Silent Hill : Return to Paradise
Chapitre 3 : Chapitre 04121 - (Steve Garland) Hairesis
Catégorie: T
Dernière mise à jour 08/11/2016 07:06
15 février 1994... Animalerie «Garland», Ashfield... 19H00...
Steve avait décidé de fermer une heure plus tôt que d'habitude, ce soir. Déjà parce qu'il en avait plein le dos, et aussi parce qu'un horrible meurtre avait visiblement été perpétré hier, à Pleasant River, pas loin d'Ashfield, et que du coup, les clients se faisaient plutôt rares. Il n'avait pas fait son chiffre d'affaire aujourd'hui et il était passablement remonté.
Steve n'avait pas vraiment peur ; il avait un fusil à pompe sous le comptoir prêt à l'emploi, et il avait ses molosses dans la pièce d'à côté. Il les promenait parfois dans le quartier et tout le monde avait pu admirer les fortes mâchoires de ses deux mascottes. En fait, Steve Garland ne craignait pas grand monde ; c'était un hom-me grand et musclé pour ses cinquante ans, connu pour ses humeurs changeantes. Steve se moquait bien de ce qu'on pensait de lui. De toute façon, ses idiots ne le connaissaient pas vraiment. Les seuls qui le connaissaient vraiment étaient ses animaux.
Ouvrir une animalerie s'était imposé après son divorce. Rien d'autre ne l'intéressait. Pas même sa fille, cette ingrate de Lisa, qui l'avait abandonné pour aller s'occuper des êtres humains de Silent Hill... Elle était devenue infirmière ! Mais comment pouvait-on accep-ter de faire un pareil travail ?! Entendre toute la journée des gens brailler, se plaindre, dire du mal de vous, les laver, leur faire faire leurs besoins... Dégoûtant... Steve avait quasiment renié sa fille, ce jour-là... Il lui aurait pardonné si elle était revenue, mais elle avait eu la bonne idée de disparaître de sa vie... Il ne savait pas ce qu'il était advenu d'elle, et parfois, il lui arrivait de se le demander...
Mais qu'importe, ses animaux lui donnaient tant de travail et de satisfactions qu'il n'avait pas trop le temps de penser à autre chose. Les animaux, eux, ne vous jugeaient pas, ils étaient toujours de votre côté et ne vous trahissaient jamais... contrairement aux êtres humains... Ils étaient purs...
Steve aimait tous les animaux, les chiens et les chats surtout, mais les autres aussi ; à ses yeux, n'importe quel animal valait deux fois plus qu'un être humain. Dans son animalerie, il vendait des animaux de compagnie standards, mais aussi des reptiles, des poissons, des rongeurs ; Steve avait pensé à se procurer des insectes, car certaines personnes semblaient en raffoler.
Steve s'attela à la tâche qui consistait à nettoyer les cages de ses protégés. Il fallait évacuer les déchets des cages, changer leur eau, le fourrage... Steve aimait faire cela ; il oubliait alors ses soucis. Regarder les yeux de ses protégés pleins d'amour pour lui, le remerciant de prendre autant soin d'eux, cela le remplissait d'un bonheur simple mais constant. Même si son bonheur s'était terni il y avait quelques années... lorsque Kitty était mort...
Kitty avait été son animal favori, un chat qui é-tait toujours resté plutôt petit et maigre toute sa vie, un chat blanc avec des taches rousses, absolument adorable. Il avait été un fidèle compagnon avant de mourir de sa belle mort, trois ans plus tôt. Steve avait cru alors qu'il ne le supporterait pas... Les gens ne pouvaient pas comprendre ce qu'il ressentait... Il n'aurait pas été plus triste si cela avait été sa fille...
Sans compter que Kitty avait déjà failli mourir une fois, il y avait seize ans de cela... Steve s'en rappelait parfaitement...
Un jour, un enfant était entré dans la boutique, et s'était amusé à essayer de caresser les souris blanches dans leur cage en passant la main entre les barreaux ; Kitty se promenait alors dans le magasin (Steve le laissait en liberté) et s'était mis dans la tête d'attirer l'attention du garçon en se frottant contre sa jambe. Le garçon avait été sottement surpris par ce contact et la cage des souris blanches étaient tombée par terre avec grand fracas, manquant de peu d'assommer mortellement son Kitty, qui s'en était sorti avec le museau éraflé. L'enfant s'était répandu en excuses, disant qu'il n'avait pas voulu faire mal à son Kitty, mais Steve ne s'était alors jamais senti dans une telle fureur. Il avait tellement gueulé contre le sale môme que les voisins avaient appelé la police pour voir ce qui se passait. Mais le gamin était parti sans demander son reste et Steve ne l'avait plus jamais revu... C'était tant mieux...
Depuis ce jour, la haine de Garland envers les humains avait atteint son apogée. Il bossait ici parce qu'il fallait bien vivre, mais quand l'heure de la retraite aurait sonné, il se prendrait une baraque cossue dans un village paumé, loin de tout et de tous, entouré seule-ment de ses chères bêtes... Peut-être aurait-il des poules et des canards... Des chevaux aussi... Quelques chèvres et moutons... Steve aurait voulu avoir tous les animaux de la planète chez lui... autour de lui...
Il avait fini avec la cage des cochons d'Inde et referma la porte. Les petites boules de poils s'enfouirent sous la paille pour faire leur sieste. Steve se dirigea vers la porte d'entrée et la ferma à clef : plus de client pour aujourd'hui.
Il lui arrivait encore d'imaginer que Kitty trottinait dans la boutique, entre les rayons, en faisait tinter sa clochette, et parfois il se surprenait à l'appeler en sifflant. Il était difficile d'oublier un animal qui s'était tant incrusté dans votre vie...
Mais il avait deux animaux, bien vivant, dans le chenil d'à côté et il était l'heure de leur faire prendre un peu d'exercice. Steve habitant dans l'immeuble d'à côté et pour rien au monde il n'aurait laissé ses amis dans le chenil toute la nuit. Il n'avait pas beaucoup de place chez lui, alors deux dobermans dans son trois pièces, ce n'était pas facile à gérer tous les jours. Mais Steve le faisait avec plaisir. De plus, il y avait des malades à chaque coin de rue et deux bêtes de ce gabarit, ça dissuadait le tout venant...
Steve passa un coup de chiffon sur son comptoir. Il dut insister sur une tache bizarre, rougeâtre, qui ne voulait pas partir. Il était assez maniaque sur la propreté de son magasin, et il déversa pas mal de détergent dessus, mais ça ne partait pas... pas du tout... il avait même l'impression d'étaler la chose de façon catastrophique... En levant les yeux, Steve vit une autre tache sur l'aquarium en face de lui. Ca, c'était un peu fort : il était passé devant tout à l'heure et n'avait rien vu. Il essaya de gratter pour l'enlever, mais elle s'étala elle aussi, tant et si bien qu'il ne voyait plus les poissons derrière la vitre. Mais c'était quoi, ce truc ?! Steve commençait à voir des taches partout... Et si un animal était blessé ? Ca ressemblait à du sang... Non, plutôt un genre de rouille liquide, mais comment ça avait pu arriver ici ? Il regarda les canalisations du plafond mais ne vit rien qui gouttait...
Steve retourna derrière son comptoir. Il verrait ça demain, il n'avait pas le temps, il devait sortir les chiens... Et puis, l'air était de plus en plus étouffant ici, il fallait qu'il sorte pour respirer un peu... Il se retourna vers la porte du chenil...
Une énorme tache rouge se répandait sur la porte, une tache rouge qui avait la forme d'une... énorme patte de chien... Steve sursauta de terreur devant ce qu'il savait impossible... Il n'y avait rien tout à l'heure... Et un chien ne pouvait pas laisser de telles traces... Il avait la berlue... Il était fatigué, il devait rentrer se coucher... Ce n'était pas une patte de chien... Il devait emmener ses bêtes hors d'ici... Qu'est-ce qu'il faisait chaud...
La poignée de la porte était maculée de liquide rouge mais Steve était prêt à tout pour ses chiens. Il la saisit à pleine main et poussa la porte vers l'intérieur. Il jeta un oeil prudent dans le chenil, mais il ne vit pas ses dobermans. Ils étaient peut-être tout au fond (il ne les enfermait jamais...).
Steve fit quelques pas dans la pièce tout en appelant ses chiens par leurs noms. Il entendit alors un son, comme un bruit de griffes sur le sol. Steve se sentit soulagé : il reconnaissait le bruit familier que faisait les pattes de ses chiens. Mais il n'entendait qu'un seul pas, étrangement lent et lourd...
Steve se rendit compte qu'il faisait encore plus chaud ici que dans le magasin. Un tuyau quelconque avait dû péter. Il appellerait le service de maintenance du quartier pour qu'il s'occupe de ça... Steve commençait à s'impatienter, d'habitude à cette heure-ci, ses chiens étaient surexcités et avaient hâte de sortir, mais le bruit de pattes était toujours aussi lent... Steve se porta à la rencontre de ses bêtes... Mais il ne vit pas ce qu'il s'attendait à voir...
Une ombre gigantesque se tenait au fond du chenil. C'était un de ses chiens, mais... sa taille n'était pas normale... Il était trop gros, trop grand... Ses chiens étaient d'une taille impressionnante, mais là c'était tout bonnement impossible... Il se frotta les yeux pour être sûr de bien voir... L'animal se dirigeait vers lui, d'un pas traînant, comme si sa lourde carcasse était un fardeau trop lourd à porter... Et il sortit de l'ombre...
C'était un chien monstrueux... un corps couturé de cicatrices, des plaies ouvertes, suintant le sang et le pus... une tête, non, deux têtes, sur ce corps hideux... ses deux chiens, en un seul... des yeux blancs révulsés, une bave jaunâtre qui pendait en longs filets brillants des gueules perpétuellement ouvertes... deux langues qui traînaient sur le sol... une démarche claudiquante, bancale, ponctuée par le bruit des griffes sur le sol, longues et affutées comme des cisailles...
Steve recula... il recula devant cet animal absolument terrifiant, cet animal qui n'en était plus un... Un grognement ininterrompu s'échappait de la gorge éventrée... Les deux têtes se tournèrent vers leur «maître», et soudain, le monstre chargea Steve. Celui-ci se jeta de côté, évitant la pesante créature de justesse. Se relevant instantanément, il se précipita sur son comptoir et s'empara du fusil à pompe qu'il gardait caché. Se retournant, l'arme braquée sur le monstre, il le mit en joue. Mais une autre vision d'horreur l'arrêta.
Sur le dos de la créature, là où aurait dû se trouver sa queue, il y avait un chat... une moitié de chat, une tête et des pattes avant qui griffaient la croupe du chien...
Un chat blanc avec des taches rousses...
Les oreilles aplaties, les yeux rouges, le chat crachait comme un enragé. Le chien ne se retournait pas, il exposait au canon du fusil son postérieur ravagé, attendant que Steve se décide à tirer sur son cher Kitty... Il ne pouvait pas... Garland n'avait jamais tiré sur un animal... Il ne pouvait pas tirer sur son Kitty... Non, Kitty était mort... Cette horrible chose essayait de le tromper... Ses mains tremblaient et le canon du fusil dévia un peu... Il fallait le faire... S'il ne tuait pas cette monstruosité, ce serait elle qui le tuerai... Il raffermit sa prise sur la crosse, visa, fit feu...
Le chat explosa littéralement sous l'impact, le chien poussa un jappement pitoyable, et s'affaissa sur le côté. Un trou béant était apparu dans le flanc gauche de la bête, mais elle n'était pas morte... Mais qu'est-ce qui pouvait bien tuer une telle créature, de toute façon ? Il voulut l'achever mais son fusil s'enrailla ; affolé, terrifié par son acte, il se rua sur la porte en sautant par-dessus le comptoir, sortit son trousseau de clefs et tenta de déverrouiller la porte ; mais il ne trouvait pas la bonne clef : ses mains étaient moites et tremblaient comme celles d'un vieillard.
«Insuffle la vie à l'animal qui est en toi...»
Steve n'osa pas se retourner. Il avait entendu distinctement une voix douce prononcer ces mots. Il était subjugué par la vision de la porte qui fondait littéralement devant lui, comme du métal en fusion, se changeant en liquide pourpre poisseux et puant... Et de l'autre côté, une véritable meute de monstruosités semblables à celle qu'il avait laissé derrière lui, aboyant, hurlant, grognant dans sa direction... Qu'avait-il fait pour mériter ça ?... Steve se mit à arracher le peu de cheveux qu'il lui restait aux tempes... N'avait-il pas toujours été bon pour eux ? Pourquoi lui en voulaient-ils autant ? Il se boucha les oreilles, rendu sourd et aveugle par ce qu'il entendait, par ce qu'il voyait... Il fallait que cela s'arrête... Comme un dément, il se mit à aboyer lui aussi...
Des détonations retentirent derrière lui ; des choses lui entraient dans le corps. En baissant les yeux, il vit son propre sang imbiber sa chemise, ses intestins s'échappant de son bas-ventre, se répandant sur son pantalon... Médusé, il les prit à pleine mains... tomba à genoux...
La dernière chose qu'il vit fut la meute hurlante se précipitant sur lui pour la curée...
_§_
15 février 1994... Commissariat de Pleasant River... 18H32...
Aidan Bearchan était plongé dans le rapport d'autopsie de Jimmy Stone. Il le parcourut des yeux, s'arrêtant plus particulièrement sur les éléments importants... Balle pénétrant à l'arrière de la tête... pas de traces de lutte... absence du coeur... poitrine recousue par le tueur... travail d'amateur... scarifications au couteau... 01121... aucune trace du tueur... pas d'empreintes ni de débris organiques...
Bearchan se caressa le menton. Le coeur avait été emporté par le tueur. Martin et Randolph avaient eu le torse recousu eux aussi. Sans compter les chiffres scarifiés sur la peau. Il n'avait plus de doute, c'était le même tueur. Le même tueur qui répétait comme un rituel. Un rituel de mise à mort particulièrement codifié...
Un assassin diablement fort, pour avoir réussi à étrangler Randolph à lui seul. Enfin, il fallait prendre en compte les particules de peinture... Mais cela n'avait pas de sens, Randolph ne s'était pas fait étouffer par un casier en alu ! Bearchan était certain qu'un être de chair et de sang était derrière tout ça...
Bearchan ferma les yeux et essaya d'imaginer à quoi pouvait bien ressembler l'assassin... Quelqu'un de plutôt grand... musclé... un solitaire dépressif... Mais Bearchan n'était pas profiler. Il fallait étudier l'emploi du temps de toutes les personnes ayant eu un rapport avec les trois victimes, et peut-être leur trouver une connaissance commune. Bearchan se souvint de ce que Casey lui avait dit : Sullivan ... Sullivan étudiait encore à Pleasant River et se faisait maltraiter par Randolph régulièrement... mais il avait aussi été élevé dans la Wish House, l'orphelinat de Silent Hill où Stone avait été retrouvé mort... Ca l'ennuyait de l'admettre, mais pour l'instant, Sullivan semblait le seul fil conducteur dans cette affaire.
Cela l'ennuyait car Sullivan ne correspondait pas du tout à l'idée qu'il se faisait du tueur. Physiquement déjà, il n'avait rien d'un lutteur ; et la façon dont il minimisait les horreurs que Randolph lui avait fait subir dénotait une certaine tendance à l'effacement, au pardon facile, au masochisme même... Dans ce cas, pourquoi aurait-il tué Randolph ? Sullivan semblait quelqu'un de très calme, de très posé, de très nonchalant, et il l'imaginait mal organiser un piège et tuer trois personnes en deux jours... Il savait que dans le cas d'un tueur en série, il ne fallait pas se fier aux apparences, mais...
Casey entra en trombe dans son bureau : il suait et soufflait comme un boeuf, plus à cause d'un quelconque choc que du fait d'avoir courut jusqu'ici. Ile se planta devant Bearchan :
- « Bear... un... un autre meurtre... à Ashfield... »
Bearchan se leva d'un bond en se mordant la lèvre. Non, encore un, ça n'était pas possible. Pendant un instant, il espéra que ce meurtre n'avait rien à voir avec les autres, mais au fond de lui il le savait : c'était le même tueur qui venait encore de frapper sous leur nez...
- « Bon dieu... il faut y aller », se résigna-t-il.
Beachan finit par se dire que s'ils n'arrêtaient pas le tueur, celui-ci ne s'arrêterait jamais tout seul...
_§_
15 février 1994... Animalerie «Garland»... 19H30...
Personne n'avait vu quoi que ce soit. Une voisine avait seulement entendu Garland hurler, mais c'était tout. Personne n'était entré ni ressorti. La boutique com-portait une porte d'entrée et une sortie de service, dont se servait Garland pour promener ses chiens avant de rentrer chez lui.
Bearchan fit quelques pas dans la boutique. Tout avait été saccagé : les cages des animaux étaient renver-sées, les linéaires étaient par terre, la plupart des animaux morts... A terre, gisaient deux cadavres de chiens, des dobermans, visiblement tuée par leur maître, couché face contre terre, un fusil à la main, face à la porte d'entrée. Garland était-il devenu fou ? Les chiens l'avaient-ils attaqué ? Avait-il tué tous ses animaux avant de se tuer lui-même ? Selon les dires des voisins, Garland adorait les animaux plus que lui-même, et il ne leur au-rait jamais fait de mal...
Bearchan voulut s'approcher du cadavre pour avoir la confirmation de ce qu'il craignait, mais le cadavre était sur le ventre, et il ne vit rien, à part les traces de centaine de balles qui avaient pénétré la chair... une arme automatique ?... Il savait qu'il ne devait pas faire ça, mais... Il retourna le cadavre, et là sur le haut du pectoral droit, il vit... les chiffres... 04121 ... et la longue estafilade recousue à la hâte sur la poitrine... Bearchan laissa échapper un long soupir de dégoût, avant de remettre le cadavre en place, en faisant attention de ne pas répandre les viscères partout.
Il allait vraiment falloir s'occuper de cette affaire très vite. Si le tueur assassinait une victime par jour au nez et à la barbe de tout le monde, qui savait jusqu'où il pourrait aller... Bearchan en faisait une affaire personnelle...
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15 février 1994... Rues d'Ashfield, Rue commerçante... 20H30...
Walter Sullivan, les bras chargés de sacs à provisions, remontait la rue commerçante pour rentrer chez lui. Comme il vivait seul, il n'avait pas grand chose à acheter, il savait se contenter de peu. Son appartement se trouvait non loin du petit centre commercial où il avait l'habitude d'aller. Il sortait de son travail, un job à mi-temps au Albert Sports, qui lui permettait de payer ses études et de mettre du beurre dans les épinards. Sullivan n'était pas particulièrement sportif, et, malgré les encouragements de Mr. Albert, ça ne l'avait jamais intéressé : il préférait les activités intellectuelles.
En sortant du centre, il avait remarqué un attroupement, devant l'animalerie lui semblait-il. Il y avait des bandes jaunes tendues devant l'entrée, et Sullivan pensa qu'il y avait eu du grabuge. Peut-être le gérant avait-il eu des problèmes avec un animal ?... Mais ça ne l'intéressait pas trop : le gérant, Garland, était un sale type de toute façon, et les animaux sentaient ces choses-là...
En regardant avec un peu plus d'attention, il vit le commissaire Bearchan, sortir de la boutique, avec un air songeur sur le visage. Sullivan s'arrêta quelques instants, et Bearchan, machinalement, leva les yeux dans sa direction, et il le vit. Il fut comme figé pendant un moment, ne pouvant croire à sa présence sur les lieux du crime.
Sullivan repartit d'une bonne allure. Il ne voulait pas que Bearchan vienne vers lui, même s'il l'aimait bien. C'était une bonne personne, et Sullivan en avait rencontré tellement peu dans sa vie que cela méritait d'être noté dans un coin de son esprit. Bearchan le suivait des yeux, il le savait, car il sentait son regard planté dans son dos.
Sullivan avait l'habitude des regards mauvais braqués sur lui. Depuis qu'il était sorti de l'orphelinat, il n'avait rencontré que des gens méfiants, vindicatifs, volontiers méchants à son égard. Mais on l'avait prévenu à l'orphelinat : «les gens ne te comprendrons jamais, et ils te rejetteront toute la vie, parce que tu es spécial.» Sullivan n'avait jamais recherché l'approbation de personne, enfin seulement la Sienne, à Elle... Il devait attendre le prochain Signe...
Sullivan ne se pressait jamais pour rentrer chez lui. Personne ne l'y attendait, il n'avait pas d'ami, de père ni de mère. Enfin, si, il avait une mère, mais il ne pouvait pas encore la rejoindre... pas encore, mais bientôt... Quand tout aurait été accompli, il pourrait la retrouver... Sullivan se mit à sourire tout seul, de ce sourire absent, lointain, qui avait tant déstabilisé Bearchan...
Il arrivait devant son immeuble. Le concierge l'aiderait sûrement à monter avec ses provisions. Il était gentil, le concierge. Si seulement ils pouvaient être tous comme ça, le Paradis n'aurait pas fui... Dieu ne serait pas morte... et il n'aurait pas besoin de... C'était si rare... Sullivan avait appris à apprécier cela... même si au fond, il n'avait pas besoin de gentillesse... Il n'avait besoin que de Son amour... C'était tout ce qui importait... Le vieux concierge lui tint la porte d'entrée et lui proposa de l'aider à monter ses sacs... Très gentil, vraiment...
Bientôt, Mère, très bientôt...