Fils du seigneur des chemins
Chapitre 3 : Enfant des érables - Partie 2
1484 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 22/10/2020 12:11
V
Si Kiyomi avait bien un défaut, c’était la jalousie. Dès le jour de leurs noces, elle se faisait glaçante si Waktoshi avait le malheur d’adresser la parole à une autre femme qu’elle. Elle ne tolérait cet écart que pour la daimyo, moins de gaité de coeur que parce qu’elle tenait à sa tête. Elle alla jusqu’à lui interdire de donner quelque ordre que ce soit à Fujie, leur servante, lui assurant qu’elle s’occupait de tout ce qui concernait la tenue de la maison. Wakatoshi, pour la paix des ménages, se pliait à ses règles en sa présence, mais cessait de les respecter dès Kiyomi hors de portée d’oreille. Ce qu’elle ne savait pas ne pouvait pas lui faire de tort.
En cela, Satori ne lui plaisait pas. Elle toléra tant bien que mal sa présence à leur table certains jours, mais ne manqua pas de rappeler à Wakatoshi qu’elle appréciait guère qu’il fasse l’aumône à ce jeune vagabond. Qu’il lui rappelle que Satori était le fils d’un samouraï n’y changea rien. Elle redoubla même en véhémence, lui reprochant de nourrir le fils d’un autre tandis que, depuis deux ans de mariage, leur descendance commençait à se faire désirer.
Cela ne fit qu’empirer à mesure que Satori et Wakatoshi passaient de plus en plus de temps ensemble. L’adolescent cherchait le moindre prétexte pour échapper à la sévérité de son père et, pour cela, inventa mille et uns prétextes tous plus fumeux les uns que les autres. Un jour, il s’exerçait au sabre en compagnie des autres jeunes recrues, un autre, le vieux Washijô lui avait proposé de lui enseigner les principes du Hagakure. Finalement, Wakatoshi, craignant un interrogatoire paternel, avait pris sur lui d’assurer l’éducation du garçon. Il ne fallait surtout pas que Yûtarô découvre l’endroit où son fils passait ses journées. Jamais il ne s’était entendu avec Wakatoshi et celui-ci doutait qu’il apprécie la relation que son fils et lui entretenait.
Leurs rapports déjà peu cordiaux s’étaient envenimées quand le jeune samouraï était revenu de son musha shugyo à peine une semaine après la catastrophe. À mots couverts, beaucoup reprochaient à Wakatoshi de n’avoir pas été présent pour défendre le clan lors de l’attaque, d’avoir manqué à son devoir pour une quête personnelle insensée. Yûtarô ne se cachait pas pour clâmer haut et fort que, plus que décevante, il trouvait cette absence suspecte. Après tout, ce n’était pas un fils du clan, qui savait s’il ne nourrissait pas des allégeances secrètes dans leur dos. On avait maintes fois tenté de lui faire entendre raison, mais sans succès.
Dans le jardin, Wakatoshi apprenait à Satori à tirer à l’arc. Il s’était rendu compte, quelques jours plus tôt, que l’adolescent souffrait du retard qu’il avait accumulé par rapport à ses camarades dans cette discipline et avait décidé de l’aider à combler ses lacunes. La maîtrise du yumi ne faisait pas partie de ses points forts, mais il se débrouillait en tout cas mieux que Satori. Placé derrière lui, ses larges mains couvrant celles de Satori, il lui apprenait la posture.
— Ne lève pas trop ton coude, détends-toi, disait-il au creux de son oreille. Tu dois respirer correctement, ne te bloque pas.
Ses doigts glissaient de ses épaules à son menton, puis au creux de son dos à mesure qu’il parlait, ajustant, redressant, corrigeant chaque détail de sa position. Il accompagna le geste tandis que Satori bandait l’arc. Le garçon avait bien grandi en un an, mais il demeurait toujours plus petit que lui, si petit qu’il ne servait à rien de l’aider à se diriger ; il l’induirait en erreur.
— Dès que tu es certain de toucher ta cible, ne bouge plus. Ensuite, inspire une dernière fois… et tire.
Ils relâchèrent la corde de concert et la flèche vola à travers le jardin. Elle se planta dans la cible avec un bruit sec. Le visage fendu d’un large sourire, Wakatoshi sur ses talons, Satori se rendit auprès de la cible pour l’examiner. La pointe de sa flèche avait à peine traversé la planche, mais elle était parvenue à quelques centimètres seulement du centre. Wakatoshi le félicita, mais il se doutait qu’il n’en avait pas besoin. La fierté que ressentait Satori face à cette première réussite de la journée valait tous les encouragements du monde. Wakatoshi sourit. Il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait à ce point savouré la compagnie d’un autre être humain.
— Tu peux m’embrasser, tu sais ? Je sais que tu en as envie, je l’ai lu dans ton esprit.
Satori lui adressa un sourire taquin. Il aimait jouer au petit monstre, mais il n’y avait guère que les enfants qui confondaient ses fabuleuses capacités d’observation et de déduction avec des pouvoirs surnaturels. Cependant, Wakatoshi devait admettre qu’une nouvelle fois, il visait juste. Depuis quelques temps, Satori se montrait plus pressant dans son affection, cherchait son attention et était même allé, une fois, jusqu’à se désigner comme son wakashû, ce que Wakatoshi n’avait même pas fait mine de refuser. L’idée l’effleurait parfois, quand ils se retrouvaient seuls, mais jamais il n’avait sauté le pas, redoutant d’un côté la réaction de Yôjirô et de l’autre celle de Kiyomi. Si l’un ou l’autre l’apprenait…
Le regard de Wakatoshi retomba sur Satori, sur ses lèvres qui semblaient attendre les siennes. Il observa tout autour de lui ; aux alentours, personne ne les observait. Alors, il se pencha et lui prit son premier baiser.
La semaine suivante, en rentrant chez lui, Wakatoshi trouva Kiyomi étendue sans vie dans leur chambre. Sa bouche était couverte de petites taches brunes, son teint livide. On conclut vite à une mort subite liée à sa faible constitution. Wakatoshi confirma qu’elle se plaignait de fatigue et de douleur depuis quelque temps, sans qu’aucun remède n’ait d’effet sur son mal. Wakatoshi trouva un peu plus tard, dissimulé sous un tatami, un linge plié qui contenait de petits boutons de fleurs séchés. Il se souvint de ce que lui avait appris une courtisane à ce sujet : les femmes utilisaient cette plante dans l’espoir de provoquer un avortement, mais pris à une trop haute dose, elle provoquait la mort. Il brûla le linge avec son contenu et n’y pensa plus.
VI
— Je suis encore allé voir Hasuko aujourd’hui, annonça Satori sans ambages.
Il était arrivé, comme à son habitude, par le jardin et s’était glissé à l’intérieur de la maison être entendu de Wakatoshi. Il ferma le shôji derrière lui, les laissant tous deux dans la semi-pénombre des fins d’après-midi d’hiver.
— Tu te lasses des morceaux que je t’apprends ? demanda Wakatoshi.
Il ne leva pas les yeux vers son jeune compagnon, car il s’était plongé un peu plus tôt dans des documents que lui avait confié un samouraï de sa connaissance et craignait que s’il s’en éloignait n’était-ce qu’une seconde, il oublierait tout ce qu’il avait lu jusque-là. De toute manière, il commençait à connaître Satori. Selon son humeur, il se saisirait tout de suite du shamisen pour essayer de reproduire ce qu’il venait d’écouter ou bien il viendrait se lover contre lui en attendant qu’il daigne lui accorder son attention. Ce que Wakatoshi ferait avec plaisir une fois qu’il aurait terminé de déchiffrer ces lignes et surtout, dès qu’il en aurait saisi le sens.
— Elle ne s’exerçait pas aujourd’hui. Son mécène est revenu, il l’a monopolisée toute la journée.
Wakatoshi esquissa un sourire. C’était au moins la troisième fois qu’une telle mésaventure arrivait et il était certain que Satori passerait la soirée à geindre à ce sujet. Pourtant, la perspective de l’écouter se lamenter pendant des heures ne le dérangeait pas le moins du monde ; surtout quand il savait que Satori viendrait chercher le réconfort dans ses baisers.
— Cette fois-ci, j’ai été plus discret. Ils m’ont appris beaucoup de choses.
Un froissement de tissu attira l’attention de Wakatoshi, qui leva enfin les yeux. Satori l’observait, immobile, guettant sa réaction, ses vêtements tombés en un tas informe autour de ses chevilles.