Sanctuary's songs
Quand ce matin j’ai vu arriver Niënor dans le temple du Verseau, j’ai compris que quelque chose n’allait pas. D’ordinaire j’aurais laissé tomber mes occupations, fait semblant de rien et disparu faire un tour dans le Sanctuaire, laissant nos femmes entre elles. Mais devant l’air effondré que ton épouse affichait sur son visage, l’inquiétude s’est emparée de moi. C’est pourquoi je suis venu te rendre visite, complètement à l’improviste, pour voir si mes doutes sont fondés.
Ton appartement plongé dans les ténèbres, cette odeur de renfermé et cette mélodie qui m’arrive aux oreilles font retentir en moi une sonnette d’alarme.
Je ne suis pas psychiatre, si ça se trouve je me trompe, mais je crois, si je peux me permettre, qu’il est temps de te rendre compte Milo que tu es en train de nous faire une bonne petite dépression.
D’ailleurs, j’allume la lumière et je baisse un peu le son de ta chaîne stéréo. Bon sang ! On se croirait à une veillée funèbre. Toi qui m’avais habitué à de la musique plus… enfin comment dire ? Plus dans le genre « qui déménage », là ce que j’entends me glace (sans vouloir faire de jeux de mots pourris).
Un requiem, c’est magnifique, mais c’est quand même tout un symbole. Au niveau de la dynamique, c’est pas la Compagnie créole.
À la rigueur, je préférais quand tu écoutais le groupe Scorpions avec le volume à fond en sachant pertinemment bien que je détestais ça ! Au moins tu avais le sourire. Comment puis-je encore me considérer comme ton meilleur ami après ça ! Enfin, maintenant que je suis là, je vais reprendre les choses en mains.
Comment ça, je perds mon temps ? Je me demande depuis combien de temps tu ne t’es plus regardé dans une glace ? Pendant que j’ouvre les fenêtres, que je vide les cendriers, essaie un peu d’admettre qu’il ne faut pas te laisser aller. Tu dis que je me trompe et que c’est volontaire ?! Tu voulais changer de style ?
Je te signale que t’es en peignoir vautré sur la banquette. C’est normal à dix-huit heures que Niënor s’inquiète. En plus, la barbe, ça ne te va pas du tout ! Tu ressembles à un bûcheron, il ne te manque que la chemise à carreaux. Non c’est pire que ça je dirais plus homme des bois voire homme des cavernes. Ne prends pas cet air choqué, tu sais très bien que je n’ai jamais appris à mâcher mes mots.
Enfermé toute la journée à jouer tout seul sur Internet, perdre au poker et se lamenter, ce n’est pas sa conception de la fête à ta charmante compagne. Si j’ai bien compris, tu la dédaignes même jusque dans le lit conjugal. Reprends-toi mon vieux car je ne suis pas sûr qu’elle supporte tout cela encore longtemps. Elle finira par faire ses valises et là tu auras une bonne raison de déprimer !
Et puis, tes absences aux entraînements commencent à faire jaser les autres. J'essaye bien de calmer le jeu, mais je ne suis pas ta nounou... En tout cas, je transforme en glaçon le prochain qui me parle des bienfaits de la technologie !
Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Athéna a permis que le Domaine Sacré soit connecté à l’Internet. Les jeux en lignes sont la nouvelle plaie de l’humanité.
Que j’arrête de te faire la morale ?! Jamais je ne me permettrais de te faire la morale, voyons !
Non, ça ne veut pas dire que j’ai fini mon laïus !
Il faut que tu m’expliques une chose : c'est quoi cette histoire d’insecte domestique dont Niënor m’a parlé ? Je n’aurais jamais cru que tu puisses un jour faire des infidélités à Antarès. Une fois encore je me suis trompé (et Dieu sait que je déteste ça).
Au début ça l’a fait marrer que t’apprivoises une mouche mais pourquoi t’as décidé de la baptiser « balle dans la bouche » ?
Après tous les combats que nous avons menés, notre passage aux Enfers et notre résurrection, je n’aurais jamais imaginé que tu oses ne serait-ce qu’effleurer l’idée de…
Non, non je préfère ne pas y songer une seconde de plus et je vais me calmer avant de perdre le contrôle et t’envoyer la poussière de diamants au visage. Enfin peut-être que ça te remettrait les idées en place.
Tu te sens en pleine forme, tu me jures que tu vas bien. Mon pauvre Milo, je ne demande qu’à te croire. Tu dis que tout va parfaitement, ce serait plus convaincant encore si tu ne le disais pas en pleurant sur mon épaule.
Allez, laisse couler tes larmes ! Ça ira mieux après (misère si les autres me voyaient…). Je tapote amicalement ton dos le temps que tes sanglots se tarissent jusqu’à ce que mes yeux se posent sur cet engin qui trône au milieu du salon. Sans te donner de conseil j’vois pas l’utilité de te faire installer, comme une vieille, un fauteuil monte-escalier.
Ça détonne dans la déco du temple, en plus tu n’as pas d’étage ! J’vais me la tester ta machine. On profite bien du paysage, douze minutes d’ici à la cuisine. J’ai failli m’endormir à la moitié du trajet.
Ça me fait mal de le dire mais te voir errer telle une âme en peine et dépérir à vue d’œil me fend le cœur. Tu es en train de foutre ta vie en l’air et ton couple par la même occasion. Ça ne peut pas continuer comme ça ! Allez habille-toi, on sort. Tu n’as qu’à mettre ton jeans avec un T-shirt et tes baskets. On va faire un tour dans l’village. Entre hommes comme autrefois. Je te promets de faire un détour pour éviter les autres.
Fais-moi plaisir fais un effort, tu vas voir ça va aller…
ALLEZ ! ALLEZ !