Une Dernière Bataille
Chapitre 32 : Quitte ou Double -Sixième Partie
10363 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 11/10/2024 10:09
26 mars 1997
Norvège, Asgard, Province Nord
Comparé au colosse en direction duquel il se dirigeait, le jeune homme à l'armure argentée paraissait encore plus frêle que d'ordinaire.
Cependant, le Fléau de Jormüngand était dans un pitoyable état physique, son corps aussi ravagé que sa Gave par les assauts furieux du Chevalier d'Or du Taureau. Et pourtant, son énergie était déchaînée, enflant toujours plus à mesure que les minutes s’égrenaient, érodant le sol de par son contact toxique.
Le grand Mexicain regarda s'approcher son compagnon d'armes.
- Va-t-en Fares, l'enjoignit le Chevalier d'Or à terre. Tu n'es pas de taille.
Ce dernier peinait à se redresser sur un genou, ses deux bras brisés ne lui étant d'aucun soutien. Ses traits étaient tirés, marqués par le contrecoup de son arcane qui l'avait laissé exsangue. Il tutoyait ses limites.
Le Chevalier d'Argent fit simplement un petit signe de la main vers Arion et celui-ci comprit. D'une impulsion mentale, le Bélier se téléporta aux côtés de Raul et, sans attendre ses protestations qu'il savait imminentes, reproduisit son bond spatial en sens inverse.
- Dégage, avorton ! beugla le grand Asgardien en toisant le jeune homme à la peau hâlée. Tu n'es pas un défi pour moi !
Phénomène étrange, la peau de celui-ci paraissait se fissurer à certains endroits, comme un tissu étiré sur un corps trop grand. Au-dessous, on devinait plus qu'on ne les voyait, des formes évoquant des écailles luisant d'un éclat verdâtre.
- A ce stade, je crains que si. Je dois empêcher le désastre qui s'annonce.
Il plongea son regard noir dans celui du Fléau, dont les pupilles désormais fendues rappelait celles d'un serpent, et ce dernier cilla sous l'intensité qu'il y décela en retour. Une force qu'il n'aurait pas soupçonnée chez un être de cette carrure. Quelque chose se tenait tapie au fond de lui.
Comme en réponse à un défi silencieux, l'aura déjà colossale qui l'enveloppait, crut encore, devenant écrasante de puissance. Les vibrations parvinrent jusqu'aux guerriers restés en retrait, les laissant sans voix face à un phénomène dépassant leur compréhension.
- Comment peut-il résister à une telle pression ? s'étonna Raul, tandis que le Bélier essayait tant bien que mal de lui éclisser les bras, à l'aide de morceaux de bois et de ceintures pris sur des soldats morts.
Ne recevant pas de réponse , il se dégagea sans ménagement des mains d'Arion.
- Je t'ai demandé comment ?!
Arion lut dans ses yeux noir charbon que ce n'était pas la douleur de ses blessures, ou l'affront ressenti pour avoir été retiré du champ de bataille qui le faisait s'exprimer ainsi, mais plutôt une sincère inquiétude. Avoir été témoin de la souffrance de son ami Gearoid avait creusé une blessure dans l'âme de Raul. Il était accablé que sa force n'ait pas été suffisante et redoutait d'observer la mutilation, voire pire, d'un autre compagnon.
- Je ne sais …
- Cela doit avoir un rapport avec l'orbe qu'il a en lui, intervint Mei Ling.
- Et donc ? insista Raul en se tournant vers elle.
- Je ne sais pas ! s'exaspéra la Chinoise. Fares a bu à un puits spécial et a vu quelque chose qu'il n'a jamais partagé. Peut-être le moyen de vaincre ce … monstre (Le choix du mot la troublait, mais à le voir ainsi, elle n'en n'imaginait pas un autre.). A moins que cela ne lui procure un gain de puissance ? Après tout, ce qui est à l'intérieur de son corps est un artefact divin.
Leurs deux visages se braquèrent sur le Tibétain qui ne put s'empêcher de relâcher un soupir devant leur question muette.
- Je n'ai rien vu par rapport à ça. L'image d'un serpent mythologique, oui, mais cela s'arrête là. Sur ce plan, Fares semble bien avoir de l'avance sur moi.
Ses yeux bleu violet se posèrent sur la silhouette du Centaure et il repensa à la dernière expression de celui-ci.
- Je crois qu'il sait ce qu'il a à faire. Et … je doute qu'il nous revienne, ajouta-t-il dans un murmure.
Un long et terrifiant hurlement – de rage ? de douleur ? – franchit les lèvres craquelées du Fléau. Embrasé d'énergie, il leva un bras si tordu, que la simple vision en aurait transi d'effroi plus d'un, et se jeta sur sa cible. Cette dernière invoqua son propre cosmos et bondit hors de portée du véritable marteau s'abattant sur elle. A l'impact, un énorme cratère creva le sol, projetant gravats et terre calcinée.
Des éclairs zébraient l'atmosphère autour de l'Asgardien, crépitants de pouvoir. Le sol se fendait sous ses pas, tandis qu'il avançait, conquérant, des volutes acides flottant dans son sillage. D'un coup, il se mit à secouer la tête et tituba comme en proie à un mal mystérieux.
Des traits sauvages d'énergie s'échappèrent de son corps, fusant en décrivant de longues courbes pour aller s'abattre aveuglément sur divers groupes de troupes engagées dans des batailles rangées.
Les tonitruantes explosions et leurs conséquences fatales passées, les râles d'agonie des blessés se faisaient entendre partout. Peu importait leur camp, ils se retrouvaient unis dans la souffrance.
Le Centaure fit aussitôt naître un globe de flammes et le projeta sur le Fléau, avant d'en envoyer d'autres, imposant un véritable tir de barrage au colosse blond. Toutefois, tout ce que cela sembla lui causer fut une certaine irritation.
Néanmoins, c'était là l'objectif de sa manœuvre : recentrer l'attention de son adversaire sur lui, car il avait vu s'éteindre la lueur de conscience de l'Asgardien, un instant avant qu'il ne se déchaîne. Désormais, il réagissait uniquement à l'instinct, soumis à des pulsions primaires. La force qui l'habitait allait se libérer très bientôt, brisant l'enveloppe charnelle du Fléau pour émerger dans une débauche de destruction. Et Fares savait que quand cela se produirait, il lui faudrait l'avoir à sa portée, sans quoi, il ne pourrait pas agir.
Une onde de peur primale traversa le champ de bataille. La panique polluait l'air tel un acide, dissolvant le courage des soldats. Trop horrifiés pour fuir, ils restaient pétrifiés, attendant la fin.
Le Libyen fit le vide en lui, comme il s'était entraîné à le faire depuis ce qui lui était arrivé sur l'île. Sa volonté lui permit d'enflammer ce qui lui tenait désormais lieu de cœur, inondant ses membres d'un véritable feu liquide. Cependant, ce n'était pas encore assez.
Pour parvenir au résultat attendu, il lui fallait embraser jusqu'à sa vie. Son cosmos s'accrut, provoquant la naissance de petits brasiers sur ses avant-bras ainsi que sur son front, comme s'il était ceint d'une couronne ardente.
C'est alors qu'il sentit clairement que les forces qui s'agitaient au sein du séide de Loki se rompaient. D'abord, ce fut comme si une simple bulle de savon éclatait, puis la terre se mit à trembler, une colonne d'énergie pure jaillit vers le ciel, engloutissant le colosse Asgardien dans sa radiance.
Une lumière aveuglante couplée à une écrasante sensation de chaleur saisit les plus proches spectateurs de la scène. Le son rattrapa alors l'action et un bruit de fin du monde emplit leurs oreilles.
Le Bélier érigea un épais mur pour protéger ses compagnons de la vague.
Ce fut tout. Là où un raz-de-marée de feu atomique était attendu, il n'y eut rien. Les corps recroquevillés au sol sous la terreur du cataclysme qui s'annonçait commencèrent à se relever lentement.
A proximité de l'épicentre du drame, la neige avait été vaporisée et la terre brûlée, prenant un aspect proche du charbon encore rougeoyant. Les Chevaliers virent alors que la seule chose épargnée au milieu de ce néant était une frêle silhouette. Celle-ci était debout, ses vêtements en lambeaux, face à la source de leur destruction avortée, les bras grands ouverts, comme si elle l’accueillait en elle, pour épargner aux vies alentour cet insupportable contact.
Les volutes argentées de son cosmos, pareilles à une immense nébuleuse, se mêlaient à celles, verdâtres et corrosives, du Fléau. Un point de convergence s'était établi entre eux et le pouvoir déchaîné était capté par Fares, pareil à un phalène par une flamme, à l'intérieur même de son être. Il était un vortex attirant toutes ces étoiles. Le flux se répandait partout dans son organisme, carbonisant la moindre de ses cellules sur son passage, se frayant une voie jusqu'à son cœur – l'orbe – qui l’appelait. Son corps chauffé à l'extrême, tel un morceau de métal dans une forge, prit une teinte rougeâtre, alors que son sang surchauffé s'évaporait par les pores de sa peau sous la forme d'une brume carmine.
Des craquelures apparurent sur son épiderme, laissant apparaître une lueur incandescente au-dessous. Son cœur artefact devint aussi brûlant qu'un volcan. Qu'une étoile.
Fares savait depuis sa résurrection près du puits qu'il devait en être ainsi.
Au début de sa formation de Chevalier, il n'avait pas vraiment cru en tout ça, en l'opportunité qui lui était offerte. Il ne croyait pas y avoir droit tout au fond de lui.
La colère qui se cachait en son sein, tapie telle une entité de ténèbres, vivante et sauvage, l'avait marqué du sceau du coupable. Pourtant, il avait trouvé une nouvelle famille en la personne de son maître et de ses compagnons de tous horizons. Un nouvel équilibre qui lui avait permis d'infléchir petit à petit son état d'esprit et accepter sa part d'ombre. Jusqu'au moment où il avait pris conscience du rôle qui devait être le sien. Était-ce la destinée, ou une sorte de paiement pour les dettes qu'il pensait devoir ? A moins que ce ne soit plus simplement qu'une forme de reconnaissance et d'amour pour protéger celles et ceux qui l'avait soutenu. Peu importait son rang ou sa force.
Leurs visages réjouis alors qu'il jouait de la musique de son pays pour eux allaient lui manquer. Cela le fit sourire, provoquant de nouvelles fissures sur ses joues déjà crevassées.
Le transfert s'intensifia, donnant à la scène des airs de soleil miniature, jusqu'à ce que finalement tout s'achève dans un grand silence. Lorsque les spectateurs rouvrirent les yeux, ils eurent l'impression que la nuit était subitement tombée tant le contraste entre la clarté naturelle du jour et celle qui venait de s'éteindre était grand. Là où se tenait le Fléau, il n'y avait plus qu'un large halo noir marquant le sol, éventré tout autour.
La barrière érigée par Arion se désintégra avec un léger bruit cristallin, comme des morceaux s'écrasaient au sol.
Et tandis que des volutes de fumée serpentaient encore paresseusement dans les airs, les Chevaliers virent l'espace d'un bref moment le corps de leur ami. Une légère rafale de vent balaya l'endroit, émiettant la forme noircie qui avait naguère été le Chevalier du Centaure. Puis, elle s'effondra sur elle-même en un nuage de cendres. Au milieu des restes, brillant d'un éclat orangé, intact, un orbe. Ainsi que l'Armure d'Argent du Centaure, fièrement dressée sur ses pattes postérieures, mais avec un masque triste en guise de faciès.
A plusieurs mètres de hauteur, une autre sphère se manifesta en écho. D'une teinte rappelant celle du sang fraîchement versé, elle paraissait s'en être abreuvé tout son content grâce aux ruisseaux écarlates qui gorgeait les terres en contrebas. Elle commença à chuter tout doucement vers le sol avec la légèreté d'une plume.
- Putain de merde ! lâcha le Mexicain.
Ses yeux avaient tout enregistré, mais son cerveau refusait d'accepter la réalité. Pour les trois serviteurs d'Athéna, le deuil soudain auquel ils faisaient face avait quelque chose d'irréel et un goût amer inonda leurs bouches.
- Que s'est-il passé ?
- Fares nous as protégés, dit le Bélier. Il a utilisé l'orbe comme un catalyseur pour absorber le trop plein de pouvoir du Fléau. Cela a permis d'éviter le cataclysme qui se serait inévitablement produit dès que la surcharge de pouvoir aurait dépassé la résistance de l'enveloppe physique du Fléau. Mais il n'a pas pu y faire face non plus. Il a été consumé. Je … ne crois pas qu'il ait eu le temps de souffrir.
Comme le calme survenant après une tempête de grande envergure, un écrasant silence pesait sur le champ de bataille. Chaque acteur laissa échapper le souffle qu'il retenait dans sa poitrine, évacuant la tension qui l'avait étreint.
Le bouclier du capitaine de la garde de la reine, rempart dérisoire face au cataclysme qu'un miracle venait d'éviter, s'abaissa, révélant le visage de la souveraine. Ce dernier exprimait une totale incompréhension face à ce qui venait de se produire, ou de ne pas se produire selon le point de vue. Toutefois, son instinct lui murmura que les vents étaient avec eux. Alors, bien que ses traits soient encore emprunts d'inquiétude, elle s'adressa néanmoins d'une voix ferme à Kostya :
- Il nous faut gagner ce promontoire et profiter de ce temps mort pour tenter quelque chose.
- A vos ordres.
Le capitaine rassembla efficacement quelques individus et, formant un cordon défensif, ils gagnèrent leur destination en un rien de temps, ne rencontrant finalement qu'une maigre résistance. L’événement récent continuant de laisser planer un voile d'hébétude.
Parvenue au sommet de la butte, la jeune femme retira l'épais gant de cuir couvrant sa main gauche et fit glisser son pouce nu sur la lame de son épée. Du sang perla instantanément de la minuscule entaille et elle en barbouilla les runes gravées sur le premier tiers de l'arme. Ces dernières se mirent à luire d'une douce lueur bleutée.
La lame tournée vers le haut, la reine maintint l'épée proche de son visage et parla :
- Fidèles et courageux soldats du royaume d'Asgard !
Grâce à l'artisanat Nain, le son de sa voix était amplifié et comme réverbéré dans un amphithéâtre.
- Vous avez souffert et saigné pour elle, mais la victoire est à portée de main ! Un grand coup vient d'être asséné à nos adversaires ! Je m'adresse maintenant à eux ! (Elle prit une nouvelle inspiration.) Moi, Ylva, souveraine de ces terres, je vous somme de déposer les armes ! Tous ceux qui le feront pourront espérer obtenir un jugement. Quant aux autres, ceux dépourvus de raison, je n'offrirai aucune forme de clémence !
Ses paroles continuèrent de flotter encore plusieurs secondes dans les airs, apposant un nouveau silence. Que brisèrent bientôt des bruits de lutte, tandis que redémarraient les hostilités en divers endroits du champ de bataille.
En touchant le sol, les gouttes de sang échappées du membre tranché, éclatèrent pour former une corolle écarlate.
- Chevalier, emmène-moi auprès de la reine, je dois lui parler.
Le Capricorne lui jeta un regard incrédule.
- Et qu'aurais-tu à lui dire ?
- Plusieurs choses, mais celle qui devrait lui importer le plus dans l'immédiat, est un coup de main pour aider à stopper ce conflit. (Le Chevalier d'Or affichait toujours une mine interrogative.) Considère ça comme la dernière volonté d'un mourant.
De fait, ses blessures étaient graves et il avait perdu une bonne quantité de sang.
Le Capricorne sembla faire tourner longuement la requête dans sa tête, la retournant en tout sens, vérifiant l'emboîtement de chaque pièce. En réalité, il discernait une forme de noblesse chez ce Fléau qui, couplée aux mots qu'il venait de prononcer, laissait entrevoir un espoir de ... potentielle paix.
J'espère ne pas te mettre en danger, Narya.
- Je vais faire confiance à ce que je perçois en toi, dit enfin Tristan. Alors ne me fais pas mentir. Allons-y .
Holdyrr réussit à masquer le sourire naissant que lui inspirait la "candeur" du jeune homme derrière une grimace de douleur, tandis qu'il quittait sa position à genoux.
Lui devant, le Français dans son sillage, ils se mirent en marche avec en ligne de mire le promontoire, où avait été dressée la bannière au double corbeau de la reine.
En dépit de la présence du Chevalier d'Or, et même si elle ne pourrait pas faire grand chose contre le Fléau, la garde personnelle de la souveraine se déploya en formant une ligne, Kostya en tête, face à celui-ci.
- Que fais-tu là, Tristan ! aboya le capitaine de la garde, son épée dégainée tenue fermement. Accompagné d'un Fléau par-dessus le marché !
La guerre durait depuis trop longtemps, le royaume souffrait, la reine était menacée et nombre de ses amis étaient morts, certains ici même. Alors, voir un de leurs ennemis s'approcher nonchalamment, provoquait un échauffement de ses sangs, bouillonnants pareil à la lave d'un volcan.
- Paix, Kostya, l'enjoignit le Chevalier d'Or. J’accomplis le vœu d'un homme à l'agonie souhaitant s'adresser à la reine. Et il est sous ma garde, ajouta-t-il en levant une main aux doigts tendus, semblable aux bords tranchants d'une lame que tous savait acérée.
Avisant le moignon de bras garrotté d'une sangle et les diverses plaies, dont celle, impressionnante, à l'épaule qui aurait tué tout autre homme, le capitaine consentit à se détendre. Un peu.
Il avait déjà eu l'occasion de constater ce que pouvait faire une personne jugée moribonde dans ses ultimes instants.
Kostya chercha le regard de la souveraine pour y lire son accord. Celle-ci hocha lentement la tête, curieuse de savoir ce que pourrait bien lui dire cet homme. Et en même temps, elle était impatiente de passer à la suite des opérations, chaque minute qui l'éloignait des combats pouvant se révéler fatale pour nombre de ses soldats.
- Qu'il parle, dit-elle simplement.
Malgré la souffrance qu'il savait que lui causerait cet effort, le Fléau posa un genou à terre, avant de s'adresser à la jeune femme.
Ainsi coiffée, robuste tresse et casque assorti d'une paire d'ailes magnifiquement ouvragées, et parée de métal et de cuir, elle renvoyait l'image enchanteresse d'une robuste épée aux yeux du vieux guerrier.
- Je me nomme Holdyrr, reine Ylva. Je suis, ou plutôt j'étais, ce qui pouvait s'apparenter au Chef de Bataille des armées de Loki. En tant que tel, je vous présente la capitulation des forces que je dirige.
Des haussements de sourcils et des brefs murmures accueillirent la nouvelle parmi la garde de la reine. Kostya les fit taire promptement.
- Ai-je bien entendu vos mots, Holdyrr ? s'enquit la souveraine d'une voix aussi froide que la glace. Vous me faites face et m'annoncez que vous vous rendez ? Qu'en pense votre maître ? Et vos hommes ? Si je ne m'abuse, je leur ai proposé de cesser cette boucherie il y a à peine quelques instants, et bien peu ont semblé être de votre avis.
- Permettez-moi d'essayer à mon tour, proposa le Fléau.
La jeune femme pointa son épée runique, à nouveau luisante, vers lui.
- Faites.
- Soldats ! tonna la voix de basse de l'homme.
Comme auparavant, le son se retrouva démultiplié afin que tous l'entendent.
- Je vous ordonne, moi, Holdyrr de Surt, de cesser immédiatement toutes hostilités. Cette bataille …, non, la guerre est terminée. Nous avons été vaincus ! Accepter les conditions proposées sera clairement à votre avantage. Ceux qui refuseront, et je sais qu'il y en aura, seront irrémédiablement traqués comme des bêtes sauvages. Croyez-vous qu'il vaut mieux mourir les armes à la main plutôt qu'au bout d'une corde, ou sentir sa gorge être tranchée docilement ? Dans tous les cas, vous serez de la viande froide et vu la noirceur de vos âmes, pas la peine de compter sur une belle Valkyrie pour les élever vers Alfadir. Vous, comme moi, finirons nos existences dans un enfer gelé à nous faire tourmentés par Nidhögg. Pas très réjouissant, hein ? Mais au moins, vous aurez le choix de la décision. Je doute que Loki en aurait fait de même.
Cette fois-ci, le calme suivant cette longue tirade ne céda pas face à une reprise des hurlements guerriers, ou ceux qui le firent ne représentèrent qu'une brise par rapport à la tempête précédente.
La reine relâcha le souffle qu'elle avait inconsciemment retenu et hocha la tête. Quelques vivats jaillissant de-ci de-là saluèrent la fin des combats, même s'ils demeurèrent timides, beaucoup ayant du mal à croire à la fin de tout ça.
- Pourquoi Holdyrr ? demanda la souveraine, en laissant la magie de son épée s'éteindre pour que seul leur petit cercle de personnes soient témoins de sa réponse. Qu'est-ce qui vous a décidé à agir comme ça ?
Le cinquantenaire, tête courbée, répondit simplement :
- L'amour de ma patrie, reine Ylva.
- Comment oses-tu …, s'insurgea Kostya.
La jeune femme à la chevelure d'or blanc leva une main pour l'inciter à se taire.
- « J'ai toujours rêvé d'une nation forte et d'être partie intégrante de celle-ci, reprit le Fléau. Malheureusement, mes désirs ont été vite balayés lorsque je fus renvoyé de la Forteresse Torden. J'étais jeune, amer et aussi tendre avec les autres que la vie l'a été avec moi. L'âge a néanmoins commencé à tempérer tout ça. Et un jour, il y eut votre couronnement en tant que reine. Ma tempérance nouvellement acquise se retrouva bien vite mise à mal. Notre royaume mené par une femme ?
Il marqua une courte pause, tendant l'oreille, cherchant à déceler chez son interlocutrice, si elle allait s'en offusquer. Rien. En même temps, ce n'était certainement pas la première fois qu'elle entendait ces mots, se dit-il.
« Je n'étais pas préparé à ça, reprit-il. Je jugeais votre personne trop tendre. Aussi quand a retenti l'appel de Loki, je l'ai accepté, car je pensais que c'était ce qu'il y avait de mieux. En dépit de tout ce que cela impliquait en matière de heurts à la propre philosophie que je m'étais établie.
Il releva la tête pour plonger son regard dans les yeux bleu glace de la souveraine qui ne cillèrent pas.
« Et puis, petit à petit, vous avez su faire preuve de rigueur, de courage et de compassion quand il le fallait. Vous avez reçu le soutien d'étrangers et n'avez pas détourné leur main tendue par fierté. Vous avez été trempée dans la forge des épreuves que nous, les Fléaux d'Utgard, ainsi que Loki, vous avons imposées. Chaque coup de marteau que nous vous portions vous débarrassait des scories, solidifiant le cœur et l'esprit de la gardienne de ces terres. J'avais beau mener des batailles pour Loki, j'en vins pourtant secrètement à prier pour être défait. Jusqu'à aujourd’hui, où j'ai conseillé au Mage des Mensonges d'accepter votre pari et de vous affronter en misant tout. La tournure des événements parle pour vous, aussi je crois pouvoir dire que la nation est entre de bonnes mains. Des mains solides, dit-il en serrant le poing, mais aussi capables de magnanimité. Moi, Holdyrr, qui fut le Fléau de Surt, suis convaincu que vous êtes la souveraine légitime du royaume d'Asgard ! Je me soumets à votre jugement.
A une centaine de mètres de là, ainsi qu'à d'autres endroits encore plus éloignés, les actions s'étaient figées. Regards rageurs, dents serrées, rictus sur des faces ensanglantées ou noircies par la crasses des combats, les belligérants s'observaient les uns les autres.
Jusqu'à ce qu'un d'entre eux fasse un premier geste – déposer sa lance au sol –, repris par d'autres en un fracas de bois et de métal. Haches, massues, boucliers, ils se retrouvèrent tous jetés à terre, soudain dépouillés de toute utilité. Un très grand nombre connaissait Holdyrr, que ce soit en personne, ou de réputation et si un tel homme, dont ils ne doutaient pas de l'honneur, leur commandait de rendre les armes, ils s'y plieraient.
Toutefois, oblitérées par leur part animale, les capacités de raisonnement limités des Managarm, ne leur permirent pas de prendre une telle décision. Agressifs jusqu'au bout, il fallut continuer à les combattre, poussant les derniers à s'enfuir dans les bois denses tout proches.
Suivant l'exemple des humains, les Nains désactivèrent leurs automates, bien qu'ils ne connaissent pas le sort que leurs réserverait leurs pairs, étant donné l'atteinte portée envers leur propre famille royale et leurs conception d'ouvrages guerriers que nombreux jugeraient blasphématoires.
Ce ne fut qu'à ce moment-là que les forces de la reine commencèrent enfin à croire à leur triomphe.
- Reine Ylva, je remets entre vos mains, l'enjeu de cet affrontement. Je ne sais pas quelle utilité en aurait eu Loki, mais je doute qu'elle aurait été bénéfique.
Récupérant le petit sac de cuir qu'il portait à la ceinture, Holdyrr l'entrouvrit pour dévoiler les orbes dont lui et les autres Fléaux s'étaient emparés. Au nombre de trois, ils s'additionnaient à ceux de la souveraine, portant leur total à six. Deux étaient donc encore manquants.
Ses talents d'actrice sont vraiment sidérants, pensa le Chevalier du Capricorne. La reine Ylva n'aurait sans doute pas fait mieux si elle avait été là en personne.
Tandis qu'elle s'avançait pour récupérer la bourse tendue, elle se figea, comme résonnait une voix :
- Exactement ce qu'il manquait à ma collection.
La phrase semblait être sortie de nulle part, cependant que tous les regards présents cherchaient frénétiquement son auteur.
Les yeux du Fléau s'écarquillèrent les premiers en découvrant un léger miroitement dans l'air, tout près de la reine. On aurait dit que quelque chose voulait percer le voile de la réalité par l'envers. Instinctivement, Holdyrr plongea sur la souveraine, la repoussant de son unique bras, dans ceux de ses gardes qui la reçurent, aussi étonnés qu'elle.
Une lame surgit du néant à travers la faille qu'elle avait forcée dans leur dimension. S'enfonçant profondément entre deux côtes du Fléau, elle rejaillit par l'autre flanc en projetant une traînée carmine. Elle ressortit tout aussi promptement, laissant le corps d'Holdyrr s'affaisser lourdement vers l'avant.
- Ah ? Mince, mauvaise cible.
Un pied, puis le bras tenant l'épée émergèrent de la fissure, dont les bords étaient marqués de runes luisantes d'une lumière verdâtre.
- Il ne lui restait que peu de temps de toute façon, acheva la silhouette qui se profilait depuis le sombre portail.
L'intrus arborait une armure aux teintes cinabre et fuligineuse, dont plusieurs parties évoquaient des plumes. En mauvaise état, elle présentait de nombreuses fissures et certains éléments manquaient à l'ensemble. Le détail le plus marquant restait malgré tout l'individu qui la portait, avec ses longs cheveux noir corbeau et sa peau à la teinte blafarde. Tout comme sa protection, son corps était parcouru de cicatrices qu'on eu dites infligées par des projectiles incandescents. L'un de ces derniers avait d'ailleurs tracé un sillon de feu sur l'une de ses joues, creusant irrémédiablement la chair pour laisser entrevoir les dents au derrière.
Il se dégageait de cet homme une singulière aura de malveillance, que renforçait son allure lugubre. Ses yeux à l'étrange couleur dorée balayèrent le paysage fait de destruction et une lueur parut s'animer à l'intérieur. Un frisson parcourut son organisme à la vue de ce spectacle.
Du bout d'un pied au revêtement crochu, il accrocha la pochette contenant les orbes tombée par terre, et d'un geste souple, l'envoya atterrir dans sa main libre. Il la glissa à sa propre ceinture faite de tissu avec un air satisfait.
Remis de sa stupeur, le Capricorne enflamma son cosmos.
Se fiant aux descriptions qu'on lui en avait fait, il venait de reconnaître Suzaku, l'Oiseau Vermillon du Sud. On lui avait pourtant dit qu'il était mort. Selon toute probabilité, se rappela-t-il soudain et ce menu détail prit toute son importance à cet instant.
Tristan était exténué après les combats menés au cours de la matinée et son duel avec Holdyrr, mais il ne pouvait pas laisser cet homme s'enfuir avec ce pourquoi, ses compagnons et lui-même avaient tant soufferts à réunir.
Suzaku s'avisa du regard rivé sur lui et afficha un sourire effrayant, en pointant son épée non pas sur le Chevalier, mais sur le petit groupe encerclant la souveraine d'Asgard.
- Enfoiré, lâcha Tristan dans un souffle, comprenant l'intention du Gardien Céleste juste avant qu'il l'exécute.
Il amorça un premier pas, tandis qu'une boule de feu noir aux reflets violacés bondissait de la lame tendue, avec empressement.
- C'est le cosmos de Tristan, s'étonna Mei Ling. Pourquoi est-ce qu'il …
- Cette pourriture est vivant, jura Arion entre ses dents serrées.
- Quoi ? Qui ? s'inquiéta la Chinoise en notant la flamme brûlant dans les prunelles du Bélier et ses mâchoires crispées.
Son poing serrait fermement l'orbe de Fares.
- Va l'aider, dit Raul. S'il est aussi vide de ses forces que nous, il aura clairement besoin d'aide. Moi, je … ne serais qu'un poids mort.
Le Bélier, dans un coin de son esprit savait combien il en coûtait au Taureau d'énoncer cette triste vérité, mais cette connaissance était reléguée bien loin derrière le brasier que ravivait en lui la réapparition de Suzaku.
Un clignement d’œil plus tard, son profil s'évanouissait dans les airs, alors qu'il se téléportait en direction de l'énergie émise par le Capricorne.
Son élan assuré par quelques pas à une vitesse proche de celle de la lumière, Tristan sauta au-devant du projectile ardent. Déployant ce qu'il avait réussi à canaliser en énergie, il invoqua son arcane Aegis à une ampleur bien moindre qu'au meilleur de sa forme.
Les flammes s'écrasèrent sur le maigre, quoique suffisamment robuste, bouclier à la manière d'une substance visqueuse et huileuse, une partie adhérant à la surface dure et l'autre se répandant autour comme autant de petits brasiers. D'un mouvement de bras, le Capricorne se débarrassa de ce qui restait de l'offensive de Suzaku, prenant toutefois garde à ne pas en projeter trop près des personnes à ses côtés.
- Éloignez-vous tout de suite ! leur intima-t-il.
Il eut à peine le temps de vérifier l'effet de son injonction qu'une lame faillit lui traverser le crâne, tandis qu'il décalait in-extremis sa tête. Un coup de pied atteignit son flanc droit dans un premier temps, avant qu'une seconde attaque le repousse en arrière. Il tituba sur plusieurs pas, ré-affermissant finalement ses appuis. Son souffle était déjà court alors qu'il n'avait même pas encore échangé de coups avec son adversaire.
Il adopta une garde haute, un bras levé à la verticale, le corps légèrement de profil. Suzaku dût percevoir le danger, car il ne se jeta pas immédiatement à la rencontre du Chevalier d'Or. Ses yeux perçurent alors un mouvement en périphérie de son champ de vision. D'un habile bond, il esquiva la salve de fines comètes lancées dans sa direction, et qui allèrent crever le sol.
A une trentaine de mètres de là, le Bélier avait encore le bras tendu, des points lumineux dansant au bout de ses doigts.
Maintenant qu'il faisait face au Gardien Céleste, il remarqua qu'il ne ressentait plus autant de colère qu'un instant auparavant. Elle était bien présente certes, mais sous une forme moins ardente.
- Ravi de te revoir, jeune himalayen. J'espère que ma réapparition ne te provoquera pas trop d'émotions, le nargua l'Oiseau Vermillon. Nous nous sommes quittés un peu brutalement la dernière fois.
Sa voix était comme de l'acide sur une plaie et menaça de relancer les flammes de son ire.
- Il a pris les orbes, intervint Tristan, heureux de voir son frère d'armes sauf et présent pour lui prêter main forte.
"Les", pas "nos", nota mentalement Arion. Ce sont donc celles de Loki.
Ce ne fut qu'alors qu'il nota qu'il serrait dans son poing l'orbe libéré par le corps de Fares un peu plus tôt.
- Merde, murmura-t-il pour lui-même.
Il n'était pas dans son intention de le lâcher, mais il avait été idiot de ne pas le laisser à l'abri. Il surprit le regard du Gardien Céleste, pointé sur sa main.
- C'est très serviable de me l'apporter.
L'inverse est également vraie, songea le Bélier.
Suzaku se mit de profil, un bras levé visant Arion et l'autre, armé, en direction de Tristan. Subitement, il s'élança à la vitesse de l'éclair grâce au recul engendré par un grand jet de flammes vomi par son épée.
Surpris par cette célérité explosive, Arion se retrouva catapulté en arrière lorsqu'il encaissa le violent coup de coude de son adversaire, véritable lance, qui fit naître à l'impact des fissures sur son plastron déjà mis à mal. Son sternum émit une plainte face à cette agression. Le Gardien Céleste enchaîna directement avec un coup de taille. Assaut qui ne rencontra que du vide, comme Arion se téléportait hors de portée. Cependant, le coup avait tout de même eu le temps de marquer la chair de son biceps d'un tracé sanglant.
- Ha ! Aujourd'hui, on va pouvoir être deux à s'amuser à ça !
Le Gardien Céleste brilla d'une lueur sombre et bondit en avant, s'évanouissant au cœur d'un ovale noir. La manœuvre stupéfia le Bélier qui n'y reconnut pas de la téléportation.
- Prends garde, Arion ! l'avertit Tristan. C'est de cette manière qu'il nous a surpris. Il va réapparaître sous peu.
Comme en écho à la mise en garde du Capricorne, Suzaku resurgit par un portail similaire juste à côté du Bélier. Les sens en alerte, celui-ci évita plusieurs attaques, mais au moment opportun pour riposter, son ennemi avait disparu de nouveau, proprement englouti par le sol. Arion savait qu'il ne le lâcherait pas.
De son côté, Tristan devait ronger son frein, incapable de soutenir son ami, ses propres offensives pouvant le toucher par inadvertance. Il allait lui falloir se rapprocher, mais ça aurait été s'exposer peut-être inutilement au danger que représentait ses frappes éclair. Et pourtant … une folle idée germa dans son esprit.
Le Chevalier du Bélier reçut deux estafilades supplémentaires, dont l'une le priva du lobe supérieur de son oreille droite malgré la couverture offerte par son diadème. Un nouvel assaut vint du dessus et il eut tout juste l'occasion d'ériger une défense de cosmos cristallisé. Atterrissant sur cette plateforme improvisée, Suzaku y planta son épée – chose qui aurait dû être impossible en temps normal – et déchaîna son feu noir.
L'air ne devint pas plus chaud au-dessous, mais presque plus froid au contraire, et des fissures se manifestèrent rapidement jusqu'à l'éclatement de la structure, envoyant des éclats voler un peu partout. Le Bélier tutoyait là les limites de son endurance.
- Tout ça manque de mordant par rapport à notre précédent échange, tu ne crois pas ? Ça me déçoit. (l'Oiseau Vermillon haussa les épaules.) Tant pis, je suppose que je vais devoir m'en contenter.
Suzaku s'apprêtait à reprendre son offensive, vraisemblablement amenée à être décisive, quand il capta l'explosion d'un cosmos dans son dos.
Le Capricorne le chargeait, ses avant-bras auréolés d'un dangereux éclat. Parvenu au plus près de ce qu'il pensait être une distance respectable, il lança un coup de taille, enchaînant ensuite sur une série d'estocs.
Le Gardien Céleste para le premier, le laissant glisser sur sa lame, évitant ainsi de subir de plein fouet la puissance du coup qu'il devinait à même de sectionner son arme. La suite l'obligea à se contorsionner, jouant de son agilité pour ne pas perdre un membre.
Celui-là a encore de l'énergie à revendre, pensa-t-il, ravi, cette émotion dominant un instant sa mission.
- Enferme-moi avec lui, Arion ! cria Tristan.
Fronçant d'abord les deux points lui tenant lieu de sourcils, le Bélier comprit que son frère d'armes lui demandait de créer une cage où il serait coincé avec Suzaku. Pensant certainement que cela limiterait ces déplacements via des portails, rien ne garantissait toutefois que cela fonctionne. En effet, Arion avait établi que ce n'était pas le fruit d'une quelconque technique. Quelque chose d'autre lui permettait de se mouvoir ainsi et le Bélier craignait que s'il ne découvrait pas quoi, la stratégie de Tristan se retournerait contre lui.
Focalisant ses sens sur l'Oiseau Vermillon, il décela finalement une perturbation dans l'aura qu'il émettait, une sortie d'énergie résiduelle étrangère. Elle l'enveloppait comme un manteau, mais prenait réellement naissance au creux de sa main gauche. C'était donc ça ! Un objet, peut-être un artefact, ou un quelconque procédé, permettait au Gardien Céleste d'ouvrir une brèche dans la réalité et, pendant l'espace d'un instant, il "s'absentait" de ce monde. D'une façon ou d'une autre, il allait devoir brouiller ce lien, tout en maintenant une cage où il coincerait les deux combattants.
Car, même privé de son mystérieux soutien, le Gardien Céleste ne devait pas s'enfuir. Il fallait le défaire ici et maintenant ! Le Bélier enflamma le cosmos qu'il parvint à rassembler en dépit de ses blessures et de sa fatigue croissante.
Leur ennemi semblait avoir décidé de jouer de l'épée face au défi que lui imposait le Capricorne, plutôt que de la prestidigitation. Cela allait servir leur intérêt. A l'aide de sa télékinésie, Arion réunit les morceaux épars de son précédent mur qu'il avait continué à alimenter en énergie – son face-à-face avec Siholt l'ayant convaincu des bénéfices de cette prévoyance – et les disposa autour des bretteurs. D'une impulsion mentale, il créa un fin réseau reliant chaque fragment et combla ensuite les espaces entre chacun, avant d'étendre leur forme. De cette façon, il engendra quatre panneaux qu'il fit se refermer d'un mouvement de la main, telle une boîte, piégeant ses cibles à l'intérieur. L'ensemble se vit compléter d'un toit qui ferma le tout. Les deux bras dressés devant lui, le front déjà luisant de sueur et la respiration hachée, il lâcha :
- Passons à la suite du plan. Courage Tristan !
Le Capricorne comprit qu'il faisait face à un prodigieux adversaire dès leurs premiers échanges. Ce dernier virevoltait tout en distribuant coups de pied et attaques tranchantes. Par cet aspect, c'était un style souple proche du sien – quoique bien plus acrobatique –, là où Holdyrr lui avait opposé des assauts plus directs et plus fermes, plus "conventionnels" aussi, mais polis par des années d'expérience.
Du coin de l’œil, il aperçut des parois translucides aux lueurs mordorées se refermer sur eux.
Parfait, conclut-il.
Suzaku sembla les regarder d'un air intrigué, puis amusé.
- Une habile stratégie, commenta-t-il. Mais si tu ne voulais pas me partager, il suffisait de le dire.
Un sourire ourla ses lèvres de manière si prononcé qu'il finit par dévoiler ses dents. Il ne paraissait pas plus inquiet que ça par la manœuvre des deux Chevaliers.
Il feinta un coup de pied haut pour frapper bas. Le Capricorne ne fut pas dupe et écarta l'offensive sur le côté, avança sa jambe arrière et fendit l'air de sa main dans un mouvement de pique, à hauteur du visage de Suzaku. Malgré un réflexe salvateur, ce dernier y perdit une oreille qui s'envola dans un tourbillon de gouttelettes sombres et sentit la morsure d'une entaille à la jonction de l'épaule et du cou, exactement à l'emplacement d'une ancienne blessure. Un rictus déforma ses traits et il voulut se volatiliser au terme d'un bond en retrait.
- Comme on dit œil pour œil, oreille pour oreill...
Son trouble se manifesta, tandis qu'il constatait son incapacité à ouvrir un portail.
Comment ?
Il distingua vaguement une auréole dorée ceignant son gantelet gauche, au-dessous duquel se trouvait son atout.
Il parvient à amoindrir le lien créé entre mon propre cosmos et le tatouage runique de Loki, tout en maintenant son arcane, déduit-il, impressionné. (Il gloussa intérieurement.) Même plus moyen de s'amuser. Ça va me contraindre à achever ça salement.
Ce qui n'était pas pour lui déplaire, en dépit de ses blessures et de la fatigue accumulée dont il ressentait la piqûre l'aiguillonner plus durement de secondes en secondes, comme si on l'en avait épargné jusque-là.
Son cosmos s'accrut, stimulé par son appétit de destruction. Des flammes naquirent, serpentant le long de son épée et de ses jambes, se tortillant en ondulant. D'une brusque poussée, il repassa à l'offensive, couvrant la distance qui les séparait en un battement de cœur. Le Capricorne s'attendait à un assaut violent, mais rien n'aurait pu le préparer aux assauts chaotiques qu'il dût essuyer.
- Kôki Taifû !
Les coups se suivaient, sans se connecter entre eux, filant le long d'un partition dissonante. Les flammes se faisaient plus nombreuses à mesure que le Gardien Céleste balayait l'air de ses mouvements. Et malgré ça, il semblait au Capricorne que toute chaleur était aspiré par ce feu infernal, créant une sensation de morsure glacée dès qu'il le frôlait de trop près.
Le Chevalier d'Or détournait, esquivait, parait les frappes frénétiques, faisant tout son possible pour que les flammes ne puissent pas s'attarder sur lui.
- Excalibur : Courant de Lames !
Aussi fluide que l'eau, dont on aurait dit qu'elle suivait le sillage, ses attaques s'adaptaient habilement à celles de l'Oiseau Vermillon. Elles ne s'y opposaient pas avec force, mais davantage de souplesse, glissant entre elles tel un courant épousant le contour d'un obstacle sur son chemin. Chaque protagoniste vit de nouvelles balafres apparaître sur sa chair comme sur le métal de son armure, à l'image du sol, tantôt labouré de sillons, parfois courbes, parfois d'une rectitude parfaite. Toutefois, le périmètre entier se transformait petit à petit en un terrain plus propice au Gardien Céleste avec les îlots ardents qui s'étaient créés à droite à gauche.
D'un coup de pied, le Chevalier d'Or repoussa le revers du bras armé de Suzaku et s'engouffra dans l'espace crée pour porter un coup de taille au flanc découvert. Sa main, paume ouverte, se retrouva stoppée par la main libre de son ennemi à quelques centimètres de sa cible. Assurant une prise ferme au niveau du poignet, Suzaku réamorça son coup de taille, mais cette fois, le Capricorne se baissa autant qu'il put, laissant le coup passer au-dessus de sa tête. Tête qu'il expédia vers le haut, les cornes de son diadème cherchant à transpercer le visage du Gardien Céleste.
Ce dernier recula, mais un des appendices pointus lui accrocha un coin de la lèvre supérieure, déchira sa pommette, manqua d’emporter l’œil au-dessus, et finit sa course en balafrant sourcil et front.
Gardant le contrôle sur le poignet du Chevalier d'Or, Suzaku souhaita lui rendre la politesse dans un grognement de douleur, écrasant son front sur le visage de celui-ci. Un craquement nettement audible et une moitié inférieure de visage ayant viré au rouge carmin révélèrent un nez brisé. Un hoquet étouffé échappa au Capricorne, auquel le monde parut soudain se troubler. Relâché, il tituba, peinant à se ressaisir, s'effondrant même sur un genou.
Respire, bon sang, respire, s'admonesta-t-il intérieurement. Il sentait tellement las tout à coup.
Son adversaire n'était certainement plus au mieux de sa forme, n'est-ce pas ? Mais c'était cent fois mieux que sa propre condition. Un sentiment de peur étreignit son cœur, comme à chaque fois que sa survie avait été menacée – contre Kilfgar, puis Holdyrr –, néanmoins cette fois-ci, il tarda davantage à le museler. Pouvait-il vaincre son adversaire dans son état actuel ?
Un poignée de secondes plus tard, on décidait à sa place.
Les parois de cristal se désagrégèrent en une myriade scintillante. Arion avait atteint sa limite. Prostré à genoux, les deux mains sur le sol, ultimes soutiens précédant une chute imminente, il haletait, d'abondantes gouttes de sueur se mêlant au sang qui s'était écoulé depuis ses yeux et son nez.
De son côté, le Gardien Céleste laissa filer un soupir qui se voulut soulagé.
- Encore un peu et j'aurais commencé à m'inquiéter. (Il lécha le sang qui coulait de sa plaie au visage, appréciant le goût métallique.) Mais bon, toutes les bonnes choses ont une fin.
Il paraissait sincèrement navré de prononcer ces mots.
Suzaku arma son bras et frappa en direction de la tête de Tristan. Ce dernier leva une main nimbée d'une parcelle d'énergie, mais à ce qui lui parut être une vitesse extrêmement lente. Une vaine tentative. Le coup de taille oblique, porté du bas vers le haut, fit jaillir diadème et gerbe de sang vers le ciel dans un tourbillon d'or et de rouge. Le Capricorne s’avachit sur le côté.
L'Oiseau Vermillon tourna alors son regard en direction du Bélier, toujours agenouillé, un bras parcouru de tremblements tendu devant lui, la bouche ouverte sur un cri muet.
D'une accélération foudroyante, ou du moins à ce qui aurait pu le paraître à un œil normal, il se retrouva à toiser le jeune homme.
- J'ai besoin de cet orbe, l'avertit-il en désignant le globe que le Bélier tenait aussi fermement que possible dans sa main. N'hésite pas à résister.
Il administra un coup de pied qui le souleva le Chevalier d'Or, l'envoyant s'étaler à plat dos. Il inversa sa prise sur sa lame et l'abattit, pointe vers le bas, en direction du poignet, prêt à le sectionner. Suzaku sentit une étrange et légère poussée sur son épée qui décala sa course funeste. N'entaillant qu'à moitié le membre du Bélier, l'atteinte se révéla toutefois suffisante pour lui faire lâcher l'orbe.
- Vous n'abandonnez pas facilement, hein ?
Sa lame avait été marquée d'une ébréchure sur le dernier tiers. Le seul qui avait pu faire ça était … Il aperçut le Capricorne, son faciès transformé en un masque rouge, des étincelles de cosmos quittant sa main. Regardant à nouveau sa lame d'un œil inquisiteur, Suzaku y décela, en dehors de la récente entaille, une fine gangue dorée à l'aspect translucide qui adhérait au tranchant. Alors qu'elle s'évanouissait en un nuage de poussière, il comprit qu'elle avait mué le tranchant en contondant, amoindrissant le choc.
Déjà étonné par tant de résilience, Suzaku regarda les soldats de la garde de la reine entourer prudemment le Chevalier d'Or. Juste à côté, un groupe d'archers arborant les couleurs d'un quelconque jarl lâcha une volée de flèches sur lui. A peine plus que de vulgaires bouts de bois pointus à ses yeux, qu'il fit disparaître dans un tourbillon de flammes salve après salve.
Dans son dos, il perçut des bruissements de bottes qui lui firent faire volte-face. Quelques hommes et Nains réunis, traînaient Arion à l'écart, mettant à profit le leurre créé par les projectiles.
- Ils sont à moi ! s'insurgea le Gardien Céleste, le visage colérique, le surplus d'énergie dont il s'était senti privé auparavant lui revenant lentement.
Il bondit, abattant sa lame à droite et à gauche sur les malheureux, auxquels leurs boucliers n'apportèrent guère de salut. Des corps tombèrent, des membres volèrent, des cris s'élevèrent. Et cependant, de nouveaux guerriers affluaient, comblant les brèches, formant un carré de plus en plus dense, hurlant des cris de défi face à ce monstre en armure vermeille.
Soudain, tout s'arrêta. L'air sembla être aspiré et une explosion de flammes noires balaya la masse de corps gênante, mais Arion était désormais à l'abri. Au milieu des cadavres, plus ou moins entiers, laissés dans son sillage, il en retourna un et trouva ce qu'il désirait. Il ramassa l'orbe échappé des doigts du Bélier et se tourna vers la reine, agenouillée près du Capricorne, entourée d'un unique trio de ses gardes et d'un Nain à l'armure richement ouvragée. Il leva la petite sphère pour qu'elle soit clairement visible et sans crier gare, projeta une boule de feu en direction de la jeune femme. Impossible qu'elle en réchappe cette fois.
Une épée faite de flammes à l'éclat bleuté se matérialisa dans les airs, interceptant la trajectoire du projectile pour le détruire.
Décontenancé, Suzaku comprit qu'il s'agissait de l'ultime soubresaut du Fléau de Surt. Tandis qu'il éclatait de rire, un portail s'ouvrit et il l'emprunta, juste à temps pour éviter l'épée de feu envoyé à sa rencontre.
Cette dernière s'évanouit sitôt après avoir manqué son but, se dissipant à la manière d'une flamme de bougie mouchée.
Stupéfaite également, la reine Ylva jeta un coup d’œil en direction du corps du Fléau, dont le regard vert brun, tourné vers elle, devenait peu à peu vitreux. La jeune reine lui adressa un hochement de tête respectueux, ses yeux rivés dans ceux d'Holdyrr, lui permettant de s'y accrocher jusqu'à ce qu'ils s'éteignent définitivement.
Elle se détourna, émue malgré elle par son sacrifice, pour reporter son attention directe sur Tristan. Celui-ci avait une vilaine plaie sur le côté du crâne, au niveau du cuir chevelu, et ses yeux marrons avaient du mal à rester focalisés.
- Est-ce que …, croassa-t-il. Est-ce que …
- Oui, Arion est vivant, mais notre ennemi s'est enfui avec les orbes. (Rattrapé par toutes les émotions qui déferlaient en elle, elle ajouta d'une voix étouffée :) Je suis désolée.
A quelques centaines de mètres de là, Mei Ling et Raul avaient vu leur inquiétude grimper en flèche en percevant tous ces éclats de cosmos. Et leur craintes avaient atteint leur paroxysme en sentant tour à tour s'éteindre l'énergie d'Arion, puis celle de Tristan. Que s'était-il passé ?
Peu de temps après le départ en trombe du Bélier, ils avaient pu assister à la chute silencieuse d'un orbe rouge de sang, tombant depuis le ciel, quasiment sur eux.
Arion leur ayant à tous fait part de sa matérialisation comme un des enjeux de cette bataille, ils l'avaient récupéré précieusement.
Un ovale noir au liséré bordé de runes d'un vert maladif, de la taille d'un être humain, apparut soudainement près d'eux et une personne s'en échappa, avant qu'il ne se referme. Une vision horrible. L'homme au teint pâle était couvert de blessures, dont certaines scarifiaient son faciès de manière impressionnante. Une légère aura courait le long de sa peau et ils l'identifièrent aussitôt comme celle contre laquelle s'étaient heurtées celles de leurs deux amis.
- Salopard ! rugit le Taureau, agenouillé à proximité.
Sans tenir compte de son épuisement ou de ses bras brisés, il tenta de se redresser, son sang ne faisant qu'un tour.
Suzaku tournoya sur lui-même et envoya un puissant coup de pied heurter la tête du colosse Mexicain. En dépit de son casque, le violent choc le renvoya au sol, où il ne bougea plus.
Sans hésitation, profitant qu'il se soit détourné d'elle, Mei Ling bondit sur le Gardien Céleste. S'enfuir ou combattre, son choix avait été fait. Leur ennemi était blessé et distrait momentanément, mais surtout il les avait trouvés facilement. Tous ces éléments mis bout à bout lui avaient donné sa réponse.
Son cosmos argenté déployé autour d'elle, la Grue le frappa d'une main dont les doigts avaient été réunis en bec, l'autre, crispée autour de l'orbe en étant incapable. Sa célérité parvint à surprendre Suzaku qui encaissa plusieurs de ses coups "piqués" avant de parvenir à réagir et se soustraire aux suivants.
En dépit du cumul de ses précédents duels, la jeune femme Chevalier s'aperçut qu'il conservait une endurance hors norme. Elle possédait une grande dextérité qui la servait aussi efficacement en défense qu'en attaque, mais celle-ci cessa de lui servir lorsque son adversaire décida de lui jeter du sang dans les yeux.
Perturbée par cette cécité inopportune, la Grue ne put se prémunir face aux frappes que fit pleuvoir sur elle le fourbe Gardien Céleste. Projetée à terre à l'issue d'un rude coup de poing au creux de l'estomac, elle peinait à retrouver son souffle. Les étoiles achevaient tout juste de danser devant ses yeux qu'elle perçut Suzaku fondre sur elle, telle une ombre funeste et affamée. Tandis qu'elle tentait de se relever, il la renvoya au sol derechef.
D'un geste vif, il planta sa lame dans la main libre de Mei Ling, la clouant littéralement. Elle n'émit qu'une plainte étouffée en retour.
Crachant un caillot sanglant, le Gardien Céleste s'assit à califourchon sur elle, piégeant son autre main dans sa poigne.
- On va jouer à un petit jeu, lui susurra-t-il. On va regarder combien de temps tu vas mettre avant de me demander d'arrêter mes flammes. Vois-tu, elles partiront de la garde de mon épée et descendront le long de la lame jusqu'à ta main. Ne t'en fais pas, cela ne commencera à te brûler qu'au moment où elles toucheront ta peau, pas avant.
« Ensuite, fit-il en laissant glisser lentement son index le long de son bras, il rampera jusqu'à ton épaule, puis ton buste et ton visage, consumant le tout jusqu'à l'os. On va dire que tu gagnes si tu tiens jusqu'à la perte de ton bras. Non, non. Juste l'avant-bras, ce sera déjà un bel exploit.
- Tu peux toujours essayer, le railla-t-elle.
- Je tiens toujours parole, s'offusqua-t-il. Enfin, la plupart du temps.
Il se concentra pour invoquer son cosmos, mais rien ne se produisit. Il la lâcha pour se remettre debout, la surplombant. Son trouble s'affichait clairement.
- C'est toi qui …
Mei Ling replia soudainement l'une de ses jambes sur sa poitrine et soulevant son bassin, la déplia tel un ressort, talon en avant pour venir heurter le menton de l'Oiseau Vermillon. Sa tête partit en arrière dans un craquement indiquant une fracture de la mâchoire.
Depuis sa position précaire, la Grue cambra le dos pour décoller du sol et de sa main désormais libre – elle avait lâché l'orbe –, elle s'empara du poignet de Suzaku. Elle tira dessus pour se tracter et lança ses jambes dans le même mouvement. Une passant par-dessus une épaule, l'autre en-dessous de celle du bras qu'elle tenait fermement, elle les referma autour du cou de son opposant en formant un triangle. Parachevant sa clé d'étranglement, une jambe crocheta l'autre derrière le genou avec la cheville.
Durant l'action, son épaule dont la main était fixée au sol se déboîta, mais elle n'en avait cure. Elle serra autant qu'elle pu ses cuisses pour comprimer les carotides du Gardien Céleste, courbé au-dessus d'elle.
Quoique sonné par le premier coup, celui-ci redressa la tête, tâchant de diminuer la pression exercée. Campé sur ses jambes qui retrouvaient leurs forces de seconde en seconde, il résistait à la traction pratiquée par la Grue qui, malgré son gabarit léger, était aidée par la gravité.
Il lui fallait tenir bon !
Montrant les dents, Suzaku, même sans le soutien de son cosmos, releva petit à petit le buste, tirant la Grue vers le haut. Sa main libre se referma sur une des cuisses de la jeune femme et ses doigts, pourvus de griffes, pénétrèrent les chairs.
La souffrance électrisa Mei Ling, dont les forces allait en déclinant. Elle tint bon jusqu'à ce que les crochets labourant son muscle ne menacent de le déchirer. L'étau se desserra quelque peu et Suzaku en profita pour libérer sa tête. Une brusque inspiration signala qu'il venait de prendre une bonne goulée d'air, plus heureux qu'il ne l'avouerait jamais de gonfler suffisamment ses poumons.
Soulevant le poids de Mei Ling, il l'abattit durement sur le sol gelé. Sous le choc, elle relâcha complètement son étreinte.
Haletant, le Gardien Céleste la regarda d'un œil où brillait une lueur de folie.
- Vous en avez tous après ma tête ou quoi ! ragea-t-il, sa mâchoire pulsant de signaux douloureux à chaque mot prononcé.
Il reprit sa position précédente, à califourchon sur elle, un genou immobilisant à nouveau le bras libre. Du coin de l’œil, il avisa le petit globe non loin, mais n'y prêta pas plus d'attention sur le moment.
- On va procéder autrement, lui annonça-t-il en ramassant une pierre. Avant de ramasser tranquillement l'orbe, je vais briser tes os un à un. D'abord, la main, il y en a pas mal à cet endroit là, tu sais, puis le poignet, l'avant-bras et on finira peut-être un peu plus haut. Si tu tiens jusqu'à la fin sans lâcher un cri, je te laisserai la vie sauve. Pour récompenser le mal que tu m'as donné.
- Va te faire foutre ! cracha-t-elle.
- Je prends ça comme un assentiment. Débutons.
La pierre fila, telle une comète et écrasa plusieurs phalanges d'un coup. Mei Ling se cambra, brûlant de déloger son tortionnaire. La souffrance incisive, brute et violente, embrasa ses nerfs, la privant des ressources nécessaires pour tenter quelque chose de désespéré, peu aurait importé sa position inadéquate. Pareil à un forgeron frappant sans relâche sa barre de métal, le Gardien Céleste continua inlassablement sa besogne de manière méthodique.
La douleur saturait le système nerveux de Mei Ling, des larmes coulaient depuis le coin de ses yeux, mais elle garda les lèvres closes, les dents serrées presque jusqu'au point de rupture, durant l'éternité que son supplice lui parut durer. Et sans avertissement, commença le bris d'une partie de ses côtes. Entre ses cuisses, Suzaku percevait les ondes d'un potentiel hurlement prenant naissance au niveau du ventre, vibrer en cheminant jusqu'à la poitrine, pour finir par avorter dans la gorge. Nuls sons, hormis des grondements, ne franchirent sa bouche.
Mei Ling se focalisa sur une seule pensée, sa seule et unique bouée de sauvetage au milieu de la tempête de souffrance s'agitant en elle, pour tenir bon. Et tandis qu'elle s'y accrochait, une profonde et soudaine terreur la happa pour l'entraîner vers le fond.
Son regard se révulsa et les ténèbres finirent par tomber sur sa conscience. Dans un épais brouillard, elle sentit vaguement que Suzaku quittait sa position. Il poussa un soupir.
- Tu as foutrement fini par gâcher mon plaisir, mais chose promise, chose due.
Il retira sa lame d'un geste sec, mais la jeune femme ne le remarqua même pas. Ses pas crissaient sur les graviers, alors qu'il s'éloignait pour ramasser l'orbe. Un instant plus tard, sa présence s'évanouissait.
Et son esprit à elle disparaissait dans le néant. La victoire se changeait en terrible défaite.
Nidhögg : dragon ou serpent de la mythologie nordique. Certains textes disent qu'il vit sous Yggdrasil, l'arbre-monde, rongeant sa troisième racine, celle qui se situe au-dessus de Nilfheim, le monde des morts. Dans d'autres, il est présenté comme vivant à Nàströnd, partie septentrionale de Helheim, où il suce les le sang des cadavres des parjures, des meurtriers et des adultères.