Sanctuary's songs

Chapitre 10 : Dieu qu’elle était belle

1416 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

Je me souviens très bien du premier jour où je l’ai rencontrée. C’était peu de temps après mon arrivée en Sibérie. Mon maître m’avait demandé de l’accompagner au village situé quelques kilomètres à l’Est de l’isba pour y chercher du ravitaillement. Je regardais distraitement les habitants vaquer à leurs occupations lorsque je l’ai aperçue au milieu de la foule. Elle jouait avec le chien de tête de l’attelage de son père. Petite, les cheveux bruns et la peau claire au point d’en être presque diaphane, elle était vraiment jolie.

Depuis ce froid dimanche où je l’ai regardée jouer dans la neige, je n’étais plus tout à fait le même. Je restais un élève brillant suivant consciencieusement les leçons que me prodiguait mon mentor mais dès que la permission m’en était donnée, je retournais au village, espérant la revoir. J’appris par la suite qu’elle était la fille unique d’Igor le gentil tenancier de l’auberge « La croix du Nord ». J’essayais de glaner un maximum d’informations au sujet d’Irina (car tel était son nom) mais sans oser aller chercher mes réponses directement à la source.

Nous n’étions encore que des enfants et pourtant en la regardant j’avais l’impression de l’avoir attendue toute ma vie. À l’époque mon jeune âge ne me permettait pas de comprendre l’étendue de mes sentiments ni le changement que cette enfant avait apporté dans ma vie.


Dieu qu’elle était belle, si blanche, si claire

Ce dimanche de janvier

Dieu qu’elle était celle que j’attendais,

Telle que je l’avais tant rêvée

Je ne me souviens guère des gens

Ni de l’hiver, je n’ai vu qu’elle et ça n’a plus changé

Dieu qu’elle était belle, en une étincelle

Ma vie s’est illuminée.


J’ai toujours été quelqu’un de très réservé. Je n’ai jamais eu le contact facile ; en plus la timidité dont je souffrais à l’époque ne m’aidait pas à m’ouvrir aux autres. Pour approcher Irina j’ai dû prendre sur moi et dépasser ma peur. Heureusement elle fit une grande part du travail et rapidement nous sommes devenus amis. Nous passions tout notre temps libre ensemble. Je ne me lassais pas de la regarder et pour rien au monde je n’aurais manqué un de nos rendez-vous. Notre amitié était mon bien le plus précieux. Lorsque lors d’un entraînement je perdais courage il me suffisait de penser à Irina et tous mes doutes disparaissaient. Elle me soutenait en toutes circonstances, m’assurant que l’armure du Verseau était faite pour moi. La vie en Sibérie était rude et l’enseignement que j’y recevais l’était encore plus mais mon amie était un rayon de soleil qui me réchauffait et me permettait de tenir. Les années passant, l’enfance fit place à l’adolescence et ce qui au début était pour moi une amitié très solide se transformait petit à petit en quelque chose de plus fort. J’étais amoureux d’Irina mais jamais je n’aurais osé le lui avouer. Je rêvais d’elle la nuit et je devais bien admettre que ce n’était pas toujours sage. Les hormones aidant je mouillais souvent mes draps. D’abord durant mon sommeil puis de manière volontaire en m’offrant un peu de plaisir solitaire. Cependant ces fantasmes qui hantaient mes nuits me mettaient très mal à l’aise lorsque je revoyais la jeune fille. Elle ne se rendait compte de rien et continuait de poser sur mes joues les petits baisers d’une sœur envers son frère. Je détestais quand elle faisait cela car moi je ne désirais qu’une chose : capturer ses lèvres !


Dieu que j’ai dû ruser, pour enfin l’approcher

Pour un peu l’apprivoiser

La regarder vivre, bouger, sourire,

Jamais je ne m’en lassais

Dieu qu’elle était mienne dans mes nuits

Mes rêves, j’en rougissais quand je la revoyais.

Mais ses bises légères, ami presque frère,

Dieu que je les détestais.


Une fois mon entraînement terminé je dus rentrer en Grèce. L’armure d’or m’ayant reconnu comme légitime propriétaire je devais dès lors accomplir mon devoir en tant que onzième gardien au service de la déesse Athéna.

Avant mon départ j’avais emmené Irina jusqu’aux glaciers éternels. Nous y avons passé un long moment silencieux à contempler les étendues de banquise qui se perdaient dans le lointain. Quand enfin la jeune femme avait rompu le silence ce fut pour me faire promettre que je reviendrais la voir. Je lui avais alors juré de tenir ma promesse. Elle comptait trop pour moi et je n’avais pas l’intention de l’oublier.

À l’aéroport mon ancien maître, qui n’avait rien perdu de mon histoire avec la jeune femme, me mit en garde contre la violence des sentiments, me conseillant d’enfouir ceux-ci au plus profond de moi et de ne plus y penser. Je n’ai évidemment pas tenu compte de son conseil et tout en regardant disparaître par le hublot la toundra sibérienne j’espérais revenir le plus rapidement possible. À cet instant j’ignorais encore que les paroles de mon ancien instructeur étaient prophétiques.


Bien malgré moi il me fallut plusieurs années pour pouvoir tenir ma promesse. Un disciple venait de m’être confié. Il postulait pour l’armure de bronze du cygne et s’appelait Isaak. Son entraînement se déroulerait en Sibérie, j’avais enfin l’opportunité de revoir Irina et j’en étais très heureux. Je lui écrivis une lettre lui annonçant mon retour. Elle me répondit quelques jours plus tard qu’elle m’attendrait à l’aéroport pour nous emmener jusqu’à son village natal.

J’étais très impatient de la retrouver après toutes ces années d’éloignement et lorsque je l’aperçus au milieu des passagers qui se dirigeaient vers la sortie je crus être retourné au jour de notre première rencontre. L’adolescente de mes souvenirs avait laissé la place à une très belle femme. Elle vint nous saluer mon disciple et moi-même puis me prenant par le bras elle me dit d’une voie excitée :


  • Viens il faut que je te présente quelqu’un !


Dieu que ce fut clair dans ses yeux, ses airs,

Quand j’ai vu l’autre approcher

En propriétaire, ses mots, ses manières,

Moi je n’étais pas assez


Elle m'emmena vers la sortie où nous attendait un jeune homme blond à la carrure de bûcheron.


  • Camus, voici Mustaï mon fiancé ! lança d'un ton enjoué la jeune femme en se réfugiant dans les bras du colosse.
  • Voici donc le meilleur ami de ma chère Irina. Elle m'a beaucoup parlé de vous.
  • En bien j'espère ? dis-je pour plaisanter, mais mon ton n'y était pas.


Heureusement, ils ne se rendirent compte de rien. Irina ne laissa pas l'occasion à son fiancé de répondre et dit :


  • Je suis heureuse de te revoir ! En plus tu arrives juste au bon moment !


Devant mon air interrogateur, elle poursuivit :


  • J'allais t'envoyer une lettre. Mon mariage à lieu dans deux semaines et j'aimerais que tu sois mon témoin...


Le jour des noces fut un supplice, je venais de perdre la seule personne à laquelle je tenais plus qu'à n'importe qui d'autre. Pour ne pas assister à la fête, j'ai prétexté une migraine et je suis rentré à l'isba où m'attendait mon disciple. Les paroles de mon maître me revenaient en mémoire. Depuis le début il avait eu raison. Les sentiments ne peuvent que nous affaiblir, brouiller notre jugement. J'aurais dû l'écouter à l'époque, je ne commettrai pas la même erreur aujourd'hui. Mes sentiments ne guideront plus ma vie, je vais les enfouir au plus profond de moi, je vais devenir comme ces glaciers qui m'entourent : dur et froid.


Dieu qu'elle est cruelle, la vie si cruelle,

Quand je l'ai vu la gagner

Dieu qu'elle était belle, si blanche, si claire

Dans sa robe de mariée.

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