Une Dernière Bataille

Chapitre 35 : Retour en Grèce

9125 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/11/2024 18:01

Dimension inconnue

 

Des sensations simples. Ses vêtements sur sa peau. La dureté du sol sous lui. Sa respiration profonde et régulière. Sa main droite soutenant sa main gauche par-dessous et le poids de la pierre polie dans le creux formé. La conscience de l'homme s'éleva et se concentra sur la perle noire parcourue de veinules rougeâtres. Elle y plongea dedans, à moins qu'elle n'y fut aspirée.

Le long tunnel toujours aussi obscur s'ouvrit devant lui en s'enroulant sur lui-même. Il remonta ce chemin désormais familier et parvenu à son terme, déboucha dans un espace noir piqueté de points lumineux. Des étoiles peut-être ?

Subitement, du sable commença à se déverser depuis d'invisibles déchirures dans la trame de cette dimension. Des tonnes de minuscules grains dorés et scintillants se répandirent, s'amoncelant, alors que d'improbables murs percés d'arcades émergeaient du sol de part et d'autre d'une invisible ligne centrale. L'air, si c'en était réellement – impossible d'en être certain ici – s'assécha, sans pour autant devenir brûlant.

Le visiteur avança encore, la matière minérale crissant sous ses pas. Des petits globes de flammes orangées apparurent à intervalles réguliers sur les murs, s'allumant à chaque mètre supplémentaire parcouru et s'éteignant une fois dépassés, ne laissant pas plus qu'une chiche luminosité s'installer. Le plafond demeurait couleur de nuit, infinie et insondable.

Sans prévenir, un vent improbable agita le sable, le faisant danser, puis tourbillonner jusqu'à ce qu'il s'élève en une colonne de poussière où se devinait une sombre silhouette. Une paire d'yeux brillants, pareils à deux gouttes de sang, se fixèrent sur le visiteur. Comme toujours, la forme de son hôte semblait faire partie intégrante des éléments qui l’entouraient. Les deux consciences se connectèrent.

- L'un de mes Gardiens Célestes m'a récemment remis l'artefact récupéré auprès de Loki, annonça l'homme en guise de préambule.

Encore ce même sentiment de froid et de désolation qui s'installait à mesure qu’il le fixait. Il détestait ressentir ce malaise et tout ce qu'il véhiculait. Faiblesse, peur, lâcheté. Malgré tout, la désagréable impression s'en alla aussi vite qu'elle était venue, un peu comme si on lui faisait une faveur en la détournant.

- Bien, répondit l'être de ténèbres, les pièces continuent à se mettre doucement en place. (Un bref, mais trop long silence s'installa avant que son visiteur esquisse une réponse amenant à l'intervention de son hôte.) Tu ne parais pas satisfait, Susanoo.

- Je ... J'ai du mal à réfréner mon impatience quant à l'achèvement de cette quête.

- Je comprends, néanmoins ... (La sensation de malaise revint à la charge avec mille fois plus de force, coupant les jambes de Susanoo sous lui et le contraignant à poser un genou à terre. Son corps était parcouru de tremblements nerveux, un voile de sueur avait recouvert sa peau et il se sentait sur le point de vomir.) Ne t'avise plus d'y faire allusion que ce soit en parole ou en pensée. Les choses vont à leur rythme et plus le temps passe, plus mon essence pourra trouver rapidement les clés suivantes. C'est inéluctable.

La pression exercée sur le Seigneur des Tempêtes se relâcha petit à petit, lui rendant un soupçon de dignité en lui évitant de répandre le contenu de son estomac sur ses pieds.

- De plus, poursuivit la forme obscure, je perçois des fluctuations de par le monde, preuve des effets de ma libération progressive.

- C'est vrai, confirma Susanoo, de plus en plus de déités s'éveillent et Athéna sera bientôt débordée par le flot des évènements.

- Bien, je sens ton entrain revenir. As-tu encore des pions pour jouer ?

- Deux. Dont celui qui m'a rapporté l'artefact. Il a changé, il a reçu du sang divin de la part de Loki. Je ne sais pas ce qu'il avait derrière la tête en faisant ça, mais je désapprouve.

- Au contraire, ton serviteur n'en sera que plus fort et cela fera de lui un excellent émissaire si tu as besoin de recruter d'autres pions parmi ces dieux nouveaux venus.

Le corps de Susanoo commença soudain à vaciller, prenant une forme éthérée.

- Tu t'épuises. Mieux vaut te hâter de quitter ce lieu et d'utiliser au plus tôt ce nouvel artefact. Fais-le et sous peu, tu sauras où chercher ton prochain objectif.

En effet, le Seigneur des Tempêtes ne parvenait plus à maintenir sa conscience dans ce plan d'existence. Et l'assaut mental qu'il avait subi juste avant n'était certainement pas étranger à cette réduction de son endurance.

- Je vous renouvelle ma confiance, dit-il en réalisant une inclinaison du buste. Avec votre accord, je me permets de m'en aller.

L’image du dieu japonais poursuivit son évaporation jusqu'à se dissiper totalement.

- Patience, Susanoo. Ta récompense te sera bientôt accordée.

Les éléments constituant cette réalité, ce pont reliant deux consciences, se désagrégèrent les uns après les autres et le tourbillon accueillant la silhouette s'altéra lui aussi, emportant toute trace de son hôte.

 

25 avril 1997

Norvège, Base scientifique de la fondation Graad

 

Du ciel grisâtre, quelques flocons tombaient paresseusement en décrivant de légers mouvements de va-et-vient donnant l'impression qu'ils dansaient.

Après avoir pénétré dans la base dont le périmètre était ceint d'un grillage, lequel lui conférait autant un air de base militaire que de station scientifique secrète, les membres du petit groupe découvrirent leur moyen de transport. Un avion militaire de type cargo, vierge de tout givre, les écrasait de sa masse métallique blanchâtre avoisinant les dix tonnes. Semblable à un CN-235 auquel les ingénieurs de la fondation Graad avaient certainement apporté diverses modifications, son envergure de vingt-cinq mètres valait presque sa longueur. A défaut du confort d'un avion de ligne privé, ils bénéficieraient au moins de suffisamment de place.

Ils embarquèrent les uns à la suite des autres, chacun prenant une place le long des rangées de sièges latéraux, tandis que l'on entreposait leurs bagages se résumant aux Urnes Sacrées des Chevaliers et à quelques reliefs de leurs vies nordiques, dans une zone dédiée.

Parés au départ, leurs ceintures bouclées dans un concert de claquement, ils ressentirent avec excitation pour certains le vrombissement des puissants moteurs entraînant la rotation des hélices, faisant bientôt quitter le sol à l'appareil. Au bout d'une vingtaine de minutes, un signal sonore indiqua aux passagers qu'ils pouvaient se libérer sans risques et un haut-parleur les invita en crachotant à rejoindre l'envoyé du Sanctuaire.

Gravissant un court escalier en métal, le groupe de onze personnes accéda à une petite salle située à proximité du cockpit. A l'intérieur, un genre de table ressemblant à un gros cube occupait le centre. En face de la porte, ainsi qu'à droite, les parois comportaient des écrans émettant une lueur bleutée où défilaient diverses données : nombres, courbes, graphiques, … .

Un homme leur tournait le dos. Un dos qu'ils pouvaient deviner large et musclé, tendant la tenue qu'il portait. D'une taille avoisinant le mètre quatre-vingt-dix, il possédait des cheveux noirs coupés très courts. Se retournant au moment où ils entraient, il les salua chaleureusement.

- Ah, quelle joie de vous retrouver ! Marin, enfin, le Grand Pope commence vraiment à maîtriser son sujet.

Dans le milieu de la vingtaine, leur interlocuteur avait un nez large légèrement épaté et des sourcils broussailleux au-dessus d'yeux noirs légèrement en amande. Une cicatrice horizontale zébrait son front et deux plus petites verticales barraient ses lèvres du côté gauche, l'une descendant jusqu'à son menton carré.

- Arion, tu n'aurais pas pris un peu de poids ?

- Ban ! s'exclama le Tibétain en enlaçant brusquement le Japonais, tant il était heureux de revoir un vieil ami.

- Ouah ! En fait, c'est du muscle tout ça ! rit ce dernier en repoussant le Bélier de ses larges bras. (Il se décala légèrement pour observer les autres et une ombre passa sur ses traits.) Je vois de nouveaux visages parmi vous et certains qui … manquent à l'appel.

- Oui, confirma Arion d'une petite voix qui indiquait qu'il ne souhaitait pas évoquer plus avant le sujet. (Il enchaîna donc :) Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Il faisait allusion aux marques sur le visage du Chevalier de Bronze du Petit Lion.

- Ça ? fit celui-ci en effleurant les boursouflures rosâtres. Un petit souvenir d'un voyage en Chine. (Il consulta sa montre et dit :) On a grosso modo huit heures de vol avant de parvenir à Athènes. Je vous propose de vous faire le point sur la situation actuelle du Sanctuaire et celle du monde.

Chacun saisit l'implication lourde de sens que ce dernier mot contenait et ils prirent place.

 

Ban se racla la gorge et entama son récit.

- Depuis votre départ, il y a un peu plus de deux ans, le Sanctuaire a poursuivi sa renaissance sous la houlette de Saori Kido. Cela fait déjà une décennie qu'Hadès a été vaincu, mais au lieu de célébrer l'évènement, c'est tout autre chose qui occupe l'activité actuellement. Autre chose d'autrement plus important. (Il laissa s'écouler quelques secondes qui firent leur petit effet.) Un sommet inter-panthéon.

Des front se plissèrent et un chapelet d'exclamations ponctuèrent la nouvelle.

- Je sais, reprit-il, nous en avons été les premiers étonnés lorsque l'idée fut émise. Habituellement, toute autre divinité qu'Athéna est interdite sur ses terres, alors plusieurs … . Néanmoins, nous en avons compris la nécessité. (Son regard s'assombrit.) Partout sur le globe, des conflits éclatent. Certains sont clairement dus à la nature belliqueuse de l'être humain, mais d'autres portent l'indélébile marque des dieux. D'abord passé pour un acte de folie humaine, le génocide ayant eu lieu au Rwanda l'année précédant votre départ pourrait avoir pour origine une divinité maléfique, ou de puissants chamans ayant amplifié les pulsions meurtrières entre les nations. D'autres problèmes se sont manifestés au Congo. Proche-Orient comme Moyen-Orient, à l'image de l'Afghanistan, sont déchirés par la guerre. En Irlande, l'IRA a repris ses activités terroristes en frappant Londres, mais là encore, on a découvert grâce à Nachi et Shaina qu'un culte dédié à Balor, une ancienne entité, avait usé de son influence pour raviver les désirs d'indépendance d'une partie du peuple irlandais, et ce de manière sanglante.

- T'as bien dit Balor !? s'exclama le Chevalier d'Orion.

- C'est ce que j'ai dis, confirma Ban, sans s'appesantir davantage sur les détails. Et ce n'est pas tout. Plusieurs catastrophes allant de trop abondantes pluies à un puissant et meurtrier séisme au Japon se sont produits également. Elles résultent de dieux ou de déesses dont la réincarnation ne se passe pas idéalement, ce qui peut provoquer la folie chez l'hôte, ou bien des usages incontrôlés de leur pouvoir naissant.

- Avez-vous découvert pourquoi est-ce qu'il y autant d'éveils ? demanda Rikimaru à brûle-pourpoint. Habituellement, il n'y a qu'une poignée de divinités en activité en même temps.

- D'où est-ce que tu sors ça ? s'étonna Raul.

- Tsukuyomi, le dieu que nous servons, aime savoir ce qu'il se passe dans le monde et garder un œil dessus, révéla Ayame. C'est presque un genre de manie.

- Je suppose qu'un dieu averti en vaut deux, résuma simplement Mei Ling.

Le duo, qu'il devinait Japonais, venant de parler n'était pas familier à Ban, mais leurs identités lui importait peu en cet instant. Si eux et les autres, qu'il pressentait être des Marinas, étaient acceptés par les Chevaliers, alors c'était que la providence les avaient réunis.

- Non. Nous ne sommes sûrs de rien, à part que la situation tend à devenir de plus en plus chaotique sur la planète entière. Les castes affiliées à ces dieux émergent également, de même que des créatures cantonnées habituellement aux mythes et qui pointent le bout de leurs museaux ... ou de leurs griffes. (Il caressa ses cicatrices de ses lèvres.) Le Sanctuaire ne peut malheureusement pas lutter contre autant de menaces. Pas dans son état actuel, avec des effectifs réduits. C'est pour cela qu'il a besoin d'alliés.

- Et comment savoir qui est fiable ? interrogea à nouveau le Taureau. Parce qu'il doit bien y avoir un ou deux petits malins qui rêve d'en profiter pour s'infiltrer sur le Domaine Sacré, voire prendre la place d'Athéna.

Un rire sec agita le Japonais.

- Je ne sais pas qui tu penses traiter de petits malins comme ça, mais nous ne sommes pas idiots et loin d'être sans défense. Nous n'avons pris contact qu'avec des dieux triés sur le volet. Soit parce qu'ils sont connus pour leurs natures bénéfiques, soit pour leur intérêt pour le genre humain.

- Mais un terrain neutre n'aurait-il pas été plus appropriés que le Sanctuaire ? releva Narya. Accueillir autant d'étrangers sur son propre territoire est risqué, non ?

- C'est possible. Malgré tout, je crois qu'Athéna entend rappeler par la même occasion qu'elle ne craint pas d'inviter d'autres incarnations chez elle.

- Elle me paraît bien sûr d'elle, évalua Ayame.

- C'est un pari qui a ses raisons, appuya le solide gaillard. Athéna a gagné en puissance au cours des dernières années. Elle maîtrise bien mieux ses pouvoirs et elle a tout de même abattu un dieu véritable, pas juste une enveloppe d'emprunt. Elle ne l'a pas simplement renvoyé au placard. Et c'est aussi ses Chevaliers qui ont toujours défendu la Terre quel que soit le lieu.

- Et en fin de compte, cela pourrait nous permettre de nous concentrer sur la recherche de réponses quant à la mystérieuse menace qui nous a conduit à Asgard, avança Tristan.

- C'est effectivement un élément important à prendre en compte. (Son regard sombre balaya ses interlocuteurs.) Si certains d'entre vous ont faim, de la nourriture a été mise à votre disposition et bien sûr des couchettes sont prêtes à recevoir ceux qui préfèrent piquer un somme. On vous réveillera un peu avant notre atterrissage. Athéna et le Grand Pope attendent vos informations avec une certaine impatience, je ne vous le cache pas. Ah, on a aussi un toubib à bord si vos blessures ont besoin d'être réexaminées. Et vous trouverez également des vêtements plus … « modernes » dans les casiers de la soute. Vous ne pouvez pas vraiment débarquer vêtus de la sorte à Athènes.

 

Le reste du vol se passa sans encombres jusqu'au moment où l'activité commença à reprendre son cours dès qu'il fallu entamer les étapes précédant l'atterrissage. Une décélération progressive et un crissement de pneus plus tard, les passagers quittaient les entrailles de l'engin.

Une fine pluie tombait par intermittence, humidifiant légèrement leurs vêtements et les Urnes Sacrées sur leurs dos, le temps qu'ils rejoignent les véhicules devant leur permettre de gagner le Sanctuaire – ou du moins s'en rapprocher, car ils devraient finir le chemin à pied. En effet, les dimensions de l'appareil ne leur avait pas permis de se poser directement au Sanctuaire, comme Saori Kido avait pu le faire par le passé avec le petit jet l'amenant elle et les Chevaliers de Bronze lors de leur célèbre chemin de croix. Juste avant de démarrer, le Petit Lion les abandonna quelques instants pour s'entretenir avec un des chauffeurs qui lui avait fait signe.

Le convoi traversa la capitale grecque en subissant les embouteillages de fin de journée avec son lot de ralentissements et de coups de klaxons. Quand il s'en extirpa enfin, la nuit était tombée et le ciel s'était piqueté d'étoiles, bien que la pollution ne permette pas de les voir avant qu'il soit tout proche de la frontière avec le Domaine Sacré.

A partir de là, ils durent abandonner les véhicules, qui repartiraient vers la ville, et emprunter une longue route serpentant dans les montagnes. Il leur faudrait franchir des passages que seul un initié savait trouver dans ce labyrinthe minéral et esquiver quelques pièges naturels potentiellement mortels même pour un grimpeur chevronné, alors pour un homme du commun …

Les Chevaliers avaient déjà emprunté cet itinéraire par le passé, à plusieurs reprises pour certains, mais pour les serviteurs des autres divinités, c'était une première. Au fur et à mesure du parcours, ceux-ci commencèrent à percevoir un sentiment étrange prendre naissance dans leurs entrailles, comme s'ils comprenaient instinctivement qu'on leur accordait un privilège de pouvoir pénétrer sur le territoire de la déesse grecque de la Guerre et de la Sagesse.

Deux heures d'une lente marche plus tard, un peu avant minuit, le groupe déboucha sur un promontoire rocheux qui leur permit d'avoir une vue plongeante sur leur destination. La sensation éprouvée plus tôt par les étrangers se manifesta à nouveau en contemplant le vaste panorama qui s'offrait à eux.

En dépit de l'obscurité rendant difficile une observation optimale, ils purent distinguer les formes de nombreux bâtiments grâce aux braseros qui brûlaient un peu partout. Il leur sembla repérer un amphithéâtre et des regroupements de masures évoquant de petits quartiers, ainsi que des grands espaces dépourvus de construction devant s'apparenter à des parcs ou des jardins. Néanmoins, à mesure que leurs regards remontaient ce décor, ils découvrirent un peu à l'écart, la colossale horloge de section carrée. Celle dont on disait que chaque heure était marquée d'un signe du zodiaque. Revenant plus à gauche, les spectateurs aperçurent le premier Temple marquant le début d'un long chemin en traversant onze autres, jusqu'à un massif bâtiment rectangulaire derrière lequel émergeait la grande statue représentant Athéna. Les rayons lunaires la drapait d'une aura mystique.

- C'est quelque chose, hein ? leur fit remarquer Ban, les arrachant à leur contemplation muette. Moi aussi, la première fois que j'ai vu tout ça – et il faisait jour –, j'ai été sens dessus dessous. Mes frères avaient attribué mon mutisme du moment à mon côté laconique habituel, ce qui était faux. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je préfère m'exprimer. (Il leur fit signe de poursuivre le chemin.) Allez, il est déjà tard, pressons-nous.

 

Durant encore une trentaine de minutes, ils descendirent par un sentier escarpé, tâchant de ne pas se rompre le cou, tandis qu'ils évoluaient au clair de lune que des nuages volaient de temps à autre. Finalement, le groupe atteignit le premier poste de garde de la porte Est. Les personnes en faction les interpellèrent aussitôt qu'ils les virent. Leurs identités confirmées, on les autorisa à franchir les portes, non sans avoir accueilli le retour des Chevaliers avec enthousiasme.

Les non familiers des lieux purent découvrir une architecture qui n'avait que peu évolué depuis l'Antiquité, conférant un côté intemporel à ce qu'ils voyaient. Comme s'ils avaient pénétré dans une bulle d'histoire, à l'image du royaume d'Asgard. Ils remontèrent ce qui leur sembla être une avenue commerçante, même si pour l'heure, tous les étals étaient rangés.

Alors qu'ils avaient effectué une longue descente un peu plus tôt, il leur fallut à présent suivre une pente ascendante qui les rapprocha du Chemin des Douze Temples. Toutefois, l'heure n'était pas encore venue pour eux de l'emprunter. Ban les mena donc vers l'une des casernes présentes sur le Domaine Sacré pour qu'ils y passent le reste de la nuit.

- J'ai l'impression que le capitaine Nereus n'est pas là, annonça le Chevalier de Bronze après avoir promené un œil un peu partout. Bon, ce n'est pas bien grave. C'est ici que nous allons mettre à profit les quelques heures qui restent avant l'aube pour nous reposer. Dès que le soleil aura commencé à poindre, les personnes concernées auront été prévenues que nous sommes rentrés et nous partirons pour le Palais du Grand Pope. Après le petit déjeuner évidemment.

- Pourquoi ne s'y rend-t-on pas dès à présent ? l'interrogea Tristan.

- Parce qu'Athéna ne doit revenir du Japon que plus tard dans la journée, leur révéla Ban. Je n'ai eu l'information que peu de temps après notre atterrissage.

- Attends une minute, tu nous as fait crapahuter des heures dans le noir pour finalement nous annoncer ça maintenant ? lâcha Raul. Si tu le savais depuis l'aéroport, ça n'aurait pas été plus simple de dormir à l'hôtel, pour une fois, et d'attendre le petit matin pour la séance de randonnée ? Non, parce qu'on n'était pas vraiment attendus finalement.

- Primo, la date exacte de votre retour n'était qu'une estimation, contra le Petit Lion en levant un premier doigt. Secundo, Athéna n'aurait pas fait cela sans une bonne raison, n'en déplaise à monsieur. Tertio, je ne t'imaginais pas si attaché à ton petit confort.

- Hé ! se rebella celui-ci en sentant le sang battre à ses tempes. J'ai essayé de ne pas me montrer trop grossier, mais ça risque de changer bientôt …

- C'est bon Raul, on sait tous que tu préfères les matelas moelleux et les draps de soie, le piqua Gearóid, tandis que le Mexicain se rapprochait de Ban, les deux confrontant leurs physiques.

Du coin de l'oeil, le Taureau lui lança :

- Tu sais que je n'ai toujours pas renoncé à l'idée de te …

- Ha ! J'aime cet esprit de camaraderie, choisit de dire Ban afin de détendre l'atmosphère. Vous n'avez pas dû vous ennuyer tout là-haut. (Il frappa dans ses mains.) Allez, profitons-en pour dormir un peu, car la journée risque d'être longue.

Maugréant, Raul et ses compagnons suivirent son conseil en s'éparpillant pour trouver un lit, tout en sachant qu'une majorité d'entre eux serait fuit par le sommeil. Le besoin de raconter leur histoire ainsi que la venue prochaine de toutes ces divinités achevaient de maintenir leurs cerveaux en ébullition.

 

26 avril 1997

Grèce, Sanctuaire, Quartiers d'habitations des gardes

 

Ce fut une aube au teint grisâtre qui accueillit leur réveil. L'astre du jour n'avait pas encore franchi les montagnes, baignant tout juste leurs contours de son éclat, mais l'on pouvait déjà voir que le ciel se chargeait de nuages. S'il ne pleuvait pas, la journée serait terne dans tous les cas. Un léger vent s'était mis à souffler, faisant tinter les minces tubes de bois creux d'un carillon, égrenant une cascade de notes ligneuses.

- La pluie va suivre, je le sens, prédit Nikolaï en finissant de faire un sort à la galette de céréales zébrée de miel qu'il tenait en main.

- J'espère qu'on aura tout de même le temps de rejoindre notre destination sans finir trempés, bougonna Ayame en reposant le bol en terre cuite qu'elle avait vidé de son infusion. Le froid me dérange moins qu'avant, mais l'humidité …

- J'te comprends, dit Gearóid en réprimant difficilement un bâillement. J'ai tendance à avoir les cheveux qui frisent après.

Plusieurs de ses compagnons pouffèrent de rire.

- Allez, assez plaisanté, tempéra Arion. Il nous faut nous mettre en route. Gravir toutes ces marches va nous prendre un certain temps.

- M'en parle pas, ronchonna Raul en levant sa grande carcasse du banc pour s'étirer.

- C'est si terrible que ça ? voulut savoir Einar, occupé à laver ses couverts dans un baquet d'eau chaude.

- On en reparle quand on sera en haut, d'accord ? répondit le Mexicain. Je te laisse te faire ta propre idée.

- Tu ne pourras pas nous téléporter ? demanda Rikimaru au Bélier.

- Malheureusement non. La statue d'Athéna impose au Domaine Sacré une barrière qui empêche d'utiliser ce genre de technique. Qu'on soit un allié ou un ennemi d'ailleurs. Et, pour couronner le tout, l'usage du cosmos est limité à l'intérieur des Temples. Essayez pour gravir les marches et vous constaterez que vous n'y parviendrez pas.

Tous les Chevaliers acquiescèrent à ses paroles qu'ils ne savaient que trop vraies. Les autres se turent, dépités, mais aussi admiratifs quant au pouvoir que devait requérir de tels interdits.

- Et au fait, où est Ban ? lança Narya à la volée.

- Je crois bien qu'il est parti avant nous, estima Mei Ling qui repliait ses couvertures d'emprunt. Je ne sais même pas s'il a vraiment dormi.

- C'est parce qu'il ne voulait pas faire le chemin avec Raul et l'entendre se plaindre, rit l'Irlandais.

- Tu sais ce que je ferai une fois que l'on sera tout en haut, je te botterai le cul si fort que tu voleras jusqu'ici.

 

Sur ces entrefaites, Arion les enjoignit à sortir de la caserne, saluant au passage quelques-uns des gardes qui allaient relever leurs camarades, et ils prirent la direction du Chemin des Douze Temples entraperçu la même nuit.

Au bout de deux heures et demi, ils convinrent de marquer une courte pause à la sortie du Temple de la Balance.

- Il faudrait vraiment songer à installer un téléphérique, lâcha Gearóid tandis qu'il s'essuyait le front d'un revers de main.

- Ce serait oublier l'aspect initiatique de ce cheminement, tempéra Arion.

- Oui, et puis, ça viendrait gâcher l'authenticité de tout ça, non ? souligna Tristan en décrivant un arc-de-cercle du bras avec un sourire pour désigner les montagnes et les Temples.

- Ouais, il y a ça aussi, reconnut le Chevalier d'Orion, en souriant à son tour.

Quelques gouttes commencèrent à s'écraser sur le sol de manière timide.

- Je vous l'avait dit, on …, commença le Cheval des Mers en levant les yeux vers un ciel tournant de plus en plus à l'averse.

Toutefois, ce qui le retint d'achever sa phrase, les dépassa avec un bruit assourdissant. Un petit jet survola leur position l'espace d'un bref instant, alors qu'il se dirigeait vraisemblablement vers le Temple d'Athéna, derrière lequel il disparut bientôt.

- Ne me dites pas qu'il y a une piste là-haut, lâcha Raul, incrédule.

- Comme quoi, ils ne sont pas imperméables à un brin de modernité, reconnut Andrei. J'aimerais que mon peuple y consente aussi plutôt que de rester coincé dans les traditions du passé.

C'était une des rares phrases prononcée par le Verseau depuis leur départ d'Asgard, lui qui était demeuré silencieux en-dehors de quelques réponses laconiques.

- Quoiqu'il en soit, hâtons-nous, reprit le Bélier. Cet appareil doit appartenir à la fondation Graad et je ne pense pas me tromper en disant que c'est celui dont parlait Ban.

Ce dernier élément plaça une bonne partie d'entre eux sur des charbons ardents. Ils avaient cru arriver les premiers et, pour certains, pouvoir maîtriser l'appréhension qui les rongeait, impatients et en même temps réticents à l'idée d'avouer leur échec. Pour d'autres, c'était la perspective d'être en présence d'une divinité qu'ils ne servaient et ne connaissaient pas.

Néanmoins, ils se résolurent à reprendre leur ascension. Encore deux bonnes heures et ils seraient parvenus à leur destination.

 

A mi-chemin du Temple des Poissons, ils furent finalement victimes de la pluie que les nuages alourdis consentirent enfin à relâcher. Les plus attentifs aux signes que pouvait envoyer l'univers y virent une expression de chagrin comme ils franchissaient le lieu dont Oreste avait été le gardien pendant une trop brève période.

Franchissant une énième volée de marches, ils aboutirent face à une spectaculaire construction rectangulaire dont l'entrée était marquée par douze colonnes soutenant un fronton comportant de splendides gravures. Le fabuleux travail réalisé par les artisans du Sanctuaire se poursuivait plus loin, comme put le constater le petit groupe en observant les murs couverts de scènes sculptées dans la pierre. Certaines avaient même été réhaussées avec des couleurs, formant des mosaïques qui captivaient les regards s'attardant sur elles.

Leurs pas rapides jusqu'ici pour se soustraire à la pluie, ralentirent tandis qu'ils s'abreuvaient de toute cette beauté, pour finir par s'interrompre en arrivant devant une grande double porte. Au-delà se trouvait la salle d'audience du Grand Pope. Ils n'étaient pas complétement trempés, mais n'étaient visiblement pas non plus au meilleur de leur avantage. Toutefois, leurs tristes mines semblaient faire pâle figure par rapport à un duo de gardes qui n'avait pas l'air d'en mener large, sans quelque raison apparente que ce soit. Sitôt qu'ils les aperçurent, ils déverrouillèrent l'accès à l'entrée qu'ils encadraient, faisant pivoter les lourds battants qui n'émirent qu'un maigre gémissement en retour, leurs gonds ayant été graissés avec soin.

Lorsqu'ils eurent franchi le seuil, ils comprirent le malaise des gardiens des portes, car rien n'aurait pu les préparer à ce qu'ils découvrirent.

Une très large table de bois poli de forme ronde avait été placée au centre de la salle. Ses dimensions lui permettait d'accueillir sans problème une douzaine de personnes et chacune aurait eu la place d'écarter les bras sans pour autant toucher ses voisins.

Le sol avait été dépouillé de son gigantesque tapis pour ne laisser que des dalles impeccablement lustrées, renvoyant une image de blancheur presque immaculée, comme tout juste sorties de la carrière.

Des colonnes soutenaient le plafond latéralement de part et d'autre de la pièce, au-delà desquelles se devinaient des accès menant à d'autres endroits, et sur le toit naguère crevé par une décharge de cosmos était installée une grande verrière. De celle-ci, de maigres rais de lumière descendaient, illuminant chichement mais suffisamment le lieu, pour ne pas avoir besoin d'autre éclairage.

Au fond de la salle, sur une estrade constituée de paliers successifs, était installé l'imposant trône du maître du Sanctuaire, constitué d’un savant mélange d'airain et d’argent et richement orné par de fines gravures dorées à sa surface. Et derrière ce dernier, caché par de lourdes tentures bleu sombre au lieu du rouge du passé, se trouvait le seul passage pour se rendre au Temple d’Athéna.

Tout ce décorum renvoyait à la fois à une image d'opulence par les matériaux utilisés, mais également d'austérité, car l'on n'en avait pas abusé. Le Grand Pope incarnait un pouvoir presque flamboyant dans un cadre sans démesure recherchée. Néanmoins, tout cela n'était que la vision du contenant. Le contenu, lui, était bien plus impressionnant.

 

Plusieurs conciliabules avaient cours à différents endroits de la salle. Tout de suite à leur droite, se retournant pour apercevoir les nouveaux venus, ils eurent le plaisir de retrouver Ban, qui les avait devancés, ainsi que Nachi. Le contraste entre les deux demi-frères sautaient immédiatement aux yeux en terme de gabarit, là où le premier était massif, le seconde affichait un physique sec et nerveux. Les cheveux d'un noir de jais du Chevalier de Bronze du Loup avaient bien poussé et si jusque-là, ils l'avaient connu avec une coupe plutôt courte, maintenant, ils lui tombaient presque aux épaules, lui conférant un petit air sauvage que complétait une menue barbiche. Ses yeux noirs en amande surmontés d'arcades légèrement proéminentes, aux sourcils si fins qu'ils étaient quasiment absents, se posèrent sur son ancien élève.

Venant à lui, il posa sa main sur l'épaule du jeune homme et dit :

- Tu as bien grandi, Gearóid. (Il avisa la manche vide de l'Irlandais et un voile s'installa fugacement sur ses yeux.) Tu dois être bien plus rapide que le vent maintenant.

Peu de choses échappaient au regard du Chevalier d'Argent lorsqu'il observait un visage. Aussi ne manqua-t-il pas le trouble que son maître avait ouvertement manifesté, tentant malgré tout de le dissimuler derrière une maladroite défense en faisant référence à leur première rencontre. Ce qui parvint à faire sourire sincèrement Gearóid.

- Bien plus, oui.

 

- S'il n'est pas là, c'est qu'il ne rentrera pas, n'est-ce-pas ?

Un peu plus loin sur la gauche, Arion et Tristan étaient face à l'auteur de cette question que chacun savait purement rhétorique. Shun lut la douleur dans leurs yeux. Identique à celle qui se reflétait dans les siens.

- Est-ce qu'il … ? A-t-il … ? ( Le Chevalier d'Andromède inspira sèchement.) Nous en parlerons plus tard. Il vous faut voir Saori et Marin d'abord.

 

Les trois Marinas se rassemblèrent autour de l'homme aux cheveux blonds tirant sur le brun qui discutait auparavant avec Shun. Son regard d'un bleu limpide étincela en les retrouvant. Il prit dans ses mains celles de Narya.

- Sache que je partage ton chagrin, lui dit-il d'une voix où un timbre triste perçait.

N'apercevant pas Morgan, il avait tout de suite compris.

- Merci, maître Sorrento, répondit-elle la gorge subitement nouée.

- Appelez-moi simplement Sorrento. Vous avez tous amplement dépassé mes attentes et nous pouvons nous parler en égaux.

 

Encore un peu plus loin, dans sa tenue officielle de Grand Pope mêlant l'argent et un rouge grenat, attendait Marin. Une tête coiffée d'un casque de m'étal blanc surmonté d'un chouette aux yeux de jais et un visage voilé derrière un masque finement ciselé d'arabesques évoquant des plumes, ne permettaient pas de se faire une idée sur son expression. Expression qu'elle reporta bientôt sur le dernier groupe situé non loin de là, tout près de la colossale table.

 

Comment n'avaient-ils pas pu les remarquer avant ? Les trois individus rayonnaient de pouvoir contenu.

Le plus grand des deux hommes au profil caucasien arborait des cheveux blonds foncés dont les lourdes boucles lui tombaient sur les épaules. Une courte barbe bien entretenue venait contrebalancer la finesse de ses traits et un vert aquatique colorait ses prunelles aux profondeurs insondables.

Les traits du second étaient asiatiques et il affichait la quarantaine tout juste entamée. Ses cheveux noirs coupés courts et brossés vers l'arrière présentaient deux tempes grisonnantes. A son oreille gauche pendait une perle à la teine argentée en forme de goutte, reflet de la lueur métallique que renvoyait ses yeux noirs au gré des jeux de lumière. Une certaine fatigue pouvait se lire en lui.

- Seigneur Tsukuyomi, murmura Rikimaru, stupéfait de le trouver ici.

A pas vifs et feutrés, il s'approcha avec Ayame pour s'agenouiller à une distance respectable de leur dieu tutélaire, mais aussi des deux autres dieux.

Précédant le dieu japonais de la Lune, ce fut une jeune femme guère plus âgée que la Kunoichi Lunaire qui leur adressa la parole en premier.

- Voici donc les guerriers qui ont prêté main forte à mes Chevaliers.

Sa voix était douce et pourtant emprunte d'un force sous-jacente indéniable. Elle les observait de ses grands yeux pers, sertis dans un délicat visage que surmontait des cheveux châtains aux extrémités virant au blond, relevés en un complexe chignon agrémenté d'un épingle dorée.

- Athéna, je vous présente Ayame et Rikimaru, deux de mes plus fidèles serviteurs, l'informa-t-il en les désignant tour à tour d'une main où brillait un anneau d'argent sur lequel était enchâssée une pierre de lune.

- Seigneur Poséidon !

L'Empereur des Mers se tourna vers la source de ces paroles et découvrit trois de ses Marinas, un genou au sol, la tête courbée en signe de déférence.

- Je te remercie ma nièce, de t'être chargée du rapatriement de mes troupes, dit le dieu grec à travers les lèvres de Julian Solo, son hôte.

- Tu devrais faire montre de davantage d'égards envers ceux qui combattent en ton nom, mon oncle, préféra répondre la déesse de la Sagesse. De plus, ils rentrent d'une longue mission.

- Et verser dans le sentimentalisme ? Non, je te laisse ça Athéna. Leur raison d'être est de bien me servir, les Âmes des Marinas font le reste en choisissant les plus aptes à remplir ce rôle.

- Soit Poséidon, je ne débattrais pas plus de ça avec toi, admit Athéna. Pour l'heure, il y a bien d'autres choses dont nous devons discuter. (Elle reporta son regard si particulier sur ceux qui étaient restés près de l'entrée et un franc sourire illumina ses traits.) Je suis heureuse de vous retrouver Chevaliers. Bienvenue chez vous.

Elle observa leurs corps et leurs visages marqués par ces deux années d'épreuves.

Ils étaient jeunes et pleins d'innocence lorsqu'ils sont partis, songea Saori. Et je prie pour qu'ils soient revenus avec des esprits aussi affûtés que leurs physiques, et non pas émoussés. Ou pire, brisés.

- Merci Athéna, dit le Chevalier du Bélier en s'inclinant. (Il jeta tour à tour un œil aux autres dieux, hésitant dans ses mots.) Ban nous a informés de l'important événement qui doit avoir lieu, mais …

- Ne t'en fais pas Arion, nos autres invités n'arriveront que plus tard, au fil des jours, l'informa Marin. Avec le reste de nos compagnons. (Elle fit un ample geste du bras.) Pour l'heure, nous aimerions entendre le récit de toutes les parties concernées.

Les voyageurs s'entreregardèrent et acquiescèrent.

 

Des chaises furent disposées pour les onze conteurs en une longue ligne, faisant face au trône du Grand Pope qu'occupait actuellement Athéna. Juste devant elle, se faisant face, avait été installés des sièges supplémentaires pour Poséidon, Tsukuyomi et Marin. En bas des marches s'installèrent les aînés des Chevaliers, ainsi que le Général de la Sirène.

Dans un premier temps, Athéna prit la parole pour rappeler l'évènement survenu dix ans plus tôt lorsqu'un mystérieux individu s'était introduit au Sanctuaire pour dérober un artefact.

- Aujourd'hui, nous savons qu'il s'agit en réalité d'un objet ayant le rôle d'une clé, résuma-t-elle. Et que la déesse Coré en possédait un autre. Volé également.

  • Comment ? s'écria l'Empereur des Mers d'une voix où l'on pouvait entendre les rouleaux des vagues qui se brisent. Quel … ah, je vois. Je suppose qu'en tant qu'aîné de notre fratrie, Hadès a eu quelques privilèges. Pourquoi le Chevalier que tu as envoyé nous chercher ne m'en a pas parlé dans l'avion ?

Il jeta un coup d'oeil vers le Chevalier d'Andromède dont la clarté des yeux lui rappelait son défunt frère aîné.

- Tout simplement parce que je lui avais demandé de s'en tenir au strict minimum, cingla la déesse de la Guerre.

Le sol se mit soudain à vibrer, comme pris de tremblements qui menaçaient de se transformer en convulsions. Ces derniers cessèrent néanmoins aussi vite qu'ils s'étaient manifestés dès que Poséidon exhala un profond soupir.

Lui adressant un signe de la tête, Athéna reprit son histoire. Elle ne dissimula rien, évoquant la découverte et le décryptage d'anciens textes, les visions d'Arion et la mission qui en avait résulté à Asgard, royaume scandinave de l'extrême nord de l'Europe.

- Puisque qu'il faut jouer cartes sur table, avant que vous ne poursuiviez Athéna, s'immisça le dieu japonais, je me dois de vous informer de l'identité de celui que vous nommez le "Collectionneur". Information dont vos Chevaliers ont probablement déjà eux-mêmes connaissance.

Un discret hochement de tête de Rikimaru le lui confirma.

- Et bien ?

- Il s'agit de mon frère, Susanoo, Seigneur des Tempêtes et des Orages. Ce sont ses Gardiens Célestes qui sont responsables de ces vols.

- Pourquoi votre frère aurait-il besoin de ces clés ? demanda Poséidon. Ce sont des reliques grecques après tout.

- C'est bien là la question qui occupe mon esprit depuis plusieurs années. (Il s'orienta vers la déesse de la Sagesse.) A vous entendre, il semble qu'il veuille ouvrir quelque chose. Une porte peut-être ? C'est ce qui va généralement de paire avec les clés.

- Une porte ornée d'un Ouroboros plus précisément, répondit Athéna.

Un frisson involontaire parcourut le corps de l'Empereur des Mers. Cela ne dura qu'un instant, mais pour un être plus volontiers habité par la colère, l'impétuosité et la suffisance quant à sa force, c'était une petite éternité emplie de doute.

- Savez-vous ce qu'il y a derrière ?

- Non, mais ...

- Mieux vaut l'ignorer, intervint subitement Arion.

Tsukuyomi capta la lueur fugace qui brilla dans les prunelles du Bélier.

- Est-ce donc si effroyable que ça ? s'enquit le dieu de la Lune d'une voix doucereuse, dosant savamment son ton pour induire une réaction.

- Je ne suis qu'un mortel, c'est vrai, admit Arion, et vous pouvez bien vous en gaussez, mais ce qu'il y a au-delà de cette porte n'est que source de malheur et de destruction.

- J'ai usé de l'astromancie à de nombreuses reprises et les étoiles confirment ce point de vue, ajouta Marin, quoiqu'elles restent floues quant à la réelle nature de tout ceci.

- Bien, conclut Tsukuyomi, ces informations rejoignent donc les miennes.

- Vous … saviez ? l'interrogea Athéna.

- Je possède moi-même un artefact remis par mon père, le Miroir de Lune, permettant de lire certains flux, certains courants. Temporels notamment. Je souhaitais simplement recouper les éléments que j'avais en ma possession avec d'autres sources. Après tout, le savoir est pouvoir.

- C'est donc ce qui vous a poussé à prendre contact avec moi lorsque nous nous sommes croisés fortuitement alors que j'allais quitter le Japon, n'est-ce-pas ? déduisit Athéna. Vous saviez déjà qu'une telle réunion allait se produire bientôt et vous avez « vu » que vous deviez vous y faire inviter. Car vous avez deviné que vous ne pouviez plus jouer cette partie en solitaire. Je peux comprendre le principe, mais je vous saurais gré de ne plus utiliser de subterfuge aussi grossier sur l'un de mes Chevaliers à l'avenir. Et encore moins de ne pas jouer franc jeu avec moi.

- Naturellement, convint Tsukuyomi d'une inclinaison du buste.

- Combien de serrures comporte cette porte ? demanda abruptement Poséidon, souhaitant que la conversation revienne à son sujet initial bien qu'il soit presque outré par le culot du dieu de la Lune.

- Un nombre indéterminé, répondit Athéna, nous n'avons jamais réussi à savoir.

Elle se tourna vers le Bélier en quête d'un nouveau détail dont il aurait eu connaissance grâce à une vision. Cependant, il la détrompa.

- Plus de deux en tout cas, sinon nous n'aurions pas cette conversation et tout serait déjà terminé. Mais Susanoo ne possède que ceux-là, n'est-ce-pas ?

Sa divine nièce lui jeta un coup d'oeil rapide qu'il détesta aussitôt.

- Qu'est-ce que j'ignore !? s'énerva le dieu des mers, bien trop conscient que ses brèves incursions dans le monde de la chair lorsque le sceau l'enfermant se relâchait, ne lui avait pas permis de beaucoup faire évoluer ses connaissances en la matière. Et il n'appréciait pas cet état de fait. Il aurait dû ordonner à Sorrento de se rapprocher d'Athéna, mais au lieu de ça, il l'avait fait rester à l'écart. Néanmoins, c'était terminé. Athéna était venu le chercher, lui laissant une plus grande marge de manoeuvre et il comptait bien en profiter.

- Par le biais de la fondation Graad, je possède un vaste réseau de renseignements de par le monde et …

- Au fait, Athéna !

- A chaque événement pouvant avoir un lien avec des mythes, j'ai dépêché une équipe, ou à défaut, un franc-tireur pour enquêter, et potentiellement intervenir. Si pour nombre d'entre eux cela a permis de contrecarrer, soit le réveil d'une entité malveillante, soit une action entreprise par celle-ci, certains ont été des échecs et des pertes en ont résulté … tant en terme humain que matériel.

- En clair, d'autres potentielles clés ont peut-être disparu. Mais ont-elles été volées ou remises librement ? souleva Poséidon.

- Susanoo ne cherche pas forcément d'alliés, il est par nature trop instable, précisa la divinité japonaise, mais il peut aussi se servir d'eux … c'est bien possible. Au quel cas, cela ne nous éclaire pas sur ce qu'il peut leur promettre.

- L'anarchie continue de se propager et je crois que le récit que nous allons entendre tend à le prouver.

Les personnes extérieures à ces échanges les avaient suivis avec attention, fascinées par la présence des trois divinités ainsi que leurs caractères. Du moins, certains. Pour d'autres, une dose d'ennui s'était glissée dans le mélange. A présent qu'on les sollicitait, ils s'ébrouaient, prêts à prendre parole.

D'un commun accord silencieux, ils décidèrent que ce serait Arion qui entamerait leur compte-rendu. Ce dernier toussota, s'éclaircissant la gorge.

- Comme vous le savez, les visions que j'ai eues, ainsi que les actions précédentes ont conduit à l'élaboration de la mission qui nous a conduits à Asgard voilà deux ans …

 

Pendant de longues heures, les guerriers des trois divinités s'exprimèrent tour à tour sur le sujet. D'abord leur arrivée dans un royaume en proie à un début de guerre civile, suivi de l'alliance avec la reine Ylva dans des circonstances compliquées, mais ayant eu pour bénéfice de rapprocher les équipes d'Athéna et de Poséidon. Vint ensuite la recherche de l'artefact dans une parodie de chasse au trésor, tout en oeuvrant contre les forces de Loki, elles-mêmes épaulées par les Gardiens Célestes de Susanoo. Ils narrèrent les moments-clés, les décisions difficiles et les batailles d'importance.

Ils ne s'attardèrent pas sur les merveilles qu'ils avaient pu voir, ni sur les doutes qu'ils avaient nourris. Non, plus tard serait un meilleur moment. Morgan, Fares et Oreste n'étaient pas rentrés avec eux. Ils ne le feraient jamais. Là encore, le récit de leur bravoure serait tu pour le moment.

Enfin, le fil de leur histoire s'approcha de son terme, tandis qu'ils évoquaient la perte des orbes et par-là même de l'artefact qu'ils formaient une fois réunis.

- Nous avons échoué, déesse Athéna, avoua Tristan en conclusion.

Un silence pesant s'installa suite à ces révélations.

- Vous avez toutefois sauvé un royaume, nota Marin.

- La belle affaire, maugréa l'Empereur des Mers. Si ce qui se prépare se révèle aussi désastreux qu'attendu, ils ne leur ont fait gagné qu'un sursis.

- Un sursis signifie qu'il y a encore de l'espoir, rappela la déesse de la Sagesse. Et c'est une arme puissante. Peut-être même la plus puissante.

- Tu manies Niké, ma nièce, pas Elpis, tempéra Poséidon, prends garde à ne pas les confondre.

- J'en prends bonne note. (La déesse grecque reporta son attention immédiate sur ses autres interlocuteurs.) Par le biais d'Einar et de la prophétie du Ragnarök, nous savons que la fin n'est pas encore là, sinon Loki se serait entièrement libéré.

- La balance est certes toutefois instable et tend à ne pas pencher en notre faveur, fit observer Tsukuyomi.

- C'est vrai, reconnut Athéna. Le temps nous est probablement compté. Nous allons devoir en parler avec nos autres invités d'ici la réunion prévue sous peu de jours. (Elle se leva et descendit les marches de l'estrade pour se mettre au niveau de tous les combattants, quelle que soit leur allégeance.) Je vous remercie pour vos efforts et le courage dont vous avez fait preuve, ne doutez pas de ce que vous avez accompli. On apprend peu par la victoire, mais beaucoup par la défaite … tant qu'elle n'est pas définitive. (Elle avait ajouté cela avec un sourire.) Prenez du temps pour vous et vos proches, appréciez les moments les plus simples de la vie. Nous nous reverrons bientôt et nous évoquerons le souvenir des disparus.

Ce fut comme un signal qui incita toutes les personnes présentes à quitter les lieux, hormis le trio divin.

 

- Tu vas vraiment faire ça, Athéna ? l'interrogea Poséidon. Cette rencontre entre différents panthéons.

- Oui, mon oncle. Il est de toute manière trop tard pour y repenser. Et je pense que nous avons un devoir, moi plus encore que les autres car je suis la protectrice désignée de la Terre. Le devoir d'informer nos pairs de ce qui risque d'advenir.

- Et quoi ? Présenter un front uni ? Faut-il te rappeler que tu as tué Hadès. Pas juste son corps d'emprunt, non, son véritable corps divin. Je savais que c'était une issue possible lorsque j'ai aidé tes Chevaliers, sans totalement y accorder le crédit que j'aurais peut-être dû. Je ne vais pas pleurer sur son sort pour autant. Il y a bien longtemps que nous n'avions plus de frère que le nom. Néanmoins, cela reste une décision qui risque de te coûter cher dans les jours à venir. Les autres dieux pourraient se sentir offusqué par ton geste, ou bien prendre peur pour certains. Tu crois que ce sera simple de les mener tous dans la même direction ?

Athéna était troublée par les propos de son oncle. C'était presque ce qu'elle avait dit mot pour mot avant le départ de l'équipe sélectionnée pour se rendre à Asgard. Son cheminement de pensée l'avait menée à une conclusion similaire, mais comme elle l'avait dit, il était trop tard pour faire machine arrière.

- Et puis, tu ne sais même pas contre quoi les mettre en garde, renchérit Poséidon.

- Vous, vous avez l'air d'en avoir une idée, glissa Tsukuyomi. J'ai noté votre trouble lorsque la figure de l'Ouroboros a été évoquée.

L'Empereur des Mers fit un bruit de langue agacé.

- Rien ne vous échappe, hein ?

- Disons, presque rien. Sinon, je saurais où chercher mon frère.

- L'Ouroboros est un symbole très ancien, bien plus que ma propre génération. Vous deux êtes de jeunes dieux en comparaison, aussi vous n'en avez pas conscience, mais ce qu'il éveille en moi est une émotion de malaise qui ne doit pourtant être qu'un vague vestige, une sorte de réminiscence, transmis par mon propre géniteur, Cronos. Lui, devait connaître la réelle signification de ceci, si tant est que ce ne soit pas plus ancien encore. Peut-être est-ce même contemporain de Gaïa. (Poséidon plongea ses yeux dans ceux de sa nièce.) Je ne sais pas à combien d'invités tu t'attends, mais je doute que tu en trouveras ne serait-ce qu'un avec une âme suffisamment ancienne pour te fournir davantage de réponses sur cette porte ou la nature des clés dont tu parles.

- Nous verrons bien. Et je compte sur toi pour intervenir auprès d'eux, comme tu viens de le faire, lui suggéra Athéna.

- C'est à moi de les convaincre maintenant …

Poséidon secoua la tête et s'en alla, rejoignant les appartements qui lui avaient été attribués.

- Et vous, Tsukuyomi ? Qu'en pensez-vous ?

- Comme je l'ai déjà mentionné, le Miroir de Lune que j'utilise pour décrypter les flux temporels me renvoie une image floue quant à la suite de toute cette histoire, ce qui traduit un avenir incertain avec un champ des possibles réduits. Rien n'est figé. Cependant …

- Cependant ?

- Les tracés éventuels vont en s'amenuisant au fur et à mesure de mes lectures, ce qui pourrait se traduire par ...

- Un amoindrissement des futurs potentiels. C'est ce que vous vous épuisez à chercher, n'est-ce pas ? Un possible point de bascule.

Elle était finalement plus observatrice que prévu. Du moins, son esprit tendait vers les bonnes déductions. Son épithète de sagesse n'était pas volé.

- En effet. Mais cela signifie également que cette bascule n'a pas eu lieu et qu'il reste des voies à emprunter. La route n'est pas encore unique.

La déesse resta songeuse l'espace d'un instant.

- Hé bien, j'espère que notre prochain mouvement ne refermera pas davantage nos chemins.

 

Elpis :

Dans la mythologie grecque, elle est la personnification de l'espoir. Elle est dépeinte comme une jeune femme portant généralement des fleurs ou une corne d'abondance dans ses mains. Elle serait la fille de Nyx, déesse de la nuit et serait la mère de Pheme, déesse de la réputation, de la renommée et de la rumeur.

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