Sanctuary's songs
Quand Aiolos nous a proposé de partir quelques jours pour nous retrouver entre amis, j’ai trouvé que l’idée n’était pas mauvaise. Mais ça, c’était avant de connaître la destination…
Vu que ce n’est pas dans le minuscule appart loué sur Versailles qu’il aurait pu tous nous loger, Camus nous a invité dans la propriété que possèdent ses parents près de Saint-Malo. Je trouve cependant que ça manque un peu de soleil par ici. Dire qu’il a fallu que ça tombe le week-end de notre anniversaire à mon frère et à moi !
Les amis bien sûr veulent le fêter dignement pour nous faire plaisir. Ils ne sont pas obligés mais ils insistent alors... ben nous cédons. Résultat on est en route pour le petit marché de Cancale (comme s’il n’y en avait pas un plus près) spécialisé dans la vente des produits de la mer. Des fruits de mer, il n’y avait d’ailleurs que ça : moules, bigorneaux, coques, huîtres, …
Vous me direz que chez les bretons c’est normal, que ça fait partie de la réputation régionale etc. En tout cas, je n’aurais jamais cru qu’il puisse y avoir autant de variétés d’huîtres différentes ! Enfin, nos emplettes terminées, nous rentrons pour préparer le dîner.
À cinq dans la cuisine
Face à l’évier, face à la mer.
Week-end en Bretagne,
C’est mon anniversaire.
Où sont les assiettes ?
Où sont les couverts ?
Elles sentent pas un peu bizarre les praires ?
Isil, Enor, Morwen et Celebrian étant en grande discussion, elles nous offrent leurs plus beaux sourires, nous faisant ainsi comprendre que les huîtres, elles ne feraient que les manger. C’est ainsi que Shura, Aiolos, Camus, Saga et moi-même observons d’un œil critique le travail qui nous attend tout en nous regroupant autour de la table de cuisine. Enfin quand je dis cinq, il faut compter quatre car notre hôte a disparu au bout de deux minutes et il n’est toujours pas revenu.
Shura est le premier à tenter d’ouvrir une de ces satanées bestioles. D’ordinaire il est plutôt habile avec une lame, mais la coquille de nacre lui donne du fil à retordre. Après sept minutes de lutte acharnée et une petite entaille au niveau du pouce, il sort vainqueur du duel. Aiolos motivé par la réussite de l’espagnol tente sa chance tandis que mon jumeau et moi échangeons un sourire contrit avant d’empoigner avec courage les couteaux prévus pour ouvrir ces coquillages à l’aspect peu encourageant.
Encore deux bourriches d’huîtres à ouvrir.
Ce qui nous fait septante-deux bonnes raisons
D’avoir des points de suture.
Les filles sont dans le salon
Parce que écailleur c’est masculin
Où sont les féministes
Quand il s’agit de s’ouvrir les mains ?
Bon anniversaire petit trentenaire
Je regarde dépité mes mains d’où s’écoule un reste d’eau salée. Elles sont couvertes d’algues en morceaux, d’éclats de nacre et ne sentent pas très bon. Je laisse errer mon regard sur le mobilier de la cuisine. Avoir un an de plus c’est dur. On a beau dire, trente ans c’est un cap qu’on franchit et un sacré coup pour le moral. Heureusement il y a un peu de positif, je suis de quelques précieuses minutes plus jeune que Saga !
Et le temps passe d’hier en demain
Ça me tragique, ça me cruel,
Mais j’y peux rien.
Même les pompiers au regard si franc
Sur un calendrier n’ont rien de rassurant.
Le repas se déroule dans la bonne humeur. Tout le monde bavarde de tout et de rien : on spécule sur le temps qu’il fera demain, on s’insurge à cause de la dernière bévue en date de nos politiciens ou bien encore on fredonne les tubes musicaux à la mode.
Moi je m’efforce de paraître intéressé tout en accrochant à mes lèvres un rictus que j’espère convaincant. Je dois être un peu paranoïaque mais j’ai l’impression que les regards qui se posent sur moi sont différents. C’est désagréable de penser qu’ils me fixent comme si je venais d’une autre planète. Aurais-je déjà des cheveux blancs ?
Mon frère ne semble pas s’en rendre compte. Comment fait-il pour être si serein ? On dirait qu’être trentenaire ne le touche pas. Il semble même apprécier les attentions amicales dont nous sommes le centre aujourd’hui et remercie chaleureusement Morwen et Isil quand celles-ci déposent sur la table deux petits gâteaux sur lesquels on peut lire écrit en crème fraîche « Joyeux anniversaire ! » et qui comptent chacun trente bougies.
Voilà c’est fait, j’les ai soufflées
Ces putains de bougies.
Je suis pas amer
J’ai juste les nerfs, j’ai pas dormi.
Comme vous avez tous annexé
Les jolies chambres d’ami,
J’ai somnolé deux heures
Façon trappeur sur le tapis.
Après mes aveux involontaires sur mon manque de sommeil, les filles ont pitié de moi et décident d’aménager le salon. En fouillant dans les placards, Camus a retrouvé un vieux matelas pneumatique qui, une fois gonflé et colmaté avec quelques rustines, fait un lit sommaire mais plus confortable que la moquette. Chacun y met du sien : une couverture par-ci, un oreiller par-là et bientôt j’ai ma propre chambre. Enfin si on oublie le fait qu’elle se trouve au beau milieu du salon. Mais c’est l’intention qui compte, n’est-ce pas ?
Une fois mon problème de dortoir réglé, Camus et Morwen proposent qu’on aille prendre l’air. Les filles sont des plus enthousiastes. Moi je regarde par la fenêtre, le ciel est gris, presque noir. Je soupire.
C’est parti pour la balade sur la plage
Le sable dans les chaussures
Ça me gène, ça démange.
J’ai mis quatre pulls pourtant j’ai froid.
En plus il bruine.
Et j’ai mal au ventre, c’est officiel
Les praires, elles étaient pas clean.
J’aurais pu le dire dès le début : celui qui nous les a vendues, il avait une drôle de tête et paraissait louche. Un seul bémol dans mon beau raisonnement : je semble être le seul à avoir l’estomac barbouillé. Je frissonne et remonte encore un peu plus le col de ma veste.
Bon anniversaire petit trentenaire
Comment peut-on vivre sous un climat pareil ? Moi qui suis grec d’origine, je suis plutôt habitué au soleil et à la chaleur. Ici on dirait qu’il ne sait faire que pleuvoir. Froid et humide, voilà de quoi me faire amèrement regretter la capitale qui pourtant n’a pas toujours une météo des plus clémente. Pour me consoler je me dis que dans quelques semaines je regagnerai ma patrie d’origine et le doux soleil méditerranéen.
On entame l’éternel foot tout bidon,
Avec des poteaux de but en blouson.
On va discuter les scores
En crachant nos poumons,
Et jurer de s’arrêter
De fumer pour de bon.
Abandonner le tabac, ça fait six ans que j’en parle mais je n’ai toujours pas réussi. Ce n'est pourtant pas faute d’avoir essayé. Tout y est passé : patch, chewing-gum, cigarettes à l’eucalyptus, … Enfin l’année prochaine peut-être…
Bon, vu que les autres ont l’air de bien s’amuser sans moi, je m’éloigne du groupe. J’aime le bruit des vagues qui s’écrasent sur les rochers. Je m’approche du bord de l’eau et j’observe le vol des goélands.
J’ai besoin d’être seul,
Je marche face à l’océan.
Pour faire le point
Au contact des éléments.
Mais tout ce que j’en conclus,
Je dois pas être un poète,
C’est que ça doit être chiant,
Très chiant d’être une mouette.
Bon anniversaire petit trentenaire
Je m’assois sur le sable mouillé en fixant l’horizon et je me laisse bercer par le flux et le reflux des vagues. La mélancolie me gagne peu à peu et mes pensées se tournent vers l’objet de mon mal-être.
Il était un foie, deux reins,
Trois fois rien.
Qui prenait sa tête dans ses mains,
Minuscule terrien
Ou pas grand-chose.
Je pense à elle depuis des heures, c’est en partie la raison de ma mauvaise humeur. Elle je l’ai aimée comme jamais je n’aimerai une autre femme. Je m’imaginais vieillir à ses côtés sans craindre rides et cheveux blancs mais elle est partie et je n’ai rien fait pour la retenir. Comme je regrette maintenant… Et ça va faire bientôt un an…
Bon anniversaire