October 25th.
Ce matin-là, un silence doux régnait à l'extérieur. Une brise s'était levée, agitant les feuilles sèches sur le sol. On pouvait presque entendre les pattes d'un chat jouant avec ces dernières. Cela me semblait...différent. J'en profitais pour me lever, découragée par cette nouvelle journée qui allait être durement froide. Après une douche rapide, j'enfilais mon nouvel uniforme d'automne-hiver; un pull plongeant, long jusqu'aux avants-cuisses, beige, laissant dépassé le col du chemiser blanc et ma nouvelle cravate. Pour ne pas avoir froid, je portais un manteau jusqu'aux hanches couleur encre qui s'accordait avec la cravate et ma jupe aux rayures beiges. Pour chaque demi-saison, nous changions d'uniforme mais les rayures particulières restaient les mêmes pour désigner le symbole de l'école. J'aimais en particulier l'uniforme de ces deux saisons rassemblées ensemble, car elle me donnait du charme et se mélangeait avec la couleur noire corbeau de mes cheveux.
Je me dépêchai de prendre le bus pour aller au lycée. J'étais encore plus en retard que d'habitude, je n'avais même pas eu le temps de prendre un super déjeuner énergétique - un simple bol de céréales.
La sonnerie de l'école avait déjà retenti dans la cour et je vis Ryû qui entrait à l'intérieur du lycée pour aller en cours. Il me fit un salut de la tête et un sourire timide que je lui rendis, puis disparut parmi les élèves.
En première heure, j'avais le cours de français. Comme à son habitude, Monsieur Ishida était déjà entrain de distribuer des feuilles de grammaire. C'était un homme grand, mince et élégant. Il avait sûrement la trentaine car il paraissait jeune derrière ses lunettes rectangulaires et ses cheveux colorés châtains, dont il rattachait les plus longs en queue de cheval. Une mode que tout le monde connaissait bien et qu'on retrouvait surtout dans notre pays voisin, la Corée du Sud. J'aimais beaucoup ce professeur malgré que je paraisse agaçante à ses yeux. Il m'a valu, un jour, une mise à la porte à cause d'un éclat de rire que j'eus toute seule, évidemment, de son fort accent français et depuis, il était plutôt sévère avec moi.
Bref, j'avais tout de même beaucoup de facilité dans cette branche, vu que c'était ma langue maternelle et j'en étais heureuse pour une fois et même vantarde face au garçon le plus populaire - dont je ne savais toujours pas le nom - qui n'avait qu'une seule faiblesse, le français.
« - Bonjour, accueillit le professeur, aujourd'hui je vais former des groupes de deux. Ceux qui ont de la facilité pourront aider ceux qui ont en moins. Je vais commencer avec mademoiselle Sawako... qui se mettra avec monsieur Shôta. »
Je levai les yeux, perplexe, par ce nom que je n'avais jamais entendu. Mais à ma grande surprise, je vis indirectement plusieurs visages de lycéennes qui me lançaient des regards noirs et froids comme si leur seule envie était de me tuer sur place. Je devinai alors, qui allait me rejoindre à la seconde qui suivait...Monsieur-Parfait.
« - Salut, dit-il. »
Je ne l'entendis pas. J'étais préoccupée à imaginer comment j'allais subir le sort qui m'attendait à la sortie de l'école par toutes ces lycéennes. Je m'imaginais des scènes et me mis toute seule à en rire, tout en oubliant qu'il y avait un étudiant en face de moi.
« - Euh... ça va? Ou tu as des problèmes psychologiques et que t'aimerais aller voir un médecin?, demanda-t-il en étouffant un rire.
- C'est quoi ton nom déjà? dis-je sur un ton sérieux, tout en ignorant sa stupide plaisanterie.
- Quoi ? Tu ne me connais pas ? Je suis Shôta. Le plus populaire de ce lycée...
- Ah oui, Shôta!, le coupais-je, Ferme ton bec d'oiseau retouché par la chirurgie et laisse-moi tranquille!
- He!, s'écria-t-il, très choqué. Je n'ai jamais eu recours à la chirurgie, je ne suis pas stupide... Mademoiselle-sans-amis, qui rigole toute seule et qui devrait être envoyée à l'asile.
- Figure-toi que j'ai un ami!
- Qu'est-ce qui se passe dans ce groupe?, s'énerva monsieur Ishida en nous regardant.
- Monsieur, je veux travailler avec une autre personne!, nous répondîmes en chœur. »
Shôta et moi n'avions ni travaillé ensemble, ni changé de partenaire ou de groupe, mais nous avions tout simplement reçu un joli « A la porte! » du professeur de français.
A la fin de cette journée pénible, je rejoignis Ryû qui m'attendait au portail du lycée, il avait insisté pour qu'il me raccompagne. Sur le chemin, il resta silencieux, ce qui me perturbait beaucoup, surtout venant de lui. J'attendais qu'il dise quelques mots stupides pour casser ce silence qui commençait à me rendre malade. Et finalement, c'est moi qui ouvris la bouche:
« - Qu'est-ce que tu vas faire ce soir?
- Je vais sûrement être sur l'ordinateur, répondit-il, j'ai trouvé le site du lycée qui a été ouvert pour que les jeunes puissent discuter entre eux! C'est génial!
- J'y crois pas! dis-je très surprise. Moi aussi, je me suis inscrite sur ce site, il y a quelques jours!
- Sérieux? Super! Quel est ton pseudo? »
Karuho... C'était mon pseudo mais je n'avais pas envie de lui dire. Au fond de moi, je voulais que ce soit un secret qu'entre Naoki et moi. Si Ryû le savait, il ira sûrement dire à plusieurs personnes et ça pourrait atteindre Naoki et je ne voulais pas qu'il sache ma vraie identité, en tout cas, pas pour l'instant.
« - Et si on créait un petit jeu? Tu dois deviner quel est mon pseudo et je dois faire pareil... Et celui qui trouve en premier, peut rendre un service à l'autre. »
Un jeu stupide que j'avais trouvé sur le moment, mais comme Ryû ne pensait jamais intelligemment, il allait sûrement accepter ce défi.
« - Il y a pas mal de monde sur ce site... Ça va être dur... Mais j'accepte! J'adore ce genre de jeu!, répondit-il en souriant, comme je l'avais pensé. »
Nous arrivâmes près de la maison Kuronuma; la mienne. Je remerciais Ryû de m'avoir raccompagnée et je rentrai à l'intérieur. Je sentis une odeur des petits fours au chocolat; ceux que je préfère tant; ma mère avait eu la gentillesse d'en faire. Je passais à la cuisine pour la saluer et prendre un petit morceau du gâteau qu'elle avait préparé, puis montai dans ma chambre. Je vis l'ordinateur qui n'avait pas bougé d'un poil... Et j'eus toute suite l'envie de l'allumer. Mais avant, comme tout élève, je fis rapidement mes devoirs.
Je me mis au travail : du français m'attendait. C'est alors que je repensais au cours de ce matin ; j'espérai ne plus revoir ce garçon mal élevé, Shuta ou Shoita, un nom comme un autre. Mais cette dispute avait rapporté quand même quelque chose de bien; les lycéennes m'avaient laissée tranquille. C'était plutôt logique, vu que Monsieur-Parfait ne m'aimait pas et qu'il ne s'intéressait pas à moi. Une charge en moins pour ces poupées.
Après une heure de révision, j'allumai enfin mon ordinateur. Le fond d'écran avait évidemment changé; une photo de Paris s'affichait sous mes yeux. La ville où j'aurai voulu faire mes études et vivre avec mon père.
Je cliquai sur l'icône d'Msn pour me connecter. Je vis toute suite Naoki en ligne mais avant même que j'aille lui parler, il vint lui même à ma rencontre.
« - Karuho! Je t'attendais, commença-t-il, j'ai pensé à toi toute la journée.
- Moi, je n'avais qu'une hâte : Te reparler. Y-avait-il beaucoup de gens qui t'ont ennuyé, aujourd'hui?
- Non, pas vraiment, puisque j'ai fini par prendre habitude mais une chose inhabituelle s'est produite.
- Qu'est-ce qui s'est passé?, lui demandais-je en tapant sur le clavier.
- Une personne m'a énervé, rien de grave... Et toi? Est-ce que ça va?
- J'ai eu une sorte de dispute avec un garçon. Mais c'est passé...
- On est un peu dans la même situation alors. Qui c'est l'étudiant? »
Je n'osais pas lui répondre, de peur qu'il connaisse la personne ou de peur qu'il l'admire en secret. De plus, je n'étais même plus sûre du nom...
« - Monsieur-Parfait, répondis-je très fière de ce sobriquet.
- N'as-tu pas retenu son nom?
- Je suis un poisson rouge, je ne retiens rien.
- Et moi, je suis quoi alors?
- Un poisson bleu. »
Il ajouta un émoticone qui rigolait ce qui me fit rire aussi. J'essayais de reprendre mon sérieux, même si je ne cessais de sourire bêtement comme Ryû le faisait quand il était avec moi.
« - D'accord, alors nous venons tous les deux du monde des Fish, écrivit-il.
- Ça promet! »
Nous discutâmes encore pendant quelques heures. Nous n'avions eu que des "délires", mais de nouvelles informations se relevaient à chaque nouvelle heure, et nous commencions à nous connaître petit à petit; il me ressemblait beaucoup et j'adorais partager ma vision des choses avec lui. A chaque fois que je devais lui répondre, un nouveau frisson parcourait mon dos, mais j'étais heureuse de lui parler et d'avoir pu rencontrer une personne comme lui.
« - Cela fait seulement quelques jours qu'on se connait mais tu sais que je t'adore déjà? me dit-il.
- Ça alors! On m'adore déjà! répondis-je. Moi aussi, je t'aime bien, Naoki.
- On est amis alors? demanda-t-il.
- Oui, bien sûr! »
C'est sur ces quelques mots qu'il partit dormir et finir ses devoirs, après que l'on se soit échangé nos numéros de portable.
Je finis la soirée en écoutant de la musique et en repensant à ses derniers mots : on était "amis". Ça me suffisait largement. Ma mère entra dans ma chambre pour éteindre ma musique et me conseiller de dormir. Au même moment, je reçus un texto : « La semaine prochaine, on essaie de s'appeler. Naoki. » S'appeler? Les seuls mots qui me passèrent par la tête à ce moment là, furent "Il est fou".