October 25th.
C'était avec les yeux remplis de tristesse et d'adieux que je regardais une dernière fois la ville de Paris. Mes parents avaient beaucoup de problèmes dans leur relation, et le temps que tout s'arrange, ils préféraient que je m'exile au Japon. Ma mère m'emmenait donc très loin de ma capitale, de mon pays.
A cette époque, j'avais seulement 13 ans, et le regard que je portais ce jour-là m'obsédait toutes les nuits. Trois ans s'étaient écoulées... J'avais grandi et changé, mais mon père me manquait terriblement. Quel visage avait-il pris désormais? Que faisait-il? Il ne répondait à aucune de mes lettres. M'avait-il oubliée? On m'avait promis que tout s'arrangerait mais en fin de compte, il était toujours là-bas, en Europe.
C'était à cette même période que la saison d'automne s'était enfin annoncée. Ce même moment et ce même mois où j'avais vu pour la toute dernière fois le visage de mon père.
A cette époque, j'avais seulement 13 ans, et le regard que je portais ce jour-là m'obsédait toutes les nuits. Trois ans s'étaient écoulées... J'avais grandi et changé, mais mon père me manquait terriblement. Quel visage avait-il pris désormais? Que faisait-il? Il ne répondait à aucune de mes lettres. M'avait-il oubliée? On m'avait promis que tout s'arrangerait mais en fin de compte, il était toujours là-bas, en Europe.
C'était à cette même période que la saison d'automne s'était enfin annoncée. Ce même moment et ce même mois où j'avais vu pour la toute dernière fois le visage de mon père.
*
Grignotant le bout de mes doigts en me rongeant les ongles, j'appris que l'automne allait se réveiller. Je relevais mes yeux vers l'arbre qui se dressait à côté de moi et remarquais qu'il ne restait que trois misérables feuilles sèches encore accrochées. Le mois d'octobre allait être froid, très froid.
Je jetais à coup d'oeil à ma montre, il était l'heure d'aller au lycée. Depuis que j'avais commencé la première année de cette école, je me retrouvais souvent seule et je n'arrivais pas à me faire des amis. J'avais donc du mal à m'intégrer et les cours ne me plaisaient plus. Je n'avais pas le choix, ma mère avait littéralement refusé que je prenne des leçons privés, à la maison. C'est donc avec un long soupir que je mis mes cheveux dans mon pull et cachais ma tête sous mon capuchon ; le froid commençait même à picorer mes joues. Je partis à pas de course en direction de l'école quand soudain, je donnais un énorme coup d'épaule à un passant. J'aurais bien aimé que cet accident ne se produise pas, car si ma vision était bonne, je cru reconnaître un uniforme noir avec des rayures beiges; le symbole de mon lycée.
« - Désolée, m'excusais-je en me retournant.
- Ce n'est pas grave... »
A ma grande surprise, j'étais en face du garçon le plus populaire du lycée, celui qui était bon en sport comme dans les branches d'école, celui qui était poursuivi par une meute de filles mais aussi par des garçons, celui qui était aimé par tout le monde et qui avait un grand nombre d'amis. Comme dirait-on, il était presque parfait mais pour moi, il n'était qu'un égocentrique. De plus, vu comme je suis inculte, je ne connaissais même pas son prénom... En fait, il était tout mon contraire et il ne m'intéressait pas du tout. Il aurait été la dernière personne avec qui j'aurai aimé entamer une discussion. Sans m'excuser, je retournais à la cour du lycée et par grande chance, j'étais encore un peu en avance. Je me mis dans un endroit isolé et me plongeais dans ma musique préférée.
« - Sadako! »
Je relevais ma tête, perplexe, me disant que cela faisait longtemps que je n'avais pas entendu quelqu'un m'appeler, par mon prénom. Et même mon surnom; Sadako modifié de Sawako.
« - Ryû?! »
Ryû était issu de mon ancien collège et de mon ancienne classe. Il était quelqu'un de très gentil, souriant, sympathique et même amusant. Sa peau était légèrement dorée, comme si il venait des pays du sud, ce qui enviait à grand nombre de personnes. Ses cheveux de couleur encre étaient toujours décoiffés, à savoir qu'il ne connaissait pas le peigne. Il avaient de beaux yeux noisettes qui pétillaient et un sourire remontant jusqu'aux oreilles, comme à son habitude. Je devais l'avouer, il était très beau.
« - Ça fait longtemps que je ne t'avais pas vue, me dit-il timidement, tu vas bien?
- Oui, je vais bien. Mais que fais-tu là?
- J'ai changé d'école... Je n'aimais pas l'autre et j'ai entendu parler de celui-ci qui me paraît bien meilleur! »
Le pauvre... S'il savait ce qui l'attendait dans ce lycée... Il serait devenu encore plus fou que moi. Tous les étudiants étaient en compétition durant les trois années afin d'obtenir les meilleurs résultats pour l'admission des meilleures universités.
« - Pfft, je suis sûre que tu es venu ici rien que pour voir les jolies filles, fis-je en lui tirant la langue.
- N'importe quoi, fit-il en étouffant un rire. »
Je sentis que ce nouveau monde n'allait pas être si ennuyant que ça... Même si je n'étais pas très proche de Ryû, j'étais tout de même contente qu'il soit là. C'était mon ami et il n'était pas embêtant.
Pendant que je discutais avec lui, j'entendis les cris hystériques des lycéennes. Elles étaient toutes derrière un garçon; celui que j'avais percuté tout à l'heure. Sans vraiment faire attention, je remarquais du coin de l'oeil qu'il jeta un regard vers moi.
« - C'est qui lui?, me demanda Ryû. »
J'évitais la question de mon ami. J'étais préoccupée par le regard de cet étudiant. Je faisais un peu plus attention à son visage que je tentais de mémoriser : il avait les cheveux sombres avec des couleurs désordonnées et variantes entre le brun et le noir, il était grand et mince avec un air de gamin. Je me forçais de plonger les yeux dans les siens ; ses saphirs, d'une couleur attirante, me toisèrent du regard et percèrent directement les miens. Tout d'un coup, pris par son piège, j'avais l'impression que le monde n'existait plus. Qu'il n'y avait plus rien autour. Juste lui et moi. Les regards entremêlés et les souffles coupés. Comme si le temps s'était arrêté et que nos destins s'étaient croisés. Et puis soudain, plus rien. Il avait changé de champ de vision et je trouvais ridicule.
« - Sadako?
- Euh...Oui?, me retournais-je vers Ryû, que j'avais totalement oublié.
- Non rien, sourit-il, en dirait que t'étais ailleurs. »
Toute la matinée, j'avais l'image de ce court instant tourbillonner en moi. J'avais envie de revoir ce moment, c'était si étrange et intriguant. Et puis, j'avais décidé d'oublier cet étudiant. De toutes manières, il était le plus insupportable à mes yeux et je ne portais aucun intérêt pour lui. C'était vraiment stupide. L'après-midi, je n'attendais qu'une seule chose : être à la maison et utiliser mon nouvel ordinateur que ma mère m'avait offert, et ce bonheur arriva assez rapidement: sur le chemin du retour, je la vis en voiture et elle s'arrêta pour me prendre. Ma mère me ressemblait beaucoup, elle avait les mêmes yeux que moi, très enfantins et fatigués par chaque nouvelle journée. Et elle avait un joli sourire que j'aimais beaucoup admirer. Les seules différences qui me séparaient d'elle, c'était qu'elle avait des cheveux noirs ébène qui se baladaient sur ses épaules et des rides au niveau des yeux et de la bouche à force de rire.
« - Tu as passé une bonne journée?, me demanda-t-elle.
- C'était différent aujourd'hui. J'ai revu un ami du collège, il est nouveau dans mon lycée!
- Ah oui? Mais c'est une très bonne nouvelle, Sawako. Comment s'appelle-t-il?
- Ryû. Il est vraiment gentil... Et je me sens moins seule, dorénavant.
- Je suis contente pour toi, sourit-t-elle. »
A la maison, ma mère avait déjà installé mon nouveau PC. J'en fus très heureuse et je l'allumais aussitôt pour le découvrir. Elle avait même abusé du fond d'écran : une photo de moi, petite, à l'âge de 5 ans, mangeant du chocolat que j'éparpillais sur mon visage. J'allais bien sûr, très vite la changer.
Je connaissais pas mal de choses en informatique, même si je n'avais jamais utilisé d'ordinateur chez moi. J'ouvrais une nouvelle page d'internet et j'installai directement le logiciel tant connu : Msn Messenger. J'avais déjà un compte e-mail, il suffisait simplement que je me connecte. Par la suite, j'ouvris une nouvelle page et tapais dans la bande de recherche, l'adresse de mon lycée. J'avais entendu parler que les étudiants avaient ouvert une discussion en ligne, seulement réservée à ceux de mon école. À peine arrivée dessus, que je devais m'inscrire et choisir un pseudo... Je mis beaucoup de temps et finis par trouver un nom plutôt sympathique : Karuho - le prénom d'une écrivain d'histoires japonaises.
A première vue, il y avait beaucoup de monde sur le site. Je ne savais pas avec qui parler et surtout ce que je devais faire. Sur le moment, je me demandais même pourquoi j'étais entrée dans ce forum, alors que je ne connaissais personne. Chassant ces idées, je pris mon courage à deux mains et m'obligeai à me dire que c'est peut être comme ça que je me ferais de nouveaux amis. Je cliquai au hasard sur un pseudo et l'heureux élu était Naoki. Je commençais la discussion comme tout jeune stupide pouvait écrire :
« - Salut. Ça va? »
J'attendis un instant, espérant qu'il puisse me répondre... Pas même quelques minutes d'attente, que Naoki me répondit.
« - Salut. Bien... Et toi? »
Une montée de curiosité et de nervosité pénètrent à l'intérieur de mon corps; j'étais encore plus stressée et impatiente de taper sur mon clavier. Les doigts légèrement tremblants, j'écrivis rapidement :
« - Bien merci. T'es en quelle année?
- Je suis en première, j'étudie la biologie et la chimie.
- Ah je vois. Je suis en deuxième et j'étudie les mathématiques et la physique.
- Wah! T'as du courage.
- Ouais, tout le monde me le dit. Sinon, comment était ta journée?
- Une journée comme une autre, écrivais-je, mais j'ai pu voir une nouvelle personne de mon ancien collège et j'étais plutôt contente.
- Ah d'accord. T'as d'autres amis du lycée?
- Personnellement, je trouve que les gens sont tous pareils. Tout ceux qui les intéressent sont des gens supérieurs, beaux et intellectuels. Des blagues qui se ressemblent et qui se répètent à la longueur de la journée... Et encore, un tas de choses stupides. Je n'ai donc pas beaucoup d'amis, non. »
Soudain, je m'étais dite qu'il ne fallait peut être pas que je dise les choses de cette façon... C'était pire que je ne
l'avais imaginé... Là, c'est sûr, ce cher Naoki n'aurait plus très envie de me répondre. Il va me trouver bizarre. En plus, je lui avais dit que je n'avais pas d'amis. Bon sang, qu'est-ce que je suis stupide!
« - Et toi, tu ne fais pas partie de ces gens-là?, demanda-t-il très rapidement.
- Bah non... Je suis plutôt seule. Je n'arrive pas à être amie avec ces personnes-là. Je sais que je ne pourrais pas les supporter.
- Ah d'accord... C'est intéressant comment tu vois les choses. Je pense pareil. Mais moi, c'est encore pire. Je m'ennuie toute la journée et espère qu'un jour mon mode de vie change. »
Alors là, je ne m'y attendais pas du tout à cette réponse. J'étais même impressionnée. Cette personne serait-elle un peu comme moi? J'étais contente que ce nouveau personnage pense de la même manière que moi, cela signifiait que je n'étais pas la seule à être ainsi.
Je continuais de discuter avec lui et pour tout avouer, je m'amusais plutôt bien. Je n'avais même pas fait attention aux heures qui défilaient à une vitesse incroyable.
« - Bon, je vais devoir te laisser, Naoki, écrivis-je.
- Oh reste encore une heure! S'il te plait, Karuho!
- Il est deux heures du matin... Cela fait cinq heures qu'on parle ensemble. C'était amusant mais, je dois aller dormir.
- Bon d'accord... Ajoute mon adresse e-mail sur Msn. J'espère qu'on se verra demain!
- Et comment?
- Par internet.
- Ah ben oui, c'est logique. Bonne chance pour demain.
- Merci. A toi aussi... Espérons qu'on s'ennuiera pas trop, conclut-il la conversation. »
J'éteignis l'ordinateur et me dépêchai de m'installer dans mon lit. Je repensais à toutes les paroles échangées durant cette longue conversation. Il était vraiment intéressant et j'avais hâte de lui reparler. En même temps, il y avait tout ce côté mystérieux, où on aimerait connaître la personne qui se trouve derrière l'écran. C'était aussi ça le but du site, c'était comme un jeu. Mais cela pouvait attendre.
Je jetai un coup d'œil sur mon portable : 26 octobre. Soit, hier, nous étions le 25. Il ne fallait pas que j'oublie cette date, car elle signifiait beaucoup pour moi; Naoki était mon nouvel ami mais aussi un lycéen qui me ressemblait. Je ne vais pas le lâcher maintenant.