Une Dernière Bataille

Chapitre 45 : Folie Destructrice - Troisième Partie

9099 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a environ 2 mois

Des bruits d'éclaboussures éclatèrent à mesure que les trois corps entremêlés roulaient dans le trou d'eau fangeuse où ils avaient brusquement atterri. Ce dernier n'était pas très profond, mais lorsqu'une main cherchait à vous maintenir la tête sous la surface, c'était amplement suffisant.

Le Petit Lion rua pour tenter de se libérer des puissantes étreintes des deux Bhairavas et échapper à la noyade. Une main écrasant impitoyablement son visage, il mordit violemment l'un des doigts traînant près de sa bouche en désespoir de cause. Il sentit l'articulation craquer sous ses dents et un cri de douleur y fit écho.

Profitant de l'ouverture créée, Ban se contorsionna de plus belle, faisant exploser son cosmos. Ses adversaires repoussés, il se redressa d'un bond, crachant avec dégoût le doigt arraché. Encore échauffé par son précédent combat, les muscles gonflés d'énergie, il se jeta sur les Indiens.

Le Japonais se baissa pour esquiver un coup et répondit par un puissant uppercut. Un bruit d'os brisés et des fragments de dents accompagnèrent la chute du premier homme. Du coin de l'oeil, il repéra le second, son poing ensanglanté fermé sur un appendice manquant, tenter sa chance. Ban s'effaça promptement, s'empara du bras offert et crocheta une jambe pour amener son adversaire au sol.

Enserrant le cou et la tête, le Chevalier appliqua une pression continue, tandis que sa victime se débattait, échouant à se libérer de l'implacable étau. Après quelques instants, l'homme s'amollit dans son étreinte. Ban se redressa en le relâchant doucement. Pour peu que Kali revienne à la raison, il préférait ne pas tuer ses serviteurs à moins d'y être réellement contraint.

Il regarda autour de lui. Le sol légèrement spongieux, les larges flaques et la brume s'accrochant aux longues herbes lui firent immédiatement penser à une sorte de marais.

- Comment vais-je me sortir de ce bourbier ? s'interrogea-t-il à voix haute.

Il ne s'était pas éloigné de plus de trois cent mètres de son point de chute qu'il perçut une terrible énergie se précipiter vers lui.

 

S'éveillant d'un coup, Timur passa d'une position allongée à une position sur un genou en un battement de coeur. Il scruta les alentours, ses pensées reprenant leur cours normal après avoir été agitées par les récents évènements.

Le jeune homme ne décela pas de présences dans les environs. Ceux-ci lui rappelaient d'ailleurs les constructions découvertes en pénétrant sur le territoire de la déesse hindoue. A ceci près que tout était bien plus en ruine, les murs troués, les colonnes abattues gisant sur le flanc, la végétation en profitant pour reprendre ses droits en tant que pionnière des lieux.

L'air était lourd d'humidité sur sa peau. Se relevant, il entreprit d'explorer la zone où il avait été attiré. Quinze minutes plus tard, il n'avait toujours pas croisé âme qui vive.

Timur en était à se questionner sur la manière dont il allait rejoindre ses compagnons lorsqu'il sentit le sol trembler sous ses pieds. Jusque-là dissimulé par le mur, un massif Indien dépassant aisément le quintal, percuta la structure à la droite du Chevalier, tel un bélier furieux. La cloison explosa en projetant des briques en tous sens.

Heureusement, le Turc s'était écarté à temps d'un bond. Un bras colossal jaillit tout de même, tentant de le saisir à la gorge. Esquivant, Timur agrippa le poignet de son assaillant, glissa son bras sous l'épaule de l'autre et le fit chuter par-dessus lui. Un lourd impact se fit entendre, mais le Chevalier ne put profiter de sa position ascendante, car déjà un deuxième Bhairava venait sur lui, un rictus déformant ses traits.

 

Comme son pied glissait sur la dune instable, Tristan roula et la frappe de l'homme déclencha un geyser de sable là où il se tenait auparavant.

- Tu ne ressembles pas à un Bhairava, dit le Capricorne lorsqu'il se fut remis debout. Qui es-tu ?

En effet, l'inconnu n'arborait aucun trait en commun avec ceux observés parmi la population indienne. De plus, son armure différait complètement dans sa conception.

- Pourquoi m'attaques-tu ? Nous ne sommes pas ennemis.

Tristan dévia un nouvel assaut qui lui laissa un fourmillement dans la main.

- Si tu es coincé ici toi aussi, on pourrait peut-être s'entraider.

Son agresseur contracta les mâchoires et d'une impulsion de cosmos accéléra pour délivrer un direct en plein plexus solaire. Le Français encaissa, l'air chassé de ses poumons et recula.

- Aider un Chevalier d'Athéna ? Autant crever !

Il sait qui je suis, songea le Capricorne en grimaçant. Contrairement à moi. Qui sert-il ? Et pourquoi affiche-t-il autant de colère ?

- A croire que la destinée me sourit finalement en mettant l'un d'entre vous sur mon chemin.

Il projeta une salve de cosmos que Tristan bloqua des deux mains avant de l'envoyer s'écraser plus loin. Une courte déflagration s'en suivit, libérant une pluie de sable qui s'abattit sur eux, crépitant sur leurs armures.

La silhouette du Capricorne se nimba d'un halo doré. Bien que manifeste, sa puissance était contenue, telle une épée à peine sortie de son fourreau.

- Il va vraiment me falloir une explication, prononça-t-il d'une voix aussi calme que possible. Sinon...

L'homme lâcha un petit rire méprisant, ce qui fit s'agiter ses dreads.

- Quoi ? Tu vas t'en prendre à moi ? Hé bien, n'hésite pas ! (Il écarta les bras, provocateur.) Attaque-moi ! Comme quand vous vous en êtes pris à Shirin !

- Qui est Shirin ?

- La femme que vous avez assassinée quand elle a défendu notre seigneur, Enlil.

Les yeux du Français s'arrondirent dès qu'il comprit de qui il parlait. Il leva lentement les mains devant lui, paumes ouvertes.

- Tu te trompes. Nous...

- Ne m'insulte pas ! rugit l'autre, son cosmos jaillissant à la manière d'un volcan.

Tristan saisit rapidement le danger de la situation. Que pouvait-il faire ? Noyé dans son ire, cet homme resterait certainement sourd à tous ses arguments. Mettre en doute le récit des évènements faits par Enlil relèverait sans doute du blasphème pour lui.

Si je ne peux pas lui faire entendre raison..., songea le Chevalier d'Or.

- Je n'ai visiblement pas d'autre choix.

Son cosmos s'épaissit davantage, acquérant une densité acérée. Un sourire traduisant l'impatience d'en découdre fendit la barbe de son adversaire alors qu'il avivait sa propre aura.

L'affrontement était inévitable, cependant le Capricorne décida qu'il devrait tout tenter pour le mettre hors de combat. Abattre une vie à cause d'une méprise serait une terrible issue.

 

Ayame observa l'une de ses réflections être annihilée par un véritable marteau de cosmos, tandis qu'elle demeurait dissimulée parmi les frondaisons.

Elle avait atterri au coeur d'une sorte de forêt quelques minutes plus tôt et presque immédiatement, sans avertissement, elle avait été attaquée.

Ses sens en alerte l'avaient prévenue à temps et elle avait évité le gros de l'assaut, récoltant malgré tout une étrange brûlure à l'épaule gauche, sa peau ayant cloqué comme après un coup de soleil.

Ayame s'était échappée prestement en créant une illusion et s'était ensuite cachée en hauteur. Tandis que son image se dispersait en lambeaux de cosmos sous son regard, elle avisa ce qui la menaçait : une véritable vision de cauchemar.

L'être entra dans le sous-bois en piétinant le tapis de feuilles mortes qui bruissa en s'écrasant sous ses pas. Il lui rappela l'Éclat qu'elle avait affronté aux abords du Sanctuaire à ceci près que ce qui s'avançait ressemblait à un assemblage hétéroclite de deux individus. La peau n'avait pas de couleur uniforme, l'un des bras – quoique également musclé – était d'un gabarit différent de l'autre, plus fin. Le plus horrible demeurait le second visage implanté en lieu et place du pectoral droit. Partout sur le corps couturé, des fissures laissaient s'échapper des fumerolles violacées. Même son armure était un mélange de grenat et de citrine, arborant des éléments léonins et pachydermiques.

Face à sa victoire qu'elle découvrit factice, la créature hurla et les ondes émises vrillèrent les tympans de la Japonaise. Elle resserra sa prise sur les manches de ses kodachi en déglutissant.

 

L'artefact disparut dans une gerbe d'eau alors qu'il coulait jusqu'au lit de galets d'une rivière peu profonde. Le Gardien Céleste du Cheval Astral avait pris la décision de s'en libérer afin de pouvoir faire face à ses poursuivants. Et au moins, il pourrait savoir au bruit si quelqu'un essayait de récupérer sa prise.

Il avait déjà été envoyé dans pas moins d'une dizaine de décors différents depuis sa fuite avec le trishula, sans trouver de sortie véritable, ni croiser un seul être vivant. Excepté jusqu'à maintenant.

Ils étaient quatre, deux femmes et deux hommes, dont l'un bien au-dessus du lot en terme de puissance et comparable au guerrier qui l'avait surpris dans le jardin de Shiva. Un Ashta Bhairava. Cela s'annonçait compliqué. Il lui faudrait redoubler d'efforts pour mener à bien sa mission et réussir à surmonter cet obstacle.

Devait-il éliminer le plus fort d'abord, ou s'occuper des autres, plus nombreux mais moins dangereux ? La décision fut prise pour lui lorsque l'un des Bhairavas chargea dans sa direction.

- Meurs, démon ! cria-t-il.

Un idiot complet celui-là, soupira intérieurement Kirin.

Le Japonais convoqua une intense énergie flavescente, de menus éclairs courant le long de sa silhouette. A l'aide de son cosmos, il joua sur la charge électrique naturelle circulant dans son corps, en en amplifiant le potentiel et en l'emmagasinant à l'instar d'une batterie.

Kirin se laissa approcher par l'homme et lorsqu'il fut assez près, il évita adroitement son attaque précipitée pour riposter par trois frappes de paume enchaînées, dont la dernière le repoussa. Les coups avaient été légers, mais portés à très haute vitesse, leur but principal ayant été de faire entrer une charge positive dans la corps de son adversaire.

Le Gardien Céleste se concentra, son poing droit se fermant et il déclencha son arcane.

- Yaseirai !

A l'aide d'une charge de nature opposée, il provoqua un éclair qui foudroya instantanément sa cible. Le trait d'énergie traversa l'épaule gauche du Bhairava, faisant fondre le métal de son épaulière par l'intense chaleur et noircissant la chair autour du point d'entrée. Sa victime n'eut même pas l'occasion de crier alors qu'elle s'effondrait.

Un de moins, décompta Kirin.

Bien que tout se soit déroulé en un bref laps de temps, le duo de Bhairavas féminins en avait profité pour se rapprocher du Gardien Céleste. Leurs cosmos déployés brûlant ardemment, elles tentèrent de le tromper par de rapides mouvements où leurs positions se confondaient pour qu'il ne sache plus qui viser.

Il eut alors la surprise d'être touché par un tir de cosmos en pleine poitrine. L'attaque impromptue venait du guerrier abattu juste avant. Ce dernier s'était mystérieusement relevé, sa blessure supposément mortelle réduite à un tissu cicatriciel boursouflé.

Déjà, les trois Bhairavas profitait de son temps de latence pour parvenir au contact. La première arriva à toute allure et un rapide échange de coups s'en suivit jusqu'à ce que le Gardien Céleste soit repoussé en glissant.

Aussitôt, l'homme ressuscité bondit, son poing gorgé d'énergie pareille à un marteau qu'il abattit sur Kirin. Celui-ci virevolta pour s'y soustraire, laissant le sol subir les frais de l'offensive. Des cercles concentriques de destruction en résultèrent.

A peine eut-il atterri sur ses pieds que sa troisième assaillante, les poings auréolés d'un cosmos à la forme animale lui laissa tout juste l'occasion de respirer en le touchant lourdement des deux poings. Le Japonais tenta d'accompagner le mouvement, néanmoins, il sentit son sternum accuser le choc et son plastron se fendiller légèrement.

Leur tactique fonctionnait et ils ne comptaient pas lui laisser de répit. Qu'à cela ne tienne !

Son énergie explosant, il réitéra le processus de son arcane, mais cette fois, il déchargea l'électricité générée au sein de petite sphères de cosmos qui tourbillonnèrent autour de son corps.

- Hibanai.

A présent, s'approcher de lui serait bien plus périlleux pour eux, chaque globe pouvant libérer plusieurs milliers de volts d'un simple contact. Malgré tout, il gardait à l'esprit que le plus puissant du groupe demeurait encore à l'écart de l'affrontement.

Sans se démonter, le trio repartit de plus belle à l'attaque avec une étonnante coordination, sans se gêner les uns les autres.

Gérer seul plusieurs opposants n'était pas une mince affaire. Cependant, Kirin, grâce à ses talents d'analyse et sa technique, parvenait à s'en sortir. La précarité de sa situation ne faisant que sublimer son envie de triompher.

Agilement, il dégaina ses tonfas et para avec l'un, tandis que d'un mouvement rotatif du poignet, il fracassait une mâchoire de l'autre. D'une suggestion mentale, il envoya ses sphères en volées partagées sur les deux Bhairavas encore conscients. L'homme parvint à dresser une barrière pour se protéger, mais sa compagne n'eut pas autant de chance et se retrouva à endurer un puissant choc électrique qui la brûla atrocement.

Prenant pour cible l'heureux miraculé, Kirin s'apprêtait à le mettre à terre lorsqu'il avisa la fine bruine picotant sa peau. Il ne pleuvait pas, mais un rideau d'humidité, dans l'air, brouillait le contour des choses.

Il lui sembla que le Bhairava retrouvait de sa vigueur et que les cris de souffrance de la brûlée s'estompaient, comme apaisés. Et il aurait pu jurer que ce n'était pas dû à la mort venue l'étreindre miséricordieusement.

Se risquant à jeter un oeil au seul spectateur du combat, le Gardien Céleste vit qu'il était auréolé d'un nimbe bleuté. Ses mains réunies en coupe devant lui émettaient un halo plus foncé, d'où paraissait s'écouler un liquide qui se dispersait en gouttelettes, portées jusqu'à eux par un invisible vent.

C'est lui qui les guérit par l'intermédiaire d'un arcane, s'émerveilla malgré lui le Cheval Astral. Dans ce cas, je n'ai pas d'autre alternative.

Puisant dans ses ressources, Kirin inonda les muscles de ses jambes d'énergie pure et d'une brusque impulsion, il se rua sur l'Ashta Bhairava.

Des éclats de galets et des étincelles dans son sillage, il voulut asséner un violent coup au guérisseur. Celui-ci banda sa volonté pour plier les longues plumes de métal azuré disposées dans son dos afin qu'elles accusent l'attaque à sa place. Un second assaut échoua de manière similaire.

Ensuite, le trio de Bhairavas les avait rejoints pour protéger leur camarade. Un fin sourire conquit les lèvres du Japonais. D'un rapide mouvement, il fit claquer ses armes l'une contre l'autre.

- Rakurai !

Leur heurt engendra une très vive lumière, comme celle générée par la foudre s'abattant depuis les cieux. Hormis Kirin, tous les protagonistes du combat se retrouvèrent aveuglés.

Il n'aurait pas de meilleure chance.

Embrasant son cosmos à son paroxysme, il concentra de l'électricité dans ses poings, puis la transféra dans ses tonfas. Se mouvant à une vitesse phénoménale, il courut et bondit d'un Bhairava à l'autre, laissant une empreinte profonde dans le sol à chacun de ses pas.

- Raimeiken !

Il frappa chaque guerrier à un point vital, détruisant crâne, gorge et coeur dans un déchaînement de pouvoir. Une clameur de bruits d'os et de chair annihilées retentit.

Alors qu'il allait abattre sa quatrième et dernière victime dans un grondement tonitruant, il sentit plus qu'il ne vit son coup être stoppé mystérieusement. Très vite, il se révéla qu'une paire de bras constitués de cosmos pur avait poussé depuis le dos de l'Ashta Bhairava. C'était eux qui avaient bloqué le tonfa fatal, sauvant leur propriétaire qui n'avait pas complètement recouvré la vue.

Aussitôt, le guerrier Indien survivant expédia un coup de pied qui heurta durement l'abdomen du Japonais. Kirin mit un genou à terre et laissa filer le souffle qu'il retenait jusque-là.

Essoufflé, un voile de sueur brillant sur son front, il regarda se déployer en une superbe roue, les plumes de métal de l'armure de l'Indien. Une aura bleutée soulignait sa silhouette à désormais quatre bras.

Le réel défi venait de commencer.

 

La Sibitti manqua être piétinée par la jeune femme lui faisant face. Roulant, elle se redressa en envoyant un coup de pied bas à son agresseuse. Cette dernière accusa la riposte en reculant.

- Si tu t'en prends à moi, l'avertit la guerrière d'Enlil, je ne me laisserai pas faire sans rien dire.

L'autre la toisa avec un regard mauvais, comme chargé de quelque sentiment haineux.

- Tout ce que je souhaite, c'est quitter cet endroit.

- Où est le trishula du seigneur Shiva ?

- Je n'en sais rien. Je le jure.

- Toi, et tous ceux qui t'ont suivie, vous devez payer cette intrusion de votre vie.

La voix énonçant cette sentence était curieuse. Comme si quelque chose de sombre et de profond se superposait à celle de l'être humain.

Une paire de bras supplémentaire émergea depuis les volutes de cosmos s'élevant de l'arrière des épaules de l'Indienne. Sa carrure parut s'épaissir, gagnant en envergure et en présence, son ombre grandissant, alors qu'elle n'avait pas fait autre chose que déployer ses membres surnuméraires.

Je n'ai pas l'intention de mourir ici, pensa la Sibitti. Et je dois aussi retrouver Kassim.

Zharaa fit jaillir son cosmos, telle une résurgence se libérant enfin de la croûte terrestre pour tutoyer les cieux.

 

Ban s'écrasa contre un vieux tronc en décomposition qu'il pulvérisa dans sa chute. Être lancé par deux paires de bras à la fois était une nouveauté pour lui et cela ne lui plaisait guère. Il se releva tant bien que mal, conscient de sa vulnérabilité.

Esha ne tarda pas à se montrer et il put constater que son aura actuelle n'avait plus rien à voir avec le très bref aperçu qu'elle en avait montré juste avant que la raison de Parvati ne file par la porte et détale dans les mangroves.

Elle était plus que menaçante et une étrange énergie lactescente sourdait de sa personne. Ban avait la sinistre impression que l'ire de Kali n'avait pas connu une grande résistance pour s'immiscer dans son esprit.

Le Japonais se mit en garde, son cosmos orangé s'intensifiant alors qu'il se préparait à l'assaut. L'Ashta Bhairava fit un curieux mouvement de la main, tandis qu'elle se campait sur ses jambes, prête à lancer un coup de pied.

Elle est trop loin, constata le Petit Lion, qu'est-ce qu'elle compte...

Il se sentit soudainement attiré vers elle, comme si l'espace en face de lui se réduisait d'un seul coup, le mettant à portée. La frappe l'atteignit en plein ventre et il s'étala derechef dans la fange.

- Encore cette espèce de télékinésie, maugréa le Chevalier en se redressant d'un bond, dégouttant d'eau boueuse.

Son regard errant un très court instant sur le sol, il nota que des débris de bois étaient dispersés ici et là. L'avaient-ils accompagné ? Cela signifiait donc qu'il s'agissait plutôt d'une aspiration ou d'une attraction.

Esha l'attaqua en enchaînant de rapides assauts contre lesquels le Petit Lion parvenait tout juste à se défendre.

Ce n'est pas du magnétisme, élimina-t-il, sinon l'écorce n'aurait pas été attirée. Serait-ce...

A nouveau ce sentiment de décalage le saisit et il s'affala presque sur la jambe de l'Indienne de son propre chef. Sans même voir son visage, il devina qu'elle devait arborer un sourire narquois.

L'espace, réalisa-t-il en tâchant de reprendre de la distance. A l'aide de son cosmos, elle peut plier l'espace. (Il esquiva un coup.) Mais elle n'a pas l'air de pouvoir le faire à répétition et elle fait toujours ce geste avec les doigts comme si elle incisait l'air, avant que ça ne se produise.

La jeune guerrière amorça son mouvement signature et en réponse Ban canalisa son énergie, en gorgeant son poing gauche. Une tête fantomatique de komainu à la gueule close y naquit, vibrante de pouvoir contenu.

Ōmu gata Bakudan .

Dès qu'il sentit la manipulation, le Chevalier avança et frappa la jambe de son adversaire d'un coup vif et sec, la stoppant net.

Déstabilisée et surprise, Esha reçut ensuite une rafale de jabs puissants s'achevant par un lourd coup au corps. Son armure la protégea suffisamment pour en ressortir presque indemne n'eût été sa pommette brisée et les bleus qui fleuriraient bientôt partout sur son buste.

- J'ai saisi ton truc, l'avertit-il. Ça ne fonctionnera plus.

L'Indienne tordit sa bouche en un rictus méprisant qui titilla sa blessure au visage. Elle répliqua :

- Parce que tu crois sérieusement que ça suffira. On sait tous les deux que je suis plus puissante et plus rapide que...

Ban ouvrit en grand sa main droite où brûlait cette fois l'image d'un komainu à la gueule béante.

A gata Bakuhatsu .

Là où le Japonais avait porté ses coups de sa senestre, des explosions d'énergie se produisirent, dispersant les mots d'Esha. L'armure de l'Ashta Bhairava se retrouva noircie, comme brûlée, par endroits et à d'autres, de minuscules fissures en étoile se manifestèrent.

- Misérable ! Qu'as-tu fait !?

- Je vais me répéter, dit Ban avec un sourire provocateur, mais les Chevaliers de Bronze sont les plus à craindre.

Combinée à la colère de Kali, la propre fureur de l'Indienne rugit dans ses veines, générant des ondes de cosmos qui firent trembler le sol et l'air. Son aura s'intensifia, l'atmosphère donnant l'illusion de se cristalliser autour d'elle.

Le visage du Petit Lion se ferma, une longue goutte de sueur s'écoulant de son front à son menton. Au cours des dix dernières années, il n'avait pas ressenti à nouveau cette crainte écrasante comme lorsqu'il avait protégé Seika des caprices du dieu Thanatos. Grâce à ses années d'expérience, il décela le danger avant d'y être confronté. Formant un symbole de la main, il récita rapidement un mantra protecteur.

Quatre disques aux bords d'une blancheur similaire à l'aura enveloppant l'Ashta Bhairava apparurent dans les airs : deux proches d'Esha et deux tout près de Ban.

Au moment où la barrière du Japonais se manifestait, Esha plongea ses membres de cosmos à l'intérieur des disques, ceux-ci s'y enfonçant pour réémerger soudainement depuis ceux non loin du Petit Lion. Les mains d'énergie formant une pointe heurtèrent une seconde plus tard la défense du Chevalier, y imprimant une marque d'enfoncement.

Tels des coins, les deux mains fichées dans les lignes de la défense tentaient de la fendre en deux par la force. Esha fondit sur Ban, ses jambes la portant plus rapidement qu'un vent de tempête et frappa vivement de haut en bas, pulvérisant le rempart et heurtant le crâne du Petit Lion. Le Chevalier s'écroula comme foudroyé.

Heureusement pour lui, son arcane et son épais diadème avaient amoindri l'impact, sans quoi il n'aurait pu se relever. Du sang maculait son visage grimaçant de douleur, coulant de part et d'autre de son nez, gouttant sur le sol en points rouges. Il se résolut à se débarrasser des vestiges de son diadème brisé.

La situation devenait critique pour lui. Des étoiles achevant de clignoter devant ses yeux, il convint que c'était vaincre ou périr. Nul besoin d'être fort pour survivre, mais il faut survivre pour pouvoir devenir fort.

Ban allait devoir jouer finement. Il embrasa son cosmos et alla à la rencontre de son adversaire. Elle avait raison, elle le surpassait dans tous les domaines, excepté peut-être dans un.

Je suis un survivant ! hurla son coeur. Chacune de mes cicatrices est là pour le prouver !

Son aura à la teinte abricot crut, tandis qu'il allait chercher jusqu'au plus profond de lui-même la volonté de l'emporter. Elle gagna peu à peu en intensité, lui ouvrant une nouvelle palette de sensations. Il se sentit subitement léger, apaisé et pourtant capable de déclencher un ouragan d'un mouvement de bras. Le Septième Sens ! Le graal pour un Chevalier de son rang s'offrait à lui après presque deux décennies. En d'autres circonstances, il aurait pu en pleurer de joie.

Esha para ses coups soudain plus vifs, prenant garde de les détourner plutôt que les encaisser. Elle avait perçu l'éveil du Chevalier et savait que sa force ne ferait que s'accroître. Hors de question de se faire toucher !

Elle fit disparaître la jambe du Japonais dans un de ses portails, le faisant trébucher et enchaîna avec un puissant coup de pied ascendant. Ban interposa son avant-bras droit pour éviter que son menton ne subisse de plein fouet le choc, ce qui l'obligea toutefois à se contorsionner en arrière sous l'impact. Aussitôt, il jeta les graviers qu'il venait de récupérer au sol de son autre main, les chargeant d'énergie en une fraction de seconde. Il ouvrit le poing droit et de petites explosions se produisirent, aveuglant momentanément l'Ashta Bhairava.

Elle rouvrit les yeux au bout d'un seul battement de coeur, mais ce fut suffisant à Ban pour s'extraire du piège et lui décocher plusieurs coups de poing au corps, au rythme des mantras qu'il égrenait. Le dernier s'écrasa en plein sur sa gorge.

Esha voulut s'éloigner, mais son dos heurta un mur invisible. D'un rapide coup d'oeil, elle comprit que le Chevalier l'avait créé, comme le précédent. Néanmoins, la jeune femme vit que d'autres se rapprochaient autour d'elle. Elle allait se retrouver bloquée et avec les touches subies auparavant, elle serait piégée dans cet espèce de caisson explosif. Son énergie flamboya, vibrante de puissance.

Au moment où Ban esquissa le mouvement qui activerait le processus, une main d'énergie blanchâtre jaillit brusquement du néant et vint emprisonner ses doigts dans un brutal étau, lui en brisant deux et l'empêchant d'ouvrir le poing. Une autre s'empara du poignet opposé et il fut soulevé, ses pointes de pieds effleurant à peine le sol, écartelé.

D'un disque blanc plus large émergea le tronc de l'Ashta Bhairava, ses membres inférieurs toujours cloîtré entre les parois de mantras à quatre ou cinq mètres de là.

- Ta bombe et son déclencheur sont neutralisés, énonça Esha d'un voix malveillante, c'est terminé.

Elle forma comme une pointe avec sa main, auréolée d'une énergie suffisante pour le traverser de part en part. Elle frappa au moment où Ban prononçait ces mots :

- Qui a dit que je ne pouvais pas les inverser ?

L'Indienne se figea une seconde, avant de frapper malgré tout. Ses doigts avaient pénétré l'abdomen du Japonais jusqu'aux deux premières phalanges lorsque la main gauche de ce dernier, fermée jusqu'ici, se déploya en produisant un son de mâchoires qui s'ouvrent pour libérer un cri. Une forte chaleur naquit aux points de contact touchés plus tôt par le Petit Lion, s'intensifiant jsuqu'à se muer en explosions tonitruantes. Le souffle envoya rouler Ban à plusieurs mètres de là, fumant, ses entraves ayant disparu.

Esha, la poitrine marquée, mais surtout la gorge sévèrement touchée, cracha du sang. Sa vue se troubla. Elle perdit le contrôle de sa technique spatiale et l'ouverture se refermant, la moitié supérieure de son corps s'effondra par terre, proprement sectionnée.

Haletant et souffrant de légères brûlures, le Petit Lion s'assit tant bien que mal, une main déjà poisseuse de sang sur sa blessure. Son aura refluant, une chape de plomb s'abattit sur ses épaules.

Il lui fallait prendre cinq minutes pour souffler, bander la plaie avec un bout de chemise et ensuite repartir. Survivre, c'était tout ce qui comptait.

 

Timur achevait d'incapaciter un autre adversaire lorsqu'il dû s'écarter de la trajectoire du mur de briques volant dans sa direction. Un terrible fracas accompagna sa dislocation sur le sol.

Comme la poussière soulevée retombait, le Turc put voir le lanceur. Une Indienne de grande taille dont la protection céruléenne avaient des aspects taurins.

- Ne crois pas que ton jeune âge te protégera du courroux de dame Kali, lança-t-elle en guise de préambule.

- Je ne me suis jamais caché derrière lui, répliqua Timur, piqué malgré lui par les mots de celle qui devait être une Ashta Bhairava.

Une aura nimbant son corps d'une énergie intense, la jeune femme s'éleva doucement dans les airs, jusqu'à six mètres de haut.

Elle ... vole ? s'étonna le Chevalier d'Argent.

Avant qu'il ait eu le temps de réellement comprendre ce qu'il se passait, elle se jeta sur lui, ou plutôt aurait-il fallu dire qu'elle lui tomba dessus. L'angle de son coude calé contre son ventre, elle mit tout son poids derrière.

- Gir raha hai Taara.

Les nombreuses années passées à recevoir l'enseignement de Marin – des attaques rapides et sournoises à longueur de temps – lui évitèrent de finir embroché.

Son bras bougea avant même qu'il n'en formule la pensée. Le bouclier à la forme carrée se déplia une fraction de seconde plus tard, encaissant un impact beaucoup plus lourd que n'aurait pu le suggérer le gabarit de l'Indienne.

Une onde de choc traversa le corps du Turc. Là, où le bouclier résista bien, il sentit au-delà des fissures naîtrent sur son plastron et des côtes craquées, peut-être même une cédée. En un clin d'oeil, il se retrouva à devoir reculer jusqu'à basculer sur le dos.

Un poids colossal lui coupa pratiquement la respiration et une autre côte céda. Sous lui, le sol s'enfonça.

Comment peut-elle être si lourde ? C'est comme si la terre l'attirait.

Alors qu'il se disait qu'il ne pourrait pas continuer à subir encore longtemps cette pression, celle-ci commença à se relâcher, lui permettant de se dégager en roulant sur le côté. Un fracas tellurique lui apprit que la roche venait d'être pulvérisée. Il se releva pour voir que son opposante faisait de même.

Son visage n'incitait pas à la discussion. Cependant, Timur crut y lire brièvement une forme d'exaspération devant son échec à en terminer rapidement. L'Ecu s'auréola d'argent et partit à l'assaut de l'Ashta Bhairava.

Ils échangèrent des coups et Timur se rendit compte qu'elle frappait bien plus fort qu'il ne l'aurait cru.

Quel était ce mot qu'avait déjà utilisé sa soeur pour décrire quelque chose de très lourd en dépit de sa taille ?

Dense, c'est ça, retrouva-t-il. C'est comme si elle était sacrément dense. C'est dingue...

Encore une fois, la cadence des frappes lourdes diminua pour être remplacée par de plus légères. Quel que fût son secret, elle ne pouvait pas maintenir cet état d'extrême densité indéfiniment.

Qu'importe, elle ne paraissait pas en subir de contrecoup tandis que sa résistance à lui était mise à rude épreuve. Ses bras devenaient de plomb à force de parer ces véritables marteaux. Il devait mettre de la distance.

Du coin de l'oeil, il repéra quelques ruines qui lui donnèrent une idée. Il se désengagea et courut jusque là-bas, sachant que l'Indienne le suivrait.

Timur zigzagua entre les semblants de rues jusqu'à trouver une sorte de longue ruelle droite. Il se retourna pour faire face. Le halo qui l'enveloppait se transféra à son bouclier qui adopta une forme arrondie.

Avec un rapide déclic, il le décrocha de son gantelet et le lança tel un disque.

- Kayan Yıldız.

L'Ashta Bhairava déboulant depuis l'angle de la rue, encaissa le projectile filant à toute vitesse, totalement surprise par la manœuvre. Une entaille était apparue sur son plastron.

Le bouclier revint dans les mains de Timur qui le relança immédiatement en se servant de l'élan du retour. Cette fois-ci, le disque usa des parois pour rebondir et rendre sa trajectoire plus aléatoire.

Le Turc, tel un derviche tourneur, rattrapait au vol chaque lancer, tournoyait et attaquait derechef. L'Indienne dévia finalement son imprévisible assaillant volant après avoir encaissé quelques rebonds supplémentaires, lui octroyant ecchymoses et rayures.

Timur accueillit le retour tandis qu'il prenait appui sur le mur, s'apprêtant à infliger un assaut déterminant lorsque sa cible disparut sous ses yeux, au détour d'une énième rotation.

L'Indienne s'était placée juste au-dessus de lui. Personne ne pouvait bondir à une telle hauteur sans aide ! A moins d'être aussi léger qu'une plume ou d'avoir des ailes ! Pendant qu'il décochait son tir malgré tout en se dévissant, elle intercepta le projectile et ce fut comme si le bouclier se transformait en enclume, filant se ficher dans le sol sitôt qu'elle le relâcha.

Dès que les pieds du Chevalier touchèrent terre, il se rua vers son bouclier. Malheureusement, il dût composer avec la jeune guerrière redescendue aussi vite qu'elle était montée pour lui barrer la route.

Leurs échanges furent brefs, car à partir du moment où Timur tenta une prise pour plaquer l'Indienne, il eut le sentiment de vouloir jeter une montagne. Pris au dépourvu, il encaissa un coup en marteau qui l'encastra quasiment dans le sol à deux pas de sa seule chance de salut.

L'Ashta Bhairava s'éleva dans les airs, prenant de la hauteur et le Turc, la regarda faire sans bouger, sonné. Puis il se démena pour ramper et dégager aussi vite que possible le bouclier qui adopta une forme ovale sous son injonction. Encore à genoux, tremblant, il perçut le cosmos au-dessus de lui qui enflait à n'en plus finir, augmentant sans nul douter de concert la charge qu'il allait recevoir. Se campant sur ses deux jambes, il tenta de bloquer le missile humain fonçant sur lui.

- Meurs broyé !

Le Chevalier entendit distinctement ses jambes se briser sous lui et son bouclier se fendre. Perdu au sein d'un torrent de douleurs où seule la volonté lui permettait de demeurer debout, il intensifia son cosmos aussi haut qu'il put. Son bras gauche flageolait, sur le point de lâcher, alors que le droit formait un poing. Il devait jouer sa dernière carte. Il n'avait jamais tenté de l'utiliser face à une attaque de cette envergure, néanmoins c'était son unique voie de sortie.

Un transfert du prodigieux flux d'énergie qu'il emmagasinait après chaque seconde à subir l'assaut, s'opéra d'un bras à l'autre à travers son dos. Il arma son poing, dont le gantelet se fissurait sous la formidable pression imposée, et dût se résoudre à écarter sa défense sur le côté pour frapper.

- Yıldız Kırmak !!

A une différence d'un millième de seconde, il serait mort.

Son poing gavé de l'énergie qu'il avait reçu de la part de la guerrière atteignit celui de cette dernière, leur heurt entraînant d'importantes répercussions.

D'abord, Timur connut une résistance, puis celle-ci s'effaça après un intense instant de stress, laissant son attaque pulvériser sa cible en retournant son pouvoir contre elle. L'Ashta Bhairava se retrouva emportée, les os de la main et du bras brisés. Son gantelet et la moitié droite de son plastron subirent un sort presque identique.

En état de choc, la jeune femme propulsé à plusieurs de là par la force de la riposte, tourna rapidement de l'oeil. Des éclats d'os fichés dans l'un de ses poumons l'achèveraient à petit feu, mais ça, Timur ne le saurait jamais.

Se traînant un peu plus loin pour s'adosser à un muret, il se dit qu'il allait prendre un peu de repos avant de quitter cet endroit. En rampant s'il le fallait.

 

La respiration hachée de Tristan résonnait de concert avec le tambour qu'était son coeur agité. Une multitude de zébrures et d'estafilades rouges, certaines encore suintantes, meurtrissaient sa peau.

De même, plusieurs minuscules trous comme autant de marques de poinçons ornaient son Armure d'Or, côtoyant de fines entailles.

Le Français retira conscieusement les plumes de métal noir fichées ici et là, dont une juste sous son oeil droit. Durant le processus, il ne quitta pas des yeux la forme gisante du Sibitti.

Il avait été un adversaire des plus pugnaces, usant d'un arcane insolite consistant à manipuler avec son cosmos des dizaines de plumes issues de son armure. Aussi bien utiles pour la défense, parvenant à détourner ses assauts acérés en les laissant glisser dessus, qu'en attaque en le noyant sous le nombre, le coinçant au centre d'un essaim d'abeilles au dard d'acier.

Tristant songea qu'il avait certainement vécu la même chose que bon nombre des adversaires des fameuses chaînes d'Andromède.

Heureusement, il avait réussi à passer outre tout ceci pour finalement vaincre son redoutable adversaire. Celui-ci gisait au milieu de grains de sable vermeils, le sol ayant absorbé le fluide vital, ne laissant qu'une croûte carmine à sa surface. Sa poitrine se soulevait doucement.

Le Capricorne était miraculeusement parvenu à ne pas le tuer au cours de leur âpre affrontement et il en avait le coeur plus léger.

Il faisait chaud, mais Tristan décida qu'il ne pouvait rien offrir de plus à cet homme que de lui laisser la vie sauve, aussi entreprit-il de simplement quitter les lieux et espérer trouver le moyen de retourner au temple.

Au bout d'une vingtaine de pas, il décela à peine la présence dans son dos. Quelque chose ou quelqu'un le percuta avec force.

 

La Kunoichi Lunaire se força à reconnaître que c'était peine perdue.

Son organisme entier lui envoyait des signaux d'alerte, notamment l'une de ses épaules aux muscles déchirés, aussi s'était-elle de nouveau dissimulée parmi la végétation.

La créature à laquelle l'Éclat avait donné naissance dépassait de loin le pouvoir de celle ayant possédé l'homme du Sanctuaire. En effet, celle-ci paraissait rassembler littéralement deux puissances différentes qui, bien qu'elles coexistent de force d'après l'aspect de son corps, lui conférait un redoutable ascendant – même avec l'un de ses bras réduit à une masse retenue par quelques tendons à l'aspect de fumée. Dans son état actuel, c'était trop pour elle.

Ayame s'était donc résolue à jouer ce jeu du chat et de la souris, tout en tâchant d'imaginer une issue.

Quelle saloperie ! pesta-t-elle intérieurement. La passivité, c'est clairement pas mon truc.

Elle s'avisa alors que ses mains tremblaient. Un irrésistible sentiment de peur était-il en train de prendre racine face à cet être non humain ?Elle sentait presque l'air vibrer face au mécontentement qui émanait du chasseur alors que sa proie se cachait de lui. Elle ne se reconnut pas dans cette attitude craintive. Pourrait-ce être lui qui générait une sorte d'aura d'effroi, usant sa résistance mentale jusqu'à lui faire finalement commettre une erreur ?

Son souffle se fit de plus en plus saccadé et les battements de son coeur lui devinrent assourdissants.

Comprenant qu'elle risquait de se trahir toute seule et ne pouvant de toute manière pas rester éternellement cachée, elle entreprit de se faufiler plus loin pour se soustraire aux recherches de l'Éclat ainsi qu'à ses émanations de peur.

Courbée en deux, la jeune femme était en train de se frayer un chemin lorsque le monde où elle évoluait explosa subitement, balayé brutalement par le choc chaotique de forces énergétiques de l'ordre du divin.

 

Les souvenirs refluèrent comme les flots après l'avoir submergé par leur fureur. Sa vision jusque-là floue s'accommoda finalement pour distinguer un groupe de silhouettes.

Elle aperçut un homme de haute taille au milieu des bourrasques venteuses en train de s'affaiblir. Même amoindrie pour une quelconque raison, l'aura qui émanait de lui avait une résonnance divine.

A ses côtés se tenait un individu plus jeune, porteur d'une protection endommagée similaire à la sienne, mais d'une couleur évoquant l'ivoire et le safran. Des traces sombres maculaient son visage et son armure à plusieurs endroits. Dans sa main gauche, il tenait la hampe d'un trident qu'on eût dit en or.

Son esprit encore embrumé eut du mal à laisser émerger le mot.

Le ... trishula ?

Face au duo, une femme à la peau d'un noir charbonneux et aux cheveux hirsutes se dressant dans tous les sens.

- Tu n'as aucun droit ici ! cracha-t-elle à la face de l'homme à la barbe tressée d'une voix marquée par la douleur.

- J'ai tous les droits depuis que j'ai brisé tes guerriers et fais mettre un genou à terre, Kali, la railla ce dernier.

Leur combat avait dû être épique, chacun portant les stigmates de la fureur de l'autre. Toutefois, la déesse présentait une abominable plaie sous les côtes, comme si la zone avait été sauvagement broyée.

Du sang continuait de goutter sur le sol parmi les gravats de ce qui avait jadis été un temple grandiose.

Ayame se voûta un peu plus sous le coup que cela portait à leur alliance. Non seulement, ils allaient perdre une nouvelle clé – il était inenvisageable pour elle de s'attaquer à une divinité en dépit du côté "loufoque" d'une telle action lui correspondant pourtant bien – et Enlil paraissait être passé dans le camp adverse.

Il aurait pu être un nouveau joueur faisant cavalier seul, mais la présence du Japonais à ses côtés était une preuve suffisante pour elle. C'était l'ombre orageuse de Susanoo qui s'étendait sur cette attaque.

- A présent, reprit le Seigneur des Vents, il ne te reste plus qu'à mourir.

Il leva son bras armé de sa masse et entama un mouvement de balayage puissant qui la heurta sur le côté du crâne. Un craquement accompagné d'un bruit humide ponctua le coup.

Kali se retrouva projetée trois mètres plus loin et ne donna plus signe de vie.

- Notre mission ici est terminée, annonça Enlil. Je te laisserai dans la ville la plus proche, après tu te débrouilles. Donne-moi ça.

Le jeune homme parut sur le point de protester, mais finit par lui tendre le trishula.

Convoquant les vents qui les soulevèrent sans peine, le dieu mésopotamien et le guerrier inconnu disparurent rapidement par-dessus la frondaison des arbres.

Spectatrice passive jusque-là, Ayame commença à dégager prudemment les décombres autour d'elle afin de se frayer un chemin sûr. Elle parvint non sans mal à s'extraire du monticule de débris qui l'entourait pour rejoindre un terrain plus plat.

Les cieux, probablement perturbés par une telle débauche de pouvoir libéré, avaient pris une teinte grisâtre propre à celle d'une pluie imminente. Ce que l'accumulation de nuages dodus au-dessus de la zone ne démentissait par ailleurs nullement.

Titubant dans un premier temps, la Kunoichi Lunaire retrouva un pied plus assuré après quelques pas. Son corps tout entier l'élançait.

Du regard, elle balaya les environs en quête du moindre mouvement prouvant qu'elle n'était pas l'unique survivante de son groupe. Des corps, ou ce qu'il en restait, jonchaient le sol un peu partout. Il ne lui sembla pas voir celui de l'Éclat.

- Putain les gars, marmonna-t-elle, me faites pas ça.

Elle toussa et en réponse, un monticule commença à trembler plus loin sur sa gauche. A proximité du cadavre de la déesse hindoue.

Une main émergea brusquement. Elle était si grise de poussière qu'elle ne sut dire à qui elle pouvait appartenir. Elle se tendit.

Puis, un large bouclier rectangulaire souleva la couverture terreuse qui recouvrait le corps en-dessous et Ayame aperçut finalement le visage de Timur. Crachant, ce dernier redressa uniquement son buste, comme s'il ne pouvait pas faire mieux. Encore moins se lever.

Ce fut à ce moment-là que les nues engorgées choisirent pour commencer à libérer leur contenu sur les vestiges d'un univers jadis florissant de vie. Quelques tourbillons venteux s'animèrent eux aussi, comme une ultime offense de la part du dieu mésopotamien pourtant parti, dispersant les feuilles désormais mortes des arbres les plus proches de l'épicentre du désastre.

Un sourire nerveux et un relâchement gagnèrent la Japonaise, tandis qu'elle le regardait tourner la tête de gauche à droite, aussi perdu qu'elle quelques instants auparavant.

Elle leva son bras valide et s'apprêtait à le héler lorsque autre chose remua près de la position de Timur.

Avec une impression croissante d'horreur, la jeune femme vit la silhouette de Kali se relever, son corps moribond et mutilé parcouru de brèves saccades. La scène lui donna le sentiment de se dérouler au ralenti.

L'aura divine crépita, laissant des flammèches bleutées s'épanouir dans les airs. Timur pivota en sentant le danger naissant, mais bien incapable de s'en prémunir.

Un quadrillage rouge emplit le champ de vision du Chevalier d'Argent, tétanisé. Comme un coup de tonnerre, l'assaut jaillit du néant à une vitesse toutefois moins élevée que celui subi par le Capricorne auparavant. Encore qu'elle se révéla suffisante pour déstabiliser le Turc, incapable de réagir.

L'image d'un lion au pelage feu et à la crinière noire accompagné d'étincelles dorées, vint s'opposer telle une flèche à la mort écarlate. Cette dernière s'écrasa de part et d'autre de Timur, creusant de longues failles dans le sol.

Devant lui, pareil à un robuste rempart, il découvrit le Chevalier du Petit Lion, son cosmos similaire à un brasier tandis que les restes de ce qui avait été une barrière de mantras se dispersaient en éclats.

Un bruit sourd ponctua la chute d'un bras coupé en trois.

Le Chevalier d'Argent porta la main à son visage, troublé par la soudaine tiédeur l'ayant frappé. Il sentit qu'il étalait quelque chose et retrouva une main empoissée de sang. Baissant le regard, il constata que son plastron présentait aussi des mouchetures carmines, comme si une pluie sanguine l'avait arrosé.

La réalité le sonna tel un coup de marteau dès l'instant où il constata la profonde entaille zébrant la taille de Ban, ainsi que sa cuisse. L'avant-bras absent en-dessous du coude. D'abord timide, le liquide vital imbiba très vite les vêtements du Japonais pour se mettre ensuite à couler rapidement le long de sa jambe. Il vacilla, son aura s'éteignant et finit par s'effondrer sur le côté tel un arbre recevant la foudre.

Pour Timur, la scène était surréaliste, leurs deux temporalités étant les seules à s'écouler, leur environnement demeurant figé. Les gouttes de pluie suspendirent momentanément leur chute et les feuilles leur ballet aérien. Sa respiration s'accéléra. Une aura de peur l'engloutit, ne lui laissant que de la colère pour surnager. Une grimace déforma ses traits comme il serrait les dents.

C'était censé être lui le bouclier protecteur des sans défenses, pas les autres ! Encore moins quelqu'un comme Ban.

Le cours du temps reprit ses droits, le voyant lutter avec ses deux jambes fracturées, se tortillant pour regagner un minimum de mobilité, de dignité. Mais même comme ça, il ne pouvait pas réellement affronter la déesse qui s'avançait, ou plutôt se traînait vers lui.

Le surplombant, elle fixait sur lui un regard absent, un pied déjà dans la tombe, et malgré tout un désir d'annihilation immense continuait à sourdre d'elle. Elle n'avait plus prononcé un mot depuis le coup porté par Enlil, néanmoins, si elle leur avait adressé la parole, nul doute que cela aurait été pour les agonir d'injures, les mettant face à la désolation qu'ils avaient apporté ici. Dans ce qui avait été son sanctuaire.

Une flamme aux reflets d'azur naquit près de Kali. Timur serra les poings à s'en blanchir les phalanges.

Soudain, des pétales d'un rose léger tournoyèrent autour de la déesse, la déstabilisant un instant pour finalement détourner son attention du Chevalier d'Argent. Trois Ayame étaient en train de charger droit sur elle.

L'une d'entre elles disparut avant même de parvenir au contact, coupée en deux. La seconde se retrouva dispersée par un souffle de cosmos tranchant. Quant à la dernière, elle se fit intercepter tandis qu'elle esquissait une attaque. C'était sans compter sur le fait que tout ceci n'avait eu que pour but d'attirer le regard de Kali ailleurs.

S'en prendre à un dieu amoché mais victorieux ? Oh que non ! Mais une déesse défaite et moribonde ? Au diable, les risques !

Cependant, en dépit du lamentable état de la divinité hindoue, elle réussit à deviner la présence de la Kunoichi Lunaire dans son angle mort et l'attrapa par le cou. Sous la pression de ses doigts, le col de sa Yoroi se fractura aussitôt. Ayame voulut lui trancher le bras, mais la poigne se resserra en un éclair, lui broyant presque la trachée.

Concentrée sur la cible de son courroux, Kali ne se rendit pas compte que Timur s'était traîné jusqu'à elle, faisant brûler les ultimes étincelles de son cosmos pour le soutenir.

Son bouclier avait prit sa forme ovale aux extrémités pointues tandis qu'il le détachait de son gantelet. Au prix d'un dernier effort, il envoya l'une des pointes droit sous le menton de la déesse.

Affaiblie, accaparée, elle ne put se prémunir face à cet ultime acte outrageant de la part des envoyés du Sanctuaire. L'arête perça sa gorge et traversa chair et os pour poindre au sommet de son crâne dans une fontaine de matières.

L'étau sur la gorge d'Ayame se libérant, elle tomba à genoux, toussant, luttant pour faire passer de l'air via sa trachée martyrisée. Kali trembla et son corps s'effondra sur lui-même, comme si les millénaires la rattrapait, défaisant l'écheveau de sa réalité, conduisant à la disparition pure et simple de cette entité en poussière infinitésimale.

Sur l'instant, personne n'aurait pu dire si c'était le corps mythologique ou celui de son hôte. Tel n'était de toute manière pas la question qui hantait les esprits.

- Ban ! appela Timur en se tournant avec peine vers le grand Japonais affalé au sol.

Ses yeux bleus volèrent sur chaque blessure marquant terriblement le corps. La peau avait pris une teinte plus pâle, offrant un contraste encore plus saisissant avec le rouge sombre du sang épandu que la pluie tentait en vain de laver. La respiration superficielle et les pupilles en train d'adopter un éclat vitreux étaient autant de funestes signes.

Le Turc ne savait que faire. Il avait déjà été confronté à des expériences similaires, bien que rares, en accomplissant des missions pour le Domaine Sacré. Mais il s'agissait alors de créatures de légende ou d'un adversaire. Ici, il n'était question que de ce bon "vieux" Ban. Des images du Chevalier de Bronze saluant les apprentis que lui et sa soeur avaient été lorsqu'il était de passage en Grèce lui revinrent en mémoire. Il ne pouvait être...

- C'est fini, il n'y a plus rien que l'on puisse faire, dit doucement Ayame en lui posant une main sur sa large épaule.

Timur tourna son regard bleuté larmoyant vers elle.

- Quoi ? balbutia-t-il. Non, c'est… c'est…

Il baissa la tête, abattu.

La Japonaise sentit une certaine tristesse étreindre son coeur. Elle n'avait pas connu cet homme très longtemps, néanmoins son côté franc, tout autant que ses silences souvent plus parlant que des mots, l'avait vite rendu attachant.

Elle repoussa sa morosité afin de laisser place à la lucidité. Ils étaient en territoire tout au plus neutre, blessés, et même si Enlil s'était vanté de son massacre, peut-être restait-il des Bhairavas tout près.

Plus inquiétant encore, ils n'avaient été que trois à se manifester. Où était Tristan ?

Cette mission est déjà un putain d'échec ! ragea-t-elle, bouillonnant de l'intérieur en dépit de son état d'épuisement. Alors ne va pas me rajouter la charge de devoir expliquer tout ça à Mei Ling.

Étrangement, la vitesse de chute des gouttes de pluie et des feuilles éparses parut décroître à nouveau, jusqu'à presque se figer sans que personne ne remarque quoi que ce soit, plongés au centre de cette bulle émotionnelle.

 

 

Ō mu gata Bakudan  :

Bombe forme UM (ungyō)

 

A gata Bakuhatsu :

Explosion forme A (agyō)

 

Yaseirai :

Éclair Furieux

 

Hibanai :

Manteau d’Étincelles

 

Rakurai :

Flash

 

Raimeiken :

FrappeTonnerre

 

Gir raha hai Taara :

Astre Déclinant

 

Kayan Yıldız  :

Étoile Filante

 

Yıldız Kırmak  :

Brise Étoile

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