October 25th.
« - Allo?
- Karuho? »
Je ne m'attendais pas vraiment à cette voix... Elle était plutôt grave et timide mais elle me plaisait bien. J'aurai voulu qu'il m'appelle par mon prénom, ça aurait été encore plus magnifique.
Je me préparais à lui répondre, j'avalais ma salive restée coincée sous la langue; elle retenait mes mots.
« - Naoki? »
J'entendis, alors, un rire homérique résonner dans mon oreille. Il était plutôt charmant et envoutant; j'en fus même retournée. Je ne compris tout de même pas pourquoi il s'était esclaffé. Ma voix n'était peut-être pas celle qu'il attendait... J'avais honte; elle n'était sûrement pas belle.
« - C'est moi Naoki, reprit-il.
- Je sais.
- Nous sommes bêtes.
- Oui. »
Il rit de plus belle mais encore plus délicieusement que la première fois. Cette fois-ci, je tentais de mémoriser son rire.
« - Rigole encore.
- Pourquoi?
- C'est égoïste, mais ton rire est tellement beau que je veux être la seule à l'entendre. Même si ce n'est qu'au téléphone, avouai-je. »
Il ne répondit pas et laissait les secondes couler. Quel regard avait-il pris à cet instant; était-il heureux? L'avais-je énervé? Ou était-il tout simplement gêné? Je n'aurai peut-être pas dû lui exprimer mes sentiments de cette manière, mais cette envie de l'entendre rire m'obsédait sur le moment.
« - Bon, sinon? Tu vas faire quoi, ce soir, mon petit poisson rouge?, changea-t-il de ton et de sujet.
- Et bien, écoutes... Ce soir, je vais regarder un film, Le Tombeau des Lucioles.
- Oh! Il est magnifique ce film!, s'écria-t-il. Tu vas pleurer?
- Sûrement.
- Poisson rouge est sensible!, ricana-t-il.
- Poisson bleu m'énerve!
- J'aurai voulu être là, avec toi. Pas pour regarder le film mais pour t'admirer.
- La blague! »
Nous continuâmes de parler pendant plusieurs heures, il avait réussi à me priver de ma soirée cinéma. Mais, cela ne me dérangeait pas et même plus, j'étais contente des heures passées avec lui au téléphone. Nous n'avions pas arrêté de discuter de tout et de rien, de rire et se moquer l'un de l'autre. Il me paraissait familier... Comme si ça faisait très longtemps qu'on se connaissait et qu'on venait de se retrouver.
« - J'aimerai te voir, lâcha-t-il.
- Moi aussi.
- Alors qu'est-ce qu'on attend?, soupira-t-il.
- Je... Je ne suis peut-être pas prête. Enfin, je ne sais pas.
- Tu n'es pas prête ou tu ne veux pas?
- Tu devrais aller dormir. T'es fatigué, mon pauvre poisson bleu. »
Il se tut et raccrocha sans prendre la peine de me dire au revoir. J'étais choquée, j'avais l'impression de l'avoir déçu... Mais quelle stupidité avais-je encore commise?
Les jours suivants, Naoki avait soudainement disparu, il ne se connectait plus et ne donnait plu de signe de "vie". Comme, je l'avais pensé, il éprouvait sûrement de la déception... et moi aussi. Pourtant, ce n'était pas mon but; tout ce que je voulais lui faire comprendre, c'était qu'il me fallait plus de temps pour qu'on s'apprenne réellement à se connaître.
Je n'avais pas eu le courage d'essayer de savoir ce qu'il se passait. J'avais plutôt estimé de le laisser tranquille jusqu'à qu'il prenne sérieusement la décision de venir me parler. Mais, plusieurs semaines s'étaient écoulées et il n'était toujours pas là. A force, j'allais croire qu'il n'existait plus et que j'allais devoir l'oublier. Non, ça ne m'était impossible. Il me manquait trop. Un énorme vide s'était formé au niveau de mon cœur, j'avais besoin de lui.
*
Nous étions le samedi 23 décembre. Demain, était la distribution des cadeaux et moi, je n'en avais toujours pas acheté. Je profitais donc de cette fin de journée pour me rendre au marché de noël.
Parmi toutes ces lumières, il y avait beaucoup de monde; un chiffre tellement énorme qu'il était logique que j'aie trébuché un passant. Je me retournais vers l'inconnu pour m'excuser mais, à ma grande surprise, je vis un grand jeune homme en face de moi. Tellement grand qu'il me rappela bizarrement quelqu'un...
« - Tiens, Monsieur-Parfait!, grommelais-je.
- Madame-Parfaite, dit-il en s'inclinant.
- Ironie?
- Peut-être bien, répondit-il en me tirant la langue.
- Je perds mon temps!, soupirais-je.
- Ce n'est pas la première fois que tu me bouscules, tu devrais t'excuser.
- Je n'en vois pas l'intérêt, surtout pour quelqu'un comme toi. »
Je m'apprêtais à partir, mais, au même moment, il me retint en m'attrapant par le bras. La colère m'emporta et je serrai les poings mais lorsque je me retournais face à lui, je vis directement ses prunelles qui me coupèrent le souffle. Ses yeux noisette paraissaient encore plus magnifiques sous les néons de lumière des vitrines, que dans la journée, ce qui renforça son charme. Je ne pus m'empêcher d'être indifférente face à lui, il avait cette manie de rendre les gens totalement à son service. Mais je n'allais pas succomber à sa beauté, c'est pourquoi je baissais les yeux et enlevai férocement sa main de mon bras.
« - Qu'est-ce que tu veux?, m'énervais-je.
- T'es toute seule?, me demanda-t-il innocemment.
- Oui et alors? Désolée mais, je ne m'appelle pas Monsieur-Parfait pour avoir des esclaves à mes pieds.
- N'importe quoi, soupira-t-il.
- Évidemment... A force, on s'ennuie.
- Aurais-tu l'amabilité de m'accompagner pour acheter des cadeaux?, fit-il en changeant de sujet et de ton.
- Tu rigoles, j'espère? On ne se connait même pas!, rétorquai-je. »
Il fit comme s'il n'avait rien entendu et me poussa dans le dos pour que je puisse avancer. Je trainais tout de même les pieds et essayais deux fois de suite de m'échapper... Mais rien à faire, il avait toujours le pouvoir. Nous entrâmes dans plusieurs boutiques puis en resortait quelques minutes après. Il trouvait jamais ce qu'il souhaitait. Et puis soudain, nous arrivâmes en face d'une vitrine de jouets - à vrai dire c'était un grand magasin. Il resta longtemps à contempler à travers celle-ci. Il paraissait nostalgique et enfantin. Il m'adressa un petit sourire dans le coin, puis, rentra à l'intérieur, ce que je fis de même.
« - Pourquoi voulais-tu que je t'accompagne?
- J'ai peur du noir... Je n'avais pas envie de rester tout seul!
- Pitié, lâchai-je en soupirant.
- Je vais aller de ce côté, fit-il en désignant le couloir de gauche. Tu peux te balader mais, si tu te perds, crie mon nom. Ah oui, c'est Shôta et non Monsieur-Parfait... Évite de me faire honte.
- Je n'ai pas d'ordres à recevoir! Surtout de toi!, aboyai-je.
- Ne te perds pas, d'accord?, marmonna-t-il. Je ne laisse jamais une fille toute seule. J'y vais. »
Après ces quelques "belles" paroles en l'air, Shôta disparut parmi l'un des couloirs du magasin. J'en profitais pour m'évader... Mais au même moment, je vis une belle peluche en forme de poisson. Une très belle... Bleue. Il y avait aussi d'autres objets, des stylos, des crayons et des porte-clefs. Je pensais alors à Naoki et à nos stupides conversations... Celle où on s'était dit qu'il était un poisson bleu et moi, un rouge.
Je pris l'un des porte-clefs poisson dans les mains et l'observais. Il me faisait rire avec ses deux gros yeux blancs et sa grosse bouche rouge. Elle était molle et douce; très agréable à câliner. Sans réfléchir, je partis l'acheter.
Après avoir choisi ce petit cadeau, je sortis prendre de l'air. Shôta n'était toujours pas revenu... Mais que diable restais-je encore à l'attendre?!
« - Heureusement que t'es là! J'ai cru t'avoir perdue, chuchota Shôta en sortant de la vitrine.
- Je ne risquerai pas!
- C'est cela oui, fit-il sur un ton narquois.
- Excuses-moi, mais j'aimerai rentrer chez moi!
- Je...
- Et toute SEULE!, le coupais-je très fière de moi.
- Ah! Parce que, tu croyais que j'allais t'accompagner? N'y pense même pas! Je voulais juste te remercier d'avoir accepté de rester avec moi, ce soir... Petite insolente!
- Ce n'était même pas une proposition mais une obligation. Au revoir! »
Il se mit à rire. Un rire grave et dur mais à la fois doux comme le miel. J'avais l'impression de l'avoir déjà entendu... Je plongeais dans mes souvenirs pour retrouver ce rire habituel... Mais, malheureusement, nulle voix ne résonnait dans mon stupide cerveau!
« - Tu médites?, m'observa-t-il.
- Non... Je manque tout simplement d'air depuis que t'es là!
- Bon, alors, je ne resterai pas plus longtemps... Passe une bonne fin de soirée, Ayumi! »
Il ébouriffa mes cheveux corbeaux avec sa main et me lança un regard méprisant à travers ses yeux dorées - l'arme la plus redoutable - tout en affichant un sourire charmeur. Je baissai la tête, sachant que mes joues avaient pris la couleur rouge; honte à moi face à ce personnage terrifiant. Il s'en alla en rigolant une dernière fois, ce qui me fit des frissons dans le dos. Il marchait à pas lents et paraissait vouloir se retourner pour me lancer un dernier regard.
Je le regardais partir au loin, puis je détournai les yeux... J'étais vraiment une idiote; je pensais encore à lui, alors qu'il ne m'intéressait pas du tout. Je devenais complètement dingue. Je me retournais et repris le chemin du retour à la maison, en soupirant face à mon attitude absurde. Il était tard et je n'aivais acheté qu'un seul cadeau qui était destiné à Naoki alors que je ne le verrais même pas. Je décidais qu'en rentrant, je m'attaquerais au bricolage et aux gâteaux.
Ce fut à ce moment là que mon portable sonna. Je sursautais de peur et jetai un coup d'oeil rapide, l'écran affichait : Naoki.
Mon coeur commença à battre la chamade et à ressentir les mêmes sentiments que la première fois, lorsque je communiquais au téléphone avec lui. Les paumes de mes mains devinrent moites; je sentis mon portable glisser entre elles, une sensation désagréable. Mes lèvres tremblèrent mais j'inspirai doucement l'air glacial de la nuit et me calmai pour lui répondre :
« - Naoki!, m'écriais-je en relâchant mon expiration.
- Karuho! Je suis content de t'entendre. Tu m'as tellement manquée...
- Naoki, ne recommence plus, s'il te plait. Pourquoi essayais-tu de me fuir? Je n'ai pas arrêté de penser à toi... Et si tu savais, comme je regrette les paroles dites, la dernière fois!, avouais-je à travers quelques bégaiements. En réalité... J'aimerais qu'on se rencontre. C'est juste que j'avais peur... »
Il ne répondit pas, pas même un souffle, comme à la dernière conversation. Je retenais mon coeur de hurler, j'avais peur que Naoki me fuie encore. Je ne voulais pas, vraiment pas.
« - Demain, commença-t-il en chuchotant, on se voit à la patinoire, en face du lycée. J'ai quelque chose pour toi. D'accord?
- Oui..., répondis-je doucement.
- Tu n'as pas à avoir peur de moi, fais moi simplement confiance.
- Oui.
- Tu sais, moi, je suis encore plus égoïste que toi.
- Comment ça?
- Je ne veux que toi. »
Il raccrocha, laissant juste l'écho de ses dernières paroles monotones résonner dans ma tête. Les plus belles que j'ai entendue jusqu'à présent et que je ne risquerai pas d'oublier. Mais, je désirais plus que tout les réécouter une nouvelle fois...