Silent Hill : Return to Paradise

Chapitre 4 : Chapitre 05121 - (Rick Albert) Diairesis

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 13:41

15 février 1994... Albert Sports, Ashfield... 09H28...

Le magasin Albert Sports allait bientôt ouvrir ses portes. Le gérant, Rick Albert, était déjà sur les lieux pour tout mettre en place. Il ne devait rien manquer dans la vitrine, ni dans les linéaires.
Albert allait sur ses quarante-cinq ans, et il faisait tout pour s’entretenir au maximum ; il n’aurait pas accepté de laisser la vieillesse le diminuer physiquement. Il était plutôt fier de son apparence : il faisait facilement dix ans de moins que son âge.

Il avait toujours été le premier de sa classe dans les cours de sport : baseball, volleyball, football, tennis... il excellait dans pratiquement tout ce qu’il avait essayé. Ce magasin était un peu la concrétisation de son rêve : cela lui permettait de démontrer chaque jour les bienfaits du sport. Il n’avait rien contre ses clients, mais parfois, quand il en venait un, bedonnant et mou comme une chiffe, il avait envie de le prendre par la main et de lui dire ce qu’il pensait de son laisser-aller ; surtout les hommes... cela lui rappelait constamment ce qu’il aurait pu devenir s’il ne s’était pas pris en main dès le début.
Certes, certaines personnes étaient allergiques aux exercices physiques, il le comprenait, mais tout de même... C’était le cas de son jeune employé, Sullivan, qu’il avait déjà vainement essayé de convaincre de se muscler un peu, mais le garçon demeurait toujours aussi chétif à son goût... Ce n’était pas une très bonne image de son magasin, mais Sullivan était bien brave et il avait besoin de ce travail pour payer ses études et son loyer.
Rick était un homme bon ; devant la détresse de ce garçon, qui n’aurait sûrement pas trouvé un emploi ailleurs, il avait cédé... mais il aurait quand même aimé qu’il partage sa passion, ça leur aurait permis d’échanger leurs idées. Mais Sullivan ne semblait intéressé que par le folklore amérindien, chose dont Rick se mo-quait éperdument... Sullivan avait essayé de lui en parler un jour, mais Albert n’avait pas réussi à s’intéresser...

Sullivan ne devrait plus tarder à arriver d’ailleurs ; il arrivait toujours après lui car il n’avait pas les clefs du magasin. Rick, bien que tolérant et compréhensif, était assez maniaque en ce qui concernait le magasin et il ai-mait tout mettre en place lui même : ainsi, si quelque chose allait de travers, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même.
Cependant, Sullivan semblait en retard, ce matin ; d’habitude, il était toujours là à 09h30 et là il était 09H35 passée... Il était assez pointilleux sur les horaires et le garçon l’avait habitué à la ponctualité.

Rick Albert fit le tour de la boutique : les appareils de musculation étaient bien visibles dès l’entrée ; sur les étagères, les accessoires étaient bien alignés ; les clubs de golf tous bien appuyés contre le mur, au garde-à-vous ; les vêtements de sports étaient pendus sur leurs cintres, près des cabines d’essayage ; les trolleys étaient pleins de balles à ras bord, comme il l’aimait. Non, celui des balles de volley semblait moins plein... Qu’à cela ne tienne, Rick se dirigea vers l’entrepôt en fronçant les sourcils : une seule autre balle suffirait à son bonheur. N’importe qui aurait trouvé cette réaction excessive, mais Rick aimait que tout soit à sa convenance.

Sullivan n’était toujours pas arrivé. Il commençait à s’inquiéter. Le garçon aurait pu le prévenir s’il ne venait pas travailler aujourd’hui. Il chercha des yeux le coin de l’entrepôt où il gardait les ballons de volleys, enveloppés dans du plastique. Il y avait aussi quelques mannequins encore emballés, qu’il s’était promis de mettre en vitrine le mois prochain. Il avait aussitôt craqué sur ces modèles masculins, dont la musculature se rapprochait le plus de ce que Rick considérait comme la perfection... Jamais il n’en aurait des comme ça, bien qu’il fasse tout pour cela... Les mannequins féminins n’étaient pas en reste, leurs silhouettes élancées et leurs muscles fins étaient à tomber... Balançant sa main nonchalamment, il prit une balle de volley, la déballa et vérifia si elle était bien gonflée.

Alors qu’il se retournait pour chercher l’appareil qui permettait de gonfler les ballons, il entendit la porte de service s’ouvrir : c’était Sullivan, il était le seul à entrer par là, Rick laissait cette porte ouverte quand il entrait dans le magasin, exprès pour lui. Rick soupira : Sullivan ne lui avait pas fait faux bond. Il ne lui aurait pas pardonné facilement...

Il prit le ballon de volley bien en main et y introduisit l’embout du gonfleur ; bandant ses muscles, il commença à pomper. Les pas de Sullivan s’approchaient et il s’apprêtait à lui demander de le remplacer quand...

Sullivan entra en trombe dans l’entrepôt ; toujours aussi maigre et dégingandé, il semblait pourtant hors d’haleine comme s’il avait couru. Avait-il enfin suivit son conseil de faire un peu de jogging ? Mais comment expliquer son air à la fois enthousiaste et choqué ? Rick interrogea son employé du regard.

- «Vous n’êtes pas au courant, monsieur ?» l’interrogea Sullivan à bout de souffle. «Monsieur Garland est mort ! Il a été tué hier soir, je passais devant quand j’ai vu les policiers. Quelqu’un lui a tiré dessus avec une mitraillette, avant de tuer les animaux ! Il y avait du sang partout ! Son coeur a été emporté, et on lui a gravé des chiffres bizarres dans la peau ! Effrayant, hein ?!»

Rick avait rarement vu Sullivan aussi excité. D’habitude, il faisait son travail consciencieusement, mais il souriait rarement et ne haussait jamais le ton. Mais là, il semblait survolté, presque réjouit par ce qu’il venait de raconter. Rick, les mains occupées avec le ballon et le gonfleur, n’avait prêté qu’une oreille distraite à ce qu’il racontait. Il connaissant Garland de vue, c’était un bourru, qui se promenait toujours avec ses deux dobermans non muselés, et Rick avait toujours trouvé ça limite...

- «Vous vous rendez compte ?» lança Sullivan, dont le souffle court commençait à reprendre un rythme normal. «Qui lui en voulait autant pour le tuer comme ça ? Et puis, tuer les animaux, c’est quand même pas très gentil...»

Rick commençait à transpirer. Il pompait depuis cinq bonnes minutes mais le ballon ne semblait pas vouloir augmenter de volume. Etait-il percé ? Il décida d’en prendre un autre, quand quelque chose d’étrange lui traversa l’esprit...
Le meurtre avait eu lieu hier soir et aucun journal, télévisé ou papier, n’en avait parlé, du moins aucun qu’il ait vu. Et Sullivan connaissait beaucoup de détails pour un simple témoin de passage. Avait-il parlé avec la police ? Ou bien...

- «Dites-moi, Walter, comment vous y êtes-vous pris pour connaître autant de détails de ce meurtre ?...»

Il avait posé cette question sans malice, par simple curiosité. Sullivan était-il passionné d’enquêtes policières ? Il s’était tourné vers le garçon, avec un sourire sur le visage et il attendait que Walter lui dise qu’il avait des connaissances dans la police, ou autre... Mais ce qu’il vit fut très différent... et inattendu...
Jusque-là, Sullivan avait affiché son sempiternel sourire absent et lointain, mais, au moment où Rick s’était tourné vers lui, ce sourire avait commencé à s’effacer... lentement, très lentement, comme au ralenti, le sourire de Sullivan fondit littéralement, laissant place à une expression que Rick ne lui avait jamais vu : de la contrariété d’abord, puis de la colère pure... Les yeux de Sullivan étaient plissés, ses sourcils légèrement froncés, son expression était terrifiante, tellement peu familière : Rick eu l’impression de se trouver devant quelqu’un d’autre... une personne qu’il avait mis dans une colère noire...
Les néons de l’entrepôt se mirent à clignoter par intermittence. Allons bon, le matériel pétait un câble, aussi ? C’en était trop. Sullivan, toujours avec son expression inquiétante, avait commencé à reculer dans un coin de la pièce... Rick laissa tomber le ballon, et les lumières s’éteignirent pour de bon. Tendant les bras devant lui, Rick Albert chercha la poignée de la porte en lançant des «Walter ?» hésitants de temps en temps.

Les lumières revinrent, mais elles étaient rouges. Sans doute le système de secours qui s’était mis en marche. Il se dirigea vers la porte, avec pour intention de signaler le problème au service de maintenance du centre commercial, mais sa main ne rencontra qu’un mur nu. Où était cette satanée porte ?! Et où était Sullivan ? Il ne voyait le garçon nulle part. Avait-il réussi à sortir pour chercher du secours ?...
Rick se mit à faire le tour du mur à tâtons pour trouver la poignée de la porte, mais force fut de consta-ter qu’il n’y avait plus de porte... Mais que se passait-il ici ?

Il entendit un faible bruit derrière lui ; un bruit de plastique. Il se retourna et regarda dans l’entrepôt. Le bruit venait des objets emballés dans le coin... Un rat dans son magasin ? Qui se promenait sûrement dans ses nouvelles acquisitions... Rick eut une expression dégoûtée. Quand tout à coup, un mouvement, bien trop perceptible pour être celui d’un simple rat, fit se bander instinctivement ses muscles.

L’un des mannequins bougeait. Il remuait doucement dans la semi-pénombre baignée de cette lumière rouge infernale, et, avec une lenteur surnaturelle, il se redressa... Ce n’était pas un de ses mannequins : c’était... une monstruosité.
La chose avait deux jambes, supportant un tronc et un morceau de poitrine : l’une des deux jambes était musclée et l’autre délicatement galbée... Lorsqu’elle se fut entièrement mis debout, Rick vit ce qui lui tenait lieu de tête : des bras, qui remuaient, qui se tendaient en avant, en arrière, dont les mains s’ouvraient et se fermaient, sortant du torse sans tête. A la lueur rouge des néons détraqués, Rick vit un liquide répugnant couler sur le corps en plastique de la chose... Non, pas du plastique, cela ressemblait à de la chair... de la chair en plastique... du sang qui brillait de façon obscène sur la poitrine masculine... Une telle perfection... pervertie de cette façon...

La chose fit un pas en avant, mal assurée sur ses jambes flageolantes, comme un nouveau-né. Rick recula brusquement en se jetant sur le mur. Cela avançait vers lui, inexorablement, et les mains se tendaient vers lui, comme pour l’agripper... Mais la chose ne le voyait pas : elle avançait au hasard, au milieu des balles emballées qui jonchaient le sol. Du sang se répandait par terre à chaque nouveau pas de la créature. Avisant un linéaire sur le mur à côté de lui, Rick saisit la première chose qu’il y trouva : une batte de baseball... Il se mit en posi-tion, comme il l’avait appris, cette position qui lui avait permis de rapporter plusieurs médailles à son équipe quand il était au collège : il était bien décidé à envoyer sa batte dans cette chose affreuse dès qu’elle serait à portée. Mais où frapper ? Elle n’avait pas de tête...

Rick ne fuyait pas devant ce que sa raison ne pouvait admettre. Quand sa vie est en jeu, l’Homme est capable d’admettre bien des choses ; or, cette chose voulait sa peau... Avançant courageusement vers elle, les yeux larmoyants à cause de la lumière, il s’apprêta à faire un joli balayage horizontal... Il frappa la chose où il put, mais ne parvint qu’à lui érafler un bras ; des morceaux de plastique, et quelque chose qui ressemblait à de la bourre ensanglantée, tomba sur le sol devant lui. La chose se tortilla sur elle-même, comme un danseur contemporain effectuant une chorégraphie compliquée. La chose ne faisait aucun bruit, et seul le grésillement des néons se faisait entendre. La pièce commençait à chauffer dde façon drastique... Encore une fois, Rick chercha à tâtons la poignée de la porte, tour en gardant la créature dans son champ de vision...

Il toucha une main. Une main serrée sur quelque chose de dur et d’étonnement froid. Il retira sa main et se retourna brusquement. Une barre de fer lui entra dans le visage, avec une force inimaginable. Il chancela, sonné par le choc, et s’affala sur la sol. Il ne voyait pas très bien son agresseur, car il se tenait dans l’ombre : c’était quelqu’un de grand, avec des cheveux longs... Non, il ne pouvait pas lui faire ça... Dans sa main étincelait un club de golf...

«Je n’ai jamais voulu te faire de mal... Tout ce dont j’ai besoin se sont des mots d’amour...»

Rick ferma les yeux, et le deuxième coup arriva, encore plus fort... Puis le troisième... et le quatrième... et les autres... Pourquoi ne se défendait-il pas ? Pourquoi se laissait-il faire ? Etaient-ce les mots qu’il avait entendu qui l’avaient laissé sans force, sans envie de riposter ?... Les coups pleuvaient sur lui ; son corps le faisait souffrir atrocement, son visage était en lambeaux ; ses forces le quittaient lentement, avec son sang, qui coulait sur le sol. Il entendait les halètements de son agresseur au-dessus de lui, et, avec l’énergie qui lui restait, il murmura : «Vas-y, mets-y toute ta force... J’ai toujours su que tu pouvais le faire...»

Du sang lui coula dans les yeux et il les ferma. Il essaya de plonger dans l’inconscience, mais son esprit ne voulait pas lâcher prise... Lui aussi, il l’avait entraîné, pour qu’il soit aussi fort que son corps... Il était bien plus fort en fait... Mais ce ne fut pas suffisant...
Enfin, la torpeur le prit, il ne sentit plus rien, les coups, la douleur lancinante dans sa tête, dans son torse, dans ses jambes... la dernière chose à laquelle il pensa fut qu’il espérait que Walter Sullivan puisse trouver un autre travail...

_§_

16 février 1994... Centre commercial, Ashfield... 10H30...

De nouveau, ce centre commercial... De nouveau, un meurtre sanglant... Le même modus operandi, encore... Les chiffres 05121 scarifiés sur la peau... Le coeur, emporté... Aidan Bearchan ne pouvait pas le croire : personne n’avait rien vu...
Albert avait été battu à mort avec un club de golf... Le corps se trouvait dans l’entrepôt du magasin de sport. Le crâne était déformé, ses bras et ses jambes tordus par la violence des coups. Ses traits exprimaient une profonde douleur, mais aussi comme de la... tristesse... Un policier prenait des photos du lieu du crime et les flashs illuminaient la pièce dont les néons étaient hors service.

Dans le magasin, une foule de policiers faisait des relevés divers ; tout le monde était à cran : cinq vic-times en quatre jours... Et aucun fil conducteur, aucun indice pouvant donner une idée de l’identité du tueur ou de celle de sa prochaine victime... Bearchan entendait la voix du jeune Walter Sullivan qui répondait aux questions des policiers. C’était lui qui avait appelé la police. Bearchan avait cru qu’il allait avaler le stylo qu’il avait à la bouche à ce moment-là quand on lui avait annoncé ce cinquième meurtre... et le nom de celui qui avait donné l’alerte...
Sullivan... encore lui... Il était partout... Enfin, à part pour le cas de Garland, on ne lui avait trouvé aucun lien avec lui, mais tout de même : sur cinq victimes, Sullivan en connaissait quatre... On ne s’y serait pas mieux prit si on avait voulu lui faire porter le chapeau... Un assassin n’appelait pas la police après avoir commis un meurtre... Bearchan était toujours convaincu de l’innocence de Sullivan, même si Casey n’était pas de son a-vis : son second pensait que si Sullivan n’était pas le tueur, il était peut-être le commanditaire...
Pour Jimmy Stone, il s’agissait peut-être d’une sombre vengeance remontant à l’enfance ; pour Martin et Randolph, c’était une évidence... Par contre, pour Garland, ça ne collait pas... à moins qu’ils se soient connus de façon anecdotique, trop superficielle pour que cela soir ressorti dans les enquêtes qu’il avait mené... Et Albert était son employeur... Quel intérêt aurait-il à tuer cet homme ? Il avait besoin de travail... Et puis, aux dires de tous, Albert traitait bien Sullivan...

Bearchan sortit de l’entrepôt et se dirigea vers le comptoir : Sullivan y était adossé, visiblement en état de choc, sa main triturant son coude machinalement. Il avait le regard vide, les yeux baissés, et il répondait aux questions qu’on lui posait. Bearchan s’approcha.

- «Merci, mais je vais continuer.»

Il prit le carnet des mains de son collègue et parcourut rapidement les notes. Il y avait dedans tout ce qu’il voulait savoir, mais il ne pouvait pas résister à la curiosité d’interroger Sullivan lui-même... peut-être dans l’espoir de déceler quelque chose...
Sullivan ne le regardait pas, son visage était fermé et ses yeux toujours baissés. Bearchan lui posa une main sur l’épaule, et il tressaillit : visiblement, il était ailleurs...

- «Calmez-vous, Sullivan, racontez-moi...», lui demanda-t-il gentiment.

Sullivan lui répéta d’une voix monocorde ce qu’il avait déjà dit : qu’il était arrivé au magasin un peu en retard, à 09H40, et qu’il n’avait pas vu Mr. Albert. Il l’avait appelé mais il n’avait pas eu de réponse. La porte de l’entrepôt étant entrouverte, il avait pensé que Mr. Albert s’y trouvait, alors il avait passé la porte... Il avait vu le corps de Mr. Albert sur le sol, atrocement déformé, tout tordu, et il avait eu peur... Il n’avait pas su quoi faire sur le moment, appeler les secours ou la police... Il s’était approché et avait tenté de le réveiller, mais il n’a-vait pas donné de signe de vie... Alors, il avait décidé d’appeler la police...

- «Je ne savais pas quoi faire d’autre...», murmura Sullivan dans un souffle. «Je ne pouvais pas rester dans la pièce avec «lui», alors j’ai sorti l’écriteau pour indiquer que le magasin était fermé...»

- «Vous avez bien fait...»

Le garçon avait besoin d’un remontant. Il ne semblait pas particulièrement triste, mais choqué, oui. On le serait à moins. Bearchan était de plus en plus convaincu qu’il était innocent. Un coupable aurait été plus démonstratif dans son chagrin... Sullivan ne se forçait pas, il était sincèrement désolé que Rick Albert soit mort, mais il n’en rajoutait pas...

- «Sullivan, y a-t-il quelqu’un dans votre entourage... quelqu’un qui vous déteste assez pour vouloir vous mettre ses crimes sur le dos ?»

Sullivan le regarda enfin. Ses yeux étaient un peu rouges. Il se passa la main sur le visage, puis répondit :

- «Non, il n’y a personne... Je ne connais personne... Je n’ai pas... d’amis...»

Bearchan comprenait. A part Randolph et Martin, personne n’avait jamais eu d’histoire avec Walter Sullivan.

- «Je suis navré de vous l’apprendre, mais pour l’instant, vous êtes notre seule piste fiable... Vous êtes la seule personne qui semblait connaître les victimes...», annonça gravement Bearchan. «Puis-je vous demander si vous connaissiez Mr. Garland ?»

- «Un petit peu, pas plus que ça...», répondit Sullivan. «Je suis déjà allé dans son magasin quand j’étais petit, mais je ne me souviens plus trop ce qui s’y est passé...»

Bearchan voulut mettre fin à cet interrogatoire. Il lui coûtait beaucoup d’imposer cet exercice à ce garçon désemparé. Lui passant le bras autour des épaules, il le guida vers la sortie du magasin.

- «J’espère que vous trouverez un autre travail. D’ici là, je m’arrangerai avec le propriétaire de votre immeuble pour le loyer, afin que vous n’ayez pas d’ennui... Après tout, c’est un peu de notre faute si vous n’avez plus d’emploi : si nous avions arrêté le tueur...»

- «Vous... vous n’êtes pas obligé...», répondit timidement Sullivan. «J’ai l’intention de rentrer chez moi quelques jours, pour prendre du recul sur tout ça...»

- «Chez vous ?...»

- «A Silent Hill... Je me sens bien, là-bas... Je veux revoir... ma famille...»

Bearchan lâcha Sullivan et le regarda s’éloigner tristement au coin de la rue. Il était peiné pour ce garçon. Quelque chose lui donnait envie de l’aider, de le soutenir... Un mystérieux tueur semblait vouloir s’en prendre à lui à travers ses victimes... Il allait falloir se pencher sérieusement sur son passé s’il voulait pouvoir lui être d’un quelconque secours... et surtout s’il voulait éviter d’autres morts atroces... Devait-il le filer, pour voir qui il fréquentait ? Non, il se voyait pas pénétrer ainsi dans la vie privée de quelqu’un... Peut-être pourrait-il demander à quelqu’un, au commissariat, de le faire pour lui ?... Après tout, il était peut-être la prochaine victime...
Pourquoi se sentait-il toujours un peu mal à l'aise quand il se trouvait à côté de lui ?...

_§_

16 février 1994... 13ème immeuble de la Grande Rue, appartement 27... 12H45...

C’était décidé, il allait prendre le large quelques temps. Il rassembla quelques affaires, le strict minimum. Maintenant qu’il n’avait plus de travail, il n’avait plus à se soucier de quand il reviendrai. Mr. Albert était si gentil... C’était si injuste... Mais il y avait des choses contre lesquelles on ne pouvait rien. Elles étaient écrites, fatales, inéluctables...
Il mit dans son sac quelques livres qu’il aimait bien, pour pouvoir lire dans le bus. Ses étagères étaient remplies de livres, mais à part cela, sa chambre était désespérément vide. Aucun poster, aucune photo, tels qu’on aurait pu en attendre dans la chambre d’un jeune homme de vingt-quatre ans. Il y avait seulement, dans une alcôve sombre, une feuille de papier collée au mur représentant un étrange symbole rouge compliqué, circulaire, devant lequel il s’immobilisa quelques instants. C’était son «autel portatif», comme ça il pouvait prier où il voulait, quand il voulait. Un autel avait toujours plus de force quand on l’avait fait soi-même... Il se recueillit devant pendant un moment, les mains jointes, et ses lèvres formulèrent une prière silencieuse ; il priait pour le repos de l’âme de Mr. Albert, sans doute... Puis, il prit la feuille, la plia soigneusement et la mit dans son sac avec le reste.

Cinq meurtres, déjà... Cela allait si vite... Il avait besoin de se ressourcer auprès de son maître, auprès des siens... Il avait besoin d’entendre des paroles réconfortantes, des paroles sincères... des encouragements... Ce commissaire s’était montré très prévenant à son égard, mais il avait besoin d’autre chose... Il voulait entendre des cantiques, des chants... Il voulait sentir de nouveau l’atmosphère sacrée qui se dégageait de cette petite église qu’il aimait tant... Il voulait raviver sa foi... Il aurait même plaisir à revoir Claudia...
Il se demanda si elle le détestait toujours autant... Lui, il l’aimait bien, il se sentait une étrange affini-té avec elle, comme avec Alessa... Peut-être parce qu’ils partageaient ce secret, tous les trois... Ce don de Dieu... Claudia le regardait toujours comme s’il avait été quelque chose de malpropre indigne d’intérêt... Elle ne lui pardonnait pas... d’avoir voulu réussir là où Alessa avait échoué... Mais ne poursuivaient-ils pas le même but ? Ne vénéraient-ils pas le même Dieu ? L’important, c’était le résultat, non ? Peu importait qui y arriverait...

Il était désolé que Claudia lui en veuille autant... Il fallait qu’il fasse la paix avec elle ; ce petit voyage était idéal pour ça. Il lui prendrait les mains, et ils iraient ensemble dans le beffroi pour regarder le portrait d’Alessa et il prieraient ensemble... Oui, c’était ainsi qu’il imaginait le Paradis : un endroit où tout le monde s’aimerait, ou plus personne ne souffrirait ni ne serait abandonné... un endroit où il pourrait être avec sa mère au-tant de temps qu’il le voudrait, sans avoir besoin de tambouriner à la porte en pleurant...
Il sourit à cette pensée... Si tout se passait comme prévu, cet endroit béni reviendrait... avec tout le reste... Et tout le monde l’acclamerait, l’adorerait... Oh, il ne faisait pas cela pour sa gloire, non, ce serait péché d’orgueil... Il faisait cela pour Elle seulement...
Il avait hâte d’être là-bas : la vue du lac tranquille sous le pâle soleil lui manquait horriblement...

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