Une Dernière Bataille

Chapitre 37 : Troubles Nocturnes - Première Partie

7206 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/12/2024 08:50

28 avril 1997

Grèce, Sanctuaire

 

Il ne savait pas vraiment comment il s'était retrouvé là, à nouveau face à la gigantesque porte. Était-ce la présence de toutes ces divinités au Sanctuaire et de leurs formidables énergies qui avaient stimulé son don ? A moins que ce ne soit son destin de clairvoyant qui se rappelait soudain à son bon souvenir. Avait-il seulement désiré avoir une vision de l'avenir ?

En observant les battants, Arion constata qu'ils étaient légèrement entrouverts. Une brume noirâtre en sourdait tel le sang d'une plaie. Cette fois-ci, il n'y eut pas de voix insistantes, ni de mélasse informe pour le contraindre à s'approcher de l'ouverture. Tout juste sentait-il un courant d'air le pousser dans le dos.

Alors, à pas lents et mesurés, il avança jusqu'à la fente obscure, faisant taire la répulsion qu'il sentait poindre. Ce n'était pas la curiosité qui le poussait, mais quelque chose de bien plus profond. Il passa sa tête à l'intérieur de l’entrebâillement. Aussitôt des dizaines de mains semblables à des serres jaillirent pour l'entraîner au-delà, avant même qu'il ait eu le temps de crier sa surprise.

 

Le Bélier flottait dans une noirceur d'encre, ignorant où était le haut et le bas, dérivant au gré d'un invisible courant, mais toujours plus profondément lui semblait-il. Il entendit bientôt des murmures ressemblant à des ongles crissant sur de l'ardoise, écorchant ses oreilles. Il avait beau plaquer ses mains pour faire écran, c'était inutile. Impossible de distinguer quoi que ce soit au cœur de ce maelström de sons discordants.

Au loin, il entrevit un point lumineux et décida de s'élancer vers lui en flottant, intimement persuadé que c'était la chose à faire pour échapper à la folie qui le guettait. Passé l'aveuglement dû à l'intense luminosité, il découvrit une vaste étendue marine en-dessous de lui. Il l'observait depuis des centaines de mètres de hauteur, à la manière d'un oiseau. D'un seul coup, sa lévitation cessa.

Il plongea à une vitesse vertigineuse vers la seule terre émergée qu'il n'avait pas remarquée jusque-là. Il ferma les yeux bien avant l'impact, s'attendant à finir en pulpe sanglante. Rien ne se produisit cependant.

Lorsqu'il les rouvrit, le Chevalier d'Or paraissait être sous terre cette fois. Ses yeux s'habituant petit à petit à cette nouvelle obscurité, ponctuée de-ci de-là de quelques torches aux flammes crachotantes, il distingua de la roche aux formes torturées. Parfois elle renvoyait l'impression d'avoir été arrachée d'un coup de dents monstrueux, parfois brûlée jusqu'à ce qu'elle fonde, voire même tailladée.

Son examen de l'environnement s'interrompit dès qu'il perçut un mouvement en périphérie de son champ de vision. Une ombre venait de glisser sur la paroi la plus proche à la faveur d'une ondulation ignée.

Arion se retourna pour découvrir une fissure noire flottant au-dessus du sol. Un frisson le gagna avant même qu'il ne voit ce qui en sortit.

 

Apparut d'abord un individu aux traits asiatiques, peut-être dans la trentaine tout juste entamée, et dont les cheveux étaient ramenés en queue-de-cheval au sommet de son crâne. Il était revêtu d'une armure à la couleur difficilement reconnaissable dans cette semi-obscurité. Tout au plus, le Bélier avisa des courbes en adéquation avec les origines de son porteur et la paire de tonfas – lui rappelant ceux de l'Armure d'Or de la Balance qu'il avait vue en action plus jeune – sagement fixée à chacune de ses hanches.

Dans ses mains, il tenait une énorme perle un peu plus grosse qu'une tête humaine qui interpella immédiatement Arion par le souvenir qu'elle lui évoquait. Quelque chose qui vint gratter à la porte de sa mémoire.

Il n'eut pas le temps de lui ouvrir car immédiatement à la suite du premier arrivant, et c'était là l'origine de son frisson précédent, s'avança l'homme qu'il détestait le plus en ce monde : Suzaku. Ainsi, l'autre personne était également un serviteur du dieu Susanoo.

L'Oiseau Vermillon avait meilleure allure que la dernière fois qu'ils s'étaient quittés. Ses blessures avaient semblait-il guéri à une vitesse incroyable, ne laissant que quelques cicatrices ici et là sur sa peau blafarde.

Ce dernier balaya rapidement la scène de son regard fauve et pointa du doigt quelques chose qui se trouvait plus loin dans la caverne. Son camarade hocha la tête et le suivit.

Le spectateur de l'échange muet sentit la lente pulsation énergétique de l'objet enfermé dans l'une des mains de Suzaku. Une énergie différente de celle qu'il avait déjà perçue à Asgard. Quelque chose de si … abyssale et qui tendait à vouloir ramper jusqu'à lui, menaçant d'engloutir ses pensées en un instant. Il dut faire un effort surhumain pour détacher son attention de cette source à l'attraction aussi terrible qu'un trou noir.

Arraché à sa torpeur, il s'empressa de flotter à la suite des deux hommes, pour les voir s'arrêter auprès de ce qui ressemblait à des irrégularités du sol. Un mauvais pressentiment l'étreignit. Laissant son corps astral s'élever davantage, il prit de la hauteur et son sang se changea en glace dans ses veines.

 

Au sol, il découvrit avec horreur la gravure de l'Ouroboros qui hantait ses songes. Il avisa qu'au niveau du tracé, à intervalles plus ou moins réguliers, des formes en émergeaient. Il en reconnut une comme étant la garde de l'épée d'Hadès grâce aux descriptions qu'on lui en avait faites. Une autre d'un genre similaire, mais plus petite, lui évoqua la dague d'or que le Grand Pope était censé posséder, par rapport aux illustrations découvertes à la Bibliothèque du Sanctuaire. D'autres qu'il n'identifiait pas étaient également fichés dans le sol.

Il s'intéressa à ce que transportait le Gardien Céleste inconnu.

Se positionnant au-dessus d'un des rares emplacements encore vide, celui-ci sembla hésiter sur la suite des événements, laissant transparaître un sentiment de malaise. Suzaku l'enjoignit sèchement à introduire la sphère dans l'orifice vacant. L'autre parut maugréer quelque chose en s’exécutant finalement.

Alors que la sphère venait se nicher dans le creux, le grattement à la porte des souvenirs d'Arion se transforma en bourrade fulgurante, la faisant voler en éclats. Ce globe, il l'avait vu dans l'un de ses rêves ! C'était celui que détenait Odin, et pour lequel lui et ses compagnons avaient tant bataillé pour retrouver les fragments.

Il vit les yeux fauves de Suzaku se river subitement sur lui, le transperçant.

- Profite du spectacle, fit-il en souriant clairement à son adresse, tandis qu'un grondement tellurique parcourait l'endroit, entraînant des tremblements.

Sur le moment, l'unique chose à laquelle pensa le Bélier fut : Comment peut-il me voir ? L'instant suivant, il reporta son attention sur le portail. Habituellement, ses visions lui montraient des événements à venir, voire passés, mais cette fois, se pouvait-il qu'elle lui indique un élément ayant cours en temps réel ?

Physiquement, il ne parut pas se produire grand chose. Néanmoins, par ses yeux astraux, il constata que quelque chose voulait s'extirper de la porte. D'un seul coup, un tourbillon couleur de néant jaillit avec violence des fissures la parcourant. Des chuintements stridents pareils à ceux subis un peu plus tôt l'assaillirent avec une intensité redoublée.

Les envoyés de Susanoo quant à eux paraissaient ne rien connaître de ces tourments.

Face à l'irrésistible force, Arion se retrouva balayé, tel un morceau de bois ballotté par une mer démontée, à ceci près qu'il ne parvenait même pas à flotter. Le courant intangible l'emporta, traversant les parois de pierre avec lui, l'emprisonnant dans ses rets. Il ne le ramena pas à la surface, mais le projeta au contraire au sein de dimensions et de réalités inconnues, percutant les murs de celles-ci avec un fracas toujours croissant.

Les couleurs, la luminosité, les sons et la pression déchiraient les sens du Bélier, en dépit de la barrière cristalline qu'il avait dressée autour de lui. Il sentait que cela serait bientôt le tour de son esprit. Un hurlement lui échappa tandis qu'il continuait d'être happé toujours plus loin.

 

Un cri déchira soudain le silence de la nuit et ceux qui l'entendirent, réveillés en sursaut, se demandèrent s'il émanait d'une gorge humaine.

Les premiers sur les lieux furent le trio de gardes en train de faire leur ronde nocturne à proximité de l'escalier menant au Premier Temple.

Peu rassurés, mais soucieux de ne pas passer pour des lâches, deux d'entre eux se mirent à la recherche de la source des cris, pendant que le troisième partait en direction de la caserne la plus proche pour demander de l'aide.

Le duo s'avança dans le bâtiment avec précaution, l'un bouclier et lance à l'affût du moindre intrus, l'autre porteur d'une lanterne à la chiche lumière orangée. Les semelles de leurs sandales foulaient les dalles à l'âge immémorial du lieu avec précaution. A pas lents, ils aboutirent devant la porte de la chambre du Bélier. Subitement, les hurlements qui leur vrillaient les tympans encore une poigne de secondes plus tôt cessèrent.

S’entre-regardant, le plus âgé des gardes poussa la porte non verrouillée avec la pointe de sa lance. La pièce étant plongée dans une pénombre que seule troublait la lueur stellaire filtrant à travers les volets clos. Son compagnon avança et, devinant la lampe à huile sur le bureau, l'alluma à l'aide de sa propre flamme.

Lui et son compagnon découvrirent alors avec stupéfaction, et une certaine horreur, le corps du Chevalier du Bélier, recroquevillé en position fœtale à même le sol. En sueur, la respiration hachée comme s'il était soumis à un effort intense et les traits crispés, il donnait l'impression de lutter intérieurement.

Ils en étaient encore à se demander quoi faire lorsqu'ils perçurent des bruits de pas précipités au-dehors de la pièce. Ils se retournèrent, lance et xiphos pointés devant eux, parés à faire face au danger, lorsqu'ils constatèrent avec un soulagement non feint qu'il s'agissait de leur camarade qui revenait avec les renforts.

Les Chevaliers de Bronze de la Grande Ourse et du Petit Renard, revêtus de leurs Armures déboulèrent dans son sillage. Geki balaya rapidement la scène de son regard brun. D'un geste, il demanda aux deux hommes de lui décrire la situation et ce qu'ils avaient découvert.

- On a même pas encore eu l'occasion de faire quoi que ce soit, s'excusa l'aîné.

- Vous avez bien fait, le rassura le grand Japonais. Maintenant, je veux que vous trois sortiez et alliez prévenir le capitaine Nereus, il décidera des mesures à prendre et des personnes à prévenir. En attendant, nous allons veiller sur lui avec Aponi.

Le trio de gardes les salua et s'en fut au pas de course.

 

Finalement seuls, les deux Chevaliers s'approchèrent d'Arion.

- Qu'est-ce qui lui arrive à ton avis ? demanda l'Amérindienne à son ancien formateur.

Ses cheveux habituellement tressés reposaient librement sur ses épaules.

- Je ne suis sûr de rien. Je sais qu'Arion a de puissants pouvoirs psychiques et qu'il peut voir certaines choses sous la forme de rêves intenses. Néanmoins, ce n'est pas vraiment quelque chose que j'ai déjà pu observer, alors de là à savoir si cette prostration est normale ...

- Est-ce que son pouvoir peut consister à voyager sous la forme d'un esprit ?

- Peut-être, avoua Geki sans grande conviction. Probablement. En fait, je n'en sais rien. (Il avisa l'air songeur pris par la jeune fille.) A quoi est-ce que tu penses ?

- Si c'est bien le cas, je peux peut-être aller l'aider en me rendant moi-même sur le plan astral. Pour mon peuple et bien d'autres, le renard est un guide spirituel qui peut aider à évoluer dans le monde des rêves. Sinon, je serais très vite de retour.

- Et comment cela fonctionne ? l'interrogea la Grande Ourse avec une moue dubitative.

- Je ne t'aurais pas cru subitement si modéré envers mes croyances.

- Oui, bon, ça va, acquiesça Geki. Alors ?

- Je vais avoir besoin de créer une connexion en entremêlant nos esprits et nos cosmos pour pouvoir remonter le fil de son voyage.

- Ça peut être dangereux ?

Aponi marqua un léger temps d'arrêt avant de répondre :

- Tout sera passera bien.

Elle paraissait nerveuse tout à coup et cela ne plaisait pas du tout à son ancien mentor. Cette aptitude ne faisait pas partie de ce qu'il avait pu lui enseigner.

- Tu ne l'as jamais fait auparavant, c'est ça ?

- Seulement avec ma nokomis, admit-elle.

- Dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux que j'aille la chercher ?

- Et s'il lui arrive quelque chose entre-temps ? releva Aponi, en tendant une main vers le corps d'Arion . On ne sait pas depuis combien de temps il est dans cet état. Je pense que c'est trop risqué d'attendre.

La Grande Ourse soupira.

- Si quoi que ce soit te paraît inhabituel, tu dégages de là, compris ?

- Oui, grand chef ! Avec la vivacité d'un renard.

- Te fous pas de moi, Aponi ! s'énerva Geki. Je suis sérieux.

- Ok, très bien, je serais prudente. Promis, ajouta-t-elle face à l'air buté du grand Japonais.

Elle fit le tour pour se placer au niveau de la tête d'Arion. Hormis quelques grommellements, ce dernier avait à peine bougé depuis qu'ils l'observaient.

- Aide-moi à le mettre sur le dos.

Avec des gestes précautionneux, ils le tournèrent et le Petit Renard s'assit en tailleur, la tête du Chevalier d'Or reposant dans son giron. Elle positionna ses mains de part et d'autre de son visage et ferma les yeux. Sa respiration se fit rapidement de plus en plus lente et profonde.

Une légère aura ambrée l'enveloppa comme une seconde peau et ses yeux s'ouvrirent brusquement en grand, opaques et luisant de la même teinte. Elle n'était déjà plus sur ce plan d'existence.

- J'espère que tu sais ce que tu fais, gamine, murmura le Chevalier de Bronze resté en arrière.

 

La conscience d'Aponi s'éveilla dans un environnement où tout n'était que nuances de gris et de blanc, comme sur ces très vieilles photos que lui avait montrées sa nokomis. Elle se trouvait dans les ruines d'une ville établie dans un décor montagnard dont les arbres, mélange de conifères et de feuillus, lui rappelaient sa propre région natale.

Le temps était lumineux et sec sans que la présence du moindre astre solaire perceptible y soit pour quelque chose. La voûte céleste paraissait très basse, comme si la distance entre celle-ci et la terre ne se réduisait qu'à quelques kilomètres. Néanmoins, le plus étrange demeurait la profonde fissure qui y béait en plein milieu. On aurait dit qu'un projectile avait percuté une toile en y laissant un trou et que l'on pouvait voir au-delà.

Elle perçut de manière très ténue la conscience du Chevalier d'Or, alors qu'il semblait pourtant être juste "là", tout proche.

La jeune fille se concentra l'espace d'un instant et un renard d'énergie pure jaillit de son aura en glapissant.

- A toi de jouer, cimenj wagoc, guide-moi jusqu'à l'esprit du Bélier.

Le petit canidé huma l'air, puis fit deux tours rapides sur lui-même, comme pour confirmer la bonne réception de la demande – et accessoirement démontrer son caractère espiègle – et fila ventre à terre à travers l'herbe grise. L'Amérindienne partit aussitôt à sa suite.

Elle erra à la poursuite de son familier durant ce qui lui sembla être des heures, mais malgré son peu d'expérience dans ce domaine, elle savait que l'écoulement du temps dans le monde onirique n'obéissait pas aux mêmes lois. Ici, il était tout à fait possible qu'une journée corresponde à cinq minutes dans le monde de la chair, le temps s'écoulant ainsi plus rapidement.

D'après son arrière grand-mère, comme la faim et la soif n'étaient pas ressentis, on pouvait clairement perdre la notion du temps et demeurer des mois, voire des années en ces lieux. Si personne ne vous surveillait pour vous ramener si besoin, cela rendait ce genre d'expédition dangereuse. Contrairement à un rêve endormi où votre corps finissait par se réveiller de lui-même.

 

Son chemin la conduisit en direction de hautes montagnes. Du moins, ce qui aurait dû tenir lieu de montagnes.

A leur place s'élevait plutôt une énorme formation rocheuse déchiquetée, dont différents pans d'une taille allant de la simple plate-forme à celle d'une maison, ou d'un temple du Sanctuaire, flottaient paresseusement dans les airs. Déconcertée de prime abord par le phénomène lorsqu'elle avait commencé à voir des grains de sable, puis de petits galets se mettre à flotter à mesure qu'elle progressait, elle constatait à présent qu'ils dérivaient tous lentement en direction du trou aperçu bien plus tôt, comme aspirés. Même les nuages s'allongeaient à sa périphérie, telles des bandes de coton distendues jusqu'à leur point de rupture.

Tout cela ne l'incitait guère à s'approcher de ces lieux, malheureusement pour elle, son guide l'emmenait droit dans cette direction.

Après avoir parcouru ce qui lui parut être plusieurs dizaines de kilomètres, elle commença à percevoir des mouvements furtifs à l'extrême limite de son champ de vision. Comme des ombres dansantes à la lisière de la forêt. Ne parvenant cependant à rien voir de réellement concret, elle décida de ne pas s'en préoccuper davantage.

Lorsqu'elle parvint finalement à la base de ce qu'elle avait décidé de baptiser « montagne aux pierres dansantes », s'encourageant mentalement à la future escalade, elle avisa enfin ce qui la suivait jusqu'ici de loin.

De son point de vue éloigné, cela paraissait s’apparenter à un genre de tache noire et floue à l'aspect étrangement étiré. Et la créature n'était pas seule. C'était tout un groupe qui surgissait d'un peu partout pour converger rapidement vers elle.

Se devinant en danger, le Chevalier de Bronze se lança aussitôt dans l'ascension de l'obstacle en face d'elle, préférant éviter de penser à ce qui pourrait se produire si elle était rattrapée.

 

En premier lieu, Aponi courut pour gravir la pente, mais elle dut ensuite rapidement se hisser sur le premier rebord et enchaîna les phases de grimpe et de sauts, se déplaçant de petites terrasses rocheuses en grands plateaux flottants. Le plus surprenant était cette pesanteur à la force variable l'amenant à littéralement s'envoler lorsqu'elle bondissait ou au contraire la clouait presque sur place au plateau suivant. Parfois, elle se retrouvait même à devoir avancer la tête en bas, exercice lui coûtant quelques précieuses secondes pour réadapter ses repères.

Elle faillit chuter à plusieurs reprises, cependant la peur l'aiguillonnait tant et si bien qu'elle se découvrit des réflexes insoupçonnés. Malgré tout, elle voyait bien que certaines créatures étaient sur le point de parvenir à la déborder sur ses flancs. Elle redoubla d'ardeur pour conserver son peu d'avance et atteindre en premier la béance, prête à s'y jeter tête baissée s'il le fallait.

Alors que la situation commençait à lui échapper, elle sentit comme un étau se refermer sur elle. Dans quoi s'était-elle lancée ? Hormis quelques missions d'observation, elle n'avait encore jamais eu à gérer ce genre de cas. Surtout seule. Elle n'était même pas présente lorsque Geki s'était retrouvé confronté au wendigo. Elle avait juste voulu faire la maligne et s'émanciper des conseils trop protecteurs de son ancien professeur.

Un élan de panique la gagna, rendant sa respiration jusqu'ici régulière, haletante. Elle commença à ralentir et presque aussitôt l'une des créatures en profita pour la surprendre en bondissant depuis un point surélevé. La gravité totalement anarchique la propulsa tel un boulet de canon sur Aponi. Celle-ci eut à peine le temps de se préparer à un impact qui n'advint toutefois jamais.

Son petit familier avait suivi une trajectoire perpendiculaire dès qu'il avait perçu le danger la menaçant et avait sauté en même temps, culbutant la créature. En une seconde, ils avaient disparus en contrebas.

Cimenj wagoc !

L'essence constituant le petit canidé revint pareil à une boule de lumière orangée pour se fondre en elle, retournant à la source dont il était issu.

L'événement se révéla être le coup de fouet dont elle avait besoin pour retrouver son sang-froid. Elle était capable. Elle avait été sacrée Chevalier après tout !

Sa volonté raffermie, elle repartit de plus belle, bondissant avec une agilité renouvelée. Elle avait presque atteint la dernière grande plate-forme qui lui permettrait de s'élever jusqu'à la faille, lorsqu'un de ses poursuivants atterrit devant elle. Elle avisa alors réellement à quoi ressemblaient ses poursuivants : une ombre allongée couleur du néant, aux contours squelettiques et aux yeux d'un blanc luminescent. De son dos et de sa tête s'échappaient des fumerolles qui dansaient tels des serpents au gré d'un invisible courant.

La créature lança aussitôt un long membre à trois doigts griffus devant lui, prêt à mettre en pièces la jeune Chevalier de Bronze.

Puisant dans son cosmos, cette dernière s'accroupit, disparaissant en un éclair de la vue de son assaillant et sauta lestement en lançant un coup de pied circulaire.

- Kokiwin Wagoc !

L'assaut, véloce et implacable, engendra quatre entailles rectilignes qui lacérèrent sans peine le visage de la créature.

Dépassant ce qui avait été un dangereux obstacle quelques secondes auparavant, Aponi s'empressa de reprendre sa course. Un sentiment euphorique s'empara de la jeune fille après cette victoire facile. Subitement, elle ne se mit plus à craindre ces êtres. Elle pouvait les vaincre.

Cette impression se dissipa comme neige au soleil lorsque, jetant un coup d’œil en arrière au détour d'une énième acrobatie, elle vit la multitude de créatures dont elle était la proie. Elles n'auraient aucune difficulté à la noyer sous leur nombre.

Finalement, franchir la ligne d’arrivée était la seule issue possible. Mais … et si ces créatures la suivait ? Rien n'indiquait qu'elles ne le pouvaient pas. Elle se sermonna intérieurement. Fixe-toi un objectif et tiens-y-toi, aimait à répéter Geki. Et puis le Chevalier d'Or du Bélier serait certainement plus efficace qu'elle pour s'occuper de tout ça.

Le Petit Renard zigzagua de pierres en pierres flottantes, leur taille allant en s'amenuisant jusqu'à ne plus ressembler qu'à de très gros galets. Ces derniers s'enfonçaient dans l'air lorsque son pied y prenait appui et remontaient à la manière d'un bouchon immergé dès qu'aucune contrainte ne s'y appliquait plus.

Elle pesa fortement sur le dernier qu'elle pu atteindre et, gorgeant sa jambe d'énergie afin de la renforcer, se propulsa d'une puissante détente. Au faîte de son bond, une sensation de flottement prit le pas et telles les plus légères des particules rocheuses, elle sentit l'aspiration de la faille l'envelopper.

 

Les fins poils de sa nuque se hérissèrent tandis que de l’électricité statique saturait l'air. Aponi perçut la différence de pression au moment de son passage à travers la déchirure, comme celle qui s'exerce sur les oreilles d'un plongeur à mesure qu'il descend. Cette dernière continua de s'accroître tout au long du conduit obscur dans lequel elle évoluait, à tel point qu'elle crut que ses tympans n'allaient pas y résister.

En fin de compte, Aponi sentit l'irrépressible force se relâcher d'un coup dès son entrée dans un espace aux dimensions paraissant infinies. Toute l'étendue était emplie de ténèbres piquetées d'étoiles et de quelques nuages de cosmos colorés – des couleurs à nouveau ! Non, à bien y regarder, les points lumineux n'étaient pas des étoiles … son cœur cessa brusquement de battre et son souffle se bloqua dans sa poitrine. La toile noire venait de se mettre à convulser.

Ses yeux volèrent de droite à gauche, affolés. Derrière elle, la faille était semblable à une cascade dont il serait vain de vouloir remonter le cours. Elle se retourna de nouveau et aperçut un îlot de lumière dorée perdu au milieu de toute cette noirceur.

C'était une forme de prisme que l'on aurait dit fait de cristal avec une silhouette en son sein. Une forme humaine qui lui renvoyait son regard. Des yeux bleu-violet écarquillés d'incrédulité et d'urgence, car ils savaient eux aussi qu'elle avait été remarquée. Et pas uniquement par celui qu'elle était venue chercher. Les points lumineux, les yeux de centaines de créatures, se tournèrent aussi vers elle et la toile de ténèbres s'agita de plus belle.

Le Chevalier du Bélier tendit une main vers elle et sans plus attendre, Aponi fonça, ou plutôt plongea, tête baissée dans sa direction. Tout cela une fraction d'éternité avant que les êtres de noirceur n'en fasse autant. Une nouvelle course venait de s'engager et déjà deux obstacles insurmontables se dressaient en travers de son chemin.

D'une part, la jeune fille se jetait littéralement dans la gueule du loup et allait devoir traverser le barrage massif qu'on lui imposait. D'autre part, le cocon protecteur qui paraissait tenir éloignées les créatures ne pourrait pas être ouvert, puis refermé suffisamment vite pour abriter le Chevalier de Bronze. Que faire ?

Soudain, son image se brouilla et elle disparut momentanément pour réapparaître aux côtés du Chevalier d'Or.

- Comment … ? s'étonna-t-elle.

- J'en suis le premier surpris, répondit Arion, tout autant incrédule, tandis qu'il baissait lentement son bras. Normalement, il aurait fallu que j'ai un contact physique avec toi pour te téléporter. Je suppose que c'est parce que tu es une projection spirituelle ...

Un filet de sang s'écoula d'une des narines du Bélier. Il l'essuya d'un revers du pouce.

- Ça va ?

- Je crois que j'ai dû un peu trop forcer, avoua-t-il avec un demi-sourire. Au fait, qui es-tu ?

Maintenant qu'ils étaient face à face, Aponi réalisa que c'était la première fois qu'elle rencontrait réellement le Tibétain. Elle ne connaissait de lui que le physique de son corps endormi. Rien sur son caractère.

- Je suis Aponi, Chevalier de Bronze du Petit Renard, se présenta-t-elle. Arion, c'est ça ?

Ce dernier hocha la tête et il vacilla légèrement sur ses jambes. En réponse, les parois de leur abri tressautèrent comme une image en train de perdre de sa netteté. Aussitôt, les créatures se jetèrent dessus à la recherche de la moindre faiblesse. Fermant le poing, le jeune homme solidifia la structure de nouveau.

- Je crois qu'il vaudrait mieux ne pas traîner davantage, commenta la jeune Amérindienne. Surtout si tu risques de nous refaire un coup comme ça.

L'allusion à son léger malaise sembla irriter son interlocuteur.

- Je ne sais pas si tu as remarqué, mais ces choses n'ont aucunement l'intention de nous laisser nous en aller.

Si dans le monde de la chair, cela fait des heures qu'il est là, ici, ça a pu lui paraître des jours ou des semaines, pensa Aponi avec un élan de sympathie. Je crois que je serais aussi un peu à cran.

- J'leur demande pas leur avis, contra-t-elle, bravache.

Le Bélier émit finalement un petit rire face à sa répartie et son sens de la provocation.

- Je n'en doute pas une seule seconde. Mais cela n'enlève rien au fait que j'ai raison.

Après s'être un temps pressées contre les parois du rempart cristallin, les créatures reprirent leur distance.

- Que fait-on alors ?

 

- Depuis combien de temps est-elle partie ? interrogea la vieille chamane Amérindienne.

Ayant entrouvert les volets de la chambre pour voir au-dehors, Geki lança un coup d’œil vers la lune qui poursuivait sa lente décroissance.

- Un peu plus de deux heures, je dirais, répondit-il.

- Hmm, autant dire que cela peut faire le même laps de temps, comme une semaine que son esprit est là-bas. Si elle n'a rien pu faire au cours de cette période, c'est problématique.

Elle toucha les fronts luisants de sueur de son arrière petite-fille et d'Arion, puis ferma les yeux à son tour, l'espace d'un instant.

- Doit-on vraiment les laisser finir dans un état léthargique les uns après les autres ? lança-t-on depuis le couloir.

Un homme d'une vingtaine d'années aux traits asiatiques et pourvu d'une crinière noire vint s'appuyer au chambranle de la porte. Il était grand, pas autant que Ban ou Geki, mais élancé avec le teint doré de ceux qui passent leur vie au soleil et une musculature que l'on devinait sèche sous ses vêtements. Le plus marquant sur sa personne restait toutefois son emblématique cicatrice au profil déchiqueté entre les yeux.

- Nokomis sait ce qu'elle fait, Ikki, rappela la Grande Ourse. Contrairement à Aponi. (Il maugréa.) Je n'aurais pas dû la laisser y aller.

Le Chevalier du Phénix, présent au Sanctuaire depuis qu'il était revenu d'Amérique du Sud comme accompagnateur du dieu Inti, changea de position.

- C'est un Chevalier à présent, contra-t-il. Tu n'as plus besoin de la couver.

- C'est …

- Taisez-vous, leur intima la chamane en rouvrant les yeux. Si vous n'arrêtez pas de piailler comme ça, je ne vais jamais y arriver.

Elle se replongea dans son examen sans attendre de réplique.

D'un côté, les deux demi-frères souriaient face à cette répartie digne d'une aïeule envers sa turbulente descendance, d'un autre, leu amour-propre en prit un coup.

Sans crier gare, la vieille femme se redressa d'un coup.

- C'est étrange, je ne parviens pas à établir de contact avec eux. J'ai été comme rejetée.

- Et c'est inhabituel ?

- C'est bien une des rares fois où cela m'arrive, reconnut la chamane. C'est une spéculation, mais quelque chose paraît les retenir et ne souhaite pas qu'un élément extérieur interfère.

Ses traits déjà marqués par de profondes rides se creusèrent un peu plus.

 

- Et tu ne peux pas nous faire réintégrer nos corps physiques en nous téléportant ?

- J'ai déjà essayé, mais cela n'a pas fonctionné. Ces créatures sont capables de m'intercepter, même réduit à l'état de particules. Elles maîtrisent entièrement ce plan d'existence.

- Et si … si je pouvais nous soustraire à leurs griffes l'espace d'un instant ? Tu pourrais faire quelques chose ?

Le Bélier la regarda d'un air surpris.

- Comment comptes-tu réaliser ça ?

- Le modèle mythologique de mon Armure est le renard de Teumesse, expliqua-t-elle. La légende rapporte qu'il était insaisissable. Et cette capacité se retrouve dans les propriétés de l'Armure. Je peux me rendre intangible pendant un très court moment.

Le front d'Arion se plissa et les deux points l'ornant se rapprochèrent l'un de l'autre.

- Ça signifie que l'on ne peut pas me toucher, crut-elle bon de préciser.

- Je sais ce que ça veux dire, merci, lança le Bélier, un peu sèchement. Ce qui m'intéresse, c'est l'usage que l'on peut en faire dans notre situation. (Il se mit à réfléchir, songeur.) Si je suppose bien, cet état peut être interprété comme un glissement vers un plan d'existence différent. Tu n'es plus vraiment là en somme, comme déphasée.

- Si tu le dis, commenta Aponi. Moi, j'y vois juste le moyen de nous échapper d'ici. Je nous … déphase et dans la foulée tu nous téléportes jusqu'au plan où se trouvent nos corps.

- Oui, ça pourrait fonctionner. Du moins, en théorie. D'abord, nous allons passer par plusieurs étapes …

- Oublie toutes ces choses barbantes ! Chacun se fixe un objectif et s'y tient.

Devant tant de ferveur, le Chevalier d'Or dut s'incliner.

- Très bien, essayons ça. Mais avant, je dois te prévenir que quitter ce plan va se révéler très éprouvant pour ton esprit et ton corps. Ne lâche surtout pas ma main en cours de route, sinon je ne sais pas ce qu'il adviendra de toi.

La jeune femme déglutit.

- J'ai saisi l'avertissement.

Les deux Chevaliers enflammèrent leurs cosmos. Le Petit Renard empoigna la main du Bélier et se concentra sur son Armure, agrippant mentalement le lien qui l'unissait à celle-ci et le serra d'autant plus fort. Elle tira dessus, espérant attirer la conscience qui l'habitait et lui transmit son désir d'échapper à ses poursuivants. Aponi perçut la réponse de l'Armure qui lui accordait sa bénédiction en retour et un flot d'énergie à la texture particulière l'enveloppa.

Se concentrant plus intensément encore, la jeune fille étendit son aura afin qu'elle englobe également Arion.

Celui-ci ressentit comme des picotements courir sur sa peau, suivit d'un vague inconfort qui lui étreignit l'estomac. Se rappelant que le pouvoir de la Chevalier de Bronze ne durerait qu'un temps, et ce peut-être d'autant plus court car elle l'appliquait à une autre personne, il passa outre l'inconfort et se hâta dans sa propre manœuvre.

Néanmoins, afin de rendre cette dernière optimale, il devrait briser au préalable leur abri de cristal. Une action qui ne manquerait pas de focaliser toute l'attention des créatures vers eux.

Visualisant en esprit son enveloppe physique, inerte, au Sanctuaire, Arion ouvrit la main, commandant le fracas de leur refuge d'une impulsion psychique. Dans un même élan, semblable à celui d'un essaim, les ombres se jetèrent sur leurs proies.

A l'ultime seconde où la masse des êtres de néant allaient se refermer sur eux, Arion les téléporta, priant pour que la jeune fille réintègre bel et bien son corps.

Avec un petit flash lumineux, ils s'évanouirent.

Le voyage ne ressembla en rien à ce que le Chevalier d'Or connaissait. Les deux voyageurs étaient comme aspirés à toute vitesse dans un très long tunnel, décrivant de nombreux virages. A chaque nouveau coude, Arion devait raffermir sa volonté pour traverser un mur de réalité supplémentaire.

Au détour d'un de ces méandres, quelque chose les traversa, laissant de désagréables vibrations parcourir leurs corps. La jeune fille semblait atteindre les limites de son pouvoir, leur tangibilité allant et venant, pareille à une ampoule aux filaments grésillants. C'était comme essayer de continuer à retenir sa respiration alors que vos poumons étaient déjà en feu. Et soudain, ils furent percutés. Ils parvinrent à ne pas se lâcher, mais il s'en fallu de peu et leur course se fit plus folle et irrégulière encore. Osant à peine détourner les yeux de leur objectif, Arion crut distinguer plusieurs paires d'yeux brûlant d'un feu blanc autour d'eux.

Gardant en ligne de mire ce qui devait correspondre au point de chute de leur course effrénée, il aperçut une paire de bras éthérés se tendre vers eux. Le Bélier s'empressa de faire de même et finit par en saisir un dès qu'il fut assez proche.

 

Un instant plus tard, ou peut-être une éternité, le Chevalier d'Or se mit à sentir plusieurs choses en même temps : de l'air s'engouffrant à toute vitesse dans ses poumons, tandis qu'il prenait une grande inspiration qui le fit tousser, lui laissant l'impression qu'une coulée de feu incendiait sa gorge ; le poids de sa chair s'abattant sur lui telle une chape de plomb ; de pernicieuses douleurs d'être resté trop longtemps dans une même position inconfortable.

Ses sens désorientés lui revinrent avec ce qu'il estima être une lenteur affligeante. Ses yeux firent en douceur le point sur ce qui l'entourait, chassant les derniers lambeaux du brouillard de l'inconscience.

Il mit quelques secondes à comprendre que le tumulte qu'il percevait n'était pas dans sa tête, mais appartenait bien au monde réel. Un meuble vola au-dessus de lui pour aller se disloquer contre un mur avec un bruit de bois meurtri.

- Kemonoshiki Sabaori !

Aussi vite que le lui permit son corps ankylosé, il se redressa pour passer en position assise. Sa tête lui tourna aussitôt et une vague nauséeuse déferla en lui. Il eut tout juste le temps de se détourner sur le côté pour vomir.

Crachant un dernier filet de bile, il avisa Geki en train de retenir entre ses impressionnants bras aux muscles gonflés par l'effort, la silhouette d'Ikki. Les veines de celui-ci ressortaient sur sa peau bronzée et les tendons de son cou saillaient tels des câbles au-dessous, comme si tout son corps luttait contre l'étau imposé par le Chevalier de la Grande Ourse. Ou contre autre chose.

 

- Qu'est-ce qui t'arrive Ikki ?! aboya Geki.

Malgré la colossale force dont il se savait détenteur, il peinait à garder le Phénix sous contrôle. Les mâchoires de ce dernier étaient contractées et un filet carmin souillait son menton, preuve qu'il avait dû se mordre l'intérieur des joues en se débattant. La sclérotique d'un de ses yeux était envahie petit à petit par un noir insidieux.

- Je ne le ferais pas de gaieté de cœur, mais si tu ne te calmes pas immédiatement, je te fais embrasser le sol ! le prévint Geki, dont l'aura vert lichen commençait à se manifester, pareille à une bête prête à charger.

La tête d'Ikki s'agita de droite à gauche.

 

Arion était abasourdi par la scène. Non par ceux qu'elle impliquait, mais par l'espèce d'ombre familière, accrochée au corps du Chevalier du Phénix et qui semblait en passe de fusionner avec lui.

- Ja... jamais plus, tu m'entends ! parvint-il à cracher entre ses dents serrées. Va te faire foutre !

- Ok, là, ça va faire mal, répondit Geki.

Il souleva un peu plus le corps d'Ikki, mais avant qu'il n'ait pu parachever son mouvement, le cri d'Arion le stoppa.

- Attends ! Il n'est pas dans son état normal.

- Sans blague, je n'avais pas remarqué ! ironisa le grand Japonais.

- C'est à cause de cette chose, de cette ombre, fixée à son corps.

- Une ombre ? répéta le Chevalier de Bronze. De quoi est-ce que tu parles ? Il n'y a rien sur lui.

Il ne la voit pas ? s'étonna la Bélier. Non, oublie, il y a plus important. Comment libérer Ikki ?

Le hurlement de profonde rage du Phénix le fit frissonner malgré lui. La forme ombreuse prit alors feu sans crier gare, lâchant un cri atroce qui lui rappela ceux perçus lors de son voyage inter-dimensionnel involontaire. Là encore, il sembla être le seul à l'entendre.

Geki relâcha sa prise dès qu'il sentit la tension habitant son demi-frère disparaître. Ce dernier se serait complètement effondré s'il ne l'avait pas retenu dans sa chute.

- J'ai fini par l'avoir, dit Ikki, visiblement épuisé.

- Elle a disparu ! s'exclama Arion, tout en trouvant enfin les ressources pour se mettre debout, en dépit de ses jambes vacillantes.

Sans plus se préoccuper du Phénix, Geki passa en trombe à côté du Bélier.

- Aponi ! Nokomis ! appela-t-il.

Un grommellement lui répondit.

- Aponi, tu vas bien ?

La jeune Amérindienne était en train de se relever en se frottant l'arrière du crâne. Ses doigts revinrent tachés de sang. Elle paraissait avoir été projetée contre le mur, comme en témoignait les fissures le lézardant.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Loin de répondre à la question de la jeune fille, le colosse Japonais se pencha près de la forme étendue sur le sol à côté d'elle.

Aponi tressaillit en la découvrant et son cri resta bloqué dans sa gorge. Des perles de couleurs étaient éparpillées un peu partout. La tête de son aïeule formait un angle étrange avec le reste de son corps, l'os de la clavicule saillait en perçant la chair. Un violent choc lui avait sans équivoque brisé le cou.

Le Chevalier du Petit Renard jeta des regards éperdus dans toute la pièce, son esprit ne parvenant pas à appréhender la présente situation. Un masque de douleur ombra les traits de Geki.

- Je suis désolé, Aponi.

Son regard, au contraire de ses mots, n'était pas dirigé vers la jeune fille, mais vers Ikki.

Quelques instants plus tôt, Nokomis s'était écriée : « Ils arrivent ! Et ils ne sont pas seuls ! », puis le Phénix avait fait montre d'une brutalité soudaine en propulsant les deux femmes contre la paroi de la chambre. Tout ça, sans le moindre signe avant-coureur, ni la moindre hésitation. Arion ne devait son salut qu'au fait d'avoir été hors de portée.

Ce n'était que lorsque la Grande Ourse l'avait saisi à bras-le-corps qu'il avait émergé de cet état brutal, quasi "bestial".

A bien y réfléchir, le Phénix paraissait s'être davantage débattu avec un quelconque conflit intérieur que contre lui. Et cette histoire d'ombre …

- Ikki, commença Geki.

Sa phrase ne s'acheva jamais, engloutie par le tocsin du Sanctuaire dont le carillonnement insistant plongeait tout le Domaine Sacré en état d'alerte.

 

 

Wagoc : Renard en langue algonquine.

 

Cimenj : Peut se traduire par "petit frère", "frère cadet" en langue algonquine.

 

Kokiwin : Peut se traduire par "plonger" en langue algonquine.

 

Kokiwin Wagoc : Plongeon du Renard

 

Kemonoshiki Sabaori  : Étreinte Bestiale

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