Une Dernière Bataille
5 mai 1997
Grèce, Sanctuaire, Palais du Grand Pope
Après plusieurs jours passés à s'interroger sur son futur sort, émaillés par les événements qui avaient secoué le Domaine Sacré et relancé les préoccupations de chacun sur les inévitables affrontements à venir, Andrei pénétrait finalement dans la salle d'audience du Grand Pope. Les immenses portes se refermèrent derrière lui avec un faible claquement.
Il était relativement tôt dans la journée, toutefois, en cette saison le jour était suffisamment levé pour permettre à une pâle lumière blanche de descendre depuis la verrière, créant une atmosphère aux échos fantomatiques.
Le Chevalier ne savait pas à quoi s'attendre, divers scénarios s'étant livré bataille dans son esprit, mais il comptait bien faire honneur à son rang et à sa nouvelle résolution. Il continua à marcher entre les rangées de longues colonnes s'étirant de chaque côté.
La grande table ronde où les dieux avaient tenu leur réunion avait été emportée et il ne subsistait donc aucun autre meuble en dehors de l'imposant siège faisant face au Verseau.
Contrairement à ses précédentes visites, ce n'était pas le Grand Pope qui s'y trouvait assis, mais la déesse Athéna. Cette dernière ne portait aucun ornement ostentatoire, ni de riche tenue, toutefois la simplicité de ses atours était largement rehaussée par son aura divine. Son regard bleu vert habituellement emprunt de bienveillance était rivé sur lui, l'écrasant littéralement sous un feu inquisiteur. Le Verseau n'était pas très âgé, mais il se sentait comme un tout jeune enfant pris en faute.
Debout, à la gauche de la déesse de la Sagesse et de la Guerre, le Grand Pope était parée d'une longue toge mêlant habilement le rouge et l'ébène. Un gros fermoir d'argent finement ouvragé enserrait le col du vêtement, constituant un rappel du métal du casque et du masque dissimulant ses traits.
Ils étaient en minuscule comité. Seulement eux trois. Andrei était seul de son côté, sans soutien, mais c'était un état qu'il connaissait et qui ne l'effrayait plus autant qu'il l'avait cru. Il avait déjà fait face à un dieu ainsi et s'en était tiré.
- Vous m'avez fait appeler, déesse Athéna, dit le Chevalier d'Or en tombant sur un genou.
- En effet, Andrei. Je suppose que tu es conscient du motif de cette rencontre.
- Oui.
- Alors nous pouvons débattre de la question de ton jugement, intervint la voix métallique du Grand Pope à la manière d'un couperet, nette et tranchante.
Les minutes qui s'écoulèrent ensuite furent consacrées aux divers témoignages sur le comportement du Chevalier du Verseau par ses pairs et même son maître. Chacun y était allé de sa propre analyse.
« C'est un irresponsable avec un ego aussi gros qu'une montagne ! », « Disons que jusqu'ici, il n'a pas fait montre de compétences autres que martiales par rapport à son statut. », « Son Armure ne l'a jamais quitté, alors j'ose croire qu'elle ne se trompe pas. », « Il a ses torts c'est indéniable, mais à la fin il est revenu vers nous. », « Il est entré dans une phase de métamorphose. Nul ne sait ce qui en sortira, à moins qu'on lui laisse du temps. », « Certains sont morts par sa faute, certains sont vivants grâce à lui, tel était peut-être son destin, mais le pardon est quelque chose de dur à accorder. »
S'en suivirent quelques autres avis sur le prince de Blue Graad, tantôt magnanimes, tantôt incriminants. Le plus marquant resta finalement celui de son propre maître, contacté pour l'occasion via un satellite de la société Kido, tandis qu'il devait rester en Russie en tant qu'émissaire auprès de la déesse Zorya :
« Dès le début, j'ai su que la fierté de ce garçon serait son plus gros défaut. J'ai taché de lui inculquer les valeurs de la Chevalerie – des valeurs humaines – du mieux que j'ai pu. Pas toujours de la manière adéquate, je le concède. Si les circonstances actuelles étaient différentes, je l'aurai jugé moi-même malgré tout le respect que je vous dois. »
Prononcé de cette façon, cela ne sonnait pas comme une sévère réprimande. Plutôt une bonne bastonnade, peut-être même une exécution sommaire qui sait ?
Le Chevalier du Cygne n'était pas l'homme le plus ouvert du monde, mais il avait tenté de lui apprendre à canaliser ses émotions. Savoir garder la tête froide en toute occasion. Autant dire qu'il avait échoué avec le nouveau porteur de l'Armure du Verseau.
Hyôga était parvenu à lancer cette menace sur son élève en utilisant certainement les mots exacts qu'on venait de lui répéter. Il n'avait pas dû exploser, ni tempêter, ni rien de ce genre, alors qu'il en aurait eu le droit. Andrei l'imaginait sans peine énoncer son verdict avec son air glacial, sinistre menace ponctuée d'un silence sauvage. Un froide analyse tout simplement. Peu importait son rang, son titre ou leur relation maître-disciple.
- Nous sommes conscientes que l'influence du dieu Loki a aggravé la situation, expliquant certaines de tes décisions, poursuivit le Grand Pope. Toutefois, elle a pu prendre racine parce qu'il y avait un terreau fertile. Elle s'est nourrie de ce qui était déjà là et cela a eu des conséquences. Personne ne peut dire comment les événements auraient pu tourner ou évoluer. En bien ? En mal ? (Elle éleva un peu plus la voix.) Un Chevalier est avant tout un être humain, avec ses forces et ses failles, mais ses pouvoirs lui donnent aussi une responsabilité, un code de conduite à tenir. Toute personne est faite d'ombre et de lumière, mêlant les deux à des degrés divers. Sans quoi il devient un Chevalier Noir uniquement guidé par sa personne. Tu peux être fier tant que cela ne vire pas à l'orgueil mal placé. Tu peux être fort tant que cela ne tourne pas à la maltraitance des plus faibles.
- Déesse Athéna, commença le jeune homme, Grand Pope, je ne demande ni pardon, ni rédemption. Je sais que je n'ai pas le droit d'exiger cela après tout ce que j'ai pu faire jusqu'à présent mais …
- Révèle la couleur de ton aura, le somma abruptement la déesse aux Yeux Pers. Celle de ton âme. Fais briller ton cosmos.
D'abord pris au dépourvu, Andrei s'exécuta, se parant d'un halo doré un peu terne et légèrement blanchâtre sur les bords. Un vent frais vit voleter les cheveux des personnes présentes, véhiculant un image saine.
- Je ne perçois pas de souillure, révéla Athéna. Ce sombre parcours t'a marqué, t'a éduqué en un sens. Tu as pris conscience de quelque chose de plus profond, de plus grand que ta propre petite personne. Tes actes les plus récents et ce constat font pencher la balance en ta faveur. Tu échapperas donc à l'exécution.
Andrei arrêta de respirer, attendant le mais.
- Mais tu n'es pas absous pour autant de tes fautes passées et les « cicatrices » qu'elles t'ont laissées seront toujours là, ajouta la déesse grecque. Je te demande de toujours garder cela en tête. Parfois, le salut peut se trouver dans le remords.
Un infime temps de flottement s'inséra suite aux derniers mots de la divinité.
- Enfin, conclut le Grand Pope en prenant la parole après avoir jeté un coup d’œil furtif à la déesse, afin que personne ne puisse penser que tu t'en tires à bon compte par rapport à la situation actuelle qui nous place sur le pied de guerre, tu subiras une flagellation publique. Cinquante coups sans aucune protection qu'elle quelle soit. D'ici deux heures, on te conduira dans l'une des arènes d'entraînement.
Andrei déglutit bruyamment.
- Je … me soumets à votre décision.
Malgré sa réponse, celle qui était à la tête de l'ordre de la Chevalerie n'en avait pas tout à fait terminé avec lui :
- Une dernière chose avant que tu ne partes. Ne t'avise plus de t'en prendre à l'un de tes pairs, Chevalier ou autre, sans quoi tu seras déchu de ton rang de Chevalier et banni du Sanctuaire. Dans le meilleur des cas.
Un hochement de tête du jeune homme suffit à prouver que le message était bien enregistré. Il prit ensuite le chemin de la sortie, les lourdes portes se refermant à sa suite.
- Pardonnez-moi d'avoir pris l’initiative sur la fin.
Saori secoua la tête.
- Tu as su déceler mon hésitation et as agi en conséquence. (Elle tourna la tête vers Marin.) Me suis-je montrée trop indulgente avec lui ? Est-ce que j'ai été juste eu égard aux morts ?
- D'après certaines chroniques que j'ai pu consulter, certains auraient loué son comportement, d'autres l'auraient fait tué sans appel. Vous avez agi comme vous estimiez devoir le faire. Et si l'on veut vraiment être cynique, je dirais que la situation ne nous permet pas de nous passer de la présence d'un Chevalier d'Or.
Nullement choquée par les propos de Marin, Saori se permit même un semblant de sourire.
- Ses yeux brillait d'un éclat différent de celui dont je me rappelle la première fois que je l'ai vu. En un sens, il ressemble un peu à Ikki ou à Kanon. Des hommes pour lesquels la fierté occupe une place prépondérante dans leur esprit. C'est une force puissante qui peut être un véritable moteur, tant qu'elle est jugulée par la valeur morale. Andrei semble être sur un chemin qui le conduira à une meilleure version de lui-même.
L'atmosphère quelque peu allégée par les paroles de la déesse grecque retrouva vite de sa pesanteur.
- Je dois préparer l'application de son châtiment, déclara Marin.
- A mon tour de te demander pardon de devoir lui infliger cela.
Le Grand Pope secoua la tête.
- Bien que parfois difficile, c'est le rôle pour lequel vous m'avez nommée et comme vous, j'ai beaucoup appris au cours de ces dernières années quant à la gestion de tout ça. (Elle se mit en mouvement, quittant le côté de Saori.) Andrei peut s'estimer chanceux. Kanon a eu à subir la Scarlet Needle de Milo du Scorpion pour débuter sa rédemption. Même si cela restera très douloureux, son supplice sera moindre.
- Ça s'est déjà produit à ton avis ?
- Pas que je sache, répondit sa sœur jumelle. Toutefois, on fait figure de petits nouveaux dans l'ordre alors je n'en sais strictement rien au final.
Les deux Turques n'étaient pas les seuls présents. Tous les autres combattants de quelque ordre qu'ils soient, avaient été priés de se rendre près d'une des arènes d'entraînement.
De solides poteaux de bois destinés à être utilisés lors des formations des futurs guerriers du Sanctuaire étaient plantés en divers endroits de l'espace circulaire. L'un d'entre eux en particulier recevait toute l'attention des spectateurs réunis. Du moins, la colonne ligneuse et ce qu'elle supportait.
Peu de temps auparavant, le capitaine Nereus avait pénétré sur le sable, accompagné d'un jeune homme aux cheveux blonds cendrés. Le dos nu et musclé de ce dernier était exposé à la vue de tous, avec sa peau pâle que le soleil matinal voyait pour la première fois depuis longtemps. D'épaisses menottes reliées par une chaîne aux maillons aussi large qu'un poignet entravaient les mains du prince de Blue Graad.
Nereus, sans un regard pour le futur supplicié, accrocha la chaîne à l'un des gros clous enfoncés près du sommet du poteau, forçant le jeune homme à lever les bras.
Il adressa alors un signe de tête au Grand Pope Marin qui les avaient attendus, déjà postée tout près du pilier. Entre ses mains gantées de cuir brun, elle tenait repliée sur elle-même ce qui ressemblait à une longue et épaisse lanière.
Quant à la déesse de la Guerre et de la Sagesse, elle fixait intensément le déroulement de la scène depuis l'un des gradins. Cette fois-ci, elle était revêtue d'une longue robe bleutée dépourvue de manches, laissant apparaître l'arrondi de ses épaules aux muscles fins. Une paire d'anneaux de cuivre ceignaient ses poignets, desquels partaient deux longueurs de tissu allant jusque dans son dos. A la voir ainsi, nul n'aurait deviné le trouble intérieur qui faisait rage au sein de son cœur. A part peut-être le duo de Chevaliers de Bronze qui se tenait de part et d'autre de sa position.
Shun et Nachi vivaient un conflit similaire face à ce qui allait se produire sous leurs yeux. L'un comme l'autre n'étaient pas des partisans de ce genre d'acte. Le Loup n'aimait pas être témoin d'une violence qu'il jugeait gratuite. Tandis que le Chevalier d'Andromède, lui, déconsidérait la violence sous toute ses formes.
Cependant, comme tous leurs combats passés l'avaient prouvé, elle était parfois inévitable. Et Saori avait pris sa décision.
- Tu crois que c'est ce à quoi je pense ? demanda un jeune homme de haute stature à la joue marquée de cicatrices semblables à des marques de griffes.
- Parce que tu penses maintenant ? répondit un individu aux tresses rousses en mimant l'étonnement.
Un coup dans les côtes l'empêcha de poursuivre sa plaisanterie.
- Ouais, fit Gearóid, ça m'en a tout à l'air …
L'espace d'un instant, il fixa son compagnon qui venait de reprendre sa position bras croisés.
- Tu vas bien ? l'interrogea-t-il à la volée.
Les yeux d'obsidienne de Raul jetèrent un rapide regard en coin au Chevalier d'Argent avant de revenir se fixer sur le centre de l'arène.
- Ouais, pourquoi ?
- Pour me montrer plus précis, ma question est en rapport avec ce qu'il s'est passé il y a quelques jours.
Le Taureau grogna.
- J'ai quand même le droit de pousser un coup de gueule, non ?
- Oui, mais de ...
- Écoute Gearóid, on m'a contraint à quitter précipitamment le réconfort offert par … merde, j'ai oublié son nom. Bref, à me lever tôt et quitter des draps bien chauds pour assister à ça. Andrei est passé en jugement et a écopé d'une peine. Justice va être rendue. A mes yeux, c'est un bon début par rapport à ce qui clochait et je n'ai actuellement rien à y redire.
- D'accord, fut tout ce que l'Irlandais trouva à répondre. Content que tu ailles mieux alors.
- Parfait. Plus vite ceci on en aura fini, plus vite je pourrais retourner me pieuter le nez fourré entre une belle paire de nichons.
Ban qui était tout proche d'eux, venait d'écouter d'une oreille leur conversation et sentit bien que le Taureau avait préféré couper court à l'échange. Tout comme le jeune Chevalier d'Argent qui s'inquiétait sûrement pour son ami, tâchant de ne pas se montrer trop insistant, il se rappelait les vibrations engendrées par l'éclat de colère du colosse et se prit à espérer que ce qu'il avait vécu à Asgard ne l'avait pas fragilisé outre mesure.
- Je ne savais pas trop à quoi m'attendre de la part de l'Athéna actuelle sur la question des peines et des châtiments, révéla l'Ebranleur du Sol, cependant, force est de constater que c'est à l'image de la nièce que je connais depuis l'ère mythologique. Elle peut se montrer clémente, mais cela a un prix.
Ses Marinas à ses côtés observèrent le tableau en silence. Enfin presque.
- Je trouve ça … barbare, ne put s'empêcher de mentionner Narya à mi-voix.
- Pourquoi ? s'enquit Nikolaï en haussant les épaules. Je pense pour ma part que c'est mérité.
Ses pensées dérivèrent une fraction de seconde vers les souvenirs de Morgan et Fares.
- Il devrait même subir plus que ça, affirma-t-il d'une voix rauque et soudain plus dure.
- Je suis consciente de ce que ses décisions ont entraîné, tu le sais très bien, rétorqua l'Islandaise. Mais est-ce que pour autant c'est la bonne …
- Quoi ? Qu'est-ce que tu voudrais Narya ? Qu'il se prenne une petite tape sur les doigts et qu'on lui fasse promettre de ne plus recommencer ? C'est …
Ils perçurent subitement le regard bleu pâle et peu amène de Sorrento posé sur eux. Cela les stoppa instantanément. Ses yeux semblaient dire : « Ce n'est pas un spectacle. Témoignez un minimum de respect. »
Narya se tut et Nikolaï émit un bruit de bouche.
Einar, lui, avait de la peine pour Andrei. Il partageait son envie de rédemption et pensait être le seul à connaître le nouveau Chevalier du Verseau. Il avait pour ainsi dire assister à sa transformation, passant de l'enfant à l'adulte et devenir enfin conscient de ses actes et de ses devoirs.
Cependant, la décision avait été rendue et Andrei s'y soumettait, recevant sa punition, aussi devait-il respecter cela, de même que sa volonté de ne pas s'y soustraire.
- Est-ce que cela va réellement servir à quelque chose ? demanda Ayame. Le dos du prince n'est peut-être pas aussi dur que sa tête, mais pour un Chevalier, c'est sûrement une broutille.
- Tu aurais tort de penser ça, dit Rikimaru. Il est à demi nu, à la merci de la morsure du fouet, sans armure, sans aucune protection, sans soutien. Pas même celui de son cosmos d'après les dires du Grand Pope lors de l'annonce du châtiment à subir. Il ne voit pas le coup arriver et est dans l'attente du suivant, incapable d'anticiper quoi que ce soit. C'est aussi éprouvant physiquement que psychologiquement.
La Japonaise faillit ajouter quelque chose, mais s’abstint finalement, semblant réfléchir à ses mots.
- J'avais espéré … je ne sais pas ce que j'espérais en fait, dit le jeune homme au menton orné d'une barbiche brune. Andrei a commis des erreurs, c'est certain et cela devait lui retomber dessus. J'étais simplement bien en peine d'imaginer que ça prendrait cette forme.
- Tu dis ça parce que tu as toujours du mal à imaginer le pire chez ceux qui t'entourent, lui répondit la Chinoise qui se trouvait à côté de lui. C'est une peine dure, mais crois-tu qu'il devrait être épargné ? Est-ce que ce serait juste ?
- Je n'ai pas dit ça, Mei Ling. C'est que ...
- Ne torture pas Tristan avec des questions morales, la disputa gentiment le second jeune homme de leur groupe, un individu à la chevelure auburn. De mon avis personnel, Andrei a besoin d'une leçon pour comprendre que tout acte a des conséquences.
Quoique qu'à contrecœur, Tristan finit par acquiescer face aux paroles de la Grue et du Bélier.
Andrei avait posé son front contre la surface rugueuse du poteau. Il avait essayé de se préparer à ce moment sans y parvenir totalement. Endurer un châtiment corporel était inédit pour lui et il ne savait pas comment l'appréhender.
Il entendit quelque chose se déployer derrière lui et un cosmos s'embraser légèrement. Son rythme cardiaque s'accéléra et sa gorge s'assécha. Le premier coup l'atteignit en travers du dos avant même qu'il puisse songer à comment y faire face. Le claquement arriva d'abord à ses oreilles avant que ses nerfs ne lui transmettent le message douloureux.
Cela le brûla aussi douloureusement qu'une flamme, mordant sa chair comme si les serres d'un oiseau géant la lacérait.
« Clac. »
Un deuxième sillon écarlate apparut sur son dos, ses lèvres se retroussèrent en un cri silencieux. Chacun de ses muscles se contracta. Son dos le brûlait comme si on avait frotté du sel et du citron sur une plaie encore sanguinolente.
Un raz-de-marée de terreur s'abattit sur lui. Chaque seconde semblait durer un siècle, passée à attendre la prochaine vague de douleur. Andrei se retrouva à souhaiter qu'elle advienne, tant ces pauses étaient insupportables.
« Clac. »
Il rejeta la tête en arrière, bouche ouverte sur un cri qu'il réprima. Une pensée fendit subitement les vagues de souffrance pour l'éclabousser.
Oreste a-t-il subi semblable torture ?
Il se rappela fugacement l'état physique du Chevalier des Poissons lorsqu'il l'avait revu sous la montagne. Un corps amaigri, marqué par les tourments endurés et un esprit dévoré par une folie progressive. L'Italien n'avait rien fait pour mériter de sombrer dans une pareille souffrance et en dépit de ça, il avait réussi à en revenir à la fin. Andrei se devait de faire honneur à la mémoire du jeune homme qui avait été la source de son salut.
« Clac. »
Alors hors de question de crier.
« Clac. »
Mais le temps d'arriver à la moitié du compte, le jeune homme perdit finalement le contrôle. Un cri jaillit de ses lèvres, long et frêle. Un sang chaud coulait le long de son dos. Odeur cuivrée entêtante. Douleur incandescente. Fouet qui fend l'air, encore et encore.
Il serra les poings, baissa le menton et appuya de nouveau son front contre le bois. Il était seul, seul avec la peur, la honte et la douleur.
« Clac. »
Honte ? Pourquoi donc ? Il endurait son sort la tête aussi haute que possible pour lui-même et pour Oreste.
Seul ? Non, il percevait au milieu des ondes de souffrance la présence de toutes les personnes assistant à son supplice. Le sang battait à ses tempes, mais entre deux claquements, il n'entendait aucun mot, aucun rire. Même les plus inamicaux de ses pairs l'observaient en silence.
En cheminant jusqu'au poteau où il serait attaché, Andrei avait cru essuyer quelques remarques à son encontre. Pour peu, il aurait presque entendu une petite voix aussi suave que du miel, celle qu'il savait appartenir à Loki, lui susurrer de doux mensonges. Mais il aurait su que tout cela n'était qu'une énième tromperie.
« Clac. »
Ici, là et maintenant, il continuait d'avancer sur le chemin qu'il s'était choisi, réalisant de nouveaux pas qui l'emmenaient toujours plus loin de ce qu'il avait été, alors qu'il évoluait entre l'éveil et l'oubli.
Cinq coups avant la fin, il ne tenait plus que par un infime brin de volonté dont les fibres allaient en s'effilochant. Il avait perdu la notion de temps lorsqu'il ne sentit finalement plus rien.
Est-ce terminé ? se demanda-t-il, tandis que ses bras étaient libérés et il s'en était fallu de peu qu'il ne bascule sur le côté, mais on l'avait retenu à temps.
Des mains sûres et délicates l'allongèrent sur le ventre, directement sur la toile rêche d'un brancard, alors que se répandait dans son dos ravagé, une douce chaleur qui mit fin à la douleur. D'un endroit incroyablement éloigné, il entendit murmurer sept mots : « Ça va aller maintenant, Chevalier du Verseau. »
Oui, je demeure Andrei, prince de Blue Graad et Chevalier d'Or du Verseau.
Sitôt cette pensée générée, il put enfin se laisser couler au cœur des eaux d'une bienvenue inconscience.
19 mai 1997
Grèce, Sanctuaire
Le jeune Tibétain fixait avec intensité la créature enfermée dans sa geôle de cristal. Renforcée de nombreux sceaux foudroyants, dont l'électricité contenue crépitait parfois, elle n'avait cédé sous aucun des assauts de l’Éclat. Maintenant, ce dernier se tenait tranquille, tournant en lentes circonvolutions. Patientant ? Ou plutôt inconscient de sa situation ? Les théories échangées allaient davantage en ce sens.
Chaque jour depuis désormais une semaine, Arion venait là, se triturant les méninges dans le but d'élaborer une pensée cohérente.
Un bruit de pas derrière lui le fit s'arracher à sa contemplation.
- Encore et toujours là à ce que je vois, dit Ban.
- Comme tu peux le voir.
Le grand Japonais lui tendit un cruchon d'eau et ce qui ressemblait à un baklava. Avisant le panier posé au sol d'où s'échappait un parfum d'amandes, il dit :
- Il en manque, non ?
- Désolé, la route est longue jusqu'ici, fit le Chevalier de Bronze avec un sourire gourmand. Et je suis tombé amoureux de ces petites choses.
Le Bélier secoua la tête tout en acceptant les présents. Son ami s'assit à même le sol et ils grignotèrent en silence.
- Je vais partir, annonça Arion de but en blanc au bout de quelques minutes.
- Quoi ? s'étonna Ban. Pour aller où ? Pourquoi ?
Sans répondre à ces questions, le Tibétain enchaîna :
- Par je ne sais quel procédé, Susanoo est capable de détecter les artefacts servant de clés. Comment y parvient-il ? Pour en avoir déjà discuté avec Saori ainsi que Tristan, Shun et Nachi, nous sommes tombés d'accord pour dire que ce n'est pas vraiment lui qui possède ce pouvoir. En réalité, ce doit être Chaos qui lui indique la direction à emprunter. Quoique qu'il semble ne pouvoir donner qu'une vague idée de la localisation, à l'échelle d'un pays et non pas une adresse exacte.
- Et nous ? On ne peut pas répliquer ça ?
- Ayame et Narya y sont parvenues dans une moindre mesure. Cependant, ce n'est pas un procédé que n'importe qui peut copier. Et de fait, cela devient impossible de quadriller la planète dans son intégralité.
Il soupira.
- La création toute entière s'emballe et dieux comme créatures mythologiques s'éveillent tour à tour. Chaque clé utilisée relâche un peu plus d’Éclats et ce sont finalement eux qui augmentent les capacités de recherche de Chaos. Il nous faut renverser la vapeur.
- Et tu penses que partir te permettra d'être en mesure de bricoler quelque chose d'intéressant ?
- Bricoler ? releva Arion.
- Hé, ne te froisse pas, fit Ban en levant les mains devant lui. Je sais bien que ça doit être bien plus complexe que cela.
- Si complexe que je ne sais pas si je peux arriver à quelque chose seul. Toutefois, après avoir échangé avec Tristan sur la question qui nous a beaucoup taraudés, à savoir la facilité avec laquelle Suzaku nous as retrouvés – du moins les orbes –, l'idée a germé qu'un genre de radar puisse exister.
- C'est le Gardien Céleste qui a récupéré l'artefact d'Asgard, c'est ça ?
- Exactement. (Le Bélier se prit le menton dans une main et des rides de réflexion strièrent son front.) C'est pour ça que je voulais essayer de mettre le plus de choses à plat, penser à tout ce que ça peut comporter d'incertitudes et avoir un plan d'action optimal avant de me rendre à Shambhala. La technologie n'étant pas fonctionnelle là-bas, je préfère ne pas avoir besoin de compléter mes informations.
- Un raisonnement qui se tient, reconnut le Petit Lion.
- Je vais aller présenter ma requête à Saori et à Marin. Susanoo a récupéré un autre artefact d'après Tsukuyomi, le temps presse. (Le Tibétain fixa de nouveau l’Éclat.) Et j'aurai certainement besoin de tenter quelque chose avec eux.
- Vraiment ? interrogea le Chevalier de Bronze, curieux. (Sans réponse après plusieurs secondes, il poursuivit :) Je suis certain qu'elles te laisseront carte blanche pour agir. De notre côté, nous ne pouvons que surveiller l'évolution de la situation et recouper les renseignements que notre réseau nous fournit quant aux événements mondiaux.
- Je sais que tout le monde fait de son mieux. (Il quitta la chaise qu'il occupait, étirant sa nuque raide avec force de craquements.) Au fait, merci pour les … enfin, le gâteau.
1er juin 1997
Chaîne de montagnes himalayennes, Shambhala
- Agrippez mon épaule Dvarog et suivez-moi un pas après l'autre, dit le jeune homme à la chevelure auburn.
- D'... d'accord.
Le quinquagénaire posa une main fébrile sur la tunique du Chevalier du Bélier et manqua perdre sa prise lorsque que son guide avança sans crier gare. Il trébucha sur quelques graviers, mais parvint à se reprendre suffisamment vite pour ne pas chuter.
Ils étaient sur le point de franchir la barrière dont lui avait parlé Arion. Celle qui dissimulait l'entrée de la cité. En tant qu'érudit, Dvarog avait lu une poignée de récits faisant mention de ce lieu mythique. Aussi, dès l'instant où Arion lui avait proposé de l'accompagner lors de son voyage au cœur de la chaîne himalayenne pour rejoindre Shambhala, il n'y avait pas vraiment réfléchi à deux fois. Sautant sur l'occasion, il était impatient de découvrir cette culture.
Leur périple avait commencé après leur atterrissage à Lhassa pour se poursuivre jusqu'à Jamir, un ancien avant-poste du peuple de Mû selon les dires d'Arion. De là, ils avaient marché plusieurs jours durant pour parvenir jusqu'ici.
Le froid, la neige et la glace, l'érudit connaissait toutes ces choses, mais leur pérégrination lui avait fait découvrir les sommets, souvent vertigineux, des montagnes de l'Himalaya. Une beauté que malgré tout le vocabulaire qu'il possédait, il ne parvenait pas à retranscrire quels que soient ses efforts.
Dès que le Chevalier d'Or s'engagea pour traverser l'obstacle, Dvarog le vit disparaître, donnant l'illusion qu'il n'avait plus qu'un moignon à la place de son bras tendu. Pourtant, il ressentait toujours le contact avec l'épaule du jeune homme.
C'est tellement étrange, songea-t-il.
Le pas suivant, c'était à son tour de franchir la barrière. La sensation le perturba, comme s'il avançait contre un voile de tissu tendu devant lui, tandis qu'il cherchait à passer au travers. D'un coup, il ne sentit plus le souffle du vent des hauteurs sur sa peau, ni même son sifflement se faufiler jusqu'à ses oreilles que recouvrait la capuche de son épaisse veste. Quelque chose effleura fugacement son esprit et il s'en inquiéta vivement, n'ayant jamais connu d'expérience similaire. D'abord tranquille, le contact se fit plus pressant. Dvarog se retrouva malmené, comme un objet passant de main en main afin d'être observé, scruté, étudié.
Finalement, ce qui venait de le sonder le laissa tranquille aussi vite qu'il s'était intéressé à lui et l'érudit de Blue Graad put passer. Ses yeux s'ouvrirent en grand derrière ses petites lunettes couvertes de buée par son souffle lorsqu'ils tombèrent sur la cité proprement dite.
- Bienvenue à Shambhala, déclara le Bélier qui profitait tout autant du spectacle que lui, les mains dans les poches de son long manteau rouge et noir doublé de fourrure, son Urne Sacrée sanglée sur son dos.
- C'est … c'est …
- Rassurez-vous, j'ai eu la même réaction la première fois que je l'ai vu.
Un bref sourire égailla les traits du Chevalier d'Or, lui qui avait gardé un visage si sérieux jusque-là.
Tous deux avaient profité du trajet pour discuter et apprendre à mieux se connaître et Dvarog avait saisi, au moins partiellement, ce qui tourmentait le jeune homme, lui mettant les nerfs en pelote.
Connaissant l'amour du quinquagénaire pour les savoirs anciens, Arion en avait profité pour en faire son compagnon de recherche. Ce qui ne représentait pourtant pas un acte totalement désintéressé de sa part. Le Bélier avait appris quelques phrases et mots à Dvarog pour qu'il puisse communiquer un minimum sans la nécessité d'un interprète. En prenant en compte son aisance avec les langues, il devrait parvenir à se débrouiller assez rapidement. Et à partir de là, le réel intérêt de sa présence se dévoilerait.
Car oui, le Tibétain se doutait bien que sa quête ne se résoudrait pas en une poignée de jours.
- Hé…
Dvarog dû presser l'allure une fois sorti de ses pensées pour ne pas être distancé. Après plusieurs minutes de descente progressive, accompagné du roulement des graviers sous leurs pieds, le duo se présenta devant l'arche marquant l'entrée de la ville.
- Bonjour Beltir, lança le Bélier à l'homme qui venait de sortir de son abri pour s'avancer.
Ce dernier affichait désormais une trentaine d'années, arborant les mêmes cheveux blonds coupés courts que la première fois que le Chevalier, alors seulement apprenti, l'avait découvert. Le bâton fait entièrement de métal semblait toujours être sa seule et unique protection.
- Qui… ? Arion ? C'est bien toi ? s'enthousiasma tout à coup le garde en faction. Tu as changé. Tu es … plus grand !
Sa remarque arracha un rire au Bélier.
- Tu as l'air en forme toi aussi. (Il avisa subitement le petit écusson brodé sur le revers du manteau en laine de yak de l'homme.) C'est…
- Ouais, je suis devenu capitaine depuis la dernière fois.
Un large sourire barrait le visage du promu.
- Des félicitations sont de mises dans ce cas.
- Hé hé, je te remercie !
Sitôt ces formalités terminées, Beltir prit un air plus grave.
- Ce n'est pas une visite de courtoisie, n'est-ce pas ?
- J'ai besoin de m'entretenir avec Llauron. Au plus tôt.
- Hmm, très bien, je vais voir ce que je peux faire. Tu peux rester dans le poste de garde en attendant. (Il fronça ses sourcils aux formes arrondies si caractéristiques.) Qui t'accompagne ?
- Voici Dvarog, un érudit …
- C'est un étranger, le coupa Beltir, dès que le susnommé eut ôté sa capuche. Comment… Pourquoi l'as-tu amené ici ? Je sais que Llauron t'apprécie et que tu as un certain statut ici-même ou à l'extérieur, mais tu risques de t'attirer des ennuis.
- C'est un homme de savoir, pas un guerrier. Je pense qu'il peut m'aider dans mes recherches. Maintenant, va informer Llauron de ma requête, s'il-te-plaît.
Même si cela lui coûtait de le faire, le Bélier avait légèrement haussé le ton en prononçant ses derniers mots. Toutefois, le capitaine ne parut pas en prendre ombrage et le salua d'un signe de tête avant de partir.
- Ma venue poserait-elle un problème ? s'ensuit le quinquagénaire de Blue Graad.
Il n'avait saisi que quelques bribes de la conversation, mais avait remarqué les traits froissés du dénommé Beltir lorsqu'il avait dévoilé son visage.
- Disons qu'amener un étranger sans avoir demandé leur permission au préalable constitue certainement un manque de discernement de ma part.
- Ah… ne put s'empêcher de laisser échapper Dvarog. Et bien, venant moi-même d'une nation autarcique, je peux comprendre leur mécontentement et ce qu'ils risquent d'assimiler à une intrusion.
- Nous ne sommes pas venus les envahir, ni piller leurs secrets, se renfrogna le Chevalier d'Or. Ce qui serait d'ailleurs un comble sachant que je suis un membre de leur peuple. Allez, ne perdons pas plus de temps et entrons nous réchauffer.
Le duo patienta pendant une bonne demi-heure devant le brasero dispensateur d'une chaleur bienfaisante, avant que Beltir ne revienne vers eux.
- Tout est en ordre, leur annonça le capitaine, tandis qu'ils ramassaient leurs paquetages. Je te laisse rejoindre la demeure de Llauron. Tu te rappelles où elle se situe j'imagine ?
- Bien sûr. (Le Bélier tendit une main que Beltir serra de bon cœur.) Merci à toi.
Ils s'apprêtaient à pénétrer à l'intérieur de la cité proprement dite, lorsque Arion entendit derrière lui :
- Bon retour parmi nous.
Le Bélier leva simplement la main sans prendre la peine de se retourner.
Le temps d'atteindre leur destination, l'érudit de Blue Graad avait le tournis. Et ce n'était pas dû qu'à l'altitude. Déambuler dans les rues de Shambhala avait été une rude épreuve pour son cou, sollicité régulièrement par nombre d'observations.
Même si son domaine de prédilection restait les dialectes antiques, écrits ou parlés, Dvarog faisait montre d'intérêt pour une multitude d'autres sujets, telle l’architecture. Et si la civilisation dont était issu le jeune Chevalier d'Or appuyait la structure de ses bâtiments sur ceux de la région tibétaine avec leurs longs toits plats et leurs épaisses bases, ils portaient cependant la signature indéniable de ceux qui l'avaient faite leur pour la magnifier.
Les matériaux utilisés, la pierre et le bois, avaient été si adroitement taillés, sculptés et accordés entre eux qu'on aurait pu les croire fait d'une seule pièce, modelée telle de l'argile ou du métal liquide par un maître artisan.
De grandes fenêtres de forme carrée ou rectangulaire aux cadres peints, perçaient les murs à intervalles réguliers, permettant au soleil de s'inviter à l'intérieur, procurant un maximum de chaleur et de lumière naturelle à ses occupants.
Le bruit d'une articulation toquant sur du bois lui fit quitter son admiration pour les décorations complexes des surplombs. Dvarog réajusta ses lunettes pour voir s'ouvrir une porte, laissant apparaître une jeune fille approchant de l'âge adulte. Elle était plutôt petite, menue pour ne pas dire chétive, mais ce que son physique donnait à penser était dénoté par la profondeur de son regard. Des yeux aux nuances vertes accompagnaient ses cheveux noir de jais dont la moitié était réunie en quatre longues tresses de part et d'autre de son visage ovale. Ses sourcils formaient deux charmants petits ronds qui se crispèrent à la vue des visiteurs.
- Entrez, dit-elle simplement en s'effaçant pour leur dégager le passage.
D'abord figé par cet accueil pour le moins minimaliste, Arion ouvrit la voie.
- Ça me fait plaisir de te revoir, Istariel, la salua-t-il.
Pas de réponse, si ce n'était un simple grommellement. A son tour, Dvarog entra dans la maison pour aussitôt remarquer que l'intérieur était aussi chaleureux et coloré que l'extérieur renvoyait une image austère en accord avec l'environnement duquel avaient émergé les habitations.
La charpente et les boiseries étaient finement ouvragées et la décoration était une démonstration de savoir-faire de tissage : tapis, rideaux pour délimiter les pièces ou encore thangkas brodés, alliaient des rouges brunis, des oranges apaisants et des jaunes à l'éclat vif.
A l'image finalement des populations vivant en ces terres hostiles et qui face à elles avait choisi d'afficher un tableau coloré plutôt que des teintes ternes. Elles n'arboraient rien d'excessivement ostentatoire et respectaient la nature au sein de laquelle elles évoluaient. Pour autant, elles ne se fondaient pas dans la masse, comme si elles voulaient s'y intégrer entièrement.
Une civilisation brillante condamnée à l'exil dont on aurait pu croire qu'elle rêverait de grandeur retrouvée, s'était inspirée des autochtones, puisant dans leurs connaissances de ces régions, et s'y adaptant avec humilité, sans oublier toutefois d'y ajouter leur propre touche.
Ils traversèrent un couloir latéral pour déboucher devant une nouvelle tenture ornée de complexes symboles.
Ces derniers n'ont rien de tibétains, songea Dvarog, ils semblent plus proches de...
- Voici vos visiteurs, grand-père, annonça la jeune fille en les précédant pour écarter la lourde étoffe.
Même si sa dernière visite remontait à moins de trois ans, Arion se crut revenu dix ans en arrière lorsqu'il débarquait pour la première fois à Shambhala en quête de réponses.
Une pièce de travail identique l'accueillit avec ses deux murs parcourus d'étagères remplies de livres et de parchemins. Un trio de fauteuils et une unique table constituaient les quelques meubles occupant l'espace.
Toutefois, d'autres choses avaient changés. Déjà, il régnait un certain désordre inhabituel. Ensuite, passant outre ce fait bizarre, il n'était plus ce petit garçon empreint de tant de colère et le vieil homme qui l'avait accueilli, même s'il arborait toujours les mêmes yeux verts, ceux-ci avaient perdu de leur vigueur. Ses cheveux étaient davantage blancs que gris, sa barbe moins entretenue et son corps aminci remplissait avec peine sa longue tunique noire. Ses rides formaient des sillons encore plus profonds dans un visage à la peau parcheminée.
Il a vieilli, pensa le jeune Chevalier d'Or. Non, pas seulement, il …
- Te voilà donc de retour, Arion, déclara le vieil homme en le fixant. Et avec un ami à ce que je vois.
- Je…
- Hé bien, invite-le à s’asseoir. (Il tendit une main tavelée vers l'un des fauteuils.) Et fais-en autant. Istariel, va nous faire chauffer du thé, je te prie.
Sa petite-fille s'éclipsa, non sans avoir jeter un dernier regard en biais au Bélier.
- Excuse-la, ton départ soudain l'a beaucoup marquée, révéla le vieil homme.
- Il le fallait, voulut se justifier le jeune homme, vous le savez bien. Néanmoins, pardonnez-moi de vous avoir offensé Llauron. Est-ce que vous allez…
- Ne parlons pas de moi, l'interrompit-il. Je présume que si tu es là, c'est pour une bonne raison.
- En effet.
Le Chevalier d'Or entreprit donc de lui narrer tout ce qui s'était produit après qu'il ait quitté Shambhala et rejoint le Sanctuaire.
Ils étaient arrivés en ville dans la matinée, mais le temps de parvenir au bout de son récit, la nuit avait projeté son noir d'encre, constellé d'étoiles, sur la toile du monde. Leurs tasses avaient été vidées depuis longtemps.
Leur hôte l'avait écouté attentivement, le questionnant parfois, chassant sa descendante à deux reprises alors qu'elle s'était avancée vers lui.
- Tu souhaites donc étudier les plus anciennes de nos archives pour réaliser ton entreprise ? demanda Llauron d'une voix ensommeillée.
Les heures écoulées et la concentration nécessaire paraissaient l'avoir privé de son énergie.
- Oui. Loki bénéficiait de l'aide de plusieurs Nains rebelles, qui sont d'excellents forgerons soit-dit en passant, et de sa propre magie. Pour rivaliser, j'ai besoin de consulter les écrits qui subsistent de la période où la barrière entourant Shambhala a été créée. Peut-être pourrais-je également m'adresser à la matriarche des Forgerons ?
- Seuls ces derniers seront en effet en mesure de te dire si ton projet est chimérique ou non, mais ta requête est bien plus complexe que tu ne l'imagines, mon jeune ami.
- Comment ça ? N'est-ce pas vous qui...
Llauron venait de lever une main pour le couper dans son élan. Dvarog, légèrement assoupi, remarqua du coin de l’œil que Istariel se retirait une énième fois. Le geste du vieil homme avait-il été uniquement destiné à Arion ?
- Tu as effectivement besoin de mon accord pour accéder à ce que tu recherches. Cependant, comme cela concerne des techniques relative à la forge, il te faudra également l'aval du nouveau patriarche. Alairë est décédée l'année dernière.
Les yeux d'Arion s'assombrirent l'espace d'un instant malgré le reflet rougeoyant des flammes crépitant joyeusement dans l'âtre.
- Enfin, reprit Llauron, ta demande va faire resurgir des choses très anciennes et propres à notre peuple. Et ces connaissances, bien que tu en deviennes le récipiendaire, seraient emmenées hors de Shambhala. Sans parler du fait que tu as amené avec toi un étranger – ne le prenez pas mal, ajouta-t-il à l'adresse de Dvarog – pour t'aider à les étudier. (Il secoua lourdement la tête.) C'est tout le Conseil que tu impliques dans cette prise de décision.
Un silence s'installa suite à la longue tirade du vieil homme. Sa respiration paraissait difficile.
- Je ne pensais pas que…, commença le Chevalier d'Or. Non, c'est une affaire extrêmement importante, vous le comprenez parfaitement vous-même. Peut-on réunir rapidement les différents représentants du Conseil pour qu'ils statuent là-dessus?
- Je vais m'occuper d'organiser tout cela. (Il tourna son regard fatigué vers la fenêtre.) Pour l'heure, reposez-vous ici. Istariel a dû préparer une chambre pendant que nous discutions.
Arion lança un regard hésitant à Dvarog.
- Il ne se passera rien au beau milieu de la nuit, mon garçon. Si partager la demeure d'un vieillard vous dérange, tu peux toujours retrouver les quartiers qui étaient les tiens lors de ta formation auprès des Forgerons.
- Non, ce n'est pas ce que je voulais insin...
- A la bonne heure, s'enthousiasma Llauron avant qu'une quinte de toux le surprenne.
- Nous allons vous laisser vous reposer, s'excusa le Bélier en se levant. Merci encore une fois pour votre aide.
Le vieil homme, une main occupée à tamponner ses lèvres avec un mouchoir, leur signifia d'y aller de l'autre.
Connaissant les lieux pour y avoir séjourné lors des tous premiers jours de son arrivée dans la cité, Arion guida Dvarog vers l'escalier conduisant à l'unique étage.
Il n'avait pas encore démarré l'ascension des marches que son chemin se retrouva bloqué par la petite-fille de Llauron. Ses yeux aussi verts que ceux de son aïeul lançait des éclairs.
- Tu ne manques pas de culot de revenir et exiger cela après être parti comme un voleur, cracha-t-elle à l'encontre du Bélier. Et tu exiges de grand-père qu'il se plie en quatre pour réaliser tes demandes !
- Je suis désolé, Istariel, mais je n'ai jamais caché le fait que je devrais rentrer au Sanctuaire un jour ou l'autre. J'ai des devoirs et un lourd héritage à porter. Je n'ai pas de temps à gaspiller en discussions.
- Grand-père est malade ! s'indigna-t-elle. Il doit se ménager. Et toi, tu...
- Il a simplement pris conscience que certaines choses étaient plus importantes que sa santé, l'interrompit le Bélier. Lui comme moi manquons de temps.
Une gifle atteignit sa joue, engendrant un claquement sonore et une cuisante douleur. Des larmes noyant ses yeux, les lèvres serrées, Istariel s'écarta pour les laisser passer.
Les deux hommes grimpèrent l'escalier sans échanger un mot. Ce ne fut que lorsqu'ils eurent pénétré dans la chambre et fermé la porte que Dvarog ouvrit la bouche :
- Arion...
- Je l'ai amplement mérité, admit-il. J'ai presque tout de suite perçu que quelque chose n'allait pas chez Llauron. Néanmoins, ça ne m'a pas stoppé.
L'érudit de Blue Graad posa une main compatissante sur l'épaule du jeune homme qui tremblait.
- Si on prenait un peu de repos, suggéra-t-il. La journée a été longue et le matin sera vite là. Ça nous fera du bien.
Arion acquiesça silencieusement et après quelques ablutions, il s'installa dans le lit, doutant malgré tout de parvenir à s'offrir un sommeil réparateur. Une honte subite le submergea, le noyant dans le remords.
Le lendemain, la nouvelle s'était répandue dans toute la cité telle une traînée de poudre. La tenue d'une session exceptionnelle du Conseil était sur toutes le lèvres des habitants et les spéculations allaient bon train quant à l'origine de cette situation. En temps normal, le Conseil ne se réunissait qu'une fois par mois et la dernière session remontait à tout juste une semaine. Quelle situation avait pu conduire à la tenue d'un nouvelle session aussi rapidement ?
Était-ce lié au retour du fils prodigue de l'ordre des Clairvoyants ? Il ne fallut pas longtemps pour lier les deux événements. La présence d'un étranger paraissait presque triviale comparé à ça. Presque.
- Cet homme n'a rien à faire à Shambhala ! tonna la voix de l'homme portant une tunique verte renforcée d'anneaux de métal, en pointant un doigt accusateur sur Dvarog.
La quarantaine presque achevée, une silhouette souple aux traits taillés à la serpe. Un fin cercle d'argent, telle une couronne ceignait son large front, rendu plus grand encore par la calvitie qui le conquérait de plus en plus, achevant de repousser ses cheveux noirs coupés ras. Telle était l'allure du commandant de l'ordre des Vaillants.
Les deux visiteurs du Domaine Sacré se trouvaient à l'intérieur d'un des rares bâtiments comportant plus d'un étage, ce qui le définissait comme un lieu d'importance.
Et pour cause, c'était ici que se réunissaient les chefs des différentes castes. L'endroit n'était pas si grand pour incarner sa fonction que parce qu'il devait également être en mesure d'accueillir plusieurs membres de chaque ordre en plus de son représentant élu. Parfois, lors de débats majeurs, il était également ouvert au public. Le Conseil de Shambhala traitait les affaires de la vie courante de la cité, mais pouvait agir également comme tribunal de justice.
Arion et Dvarog se tenaient au centre d'une aire de forme hexagonale, chaque segment constituant l’emplacement d'un clan, marqué d'une chaire.
- Allons, Maedhrom, nous n'avons même pas encore entendu la requête de ce jeune homme.
Celle qui venait de parler était vêtue d'un ample vêtement rouge et noir, l'assimilant à l'ordre des Clairvoyants. Manifestement âgée de plus de cinquante ans, ses longs cheveux grisonnants avaient été soigneusement peignés et une tresse partant du sommet de sa tête descendait le long de son crâne pour fermer un imposant chignon.
- A sa demande, je me permets de vous la résumer succinctement, intervint à son tour Llauron. Je vous prierai de ne pas m'interrompre.
Ce qui avait prit des heures au Chevalier d'Or se retrouva condensé en un exposé d'une trentaine de minutes. Aussitôt que le chef des Archivistes eu achevé son explication, des murmures s'élevèrent rapidement pour aller se perdre sous le toit du lieu, pareils à une envolée d'oiseaux.
- Il y a de cela bien longtemps, notre peuple a aidé la déesse Athéna, débuta Llauron lorsque le niveau sonore s'apaisa. En retour, elle nous a offert sa protection et...
- Une protection sur laquelle il a néanmoins fallu que nos aïeux intervienne, s'invita la voix éraillée du patriarche des Forgerons. (Sa veste bleue aux fermoirs dorés peinait à contenir ses énormes bras, tandis qu'une main à la peau aussi tannée que du vieux cuir caressait sa courte barbe brune.) Nous connaissons d'ailleurs tous le coût qui en a résulté.
- Merci pour cette remarque, Arefin, mais je ne pense pas qu'elle serve le débat.
Ce qui restait des petits sourcils roussis du maître Forgeron se haussèrent d'étonnement au-dessus d'yeux évoquant le marron du chocolat chaud.
- Au contraire, Indis, renchérit Maedhrom à l'adresse de la vieille femme. Ça signifie tout bonnement que nous savons nous protéger nous-mêmes sans avoir besoin d'aide extérieure. Nous ne sommes redevables de rien. De plus, notre peuple a toujours fourni des élus ayant dû se battre pour le Sanctuaire. (Il se détourna de ses pairs pour s'adresser directement à Arion :) Tu en es la preuve vivante la plus récente. Nous t'avons aidé – une main ouverte désigna Llauron –, formé – un doigt se tendit vers Indis, puis vers Arefin –, entraîné – il se frappa la poitrine de son poing fermé, faisant cliqueter les anneaux. Et tu voudrais en sus de tout ça dilapider nos secrets.
- Des secrets que nous n'avons nulle envie de partager, appuya Arefin.
- Mes amis, ne soyons pas aussi catégoriques, tenta Llauron, visiblement dépassé par le débat qu'il avait initié. Comme je vous l'ai expliqué, ce n'est pas uniquement la question de l'accès et de la diffusion de ces connaissances ancestrales qu'il nous faut solutionner. La requête d'Arion a surtout pour dessein d'empêcher un immense cataclysme. Il nous faut observer le problème dans sa globalité.
- En avez-vous la preuve ? interrogea une femme de vingt-cinq ans jusque-là restée muette.
Elle portait des vêtements de facture simple alternant le gris et le marron, la rattachant aux Sourceurs, ceux en charge de l'approvisionnement de la cité en vivres via l'agriculture. Sa question était davantage dirigée vers la représentante des Clairvoyants qu'à leurs invités.
- Eluore, vous êtes jeune et ne comprenez peut-être pas très bien la nature de notre don. Notre petite communauté compte plusieurs niveaux d'éveil si je puis en parler ainsi et rares sont ceux disposant d'un pouvoir réellement conséquent. L'un des plus puissants était Cirion, le père d'Arion. Lorsqu'il faisait face à une vision particulièrement forte, il pouvait en ressortir marqué aussi bien dans son esprit que dans sa chair. Actuellement, plusieurs d'entre nous font face à de mauvais pressentiments minant leur moral, ainsi que quelques cauchemars récurrents. Je pense que la raison de la fuite de notre terre natale a dû engendrer le même genre de phénomènes.
- Je vois..., laissa simplement échapper l'interrogatrice.
Son air désabusé en disait beaucoup plus que ses mots.
- Il est pourtant avéré que le climat, même dans une contrée reculée comme la nôtre, tourne de plus en plus à l'orage, se manifesta enfin le dernier membre. (Porteur d'une large ceinture aux tons orangés, l'indication de la caste des Négociants, il avait le léger embonpoint que l'on assimilait volontiers à ces derniers.) Vous qui ne sortez jamais de Shambhala, cela ne m'étonne guère que vous l'ignoriez. Oh bien sûr, je ne parle nullement du temps qu'il fait.
Content de sa boutade, il sourit, dévoilant des incisives légèrement écartées.
L'ordre des Négociants était le seul à réellement sortir de la cité pour réaliser du commerce avec les colonies les plus éloignées, mais également avec certains villages étrangers à leur peuple.
- Bien entendu Filgon, cela ne vous gêne pas qu'un étranger ait été introduit ici ? rétorqua Maedhrom.
- A dire vrai … pas vraiment, non. Même si je vous accorde que certaines règles ont été contournées.
- Contournées !? s'étrangla le patriarche des Vaillants. Outrepassées vous voulez dire !
Le sol de l'endroit se mit soudainement à trembler. Les voix se firent plus crispées, les regards volant de droite à gauche, à la recherche du danger. Était-ce un tremblement de terre qui s'annonçait ?
Puis les yeux convergèrent vers l'hexagone où se tenaient le duo de plaideurs. L'air paraissait vibrer à cet endroit et ce n'était pas l'indignation de Maedhrom qui en était la cause.
- Bande d'imbéciles, lâcha entre ses dents serrées le jeune Chevalier d'Or, ses yeux commençant à luire d'un éclat doré, tandis que Dvarog lui agrippait fébrilement le biceps. J'ai écouté vos échanges et que vous vous complaisiez dans votre monde autarcique, soit. Mais je ne tolérerais pas plus longtemps votre bêtise et votre égoïsme. Tout ça va bien plus loin que vos traditions ! J'ai besoin d'accéder à ces connaissances. Pas pour moi, pas pour le Sanctuaire et Athéna, mais pour participer à la sauvegarde de la planète. Vous comptez réellement rester les mains crispées autour de vos secrets et regarder le monde s'écrouler ?
- Insolent ! Tu te permets de nous insulter ! Tu as dit « vos », pas « nos », tu ne te considères même pas comme l'un des nôtres. Ce n'est pas étonnant que tu foules au pied notre histoire ! N'essaye pas de nous menacer.
- Oh, croyez-moi, je suis actuellement bien loin de vous menacer, le détrompa Arion avec un air mordant. Notez bien mes mots. Si je désirais m'emparer de ce que je veux, vous ne seriez pas de taille à m'en m'empêcher, je n'ai aucun doute là-dessus, même en vous y mettant à plusieurs.
Le patriarche des Vaillants fulminait clairement derrière son pupitre. Ses yeux bleus lançaient des éclairs de glace et les objets les plus légers commencèrent à léviter à ses côtés, signe que ses compétences psychokinétiques débordaient en réaction à de puissantes émotions.
- Au lieu de ça, poursuivit le Bélier, je respecte la tradition en passant par ce Conseil. (Il grimaça furtivement.) Et si ma bonne foi et une apocalypse prochaine ne suffisent pas à vous décider, j'ajouterai dans la balance, un savoir d'un grand intérêt pour l'ordre des Forgerons.
Sa phrase fit dresser l'oreille au nouveau représentant dudit ordre, un fin sourire étirant sa bouche lippue. Intérêt de l'artisan ou avarice ? Le Chevalier était incapable d'en juger.
- Que pourrais-tu bien nous enseigner ? J'ose espérer que tu te souviens que c'est nous qui avons parachevé ta formation dans cet art.
L'érudit de Blue Graad fixa tour à tour le Bélier et Arefin, comprenant que quelque chose se jouait entre les deux.
- Je me rappelle de la bienveillance de Alairë à mon égard et chacune de ses leçons est autant un trésor que celle de feu mon mentor, Mû. (Un brin de nostalgie s'était glissé dans sa gorge.) Ce que que je vous offre en retour est l'art secret des runes que j'ai eu l'occasion de découvrir auprès des forgerons Nains lors de mon séjour à Asgard. Vous-même savez à quel point ce peuple est révéré pour son travail des métaux. Presque autant que vous.
A nouveau, une vague de messes basses naquit parmi les spectateurs, et de manière encore plus animée parmi les artisans métallurgistes.
- C'est en effet un cadeau difficile à refuser, reconnut Arefin en tiraillant sa barbe. Peut-être même d'une valeur suffisante pour l'échanger contre ce que tu recherches.
Arion remarqua du coin de l’œil que Meadhrom s'était quelque peu apaisé, même s'il ne décolérait pas pour autant. En effet, ce dernier voyait parfaitement que son plus important allié était en train de retourner sa veste. Seul, il ne pourrait tenir le front.
Constatant qu'un semblant de calme était revenu dans les lieux, Llauron se saisit de l'occasion pour reprendre la parole. Sa voix était affaiblie par toutes les émotions ayant secoué son cœur, néanmoins il tenta de n'en rien laisser paraître :
- Je propose que nous procédions au vote. Que ceux qui sont favorables à laisser le jeune Arion étudier nos archives et repartir avec ce qu'il y aura appris, en échange des connaissances offertes lève une main.
Trois s'élevèrent : Archiviste, Clairvoyant et Négociant. Les Sourceurs se gardèrent d'émettre un vote. Une neutralité était tout à fait permise, seule une égalité pouvant amener les non-votants à se prononcer pour trancher. Les Forgerons finirent par se prononcer à leur tour en faveur de la question. Le visage de Maedhrom demeurait fermé et il n'esquissa pas le moindre geste, campant sur ses positions.
- Quel imbécile, maugréa le Bélier à voix si basse que seul son compagnon proche l'entendit.
- Avec ces quatre voix, la requête d'Arion du Bélier, Chevalier d'Or au service de la déesse Athéna est acceptée.
Dvarog lâcha un soupir de soulagement. Il n'avait compris qu'une brève partie de chaque échange, mais les émotions sur les visages et les intonations de chaque voix avaient suffi à lui offrir un récit plutôt fiable. Même s'il avait bien cru que la situation allait devenir explosive au moment où le Bélier avait commencé à relâcher son énergie.
Il s'avisa alors que le jeune Chevalier le regardait avec un sourire d'excitation contenue.
- C'est maintenant que le véritable défi commence.
Thangka :
Littéralement « chose que l'on déroule », « rouleau ». Peinture ou dessin sur tissu suspendu originaire d'Inde et caractéristique de la culture bouddhiste tibétaine, que l'on enroule et déroule au moyen de deux baguettes passées dans des ourlets.