aussi dit qu'il trouvait Walter inquiétant… un peu effrayant, en fait… George savait bien pourquoi et il s'en réjouissait : son pouvoir s'était développé vite et de façon stupéfiante…
Regardant son fils spirituel à la dérobée, il ne pouvait s'empêcher de se sentir fier. Personne ici ne savait qui était réellement Walter ni quelle place il avait dans la secte. C'était tant mieux, tout le monde le découvrirait bien assez tôt…
Enfin, Claudia, elle, savait… Elle avait le don pour flairer ses semblables… Par contre, alors qu'elle avait adoré Alessa, elle semblait détester Walter au plus haut point…
« Dieu créa le temps, qu'Elle partagea entre le jour et la nuit. Dieu marqua la voie du salut et offrit la joie aux mortels. Mais Dieu prit l'éternel en échange… »
Comme d'habitude, c'était le père Vincent qui dirigeait l'office. Bien que très jeune, ses talents d'homme d'affaire s'étaient révélé cruciaux quand il avait fallu recueillir des fonds pour la secte, notamment pour bâtir cette église. Claudia le détestait lui aussi, elle l'accusait de ne s'intéresser qu'à l'argent ; mais Vincent avait une façon très personnelle de croire en Dieu, et elle en valait bien une autre. Il ne refusait pas les biens matériels et était toujours à l'écoute de ses frères et sœurs. Autant que George en savait, il était intègre, assez en tout cas pour que Dieu prête une oreille attentive à ses paroles quand il était derrière l'autel.
Walter aimait bien Vincent et Claudia. Il ne voyait le mal nulle part, et même quand Claudia se mettait à l'invectiver avec véhémence, il se contentait de lui sourire gentiment, sans aucune animosité. Quel père et quelle mère avaient bien pu enfanter un tel fruit ?…
George et Jimmy ne l'avaient jamais su : Walter était orphelin de naissance, il avait été abandonné par ses parents juste après que la mère ait accouché, dans leur appartement de South Ashfield. C'était le concierge qui l'avait trouvé et lui avait donné son nom,: Sullivan, d'après celui du couple qui avaient occupé la chambre, et Walter pour une raison qu'il ignorait… Le concierge l'avait ensuite porté au St Jerome Hospital où il avait été prit en charge officiellement par la Wish House.
Walter avait été un enfant très effacé dès le départ, mais Dahlia Gillespie et Jimmy Stone avaient découvert ses capacités… presque par hasard… en interrogeant les enfants avec lesquels il avait pris l'habitude de jouer à un certain « jeu »… Walter faisait des choses bizarres, parfois sans même s'en apercevoir, il faisait peur à ses camarades… Il se faisait souvent frapper par les autres enfants pour cela… tout comme Alessa dans le passé. C'était le lot de ces enfants choisis par Dieu…
« Dieu créa des êtres pour faire naître l'obédience envers Elle. Le dieu rouge, Xuchilbara ; le dieu jaune, Lobsel Vith ; de nombreux dieux et anges. Enfin, Dieu se mit à créer le Paradis, où le bonheur consisterait à s'y trouver… »
Il n'avait pas vraiment eu le temps de pleurer sur Jimmy ; les choses étaient allé si vite. Il y avait eu la police, puis le corps avait été autopsié, puis rendu aux habitants afin d'être enterré dans le petit cimetière derrière l'orphelinat. Cela avait été une brève cérémonie. George savait très bien ce qui s'était passé mais il ne pouvait en vouloir à personne : les choses devaient se faire comme Dieu les voulait, et ce n'était pas à George de s'y opposer. Mais tout de même, Jimmy, avant d'être son supérieur, avait été son ami… Un ami intime d'ailleurs, bien que personne ne l'ait jamais su…
Leur relation avait été bien au-delà de la simple collaboration dans le cadre du culte. George n'en avait jamais conçu de honte, l'amour, sous toutes ses formes, était une création de Dieu… Jimmy n'avait jamais abusé de son pouvoir sur lui, et lui avait toujours laissé le choix… Cependant, il avait toujours été difficile de résister à Jimmy…
George ne savait pas si Walter avait découvert la chose, son esprit était si pénétrant qu'il était difficile de lui cacher quoi que ce soit. Il avait un jour surpris les deux hommes ensemble en ouvrant la porte du bureau de Jimmy, mais George ne savait pas si l'enfant qu'il était alors avait compris quelque chose à ce qu'il avait vu… Walter n'avait jamais fait aucune allusion à ce jour et George en avait déduit qu'il avait oublié, ou bien que son esprit était bien trop accaparé par des choses bien plus importantes. Et puis, il était bien trop innocent pour comprendre ces choses-là, même maintenant…
« Et là, Dieu se sentit fatiguée et Elle s'effondra. Les gens du monde entier déplorèrent cet évènement, mais Dieu prit sa dernière bouffée d'air. Elle redevint poussière, promettant de revenir un jour… »
George connaissait le texte par cœur. La naissance et la mort de Dieu étaient les premières choses qu'on enseignait aux enfants du culte. Ce texte avait été rédigé par Jennifer Carroll, la fondatrice de leur croyance. Son portrait pouvait être admiré dans le beffroi aux côtés de ceux saint Stephen et de sainte Alessa. Walter avait promis d'y faire un saut avant d'aller se retirer dans sa chambre privée à l'orphelinat.
Il avait même envisagé de demander à Claudia d'y aller avec lui… Pauvre garçon, il était vraiment loin de se douter que se retrouver seule avec lui était la dernière chose que désirait Claudia. Enfin, il fallait bien avouer que, à part Alessa, Claudia n'aimait pas grand monde de manière générale… Surtout Walter, qu'elle considérait comme un usurpateur : à ses yeux, seule une femme était en mesure d'accomplir le rituel, et elle n'admettait pas qu'un homme vienne mettre son nez dans cette histoire. Peut-être se voyait-elle dans le rôle de la génitrice de Dieu ?…
La messe touchait à sa fin, le père Vincent prononçait les derniers mots du texte sacré, répétés en écho par les fidèles…
« Dieu n'est donc pas perdue. Nous devons prier et ne pas renier notre foi. Nous attendons, pleins d'espoir, le jour où le chemin du Paradis s'ouvrira enfin… »
Oui, ils n'auraient plus longtemps à attendre : le rituel était en bonne voie. Jimmy avait ouvert la route à l'espoir en expirant le premier… Et quand le Paradis reviendrait, son amant serait là à l'attendre, les bras ouverts, à la droite de Dieu… et leur bonheur serait éternel…
_§_
17 février 1994... Silent Hill, Wish House… 09H47...
George Rosten n'avait pas envie de faire la lecture aux enfants ce matin. Il voulait s'entretenir avec son disciple, qui ne venait le voir que trop rarement. Aussi, il s'enferma avec lui dans la pièce souterraine qui servait d'autel à l'orphelinat ; les enfants venaient de finir leurs prières du matin, ils y retourneraient peu après midi. Vénérer Dieu à chaque moment de la journée était nécessaire pour que la foi perdure. Les enfants devaient impérativement bien lire les Ecritures, sinon ils étaient puni ; c'était la règle ici…
Agenouillés devant l'autel, côté à côté, les deux hommes récitaient quelques passages du livre saint posé devant eux…
« … Et Dieu a dit, de ta chair sépare la Mère Réincarnée et l ' Elu.
Ta tâche accomplie, le Mystère des 21 Sacrements provoquera la réincarnation de la Mère et la rédemption de la Nation du Péché… »
Il se signèrent une dernière fois avant de se redresser. Ce n'était pas comme avec Jimmy, mais avec Walter, ce n'était pas si mal tout de même. Il sentait l'énergie émaner de son élève, comme une intense chaleur irradiant de son corps. Cela le remettait constamment à sa place de simple mortel : il n'avait pas ses pouvoirs, lui…
- « Comment cela se passe-t-il pour toi, Walter ? Ta vie te convient ? Es-tu heureux ? » lui demanda George de but en blanc.
- « Il m ' est parfois difficile de suivre les préceptes, mais je réussi à me maintenir à la surface : évoluer chaque jour au milieu des pécheurs est parfois éprouvant … »
George acquiesça ; il n'était pas bon pour Walter qu'il éprouve trop de bonheur, de toute façon : on ne pouvait convenablement adorer Dieu que dans la souffrance et la douleur.
- « Oui, pour une âme pure comme la tienne, cela doit être dur, mais c ' est Dieu qui te mets à l ' épreuve ; tu dois La remercier et te montrer digne de l ' honneur qu ' Elle te fait », déclara George d'un ton catégorique.
Walter acquiesça de la tête. Il était toujours obéissant, même loin de lui. Le faisait-il par reconnaissance ou bien par peur ? Après tout, le rituel de possession avait été éprouvant et il pouvait bien en garder quelques souvenirs… George oubliait toujours qui il avait en face de lui : cette apparence était trompeuse, Walter n'était plus vraiment un humain à présent… En lui vivait une créature millénaire dotée d'une seule obsession : le retour de la Mère divine… Que Walter continue de croire qu'il s'agissait de sa mère, George s'en moquait, tant qu'il exécutait ce qu'on lui demandait.
- « Cela fait longtemps que je ne suis pas allé voir Mère … Quand je retournerais à Ashfield, j ' irais lui rendre visite pour me faire pardonner », soupira Walter. « Elle doit s ' inquiéter que je ne lui donne plus de nouvelles … »
George savait depuis longtemps qu'il valait mieux rentrer dans son jeu plutôt que de le contredire. Et puis, il ne voulait pas détruire le travail de Dahlia.
- « Oui, tu as raison, il n ' est pas bon pour elle que tu la laisses seule trop longtemps. Bientôt, elle sera avec nous pour de bon, elle n ' aura plus à se cacher. »
- « J ' ai tellement hâte de la voir enfin ! » s'écria Walter joyeusement.
George était soucieux. Il voulait poser une question à Walter mais il avait peur qu'elle soit inconvenante : il avait été décidé tacitement de ne pas parler des 21 Sacrements. Et puis Walter ne devait logiquement pas se souvenir de grand-chose. Mais il voulait lui parler de Jimmy, il voulait savoir…
- « Vous voulez me poser une question, Maître ? … »
- « Non, c ' est sans importance », répondit George en balayant cette pensée de son esprit. « Contentes-toi de faire selon les désirs de Dieu … »
- « Vous voulez me parler de maître Jimmy … »
« Il est très fort … », pensa George avec une certaine admiration.
- « Sa mort fut réellement atroce », se lamenta Walter. « J ' ai prié toute la journée pour lui après ça. Son âme est déjà avec Dieu, je l ' ai vu … »
George eut un mince sourire. Les paroles de son disciple n'étaient jamais mensongères. Walter était incapable de mentir, tous les enfants du culte étaient formés pour cela…
- « Merci. C ' était tout ce que je voulais savoir … »
- « En êtes-vous vraiment sûr ? » demanda innocemment Walter. « Il est mort dans la pièce du dessus, à l ' étage … Il n ' a pas crié, ni supplié qu ' on lui laisse la vie sauve … Il est resté ferme face à Dieu, il n ' a pas faiblit … Mais il n ' a pas vu le trou, là derrière … »
George commençait à se sentir mal à l'aise. Il n'aimait pas trop quand Walter partait dans ses délires mystiques. Il n'avait jamais vu son monde, contrairement à Jimmy, et il ne savait pas exactement à quoi Walter faisait allusion, mais c'était assez effrayant… Après tout, un monde comme celui-là devait vraiment être le paradis à côté de la vraie de Walter…
- « Le Diable Rouge a trouvé plus fort que lui, finalement. Peut-être que le dieu rouge l ' aurait épargné s ' il lui avait seulement demandé … Il aurait suffit d ' une simple excuse … d ' une simple confession … », murmura Walter d'une voix à peine audible, plus pour lui-même que pour son maître;
George voulait sortir de la pièce. L'air commençait à être étouffant. Il allait laisser Walter Sullivan continuer de débiter ses élucubrations d'illuminé tout seul, il n'avait pas besoin de lui. Mais le son de sa voix était hypnotisant… électrisant… Finalement, avait-il vraiment envie de partir ?…
- « Vous voulez le voir ? Mon monde ? Celui que maître Jimmy a vu ? … »
Walter avait repris un ton sérieux, et vaguement autoritaire. Cela ne lui ressemblait pas, il se montrait toujours humble en présence de ses maîtres.
George tomba à genoux et se cramponna aux chevilles du garçon. Il pleurait presque, de peur mais aussi d'adoration : oui, il voulait voir ce que Jimmy avait vu au moment de mourir. Il voulait voir le Paradis… Mais Walter s'écarta de lui, le rejetant presque à terre.
- « Vous voulez voir ce que vous avez fait, tous les deux ? », prononça Walter, avec une note anormale de colère dans la voix.
George gardait la tête baissée, les yeux rivés sur le sol, les mains écartées, dans une étrange prostration. Il avait peur de relever la tête, mais en même temps, une force supérieure le força à le faire. Walter n'était plus dans la pièce. A sa place, il y avait… lui, le dieu jaune…
Non, il n'avait pas fait ça… Pas à un enfant … C'était Jimmy qui lui avait dit de le faire… Lui, il ne voulait pas… Le rituel… l'enfant attaché à l'autel … La chair mortifiant la chair… Le Dieu Jaune entrant dans le corps innocent…
Il avait été le dieu jaune entrant dans le corps de Walter Sullivan…
George voulut crier que ce n'était pas vrai, qu'il n'avait pas fait ça… que c'était immonde et abject… Mais la tête sans visage de Valtiel lui disait le contraire. « Tu t'es amusé avec lui… Tu lui a fait croire que cela l'aiderai à retrouver sa mère… mais en fait, vous ne vouliez que satisfaire vos instincts bestiaux… » Non ! Le Dieu Jaune était-il cette monstruosité ? Ce qu'il avait introduit dans le corps et l'esprit de l'enfant, c'était le Diable ! Engendré par la souillure qu'il avait subi ! Était-ce cela que Jimmy Stone avait vu ?! George n'en voulait pas, il ne voulait pas de ce monde… Ce Paradis était l'enfer…
Des mains puissantes le redressèrent brusquement et il sentit contre son dos la robe raide de sang et de crasse de l'ange. La main enserrait son cou avec une cruauté non déguisée. Mais George avait oublié alors ; il avait oublié ce qu'il avait fait parce que Jimmy lui avait ordonné d'oublier… ce qu'il avait fait au petit Walter… ce que personne ne devrait faire à un enfant …
Face à l'autel, il ne pouvait que se rappeler son ignoble péché. Et Jimmy avait même prononcé les mots sacrés pendant qu'il le faisait ! Jusqu'à présent, George n'avait jamais vraiment cru à Valtiel, il s'en rendait compte ; pour eux, cela n'avait été qu'un jeu destiné à affermir l'autorité de Jimmy sur lui…
George l'avait fait… et maintenant Valtiel venait lui demander des comptes. « Est-ce ainsi que tu vénères ton Dieu ? En abusant de jeunes enfants ?… » La voix venait de l'intérieur de lui… Il ne pouvait pas se boucher les oreilles pour ne plus l'entendre ; alors, il répondit à pleine voix :
- « Je crois en toi, Valtiel ! Je l'ai fait pour ta gloire ! Pour que tu puisse disposer du plus habile des serviteurs ! »
La main le jeta à terre avec force. Etalé de tout son long sur le sol, George sentit une poigne puissante le prendre par les cheville et le traîner. George s'agrippait au sol avec l'énergie du désespoir, il ne voulait pas finir comme Jimmy, brûlant dans l'enfer éternel de son acte impie. Mais Jimmy n'avait pas faiblit, il n'avait pas regretté… rien …
Le sol était glissant, recouvert de sang et de… il ne voulait pas savoir ce que c'était … C'était trop horrible… Il ne pouvait empêcher sa lente progression vers l'inconnu… Fermant les yeux, il se prépara à être précipité dans l'abîme sans fin de son âme boueuse et infecte…
Mais ce qu'il sentit fut un coup formidable sur la tête. Un coup d'un objet contondant, très lourd, que son agresseur laissa reposer sur lui quelques secondes avant de porter un deuxième coup.
- « Un peu d'amour de lui, mon cœur est en extase… »
George ne pouvait pas répondre, les coups s'étaient mis à pleuvoir sur lui, de plus en plus vite, comme des cris et des accusations, comme des coups de boutoir incessants qui l'étourdissaient et l'empêchaient de penser de façon cohérente. Sa tête reposait dans une flaque de sang épais et ce liquide blanc et pâteux collant qu'il essayait d'oublier … Il voulait mourir… rejoindre Jimmy… lui, au moins, ne le jugerai pas… mais il n'arrivait à pas à mourir… Pourquoi ne mourrait-il pas ?!…
Il sentait des mains fines et fébriles lui arracher sa soutane, découvrant sa poitrine… la pointe d'un couteau sur sa chair… ouvrir sa poitrine en deux … La douleur était indescriptible mais il ne pouvait plus rien exprimer, seulement ressentir… Les mains fouaillaient ses entrailles, arrachaient des viscères… Pourquoi cela ne s'arrêtait-il pas ? Son cœur palpitant lui fut arraché , mais délicatement, presque avec douceur… George garda sa conscience encore quelques secondes après que son organe lui fut volé… Puis le trou noir… non, pas noir… Tout était rouge et il entendait des sanglots d'enfant … Il les entendrait pour l'éternité…
_§_
17 février 1994... Commissariat de Pleasant River… 12H48...
L'inspecteur Errol Casey finissait son café quand son téléphone sonna. Il posa son café pour avoir la main libre pendant qu'il potassait les dossiers concernant Rick Albert et décrocha le combiné. C'était une voix étrangère à l'appareil. Et elle lui annonça un nouveau drame.
- « Quoi ?! Où ça ? A Silent Hill ! L'orphelinat Wish House ? Un autre cadavre ? Quelqu'un a-t-il vu quelque chose ?! » demanda Casey à toute vitesse. « Personne n'a rien vu ?! Bon sang ! Je vais vous passer la secrétaire, donnez-lui tous les détails ! »
Il raccrocha, en colère contre lui-même. Encore un mort. Et Bearchan qui semblait à côté de ses pompes en ce moment, comme toujours en cette période de l'année. Il fallait qu'il le secoue beaucoup plus pour lui faire admettre l'évidence qu'il refusait de voir… Oubliant son café, il se précipita dans le bureau de son supérieur et ami…
Aidan Bearchan avait les traits tirés et ses gestes étaient imprécis. Il n'avait pas dormi depuis plusieurs jours et essayait vainement de trouver un point commun à toutes ces victimes, et il n'arrivait toujours qu'à une seule conclusion : Sullivan … Mis à part Garland, pour lequel il n'avait rien trouvé, les autres s'étaient toutes trouvées en présence de Sullivan au moins une fois… Non, cela ne se tenait pas, ce gamin ne pouvait pas…
Il fut arrêté dans ses réflexions par l'irruption de Casey, tout échevelé et le souffle court. Bearchan se prépara mentalement à ce qu'il allait lui dire :
- « Bear… cela ne peut plus durer ! Tu dois faire quelque chose, et vite !! Mets Sullivan sous les verrous quelques jours ! » haleta Casey.
- « Tu es pas un peu dingue, Casey ! Je n'ai aucune preuve contre Sullivan dans cette affaire ! Je ne peux pas le mettre en garde-à-vue sur simple présomption ! »
- « Pas de preuve ?! Tu en veux, des preuves ?! Tu ne m'as pas dit qu'il était à Silent Hill aujourd'hui ? »
Bearchan se raidit instinctivement à l'évocation du nom de la ville. Non, il ne pouvait pas y avoir encore un…
- « Nouveau meurtre, mon vieux. Silent Hill… Même endroit que le précédent… », asséna Casey, impitoyablement.
Bearchan se laissa aller dans son fauteuil. Encore un meurtre qu'il n'avait pas pu empêcher… Bon sang, il ne pouvait pas mettre un flic à chaque coin de rue dans trois villes différentes ! Pourquoi Casey le regardait-il comme ça ? Il n'y était pour rien…
- « J'ai retourné les dossiers dans tous les sens », soupira-t-il. « A chaque fois, aucune empreinte digitale, aucune fibre, aucun résidu organique d'aucune sorte… On n'a aucun moyen de coincer ce malade et il ne laisse aucun indice sur sa prochaine victime… A moins de ficher toutes les connaissances de Sullivan, je ne vois pas comment… »
- « Je sais pourquoi tu ne veux pas l'arrêter… pourquoi tu ne veux pas l'admettre… », souffla Casey tout bas.
- « Fais très attention à ce que tu vas dire, Casey… Tu ne peux pas remettre mon intégrité en doute… », répondit Bearchan sur le même ton… »
Casey se redressa et le regarda fixement, de ce regard pénétrant que seul peut avoir un ami particulièrement proche.
- « S'il avait vécu, il aurait vingt-cinq ans maintenant… », murmura Casey.
La mâchoire de Bearchan se contracta. Lentement, il se leva pour faire face à Casey, se mettant au même niveau que lui.
- « Ne parle pas de ça, pas maintenant… Ca ne regarde que moi… Ca n'a rien à voir », balbutia Bearchan, d'une voix brisée.
- « Tu fais une fixation sur Sullivan à cause de ça ! Je l'ai tout de suite vu ! Tu te conduis comme un père avec lui ! Mais, Bear, cela n'arrangera rien : ce qui est fait est fait ! »
Bearchan tapa du poing sur la table. Casey se tut. Il savait qu'il avait visé juste. Il croisa les bras sur sa poitrine et attendit que son supérieur prenne une décision.
- « Casey « , prononça le commissaire dans un souffle. « Cette affaire sera ma dernière… Après, je plie bagage et je mets tout ça derrière moi… Je suis plus dans le coup… Je dirais à mes supérieurs de te mettre à ma place, tu as ce qu'il faut… »
- « Bear… »
- « Je devrais même me tirer maintenant et te laisser l'affaire, comme ça, tu pourras arrêter qui tu veux… »
Il regarda Casey dans les yeux, avec une détermination que celui-ci ne lui avait plus vu depuis longtemps.
- « Mais, Sullivan… je suis absolument persuadé de son innocence… Ne me demande pas pourquoi, je n'en sais rien… C'est comme ça… Peut-être que mon flair de flic commence à dérailler… »
- « Tu te ramollis, Bear… Tu es mon ami, mais je ne peux pas te laisser faire des choses comme ça… Sans ton obstination, des morts auraient peut-être été évitées… Du moins, on aurait pu éliminer certains suspects… », reprocha Casey en souriant amèrement.
- « Trouve Sullivan et interroge-le si tu veux. Moi, ne vais pas à Silent Hill, c'est ton rayon. Je vais rester ici et essayer encore de trouver quelque chose… »
- « Tu perds ton temps, Sullivan est coupable, c'est mon flair à moi qui me le dit. Et je ne suis pas un vieil ours grincheux, moi. »
Il allait trouver Sullivan et lui faire avouer ses crimes…
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17 février 1994... Rosewater Park, Silent Hill… 16H49 ...
Le parc était bien tranquille à cette heure. Les touriste se faisaient rares maintenant et on pouvait déambuler dans les allées ombragées sans rencontrer presque personne, à part quelques amoureux attirés par le clapotis du lac. Le brouillard habituel commençait lentement à se lever alentour, et une fumée surnaturelle flottait à la surface de l'eau.
Walter s'arrêta quelques instants devant la plaque commémorative pour les victimes de la peste de 1810 qui avaient été jetées au fond du lac Toluca. Il se recueillit un peu, en pensant à tous ses cadavres qui reposaient au fond de l'eau ; ses pauvres âmes avaient-elles trouvé le repos ? Ou erraient-elles comme des fantômes solitaires la nuit tombée ?
Il lui fallait attendre un autre signe. Le meurtre de George Rosten, son maître, lui avait fait beaucoup de peine. Il n'avait pas voulu rester sur place pour voir de nouveau la police sur les lieux, interroger les gens, l'interroger lui… Peut-être que ce commissaire serait venu… Il se serait sûrement encore montré gentil avec lui… Mais Walter s'en moquait : au fond, il ne méritait nulle tendresse, de la part de personne… Si ses parents l'avaient abandonné, il y avait sûrement une raison ; ils n'avaient pas voulu de lui… Personne ne voulait de lui… Il n'était qu'un monstre…
Il laissa le monument aux morts derrière lui et redescendit vers la Nathan Avenue. Il passa devant la statue de Jennifer Carroll, et lui accorda un simple salut de la tête ; elle, elle le comprendrait : elle aussi avait été persécutée avant de mourir… Mais elle n'avait pas faiblit et elle était restée ferme dans sa foi face à ceux qui avaient voulu lui imposer leur croyance. Elle était un exemple pour tous ici… pour lui aussi…
Il longea le petit parking et déboucha sur l'avenue principale du South Vale. La Nathan Avenue avait un étrange pouvoir sur lui, elle lui donnait envie de marcher tout le long, sans s'arrêter, de la remonter pour l'éternité, sans un regard en arrière… Et s'il le faisait ? Arriverait-il à échapper à tout cela, à la ville ? La Nathan Avenue pouvait-elle l'emmener dans un monde meilleur, un monde où sa mère l'attendrait, un monde où il ne serait pas contraint de faire tout ça pour la revoir ?… Mais Walter ne pouvait pas : sa vie était ici, avec les siens… et il devait délivrer sa mère…
Il se tenait sur le bord de la route, indécis du chemin à prendre. Il faisait face au Jack's Inn , un hôtel miteux et banal, souvent vide en ce moment. Peut-être ne tarderait-il pas à fermer, lui aussi, comme beaucoup d'autres choses… Voir sa ville mourir à petit feu le désolait, mais Walter savait que le futur n'était pas ici.
A côté de l'hôtel, il y avait un petit pâté de maisons, et, donnant sur la rue, une belle maison à moitié peinte en bleu ; il voyait des hommes sur des échelles en train de repeindre la façade. Il ne connaissait pas les occupants de la maison, mais cela devait être une famille complète, car il voyait un petit garçon jouer à la balle juste devant. Il faisait rebondir son ballon de plus en plus haut, en riant aux éclats. Il ne devait pas avoir plus de neuf ans.
Sortant du garage, une femme relativement jeune se dirigea vers le petit garçon pour lui donner quelque chose. Le garçon prit la glace que sa mère lui tendait et se mit à la lécher goulument. Sa mère s'agenouilla devant lui pour essuyer la tache qu'il avait fait sur le devant de son tee-shirt… Ils semblaient si heureux, une telle quiétude émanait de cette scène si banale… Mais pas pour Walter Sullivan…
Jamais il n'avait joué à la balle, avec une telle insouciance ; jamais il n'avait rit de la sorte ; jamais une mère attentive et aimante ne lui avait apporté de glace pour son goûter… Son enfance n'était composée que de cantiques, de prières, de punition, de coups… Aucune mère ne l'avait jamais consolé, ni prit dans ses bras… Walter serra le poing, refoulant les larmes qui menaçaient de sortir…
Non, il n'était pas triste, il était en colère : pourquoi eux et pas lui ? Pourquoi avaient-ils eu le droit à une famille heureuse et complète, un bonheur total et sans nuage ? Pourquoi cet enfant avait-il une mère et pas lui ? Était-il mieux que lui ? Pourquoi on ne l'avait pas rejeté, ce garçon ? Ce n'était pas juste… Il n'avait pas à tambouriner des heures sur une porte désespérément fermée pour voir sa mère, lui : il lui suffisait d'appeler pour qu'elle apparaisse à ses côtés, c'était si simple…
Walter avait besoin d'un remontant ; la vue d'enfants heureux en compagnie de leurs parents lui faisait systématiquement mal, et il sentait alors quelque chose en lui se réveiller, quelque chose qui attendait, qui espérait, qui mourrait d'impatience de sortir… mais il devait attendre le prochain Signe… En attendant, il allait faire un détour par le Heaven's Night pour boire quelque chose. Il ne buvait pas d'alcool, sa foi le lui interdisait, et il ne se serait pas risqué à aller dans le bar dans la soirée, avec les spectacles plus que douteux qu'on y donnait… Mais à cette heure-ci, le bar était calme et il pouvait y aller sans risque ; plus tard, des pervers avinés s'y rendaient pour voir les spectacles affreux qui s'y déroulaient…
Oui, il allait faire un tour là-bas, il boirait un verre ou deux, et puis il rentrerait peut-être à Ashfield… à moins que Dieu ne lui envoie un Signe d'ici-là…