Une Dernière Bataille

Chapitre 38 : Troubles Nocturnes - Seconde Partie

8881 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 14/12/2024 08:56

28 avril 1997

Grèce, Sanctuaire

 

Elle se dégagea aussi délicatement qu'elle put, écartant le bras posé en travers de sa poitrine et roula hors du lit. A la faveur des faisceaux lunaires qui rayaient la pièce de nuances bleutées, elle entreprit de s'habiller en silence. Son visage exprima une grimace d'inconfort lorsqu'elle sentit ses vêtements frotter sur ses marques, et elle repensa avec un certain dégoût au sexe flasque encore plaqué contre sa cuisse quelques instants plus tôt.

D'ici une heure ou deux, cette même cuisse, ainsi que le haut de ses bras et peut-être son ventre prendraient une teinte foncée, là où les doigts de l'homme, parfois ses poings s'étaient attardés, imposant à sa chair leur empreinte.

Non, pas un homme, pensa-t-elle avec amertume, car aucun homme n'aurait pu lui infliger cela. Un dieu.

Son dieu. Et pourtant, il était aussi l'être infligeant les pires outrages à son intimité. Elle connaissait son caractère ombrageux, emporté et colérique. Toutefois, elle était lasse de subir. Elle serra les poings et ses ongles se plantèrent dans ses paumes, alors que des larmes venaient gonfler ses yeux à la délicate teinte verte, sans pour autant couler.

Et cette femme, cette Athéna, qu'avait-elle eu à contrarier toujours plus le Seigneur des Vents ? Quand il était dans un tel état, il se montrait encore plus violent qu'à l'accoutumée. Une colère grandissante s'empara d'elle, imprégnée d'un soupçon de haine.

Comment cet … imbécile divin ne pouvait pas voir ce qui se passait sur ses propres terres ! Les catastrophes, les assauts de plus en plus pressants de ses rivaux, tout comme ceux de créatures ténébreuses. Il traitait Marduk d'arriviste, mais elle se demandait finalement s'il ne serait pas un meilleur parti à servir.

Elle lorgna l'angle de la pièce où était posée l'arme dont Enlil ne se séparait guère, bien qu'Athéna ait fait mention d'une interdiction à apporter de telle menace au sein du Sanctuaire.

La masse d'armes finement ouvragée possédait une tête ronde s'ornant sur le pourtour d'un épais entrelacs de barres verticales dorées. Elle ne resplendissait pas autant que la mythique Sharur, l'arme de Ninurta, le propre fils d'Enlil, mais l'inspiration artistique était clairement là.

Un fugace instant, elle s'imagina soulever la masse à grand peine et l'abattre sur le crâne du Seigneur des Vents, broyant le faciès honni. Un sourire involontaire vint fleurir sur son propre visage et elle finit par secouer la tête lorsqu'elle le remarqua, ahurie par tant de stupidité. Le dieu l'aurait tuée bien avant.

Sa colère retomba, feu douché par la froide averse de la réalité.

C'est alors qu'une ombre voila son regard, la pièce basculant dans le noir complet. Les braises de sa rage, tout juste encore rougeoyantes une seconde auparavant, explosèrent en un brasier incandescent. Toute autre émotion se retrouva annihilée par une urgente envie de destruction.

 

Linus marchait d'un pas rapide en remontant le couloir de cette aile du Palais, s'éclairant à la chiche lueur de sa lanterne électrique – les flambeaux muraux disposés dans le couloir n'émettaient plus qu'une faible lueur. Il lui semblait avoir entendu des bruits quelques instants plus tôt.

Linus s'approcha prudemment de la porte donnant sur l'appartement d'où provenaient les sons. Il savait qui se trouvait derrière et se rappelait encore les cris étouffés au timbre indéniablement féminin, perçus au cœur de la nuit lors de sa ronde précédente.

Sans prévenir, le mur explosa à deux longueurs de bras de lui et une force invisible le frappa, l'envoyant s'étaler par terre, couvert de poussière et écorché par les débris.

Il n'avait rien vu, uniquement subi cette bousculade immatérielle à ses yeux, mais pour quelqu'un ayant grandi au Sanctuaire, il sut ce qui l'avait repoussé : une vague de cosmos.

Sonné, il distingua à peine le mouvement suivant.

De nouveau, une bourrasque le cingla, tandis que deux formes jaillissaient de la brèche. Elles allèrent toutes les deux percuter le mur d'en face, la première encastrée dans la paroi par la seconde. Le tremblement des fondations du bâtiment remonta jusqu'à Linus qui n'avait pas bougé.

Il reconnut le dieu mésopotamien dans son plus simple appareil, son bras gauche pendant le long de son flanc, alors que le sommet de son épaule était réduit à un macabre tableau de chair écrasée. Sa main droite, intacte et ferme, était refermée sur la gorge de l'autre personne qu'il tenait à bout de bras.

Un vent surnaturel balayait le couloir où ils se trouvaient tous, agitant la longue barbe tressée de l'être divin en faisant cliqueter les bagues de métal doré qui y étaient mêlés.

Son adversaire était une femme vêtue en civil aux longs cheveux noirs ondulés et à la peau bronzée. L'une de ses mains tenait une massue dorée, que retenait tant bien que mal le dieu de son bras blessé, tandis que l'autre tentait de desserrer l'étau appliqué sur sa gorge. Tous les muscles de son corps étaient tendus, comme des cordes sur le point de se rompre.

La guerrière appuya une jambe contre le mur pour y prendre appui et lança l'autre d'un mouvement vif dans les parties intimes d'Enlil.

Le souffle du dieu se bloqua brusquement dans sa gorge et ses traits se contractèrent alors qu'il vacillait sur ses jambes. Sa prise se relâcha sensiblement et la femme en profita pour achever de se dégager.

Elle fit décrire un arc-de-cercle vertical à son bras armé, l'envoyant cogner contre le visage du Seigneur des Vents. La tête de celui-ci partit en arrière dans un bruit de déchirure mouillée. Lorsqu'elle revint à sa place, la guerrière avait appelé son armure pour la recouvrir.

Sur sa tête, un casque couvrait la moitié supérieure de son visage, évoquant le profil d'un rapace avec son puissant bec noir et lapis-lazuli descendant jusqu'à l’extrémité du nez. De petites plaquettes tubulaires en ivoire complétaient la cervelière en formant comme une parure épousant sa nuque.

Une collerette de très fines plumes de métal, semblables à du duvet, entourait son cou et reposait sur ses épaulières aux formes arrondies. Un plastron incrusté d'obsidiennes et constitué de longues lamelles finement ouvragées, où s'entremêlaient d'étroites bandes de tissu foncé, couvrait sa poitrine. D'étroites plaques allongées tombaient comme les pans d'un manteau de part et d'autres de ses hanches.

Partant de ses genoux, des jambières se terminaient par trois doigts griffus évoquant de grandes serres, tandis que ses avant-bras se paraient de gantelets aux doigts griffus également.

L'ensemble arborait des couleurs ternes, allant du sable à l'écru en passant par le brun, rappelant la palette chromatique d'un être du désert.

L’œil valide d'Enlil, l'autre probablement perdu au milieu des chairs meurtries, la toisa alors que s'y cristallisaient tout le mépris et la rage qu'il éprouvait en cet instant.

La femme attaqua à nouveau avec une ardeur presque fébrile, mais le dieu n'avait plus l'intention d'être touché par sa propre arme. Il dressa une barrière faite de flux aériens autour de ses jambes et de ses avant-bras, semblables à de tempétueux tourbillons.

Il para sans mal les coups et frappa la femme d'un coup de poing en plein plexus solaire, la propulsant en suivant une trajectoire rectiligne dans un cortège de débris métalliques.

A l'échelle d'un humain lambda, la scène n'avait durée qu'un court laps de temps, bien insuffisant pour que Linus se relève suffisamment vite et fuie. Il avisa donc avec une stupeur grandissante le véritable boulet de canon humain qui arrivait sur lui. Le serviteur imagina ses restes disloqués et par réflexe ferma les yeux.

 

L'individu faisant face à Ban et Nachi était encore quelques instants auparavant le simple tenancier de l'auberge où ils se rendaient de temps à autre pour boire un verre. Du moins, c'était le cas jusqu'à ce qu'il éclate le verre qu'il s'apprêtait à servir dans la face d'un client et encastre la tête d'un autre dans l'épais bois du comptoir, après l'avoir attrapé par les cheveux.

D'abord pétrifiés de stupeur, un mouvement de panique s'initia parmi les autres clients. L'établissement se vida en l'espace de quelques minutes, ne laissant plus que les deux Chevaliers de Bronze en compagnie du forcené.

- Calmez-vous Emílios, l'enjoignit Nachi en levant les mains en signe d'apaisement. On peut discuter calmement de ce qui ne va pas.

L'homme fit le tour du comptoir, où le sang de ses victimes finissait de se mêler à la bière répandue, gouttant sur le sol en un bruit régulier. A première vue, l'homme montrait une attitude hésitante jusqu'à ce qu'il se jette d'un bond sur le duo. L'évitant sans peine, le Petit Lion en profita pour lui attraper le bras et le lui tordre dans le dos afin de l'immobiliser.

- Stop ! Vous n'arrangez pas votre cas, mon vieux.

Nachi qui observait silencieusement son demi-frère maintenir sa contrainte physique, trouva étrange qu'Emílios ne manifeste pas plus de gêne face à cette prise. Il était peut-être en proie à une sorte de folie, mais la douleur ramenait souvent les gens à la raison. Pas lui visiblement.

- Ban …

 

Un choc sourd, pareil à deux pièces de métal se rencontrant, atteignit les oreilles de Linus et la curiosité prenant le pas sur la peur et le choc, il rouvrit lentement les paupières.

Agenouillé devant lui se tenait un jeune homme, un adolescent à vrai dire, mais au dos large et déjà puissant. Son bras gauche dressé face à lui en un geste protecteur était porteur d'un long bouclier à la forme rectangulaire.

Revêtu d'une armure à l'éclat argenté, il se redressa, révélant un corps trapu. Sans détacher son regard bleu acier de la guerrière qui avait rebondit sur sa défense, il s'adressa à Linus :

- Courez vous mettre à l'abri.

Libéré de sa sollicitation, son bouclier se rétracta, prenant des proportions plus réduites pour couvrir son gantelet à la manière d'un large ornement.

Ne se le faisant pas dire deux fois, le serviteur se releva et partit en sens inverse, aussi vite que lui autorisèrent ses jambes rendus flageolantes par toutes ces émotions fortes.

- Et prévenez le Grand Pope, ajouta la jeune fille qu'il croisa, alors qu'elle s'avançait pour rejoindre l'autre Chevalier.

Ses yeux avaient le même éclat bleuté. Un frère et une sœur ?

Deux Chevaliers d'Argent, pensa Linus en tournant au coin du couloir. J'espère qu'ils s'en sortiront.

C'est alors que se mit à retentir le tocsin du Domaine Sacré.

 

L'aubergiste dégagea son bras d'un mouvement sec qui prit le grand Japonais au dépourvu. Tant et si bien qu'il reçut un violent crochet qui lui écorcha la pommette. Sans manifester la moindre parcelle d'énergie, l'homme possédait une réactivité et une force surhumaine. Décidément, quelque chose clochait avec lui.

- Pas deux fois, avertit le Petit Lion en esquiva souplement un enchaînement de frappes désordonnées.

Il allait répliquer lorsque le forcené accéléra à nouveau sans prévenir. Cependant, le Chevalier de Bronze était sur ses gardes et il réussit à reprendre de la distance. N'en étant pas à son premier combat, il décida de ne pas laisser la situation lui échapper davantage.

Il enflamma son cosmos, se nimbant d'une lueur orangée et plaça une main devant lui, paume sur le côté, annulaire et auriculaire repliés et entama la récitation en boucle de mantras.

- Shingon Shōheki.

Des symboles se matérialisèrent aussitôt face à lui, créant un mur, et d'une légère torsion du poignet, il les fit s'avancer vers Emílios.

Ce dernier se mit à attaquer violemment et inlassablement la barrière lumineuse. Rapidement, les écritures se couvrirent de sang alors que la peau de ses poings s'arrachait. Le son d'os s'abîmant arriva ensuite jusqu'aux oreilles des deux Chevaliers de Bronze.

L'homme frappait sans discontinuer, à s'en briser les poings. Il désirait absolument briser cet obstacle apparu entre lui et sa cible.

- Ça suffit ! cria Nachi sans résultat, avant d'adresser un signe à Ban.

Le Petit Lion comprit le message et modulant les formules prononcées, il créa trois autres écrans pour former une cage autour du forcené. Comprimé, réduit à l'impuissance, celui-ci restait malgré tout très agité.

- Et maintenant …

Un carillonnement subit vint interrompre sa phrase.

- Hé, ils n'ont quand même pas sonné le tocsin juste pour ça ? s'étonna Ban.

- Non, il doit y avoir autre chose, reconnut le Loup.

Ils ressentirent un cosmos agressif exploser bien au-delà de leur position.

 

- L'incendie est enfin maîtrisé, annonça June en passant une main sur son front luisant de sueur, étalant un peu plus la suie qui s'y était collée.

En dépit de tous leurs efforts, l'écurie avait brûlé très rapidement, créant un vent de panique parmi les chevaux qui se trouvaient dans leurs stalles.

Toutefois, l'alarme avait rapidement été donnée et une chaîne humaine dont chaque maillon était vecteur d'une eau salvatrice, avait pu être formée. Les animaux avaient pu être évacués, certains devant même être rattrapés par les palefreniers avant qu'ils ne se fassent du mal ou s'égarent on ne sait où.

Quelques bâtiments proches avaient commencé à subir les assauts du feu, mais étant majoritairement constitués de pierre, ils n'en écopèrent que pour quelques planches noircies au final.

Mei Ling observa son ancienne professeure. Celle-ci paraissait la même que dans ses souvenirs, hormis sa coiffure qu'elle avait indubitablement changé au cours des deux dernières années écoulées. Habituée à la voir porter les cheveux longs, cela avait pris quelques temps à la jeune Chinoise pour assimiler cette nouvelle coupe courte.

Côté gauche, en partant de l'oreille, les cheveux avait été coupés selon un dégradé, allant du très court jusqu'à retrouvés une certaine longueur au sommet de son crâne. A partir de là, ses cheveux blonds retombaient à droite en une sorte de frange assez longue.

Mei Ling décida que cela lui allait bien.

Pour le reste, ses grands yeux bleus recelaient toujours cette gentillesse qu'elle y avait découverte des années auparavant, au moment où June l'arrachait à l'enfer qu'avait été son enfance.

- Tout va bien Mei Ling ?

La question la tira de ses pensées.

- Oui, croassa-t-elle la gorge desséchée. Juste cette fumée ...

Elle toussa à plusieurs reprises.

Afin de sauver les derniers animaux que les flammes avaient piégés, les deux jeunes femmes avaient été contraintes de s'avancer dans le brasier. Enveloppées dans une aura les protégeant pour un temps de la chaleur, elles avaient pu soulever la poutre effondrée qui barrait la sortie.

- Va te rincer la bouche. Et bois un peu, mais pas trop, lui conseilla la Chevaleresse du Caméléon.

S'approchant d'un des seaux encore remplis, la jeune femme s'exécuta.

- Est-ce que l'on a retrouvé l'incendiaire ? entendit-elle June demander à l'un des gardes qui leur avait prêté main-forte.

- Non. Apparemment, il a été vu s'enfuyant vers les bas-quartiers.

- Hmm, il y a des passages qui permettent de se rendre dans les montagnes sans être inquiété par la garde. Mais c'est autre chose de les franchir pour un être humain lambda. Autant dire qu'il a peu de chances de s'en sortir. (Elle soupira en secouant la tête.) Qu'est-ce qui a bien pu lui traverser l'esprit ?

- Du seul témoin que nous avons pu interroger, répondit-il en désignant quelqu'un d'un geste de la main, tout est allé très vite. Il a vu Kléarchos se disputer avec Photios pour une raison inconnue, quand ce dernier est soudainement devenu comme fou. Il a massacré à mains nues son camarade et a ensuite mis le feu aux écuries.

- Merci pour ces informations, dit June. Je ne vous retiens pas plus longtemps, le capitaine Nereus doit attendre votre rapport.

Elle se détourna du soldat qui la salua respectueusement et s'approcha de Mei Ling, toujours agenouillée près du seau d'eau.

- Les retrouvailles sont un peu plus mouvementées que prévu hein, dit le Caméléon.

Son ancienne élève approuva d'un hochement de tête. Effectivement, avant ces tumultueux événements, les deux jeunes femmes venaient tout juste de trouver l'occasion de se réunir, June ayant d'abord été retenue par ses obligations d'intermédiaire envers la déesse slave, puis par diverses affaires en cours. Tout cela en sus du fait que le Sanctuaire couvrait une zone très étendue, ce qui impliquait qu'y croiser quelqu'un sans point de rendez-vous relevait souvent du miracle.

- Nous devrions nous rendre aux thermes pour nous débarrasser de tout ça, proposa June en désignant leurs peaux maculées d'un mélange noirâtre. Nous pourrons reprendre notre conversation sur ton voyage.

Elle achevait tout juste sa phrase qu'une forte vibration d'énergie les alerta, leurs regards se tournant immédiatement en direction du Palais du Grand Pope.

 

Sans prêter attention aux nouveaux arrivants, ni au carillonnement dont les échos se répercutaient toujours, la guerrière mésopotamienne repartit à l'attaque.

- Je ne sais pas ce qu'il a pu lui faire, mais elle n'a clairement pas apprécié, nota le jeune homme.

- Ce n'est pas le moment de plaisanter, Timur, le rabroua sa sœur d'armes. Tiens-toi prêt.

Le Chevalier de l’Écu lui adressa un vague grognement, mais obtempéra, avant de commenter :

- C'est bien trop rapide, ça ne peut pas être eux la menace dont nous avertit le tocsin. Un assaut général ?

La jeune fille ne put qu’acquiescer à son raisonnement, incertaine quant à la suite des événements.

Les murs du couloir vibraient face aux pouvoirs qui se déchaînaient, commençant sérieusement à se lézarder par endroits. Un puissant vent mugissait en réponse à l'ire du dieu mésopotamien. C'était bientôt toute la structure qui serait menacée.

En toute franchise, les deux jeunes Chevaliers d'Argent n'en menaient pas large. Leurs genoux menaçaient de s'entrechoquer, leurs estomacs de rendre leurs contenus et leurs fronts brillaient d'une mauvaise sueur.

Toutefois, le Grand Pope lui-même avait été leur enseignant, leur inculquant un savoir plurimillénaire ainsi que sa propre expérience avec les divinités. Enfin, côtoyer la déesse Athéna de plus ou moins près lors de ces entraînements martiaux les avaient également familiarisés avec l'influence du cosmos d'un être divin.

Inspirant un bon coup, la Chevaleresse d'Argent enflamma son cosmos, jetant des lueurs métalliques sur les parois. Elle ramena son bras droit vers l'arrière, bandant ses muscles et le projeta vers l'avant, poing fermé en expirant. Elle répéta l'opération à de multiples reprises, à une telle allure que son bras brouillé par la vitesse disparaissait au regard.

- Esaret Oklar !

Une nuée de traits d'énergie blanche s'envolait de son avant-bras à chaque aller-retour, comme autant de salves de flèches décochées par un peloton d'archers.

Certains possédaient une nature éthérée destinée à perturber la cible par une menace factice, tandis que d'autres à l'impact bien réel se cachaient au milieu du reste pour frapper les zones à découvert.

Comme elle s'y attendait, Enlil n'y prêta absolument pas la moindre attention. Les flèches n'arrivaient même pas jusqu'à lui, dispersées par son enveloppe de vent.

En revanche, d'autres trouvèrent leur chemin pour se ficher dans les interstices de l'armure de la guerrière, notamment au niveau de ses jambes. Aussitôt des chaînes jaillirent des fûts pour venir s'enrouler autour des mains de la servante d'Athéna.

Elle s'apprêtait à tirer dessus lorsque sa cible se retourna d'une torsion de buste et lui lança une sphère de cosmos concentré.

Se plaçant au-devant de l'attaque, Timur déploya son énergie en brandissant son bouclier. Gavé de cosmos, celui-ci érigea une défense aux allures de pavois sur laquelle vint s'écraser le projectile en crépitant. L'impact le repoussa légèrement.

Sa sœur d'armes agit en retour et tira violemment sur les chaînes qu'elle tenait toujours. La traction brusque fit chuter la guerrière mésopotamienne.

La jeune fille pensait la tracter jusqu'à elle et ainsi séparer les deux belligérants, mais Enlil ne vit pas les choses de la même manière.

Il bondit, ou du moins donna cette impression aux deux Chevaliers d'Argent tant sa célérité les surprit. Son pied s'abattit sur le bras tenant l'arme divine et le brisa net. Aucun son ne s'échappa des lèvres de l'agressée. Il leva à nouveau le pied.

Profitant de l'angle mort du Seigneur des Vents, le Chevalier de l’Écu se précipita pour amortir le coup, son bras gauche infusé d'un cosmos argenté. Le jeune homme se fit aussi petit que possible derrière son bouclier, qui arborait une fois de plus sa large forme rectangulaire, et encaissa le choc qui l'ébranla jusqu'aux tréfonds de son être. Il crut entendre quelque chose plier. Non, se tordre.

Courroucé, le dieu frappa cette fois de son poing enveloppé de flux aériens.

- Taşı Duvar !

- Pauvre fou, cracha Enlil.

Avec une puissance à nulle autre pareille, le coup fracassa une partie du bouclier, fissurant largement le gantelet et l’épaulière au derrière. Timur sentit les os de son bras protester, avant de crier leur souffrance en se fracturant. Il hurla de douleur.

Enlil souleva le bord désormais irrégulier du bouclier et envoya le Chevalier d'Argent voler jusqu'aux pieds de sa sœur d'armes.

Paume ouverte, le dieu mésopotamien imposa sa volonté à sa masse, désormais libérée de la poigne curieusement inébranlable de la guerrière et la fit venir jusqu'à lui. L'arme s'éleva, puis retomba tel un météore, pulvérisant le crâne de la femme comme un coquille d’œuf. L’écœurant bruit souleva l'estomac du duo de Chevaliers.

Situés à seulement quelques mètres de là, ils frissonnèrent irrépressiblement lorsque Enlil darda son œil unique sur eux. Il les désigna en pointant son arme toujours poisseuse d'humeurs cérébrales.

- Lève-toi ! cria la jeune fille à son compagnon, tout juste en train de se remettre d'aplomb.

Timur serrait son bras gauche avec le droit pour le maintenir contre son flanc.

Tous deux savaient instinctivement que leurs efforts étaient futiles. Le Seigneur des Vents serait sur eux en un battement de cils. Toutefois, ne pas s'avouer vaincu faisait partie intégrante de l'apprentissage d'un Chevalier d'Athéna.

Effort futile. L'aura du dieu écrasait les leurs avec une violence inouïe, leur donnant le sentiment de vouloir s'enfoncer dans le sol pour y disparaître.

Soudainement, il s'arrêta et porta une main à sa tête, comme si la douleur de ses blessures venait finalement le titiller. Les veines de son cou saillaient, tendues par un effort invisible. Finalement, il se secoua comme pour s'ébrouer en frissonnant et focalisa de nouveau son attention devant lui. Quelque chose avait subtilement changé.

- Stoppez cette folie immédiatement, Seigneur des Vents ! éclata une voix au bout du couloir.

Des ondes de cosmos emplirent l'espace, l'illuminant de leur nuance dorée et distillant réconfort et chaleur aux deux Chevaliers d'Argent. Sans même se retourner, ils surent que la déesse aux Yeux Pers venait d'entrer en scène. Ils étaient sauvés.

 

Pour autant, Enlil garda sa masse levée et son aura s'intensifia autour de lui. En réponse, Athéna accrut le déploiement de son propre cosmos et leva son célèbre sceptre. En cet instant, ce dernier n'arborait pas sa classique figure circulaire, emblème de la Sagesse, mais une pointe aiguë encadrée par une paire d'ailes courbées. Telle était la lance de la Guerre.

- Je ne vous le conseille pas, le prévint-elle.

Le temps parut s'étirer entre eux, jusqu'à ce que le dieu mésopotamien ne cligne de l’œil plusieurs fois, comme au sortir d'un rêve, et fronça les sourcils.

- Athéna … que fais-tu ? Tu me menaces ?

- Ce serait plutôt à moi de vous poser cette question, Seigneur Enlil. (Elle fit reposer l'embout de la hampe sur le sol, devenant moins provocante.) Vous vous déchaînez dans l'un des bâtiments les plus sacrés du Sanctuaire et vous vous apprêtiez à attaquer deux de mes Chevaliers.

- Et que faisaient-ils, ces misérables, si proches de mes appartements ? renchérit-il aussitôt. En y réfléchissant, ils sont intervenus un peu trop vite à mon goût.

- Vous devriez plutôt louer leur promptitude à accomplir leur devoir et le soutien qu'ils souhaitaient vous apporter au lieu de les accuser, contra Athéna.

- Du soutien ? s'étrangla le Seigneur des Vents. Pour venir à bout de cette catin ?

- Pourquoi avoir tué cette femme ? demanda Athéna en jetant un bref coup d’œil au cadavre. N'était-elle pas l'un des membres de l'ordre qui vous sert ?

- Elle est devenue folle et a tenté de m'assassiner dans mon sommeil ! cria presque Enlil avant de se reprendre visiblement, et étrangement, ébranlé. Mais elle n'aurait jamais pu oser, elle me craignait trop. (Son œil valide s'étrécit.) D'ailleurs, je trouve étrange qu'elle se retourne contre moi le jour même où nous sommes conviés sur tes terres. D'autant que je n'ai pas été l'un de tes soutiens lors de notre réunion.

La déesse de la Sagesse soupira.

- Autant être franche, je vous trouve complètement paranoïaque.

- Ha ! Des insultes maintenant.

- Non, un constat éloquent de votre comportement. Tout ceci devrait vous donner à réfléchir, mais vous ne faites que médire sur mes intentions. Et ça, dès nos premiers échanges. Le Sanctuaire est en état d'alerte, alors que je vous découvre en train de livrer bataille ici. Je pourrais tout aussi bien dire que vous êtes la cause de tout cela.

Les narines du Seigneur des Vents frémirent d'indignation.

- Je ne suis pas certaine que nos pairs puissent remettre en question ma décision si je cherchais à vous éliminer. (Son cosmos enfla rapidement avant de refluer tout aussi vite.) Cependant, telle n'est pas mon intention. Alors, encore une fois, je vous tends la main.

Enlil la fixa pendant un long moment sans rien dire, ni laisser entrevoir ce qui pouvait lui traverser l'esprit.

- Garde tes forces pour ce que tu crois qu'il va advenir, Athéna, je n'y prête pas foi.

Son regard glissa très fugacement sur le cadavre de sa servante et son ton se durcit lorsqu'il enchaîna :

- Et si comme tu le dis, la guerre est à nos portes, j'espère que ce n'est pas toi qui l'y conduiras. Auquel cas … .

La lourde tête de son arme, qu'il n'avait pas lâchée de tout leur dialogue, s'abattit dans sa paume libre avec un bruit mat.

- Je quitte sur-le-champ ce lieu de malheur.

Grâce au pouvoir de sa masse d'armes, il se mit à léviter au-dessus du sol, et levant le bras, il s'envola à travers l'un des trous du plafond. Puis, pointant l'arme en direction de l'est, il s'éloigna à toute vitesse comme tracté par elle, disparaissant dans la nuit.

 

Dès l'aurore, la salle d'audience du Grand Pope se retrouva bouillonnante d'activité, l'intense brouhaha menaçant de déclencher une migraine chez Marin.

Linus était venu la tirer du sommeil pour l'informer de la situation, mais même sans son action, entre le raffut imposé par le tocsin et les ondes engendrées par le pouvoir d'Enlil, elle était déjà en train de revêtir l'habit de sa fonction lorsqu'il l'avait trouvée.

En chemin pour rejoindre la vaste pièce, Saori l'avait rejointe, le front barré d'un pli soucieux, mais avant que Marin ait pu l'interroger, toutes deux se retrouvaient à prendre leurs places respectives, l'une sur le siège comparable à un trône et l'autre debout à ses côtés en appui fidèle.

Ensuite, s'en était suivie une succession de rapports et de comptes-rendus sur les événements de la nuit, à commencer par le retour de ses deux disciples : Tahmirih de la Flèche et Timur de l’Écu, des jumeaux turcs. Même s'ils avaient été sacrés Chevaliers, elle gardait un certain attachement pour eux, tout comme cela avait été le cas avec Seiya.

Dix ans déjà, songea-t-elle.

Bien vite, elle dût chasser les souvenirs qui commençaient à éclore pour se recentrer sur le présent. Elle y repenserait plus tard.

Donc, les deux Chevaliers d'Argent, encore sous le coup de l'émotion qu'ils maîtrisaient à grand peine, lui avait raconté la fin du combat entre Enlil et sa servante. D'après les renseignements glanés au cours de leurs recherches et du savoir recelé par la Grande Bibliothèque du Sanctuaire, celle-ci faisait partie des Sibitti, l'ordre le plus puissant parmi les troupes du Seigneur des Vents. Au nombre de sept, ils formaient sa garde rapprochée.

Alors pourquoi l'a-t-elle attaqué ? s'interrogea Marin. Ça n'a pas de sens.

Une partie de son esprit lui rappela que vingt ans plus tôt, un fait similaire causé par un certain Chevalier d'Or des Gémeaux s'était produit au Sanctuaire.

Oui, admit-elle, Saga a bien tenté le coup.

Mais Enlil a aussi parlé de Marduk. Est-ce que ce dernier aurait pu corrompre la gardienne ? Elle aurait ainsi profité de leur venue, à l'abri des regards de ses pairs pour l'assassiner, et ensuite faire porter le chapeau au Sanctuaire ?

Non, c'est un scénario trop bancal, conclut-elle. Qu'aurait-il eu à y gagner à part l'inimitié d'Athéna et du Sanctuaire ?

Puis vint le tour de leurs hôtes divins. Un tel remue-ménage les ayant immanquablement fait apparaître dans la salle d'audience avec armures, armes et cosmos déployés, prêts à défendre chèrement leurs existences pour certains d'entre eux.

Il leur avait fallu déployer des trésors de diplomatie à elle et Saori, afin de calmer les esprits tantôt déconcertés, voire intrigués, tantôt échauffés. Les agissements relatés d'Enlil avaient toutefois fait rapidement grand bruit, soulevant bon nombre de questions, sur lesquelles toute la lumière devrait être faite. D'un geste silencieux, Athéna indiqua clairement à Tsukuyomi de ne pas intervenir sur le sujet. Pour l'heure, la patience était de mise.

 

Le capitaine Nereus entra à leur suite pour établir ses rapports sur les incidents vécus par le Sanctuaire au cours des dernières heures. Un incendie, quelques rixes inexplicablement violentes dont la majorité s'étaient soldés par des victimes et la fuite des fauteurs de troubles dans les montagnes environnantes.

Seuls Ban et Nachi avaient réussi à capturer l'un de ces forcenés qui était à présent détenu dans la prison du Sanctuaire. Il avait fallu le ligoter à l'aide de chaînes pour qu'il ne blesse plus personne et surtout pas lui-même. Depuis lors, il était resté mutique.

A présent, face à elles se tenait Arion accompagné de Geki et Ikki. Tandis que ces deux-là parvenaient à arborer une figure plus ou moins neutre, le premier paraissait clairement avoir passé une nuit désastreuse, comme le soulignait les cernes profonds marquant ses yeux bleu violet.

- Nokomis est morte, lâcha le Chevalier de la Grande Ourse.

Il était visiblement touché par la nouvelle qu'il apportait et se délester de ce poids ne le soulagea visiblement pas.

- Quoi !? s'exclama Saori, totalement abasourdie. Que s'est-il passé ?

L'explication ne lui vint pas du colosse Japonais, mais du jeune Chevalier d'Or.

- C'est moi le fautif, Athéna. J'ai permis que tout ceci se produise.

Cette dernière fronça les sourcils.

- Mais que pourrais-tu bien avoir à te reprocher ?

- Autant t'arrêter tout de suite, Arion, intervint Ikki. Je suis l'unique coupable puisque Nokomis a péri par ma main.

Sa voix demeurait neutre, mais Marin perçut toutefois un certain trouble derrière.

- Attendez !Attendez ! fit Saori en se levant du siège qu'elle occupait. Je ne comprends rien à vos explications.

La combinaison éprouvante de la précédente réunion, des troubles menant à des morts et de la confrontation suivie du départ du dieu le plus récalcitrant à l'alliance qu'elle proposait, était en train de mettre les nerfs de la déesse de la Guerre à rude épreuve. Pour couronner le tout, on lui annonçait brutalement le décès d'un de ses soutiens. Une certaine crispation naturelle occupait donc ses traits à cet instant.

Le Bélier entreprit de leur raconter la vision qu'il avait subie plusieurs heures auparavant et les difficultés auxquelles il avait dû faire face à son issue. Il n'oublia pas de citer l'aide apportée par Aponi.

- Et ces ombres vous auraient suivis ? questionna la déesse grecque.

- J'en suis convaincu.

- Les dernières paroles de Nokomis le confirme, révéla Geki. Elle nous prévenait qu'ils ne revenaient pas seuls.

- Et c'est l'une d'entre elles qui a poussé Ikki à s'en prendre aux personnes qui l'entourait, ajouta Arion.

Comme le Chevalier du Phénix se sentit brusquement observé, il tâcha d'apporter des éléments complémentaires, comme pour exorciser ce trouble qui lui collait à la peau depuis plusieurs heures :

- En moins d'une seconde, j'ai senti mon état d'esprit changer. Je me suis mis à ressentir une profonde colère et une brusque haine envers les premières personnes sur lesquelles mes yeux se sont attardés. La suite vous la connaissez.

Geki et Arion apportèrent toutefois quelques précisions supplémentaires quant à l'état second d'Ikki.

- Les rapports du capitaine Nereus et l'attitude du tenancier incarcéré semblent converger vers un tableau bien sombre, conclut Marin. Il semblerait que les différents infectés, si je peux les appeler ainsi, ne sont pas parvenus à quitter cet état, excepté Ikki. Pourquoi ?

- Est-ce parce que c'est un Chevalier ? hasarda la Grande Ourse.

- C'est une piste possible..., commença Marin.

- Les techniques de contrôle mental fonctionnent mal sur moi, expliqua le Phénix. Si l'on excepte que j'ai un esprit exercé, j'ai déjà subi bon nombre de ce genre d'assauts, à commencer par le Genrô Maô Ken de Saga. Ici, la volonté derrière l'assaut était certes forte, mais passé l'élément de surprise je suis parvenu à reprendre le contrôle assez facilement. A mon avis, c'est ce qui m'a sauvé, mais pas avant d'avoir ...

Il n'acheva pas sa phrase, trop honteux des conséquences découlant de sa lutte intérieure.

- Athéna, pensez-vous que...

- Avec ces nouveaux éléments en notre possession, je suis définitivement convaincue que la servante d'Enlil a été manipulée par une ombre similaire.

- Comme tous les autres pauvres bougres à qui elles s'en sont pris, nota Geki en croisant ses bras massifs sur son torse. D'ailleurs, je me pose toujours la question depuis tout à l'heure : comment cela se fait-il que toi seul puisse les voir, Arion ?

- Je suppose que c'est parce que j'ai été en contact étroit avec elles, ou alors parce que je me suis rendu sur leur plan d'existence, ce qui m'a en quelque sorte « imprégné ».

- Combien vous ont suivis ?

- Quelques-unes, peut-être une dizaine, mais c'est une libération involontaire. Je crois que dès qu'une clé est insérée, plusieurs ombres sont libérées à la surface de notre monde.

- Mmm, fit Athéna songeuse. Ceci peut constituer une explication quant aux violences croissantes observées de part le monde depuis cette dernière décennie.

- Toutefois, nous ne savons pas de quelle manière elles choisissent leurs hôtes. Est-ce que c'est un hasard complet, ou sont-elles attirées par quelque chose ?

- J'ai une piste potentielle, déclara le Phénix.

Tous les visages se tournèrent vers lui.

- Si je me base sur les informations données par Nachi et Nereus, je dirais que ce sont les émotions négatives qui les intéressent.

- En effet, chacun a parlé d'échanges houleux de la part des forcenés avant qu'ils ne commettent l'irréparable.

- Mais toi, Ikki, argua Geki, tu n'étais pas dans cet état. Enfin, je ne crois pas.

Sa remarque fit naître un sourire désabusé chez le Phénix.

- Effectivement. Mais même si je la contrôle mieux qu'à l'adolescence et que je me suis apaisé avec les années, j'ai toujours une sorte de rage au fond de moi qui ne demande qu'à s'embraser. Et puis, avec mon passif de haine et de violence, je crois que j'ai dû leur paraître bien alléchant.

- Le point positif à garder en tête reste que ces ombres peuvent être détruites, déclara Marin.

- Je confirme, dit le Bélier. La créature a clairement été réduite en cendres. Cependant, si c'est l'hôte qui est tué, j'ignore ce qu'il advient d'elle. Peut-être recherche-t-elle immédiatement un nouvel être à posséder.

- Arion, s'enquit tout à coup Saori, penses-tu que l'une de ces entités puissent s'en prendre à … un dieu ?

La question avait été posée de manière banale, mais les personnes présentes perçurent l'inquiétude sous-jacente de la déesse grecque.

- Pour être franc, je ne sais pas, répondit l'interrogé. En plus, il est possible qu'une divinité incarnée et une réincarnée subissent ça de manière différente. Mais si c'est le cas, je ne serais pas vraiment rassuré à l'idée de voir un dieu sombrer dans une insatiable soif de destruction.

Une réponse bien incertaine, mais qui parut plonger Saori dans de sombres réflexions.

- Crois-tu pouvoir faire quelque chose avec le tavernier ? demanda Marin au Bélier, pour recentrer pour un temps au moins l'attention des uns et des autres sur un autre point.

- Je peux toujours tenter de voir s'il est possible de communiquer avec lui, mais impossible de vous promettre un résultat. Je ferais simplement de mon mieux.

- Et je ne t'en demande pas plus. Rends-toi à la prison du Sanctuaire et trouve les réponses que tu peux. Nous prendrons le temps de discuter du reste de ton songe plus tard.

- Très bien.

Le Bélier s'apprêtait à se détourner lorsque la voix d'Athéna, qui venait de relever la tête au sortir de ses pensées, le retint :

- Une dernière chose, Arion.

Ce dernier stoppa net son mouvement.

- Certaines des personnes présentes dans cette pièce sont-elles possédées ?

Un silence de mort s'abattit dans la salle d'audience.

Le Chevalier d'Or se retrouva soudain avec la bouche sèche. Il n'avait pas pensé à l'éventualité d'un espion étant donné l'attitude violente déclenchée par la possession. Après tout, il ne savait que peu de choses de ces créatures.

Le Tibétain décrivit une lente rotation sur lui-même, observant minutieusement les silhouettes et les visages de chacun. Il se morigéna intérieurement de ne pas y avoir songer dès son entrée.

- Non, finit-il par répondre, son examen terminé.

La déesse de la Sagesse lui adressa un hochement de tête, à la fois pour le remercier et pour lui signifier qu'il pouvait prendre congé.

 

Redescendant le chemin des Douze Temples, Arion fut rejoint par Tristan qui paraissait l'attendre sur les marches du Temple du Bélier. Celui-ci s'enquit de l'état de santé de son frère d'armes, sur le visage duquel les stigmates de l’épuisement se lisaient encore. Le Tibétain lui résuma la situation, tandis qu'ils prenaient la direction de la prison située plus à l'écart vers le nord-est.

Le soleil avait désormais franchi le sommet des montagnes et éclaboussait le Sanctuaire d'une pâle lumière blanche.

- Et tu dis qu'il t'a vu ? insista le Capricorne.

- Aussi fou que cela puisse paraître, il a regardé droit vers moi et m'a parlé ouvertement, lui confirma Arion. J'ignore comment c'est possible, mais je me demande s'il y a encore quelque chose qui ne me surprend pas chez lui.

Le Français se plongea dans ses pensées, suivant mécaniquement son compagnon.

- Et … comment s'appelle-t-elle déjà ? Aponi ? Comment va-t-elle ?

- Elle est fatiguée bien sûr. Mais aussi en état de choc après ce qu'elle a vécu. De ce que j'ai cru comprendre, Nokomis avait l'air d'être sa seule parente encore vivante. J'ai conseillé à Geki de la confier à Narya. Son don avec les énergies lui permettra peut-être de l'apaiser un tant soit peu.

Il s'arrêta de marcher et laissa échapper un profond soupir.

- Hé, fit le Français en posant une main réconfortante sur son épaule, ce n'est pas de ta faute.

- De même que ce n'est pas celle d'Ikki, mais ça ne change rien à la difficulté de cette situation.

Il se remit en marche sans un mot de plus. Le Capricorne le regarda un instant s'éloigner avant de lui emboîter le pas, espérant que de tels malheurs ne le conduiraient pas à nouveau dans les bras de son ancienne addiction.

Bientôt, ils se retrouvèrent à l'écart des habitations et progressèrent le long d'un étroit et interminable sentier pierreux. Parvenus à un virage, ils se retrouvèrent presque immédiatement nez-à-nez avec l'entrée de la prison.

Celle-ci était un bâtiment de forme rectangulaire pourvu d'un étage. D'une longueur approximative de vingt-cinq mètres, elle accueillait aussi bien les fauteurs de troubles que les criminels plus endurcis. Du moins, sans pour autant aller jusqu’au meurtre. Ça, c'était la partie émergée de l'iceberg.

En-dessous existait une aire plus restreinte où l'on enfermait les individus plus dangereux. Ces derniers étaient gardés dans des cellules aux murs de roche et aux portes constituées d'une solide grille de métal dotée d'une résistance bien supérieure à la normale.

Après s'être identifiés auprès des gardes, le duo de visiteurs s'engagea dans un étroit escalier taillé à même la pierre. Ils n'évoluaient pas dans une obscurité totale, car des ouvertures creusées dans le sol depuis la surface formaient un complexe réseau d'éclairage en redirigeant la lumière solaire par le biais de petits miroirs astucieusement disposés. Ils n'y voyaient pas comme en plein jour, mais c'était amplement suffisant pour avancer sans risquer de tomber.

S'arrêtant devant la cellule du tavernier, ils constatèrent avec surprise qu'ils n'était pas les seuls à s'intéresser à lui. Face à la grille, les bras croisés sur son torse, Jabu observait le prisonnier. En retour, ce dernier faisait de même.

Le Japonais montrait des signes évidents d'une nuit peu reposante. Il ne s'était pas changé et ses longs cheveux noir ramenés en arrière affichaient des mèches rebelles qu'un simple passage de la main ne suffirait pas à discipliner. Bien qu'ils ne puissent que supputer sur la raison de cette triste figure négligée, les deux Chevalier d'Or échangèrent un regard. Le décès de Fares n'y était certainement pas étranger.

 

Revenant sur l'homme dans sa cellule, Tristan ne constata rien de foncièrement inhabituel chez lui, hormis le sang séché étalé un peu partout sur ses vêtements et le tableau désastreux qu'offraient ses mains aux plaies à vif. Cependant, pour le Bélier qui ne détachait pas son regard du tavernier, le blanc des yeux de celui-ci affichait un noir abyssal, avalant presque totalement les pupilles noisettes.

Aucun doute, une de ces ombres a bien pris possession de lui, conclut-il.

- Les geôliers nous ont dit qu'il n'avait pas prononcé un seul mot depuis qu'il a été arrêté après avoir fait ses deux victimes, précisa le Tibétain.

- Et ça n'a pas l'air de vouloir changer, lança Jabu.

La Licorne se frotta le menton, effleurant le chaume foncé qui commençait à s'y installer.

- J'ai besoin d'essayer quelque chose, lança-t-il à la dérobade.

Et avant que les deux Chevaliers d'Or n'aient pu esquisser un geste, il ouvrit la porte et pénétra à l'intérieur de la cellule.

Aussitôt, le prisonnier se ranima et fonça sur lui, prêt à le mordre, ses mains étant entravées par de solides chaînes. Jabu esquiva aisément l'assaut, parvenant à se placer derrière l'homme et lui saisit la tête en une prise d'étranglement.

- Que fais-tu !? s'écria Tristan.

Poursuivant son étrange conduite, le Japonais invoqua son cosmos, se nimbant d'une aura d'un violet pâle.

- Jōka Kōki.

Sa silhouette se mit à dégager une lumière d'un blanc mat, puis à mesure que son énergie s'accroissait, elle évolua vers un blanc aussi pur que de la neige fraîchement tombée. Son corps sembla se fondre au sein de cet éclat aveuglant, alors qu'une sorte de plénitude envahissait les deux spectateurs silencieux de la technique.

Quant au prisonnier, il se débattait comme un diable, tentant de se dégager à tout prix de la prise du véritable phare vivant qui l'emprisonnait, comme si ce contact le rongeait tel un acide. Les tendons de son cou étaient saillants et il roulait des yeux fous. L'intensité augmenta encore.

Et c'est alors qu'Arion, les yeux plissés face à l'éblouissante lueur s'écria :

- L'ombre ! Elle a l'air de vouloir sortir de son corps ! Continue Jabu !

Le Chevalier de Bronze intensifia davantage son cosmos, frôlant de dangereuses limites. Du sang s'écoula d'une de ses narines. Il cria pour se donner un regain de force et poursuivit son action.

Face à tant d'énergie déployée, le Tibétain dût reconnaître que le cosmos du Chevalier de la Licorne s'était considérablement développé au cours des dix dernières années écoulées.

L'ombre s'extirpa du corps qu'elle occupait à la manière de fumerolles noirâtres, s'échappant par la bouche et le nez de l'homme en se tortillant.

-Attends, s'alarma Tristan en attrapant le bras du Bélier. Que va-t-il se passer une fois que l'entité sera libre ?

Les yeux bleu violet du Tibétain s'agrandirent sous le coup de la compréhension. L'action de Jabu était louable, mais elle avait été entreprise sur un coup de tête. Impossible de savoir si le tavernier allait survivre à cette extraction. Ensuite, l'ombre pourrait choisir de s'en prendre à l'un d'entre eux, ou alors s'enfuir pour parasiter quelqu'un d'autre sans qu'ils puissent rien y faire. Ils allaient la perdre !

La silhouette fuligineuse s'extirpa totalement de sa victime et commença à décrire des cercles dans la cellule, tel un requin tournant autour de sa proie. Jabu s'affaissa au sol sous le coup de la fatigue et le tavernier chuta face contre terre, inerte.

Arion ne voulait pas la laisser s'échapper, mais que faire ?

Soudain, l'ombre stoppa son mouvement et flotta directement vers eux, passant sans mal à travers les barreaux de la porte.

- Attention ! cria le Bélier. Elle arrive droit sur toi !

Par réflexe, le Capricorne enflamma son cosmos et érigea un bouclier d'énergie devant lui. L'ombre se retrouva bloquée nette par l'arcane défensif pour son plus grand déplaisir, malgré les coups de griffes qu'elle y assénait.

- Je la distingue à peine, mais pendant que je l'occupe, essaye de la capturer, lui conseilla le Français.

- Et comment veux-tu que je … ?

Saisissant subitement la référence à la technique employée contre Suzaku, Arion brûla son cosmos doré. Il visualisa sa cible et traça mentalement quelques lignes dans les airs. D'un geste de la main, il assembla de petites particules de cosmos et créa de fines, mais solides, plaques cristallines qu'il assembla à la manière des pans d'une boîte autour de la créature ombreuse.

C'est vrai qu'elles ne pouvaient pas traverser la barrière que j'avais érigée pour me protéger dans leur dimension, raisonna-t-il.

Il resserra les parois pour laisser le moins de latitude possible à la créature qui avait immédiatement commencé à se débattre après sa capture. Après une bonne minute de lutte inutile, elle se calma et toisa étrangement son geôlier.

- Qu'est-ce que je vais faire de toi, maintenant ? se demanda le Bélier à voix haute. Ce n'est pas comme si tu avais l'air de pouvoir communiquer.

- Elle est coincée ? s'enquit le Français. C'est bizarre, j'ai juste l'impression de voir une tache sombre et floue à l'intérieur de ta boîte.

- Je pense que c'est l'arcane de Jabu qui l'a révélée à la vue de tous. Du moins, partiellement. Je ne sais pas si cela va durer.

- Bon, si tout est sous contrôle, je vais jeter un œil aux autres.

Le Capricorne secoua légèrement le Japonais qui ouvrit péniblement les yeux. Jabu se redressa lentement en se frottant le crâne, les oreilles encore bourdonnantes, tandis que Tristan cherchait le pouls du tavernier. En vain.

Il se releva d'un bond et s'en prit aussitôt au Chevalier de la Licorne.

- Qu'est-ce qui t'es passé par la tête !? (Il scruta plus attentivement le visage de Jabu.) Ne me dis pas que tu essayais de ...

- D'épancher ma douleur et ma frustration en me défoulant sur le premier pauvre bougre venu parce qu'il a commis des meurtres ? fit-il en haussant la voix. Je ne m'abaisse pas à un tel niveau de stupidité ! (Il émit un son méprisant.) La douleur, je connais. J'ai déjà perdu quelqu'un. Une personne que je considérais comme un modèle et je n'ai pas sombré. Ce qui m'a fait agir, c'est la noirceur qui a envahi Emilios, fit-il en désignant le corps refroidissant du tavernier. Je l'ai perçue.

Sa réponse déstabilisa quelque peu Tristan – après tout, il n'avait pas été mis au courant pour les possessions – avant qu'il ne lui revienne en mémoire les légendes à propos des licornes et de leur aptitude unique à contrer le Mal.

Est-ce que c'est ça qui lui a permis de détecter l'ombre et de tenter de la purger de cet homme ? s'interrogea-t-il intérieurement.

- Pendant le processus de purification, reprit Jabu, j'ai distinctement entendu son âme me supplier de la libérer de ses tourments, même si cela se soldait par la mort. (Il ajouta d'un ton plus haut :)J'ai fait ce que j'ai pu.

Son regard aux prunelles noires jusqu'ici tourné vers le corps d'Emilios se riva à celui, brun, du Capricorne. Exaspéré, il dressa un index sous le nez de ce dernier.

- Ne t'avise plus de remettre en question le fondement de mes actes.

Il pointa ensuite son doigt sur Arion.

- Tâche de tirer quelque information de cette … chose.

 


Sibitti :

Ceux qu'on appelle les "Sept", désignent un groupe de divinités mineures, parfois associées à la guerre, dans plusieurs traditions proches ou assimilées à la Mésopotamie. Leurs apparences varient suivant les sources, aussi j'ai choisi une version tirée de « L'Hymne de Hendursaga », où ils revêtent une apparence animale.

 

Shingon Shōheki  :

Barrière de Mantras


Esaret Oklar :

Flèches d'Asservissement


Taşı Duvar :

Mur de Pierre


Jōka Kōki  :

Radiance Purificatrice

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