Une Dernière Bataille
Chapitre 21 : Dure Réalité - Première Partie
14240 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 08/06/2024 08:06
28 janvier 1996
Norvège, Asgard, Province Ouest, Alskögg
Un cri de douleur plus fort que les précédents parvint à couvrir le chaos de violence qui se déchaînait au-dehors de la pièce. Oreste se tenait proche d’une fenêtre qui donnait sur la cité, visible par-delà le fleuve, où un début d’incendie venait de se déclarer. Tête penchée, mine pensive, il contemplait des nuées de points incandescents se mêler aux cristaux de neige doucement ballottés par le vent. Son Armure d’Or était éclaboussée de sang par endroits, son front présentait quant à lui une coupure. Son casque gisait dans un coin de la chambre, ses avant-bras étaient dépouillés de leurs protections et ses doigts trituraient la petite croix de bois qui ne quittait son cou qu’en de très rares occasions. Allongée sur le lit, une forme gémissante suscita l’intérêt de son regard vert d’eau.
Sur le point de donner la vie, alors que les hérauts de la mort rôdaient à une distance encore dangereusement trop proche, Idda, la jeune épouse du jarl Gyjald, soufflait pour tenter d’évacuer les douleurs que lui infligeaient les contractions. L’Italien s’approcha de la future mère dont les mains agrippaient les montants du lit, exerçant une pression propre à les réduire en petit bois. Un voile de sueur rendait son visage luisant à la lumière du brasier ronflant dans la cheminée. Et sa chevelure, en désordre, tombait en rideau lorsqu’elle baissait la tête pour expirer rudement.
Un profond soupir chassant la tension qui l’habitait, il se prépara à épauler la sage-femme – bien que cette dernière lui lança plusieurs regards noirs en coin pour lui signifier qu’un homme n’avait pas à assister à ça. Les leçons apprises auprès de Diolon au Sanctuaire, si nécessaires à cet instant, se retrouvèrent subitement reléguées au second plan, tandis qu’il se demandait comment tout ça avait pu se produire.
Le matin même, un homme du jarl était venu le trouver pour lui annoncer l’arrivée d’un corbeau messager. La missive décodée, le Chevalier avait fait part au dirigeant d’Alskögg de son départ prochain. En effet, la reine Ylva, tout juste rentrée de sa propre expédition, requérait sa présence pour soigner les blessés. Il choisit également de lui révéler que la souveraine était parvenue à sceller une alliance avec l’antique peuple Nain et que sa propre enquête ne l’avait mené nulle part. En réalité, il avait bien découvert quelque chose sur d’étranges comportements de la part de nombreux habitants ainsi que des disparitions ; seulement il préférait n’en rien dire et revenir avec davantage de moyens. Enfin, il avait omis de dire qu’Ylva mentionnait un mystérieux nouvel allié.
L’heure suivante, l’Italien était passé sous la grande herse et une nappe de brouillard à l’opacité effrayante l’avait happé. Seul, puisqu’il avait suggéré à Einar de séjourner encore deux ou trois jours et de prendre du bon temps. Son évidente relation avec ce prêtre d’Odin, ce Kilfgar, ne l’avait pas dérangé outre mesure. Ses manières étaient somme toute correctes, un sourire désarmant dévoilant régulièrement sa dentition. Il paraissait en outre nourrir une réelle affection pour Einar. Etait-ce son indévotion qui le dérangeait tant ? Le Marina lui avait raconté leur histoire commune et Oreste avait eu du mal à considérer que l’on pût réellement changer de telles convictions. Un soupir lui avait échappé. Remettre en question les croyances d’un homme ne lui ressemblait pas. Servir la déesse Athéna, tout en conservant d’une certaine façon le dogme qu’on lui avait inculqué représentait, somme toute, une contradiction similaire.
La luminosité s’était mise à décliner plus rapidement que prévu et il n’avait pas parcouru beaucoup de chemin, la faute en incombant à une véritable purée de pois qui l’avait obligé à adopter une allure réduite et prudente, le retardant d’autant. Il avait même redouté s’être égaré. Il avait peut-être erré plusieurs heures de cette manière, en espérant tout de même avoir conservé la bonne direction, lorsque son cheval avait soudainement évité un obstacle invisible à ses yeux. De surprise, il avait vidé les étriers, atterrissant sans douceur sur le sol gelé. Tournant la tête, il avait vu ce qui avait entraîné sa chute.
Un cadavre à demi dévoré, enfoui sous une mince couche de poudreuse, preuve qu’il devait être là depuis trois ou quatre jours, lui renvoyait son regard. Presque consécutivement à sa macabre découverte, il avait entendu des cris apeurés suivis de hurlements féroces. Remontant en selle, il s’était rendu au jugé vers ce qui lui avait semblé en être la source. Le brouillard jusqu’alors très dense s’était tout à coup effiloché en lambeaux. Deux surprises de taille l’avaient accueilli : la première était qu’il paraissait avoir tourné en rond puisque la cité d’Alskögg se dressait face à lui et la seconde s’était manifestée sous la forme d’un bande de Managarm pourchassant un groupe de citadins tentant désespérément de fuir la ville. En dépit des réticences clairement décelables de sa monture, l’Italien avait chevauché directement sur eux tout en enflammant son cosmos.
Parvenu à leur hauteur, il avait déclenché sa Pioggia di Squame en visant les tendons de leurs pattes avec une précision quasi-chirurgicale. Il n’avait plus eu qu’à achever les bêtes ainsi paralysées. L’unique habitant rescapé, mortellement touché, lui avait appris que la cité subissait les assauts d’une petite armée de ces créatures aux traits lupins. Accompagnant d’une prière le trépas de l’homme, Oreste s’était engagé dans la ville à fond de train en direction du château, lieu de résistance le plus probable, faisant jaillir des étincelles sous les fers de son cheval. Encore plus lugubre qu’à l’accoutumée, Alskögg avait été dépossédée de sa substance. Ici et là, le Chevalier d’Or avait trouvé des corps de tous âges, baignant dans un mélange de sang versé et de viscères répandues. Les narines dilatées par l’odeur entêtante et roulant des yeux fous, l’équidé l’aurait à nouveau jeté à terre s’il ne s’en était assuré le contrôle à l’aide d’un subtil flux énergétique.
A un tournant, il tomba sur les dépouilles de trois créatures de Loki, proprement coupées en deux. Un homme ordinaire n’aurait eu que peu de chances, face à de tels monstres donc contre plusieurs, ce résultat semblait … impossible. Il n’y reconnaissait pourtant pas la « patte » d’Einar dont les arcanes se basaient sur le froid. D’ailleurs, il n’avait perçu à aucun moment le cosmos de celui-ci, fait pour le moins inquiétant.
Proche du castel, il avait remarqué un étrange cortège s’engageant dans une rue adjacente. En un éclair, il avait reconnu l’épouse du jarl Gyjald, Idda. Se ruant à sa suite, il avait vaincu en quelques secondes ses ravisseurs, qui par chance n’étaient pas des Managarm. Ce n’était qu’à ce moment-là qu’il avait vu qu’elle était sur le point d’accoucher. L’urgence de sa situation l’avait alors frappé de plein fouet, suppléant le danger omniprésent d’une nouvelle attaque. Filant jusqu’au château, il avait laissé un des rares gardes encore en vie prendre soin d’Idda, tandis que les autres regroupaient le maximum de rescapés et leur faisaient traverser le pont. Cette fois encore, Oreste contint l’assaut féroce des Managarm jusqu’à ce qu’ils eussent momentanément battu en retraite, faute de supériorité numérique à lui opposer.
A ce moment-là, une puissante aura, pulsante d’agressivité, lui était parvenue de plus en plus fort à mesure qu’elle approchait. En temps normal, il aurait fait front pour continuer à protéger les réfugiés, il s’était cependant inquiété de l’état de santé d’Idda.
Il avait donc couru vers le système permettant la rotation du pont, et donné une claque sur la croupe des animaux. Avec force mugissements, ces derniers s’étaient exécutés, mettant en branle le mécanisme. Rejoignant la berge, il avait, d’un bond, gagné le tablier en mouvement et à la moitié de sa course, expédié une salve énergétique pour détruire le petit appentis ; une brève pensée pour les bêtes sacrifiées accompagna son geste. Le pont s’était retrouvé ainsi bloqué de biais et il avait dû sauter à nouveau pour, cette fois, percuter la surface de l’eau à une trentaine de mètres de l’autre bord. Par chance, il avait plongé en amont, aussi le fort courant ne l’avait pas trop déporté durant sa nage.
A peine ses pieds s’étaient-ils posés sur la terre ferme qu’il avait ressenti une intense explosion de haine depuis la rive opposée, signe de profond mécontentement chez le chasseur. Pour l’heure, sa proie s’était échappée.
Son attention focalisée sur la berge, il vit les créatures s’agglutiner, noircissant les abords du fleuve, comme autant de vautours prêts à se disputer un cadavre. Pourquoi les Managarm ne partaient-ils pas ? Ils ne parviendraient jamais à franchir les flots tumultueux et les tourbillons traîtres. Aurait-ce un rapport avec …
Une nouvelle plainte interrompit brusquement le fil de sa pensée.
- L’enfant ne devrait-il pas déjà être là ? demanda-t-il tout à trac.
En effet, la logique médicale aurait voulu que le bébé fût proche de sortir. Si le travail se prolongeait, les vies des deux patients seraient en danger. Qu’est-ce qui clochait ? Il fouilla dans sa mémoire, à la recherche d’un élément de réponse.
- Je … je crois que l’enfant se présente par le siège, dit la sage-femme à voix basse, les mains barbouillées de sang.
- Quoi ?
- Le bébé ne se présente pas de la bonne façon. C’est arrivé à l’une de mes cousines, elle n’a pas survécu. (Elle se releva.) Je pourrais m’échiner à son chevet, mais elle est trop faible et d’autres attendent mes soins. Je suis désolée. Puisse Frigg la prendre en pitié.
Sur ces mots, elle s’éclipsa en toute hâte.
- Attendez, vous ne pouvez pas l’abandonner ! s’insurgea Oreste en tentant de la rattraper. Il ne trouva qu’un couloir désert et la résonance de bruits de pas dans l’escalier.
Rebroussant chemin, l’Italien entendit par-delà la fenêtre les hurlements des créatures redoubler d’intensité, leurs échos planant au-dessus de l’eau, tels de funestes messagers. Une fureur impatiente, bouillonnante, se devinait clairement au cœur de ces clameurs sauvages. Quelque chose avait changé. Impossible de savoir quoi, de là où il se trouvait. Peut-être leur avait-on offert une traversée sûre. Son sang se figea dans ses veines à cette idée.
Parviendrait-il à soutenir pareille offensive ? Et si un Fléau se joignait à eux, pourrait-il protéger tous ces gens, en plus de lui-même ? Ne se livrait-il pas là à une futile entreprise ? N’aurait-il pas mieux valu qu’il rejoigne la reine au lieu de foncer tête baissée ? Dès qu’il avait eu connaissance des faits, il aurait dû chercher du renfort, ou à défaut, regrouper des forces plus importantes en amont et s’occuper des soldats de Loki sur un terrain de son choix. Ylva avait peut-être réellement besoin de lui, si … . Il ferma les yeux.
Avec des mais et des si, on refait le monde, hein ? soupira-t-il intérieurement. Ai-je vraiment les compétences pour être un chef et guider les autres, Athéna. Jusqu’ici, je n’ai eu à diriger que des gens entraînés, prendre des décisions pour des personnes qui avaient conscience de leurs conséquences. Je savais ce que je faisais. Ici, j’ignore si j’ai pris la bonne résolution. Je me fais l’effet d’un enfant s’essayant à choses d’adultes, à l’heure où mes camarades jouent dans la cour.
Lorsqu’il les rouvrit, il croisa les prunelles enfiévrées d’Idda. Ses cheveux étaient plaqués sur son front et sa mine défaite indiquait clairement qu’elle comptait sur lui, qu’il était son unique soutien en cette heure. Son propre désespoir lui parut alors bien vite dérisoire face à celui de cette jeune femme. Oreste devait tenter de l’aider. C’était là sa décision.
Seulement, il n’avait jamais pratiqué d’accouchement en personne, encore moins lorsque celui-ci ne se déroulait pas de manière classique. Il se rappela cependant que dans un tel cas, il allait lui falloir retourner l’enfant. Il s’agenouilla face à Idda. Mais de quelle manière ? La bouche sèche, il considéra ses mains d’un œil confus, n’écoutant que le son de sa respiration. Je n’y arriverai jamais, pensa-t-il. Figure baissée, son regard tombant sur le petit crucifix du Père Vittorio, il se souvint alors qu’être là pour ceux qui en avaient besoin, telle était la détermination qu’il s’était jadis fixée.
Son pouvoir irradia légèrement, auréolant ses avant-bras d’un halo doré. Trempant ses paumes dans une bassine disposée non loin, il les posa de part et d’autre du ventre distendu d’Idda. Par contact, il guida le fluide aqueux à travers les couches de peau, de muscles et de graisse jusqu’à l’utérus. Paupières closes, tous ses autres sens en éveil, l’Italien se servit de ce flux pour manipuler en douceur l’enfant et réparer de menues lésions dans les parois. Pendant qu’il le plaçait dans un sens correct pour faciliter son expulsion, Oreste ressentit quelque chose d’extraordinaire ; la vie, dans son état le plus pur, une vie nouvelle, vibrante d’intensité, de potentialité. Le chant du commencement composait une puissante mélodie. Inconsciemment, le jeune homme sourit et des larmes perlèrent au coin de ses yeux fermés.
- Idda, je sais que vous êtes fatiguée, mais c’est le moment de tout donner ! Il faut que vous poussiez !
Avec une grimace, la future mère prit une grande inspiration, bloqua son souffle et fit jouer ses muscles abdominaux. Au bout d’une dizaine de minutes, au cours desquelles encouragements et grognements d’efforts se succédèrent, le premier vagissement tant espéré emplit l’espace des quatre murs exigus. Oreste trancha le cordon ombilical à l’aide de son poignard, avant d’envelopper le nouveau-né dans un morceau de tissu et de le tendre à sa mère.
- Félicitations Idda, c’est un garçon, annonça-t-il avec une fierté non dissimulée face à ce qu’il venait d’accomplir.
Cette dernière, épuisée, adressa un sourire au Chevalier d’Or qui le lui renvoya.
- Merci, Oreste. Merci infiniment.
Fourbu psychologiquement, il referma doucement la porte, afin de laisser mère et fils faire connaissance tranquillement. Adossé au mur de pierre, dont le contact froid était si apaisant, il fixa ce qui reposait dans sa paume rougie ; un orbe à la douce lueur bleutée, légèrement taché de sang. Il l’avait récupéré entre les mains du bébé, aussi incroyable que cela pût paraître. Incroyable et incompréhensible. Sous son crâne, les rugissements d’une tempête naquirent.
S’il s’agissait bien de l’artefact pour lequel lui et Einar étaient venus, comment avait-il pu se retrouver dans le ventre d’Idda ? Par quel moyen les séides de Loki avaient-ils eu vent de cette singularité ? Son pouls s’accéléra. Pouvaient-ils avoir provoquer ça ? De quelle façon ? Cela reviendrait à avoir un contrôle sur le flot des évènements. Une éventualité terrifiante.
- Sacrée trouvaille, dit une voix surgie de nulle part.
L’adrénaline affluant dans ses veines sous le coup de la surprise, l’Italien referma le poing et se mit en garde, son cosmos menaçant d’exploser.
- Montre-toi ! ordonna-t-il à l’inconnu.
Un pan d’ombre sembla se détacher du mur du couloir dépourvu d’éclairage.
- Du calme, fit un homme portant une armure à la teinte crépusculaire et au visage paré d’un demi masque argenté. Je ne suis pas un ennemi.
- Qui es-tu alors ? Car je ne te compte pas parmi mes alliés.
- Je me nomme Rikimaru. Je suis un Shinobi Lunaire au service du dieu japonais de la Lune, Tsukuyomi.
Le silence du Chevalier des Poissons, toujours sur le qui-vive, constituait une invitation à poursuivre la discussion. Le Japonais entreprit de lui raconter tout ce qu’il savait, ou presque. Le fait que leur seigneur lui avait demandé de surveiller les agissements de son divin frère, tout en menant son enquête dans l’ombre, ce qu’il avait appris sur leurs ennemis communs et leurs besoins.
L’énergie d’Oreste enfla encore, cependant, elle demeurait muselée par une parfaite volonté.
- Pourquoi ne pas t’être dévoilé plus tôt ? Pourquoi aujourd’hui ?
Le regard du Shinobi ne cilla pas. Les mots n’eurent aucun mal à sortir.
- C’était les ordres de mon seigneur. Je ne devais pas entrer en contact avec qui que ce soit. Seulement observer et découvrir la raison pour laquelle Susanoo cherche à obtenir ces artefacts. Ensuite j’aurais avisé. (Il marqua une courte pause.) Honnêtement, je crois que mon maître est de toute façon trop fier pour demander de l’aide. Etant donné qu’il s’agit de son frère cadet, il a pris ça de manière très personnelle.
- Je présume que si tu t’es montré, c’est dans un but précis.
- Vu la situation actuelle, j’ai simplement pris le libre parti d’intervenir, afin que cet orbe ne tombe entre les mains des Gardiens Célestes.
Un « est-ce tout ? » silencieux, parut flotter entre eux.
- Cela ne …
L’Italien perçut une explosion de cosmos, probablement depuis la berge. Celui de Einar. Il se précipita dans la pièce mitoyenne à celle où se reposait Idda et regarda par la fenêtre au bout du couloir. A cette distance, il ne distingua rien de précis, cependant, il vit nettement l’eau du fleuve être en train de geler petit à petit. Les clameurs précédentes lui revinrent en mémoire et il saisit enfin leur origine. Bientôt la gangue de glace relierait la rive au pont et elle ne s’arrêterait certainement pas là. D’ici à quelques minutes, les troupes de Loki pourraient prendre d’assaut le castel.
- Pour quelle raison Einar aurait-il …, laissa échapper Oreste.
Une trahison ? Cela semblait impensable, mais cette hypothèse état la seule qui pût expliquer ce qui se produisait sous ses yeux.
- Je crains qu’il ne faille nous préparer à livrer bataille.
- Es-tu capable d’emmener la mère et l’enfant loin d’ici ? répliqua à brûle-pourpoint le Chevalier d’Or.
- Qu’est-ce que ça a à voir avec la situation présente ? s’étonna Rikimaru.
- Sous peu, une horde de Managarm va débarquer ici. Ils seront accompagnés par un Fléau ainsi que, très probablement, un Marina. Et tu l’as toi-même dit, ils ne doivent pas s’emparer de l’orbe. Tu vas donc partir avec, puisque tu sembles si doué pour disparaître.
La glace s’étendait déjà presque jusqu’au pont.
- Je vais couvrir ta fuite.
- Présenté de cette manière, tu n’as aucune chance de t’en sortir. Si nous partons maintenant, je peux encore …
- Non, je ne peux t’accompagner.
- J’aurais cru un Chevalier d’Or davantage sensé. Tu es le meneur de ton groupe. Tu maintiens sa cohésion. Un leader ne peut pas choisir de disparaître de cette façon.
- Je me suis fait une réflexion similaire il y a peu. Et j’ai compris qu’un bon chef se reconnaissait dans sa capacité à prendre des décisions et à les assumer. Bien sûr, il y a également le fait que je ne puisse pas abandonner ces gens. Je dois les protéger. (Il tourna des yeux pleins de pitié vers le Shinobi Lunaire.) A demeurer dans l’ombre, loin de tout, tu n’as pas développé l’empathie essentielle pour comprendre les gens et leurs besoins. Tu es sourd aux émotions, néanmoins, tu n’es plus obligé de te cacher désormais. Je te charge de sauver ces deux vies et de transmettre cet artefact, ainsi que tout ce que tu sais, à la reine Ylva et à mes amis.
Oreste croisa le regard de son interlocuteur et crut y discerner, quoi ? De l’admiration, oui. Et un soupçon de froide colère aussi.
- Comment sais-tu que tu peux me faire confiance ? lui demanda finalement le Shinobi Lunaire, davantage pour la forme, il le devinait.
- Je le sais, c’est tout.
- Très bien, admit-il. Concernant ta requête, je ne possède malheureusement pas le pouvoir nécessaire pour cacher autant de personnes. Je ne pourrais prendre que l’enfant.
A cette annonce, l’Italien relâcha un profond soupir.
- Je vais aller parler à Idda.
Regagnant la chambre d’Idda, l’Italien s’assit à côté d’elle, sur le lit. En quelques phrases, il lui exposa la situation. La mine réjouie de la jeune femme tout juste devenue mère se décomposa.
- A vous deux, vous pourriez nous emmener, n’est-ce pas, le supplia-t-elle. Votre devoir doit-il prévaloir avant tout ?
- Et qu’en est-il de ceux qui se sont réfugiés ici, Idda ? Dois-je les abandonner à leur triste sort ? (Il ferma les yeux.) Vous avez raison, mon devoir envers la reine, ma déesse, ce monde passe avant vous. (Il prit délicatement l’une de ses mains.) Néanmoins, mon rôle est aussi de protéger les faibles et les innocents, de combattre le mal, et c’est ce que je m’apprête à faire.
Sans plus rien ajouter, il réenfila ses protections d’avant-bras, enfonça son casque sur sa tête et sortit de la pièce.
Dans l’embrasure de la porte, demeurée ouverte, se tenait Rikimaru. Son masque ne cachait plus son visage et Idda y aperçut la cicatrice oblique qui lui barrait la face. Ses yeux se rivèrent aux siens, alors qu’elle lui tendait son enfant.
- S’il lui arrive quoi que ce soit, je vous jure que je trouverai le moyen de vous le faire payer. Même morte.
Ces mots étaient pleins d’une détermination sans faille.
- Je vous fais le serment de le protéger à n’importe quel prix.
Le bébé emmailloté se retrouva en travers de sa poitrine, tenu par des draps passés en bandoulière. Celui-ci dormait à poings fermés. Sa mère le regarda encore une poignée de secondes, puis se détourna, sachant que sa résolution risquait de faiblir.
Le Shinobi Lunaire rejoignit Oreste près de l’escalier menant aux remparts.
- Je suis désolé.
Le Chevalier d’Or le dévisagea sans comprendre.
- Je n’avais qu’une vague idée de ce que manigançait Loki ici, avoua le Japonais. Juste qu’il comptait obtenir un artefact de la part du jarl. Les informations me manquaient à ce sujet.
- Cet enfant est celui du jarl, mais honnêtement je ne vois pas en quoi ça compte.
Tout à son honneur, il n’accabla pas Rikimaru de questions quant à la source de ses renseignements, ce dont ce dernier lui fut gré.
- La situation n’aurait pas dû déraper autant, reconnut ce dernier. J’ai cependant été pris de court en apprenant tardivement ton départ. Pressentant que ton absence pousserait les ennemis à se révéler, j’ai voulu prendre les devants et agir. Malheureusement, les combats qui ont éclaté un peu partout m’ont retenu à l’autre bout de la ville. Tu venais de secourir cette jeune femme lorsque je t’ai aperçu. Cantonné à mon rôle d’observateur, j’ai alors cru bon de laisser œuvrer un serviteur d’Athéna. (Il serra les dents.) J’aurais pu … j’aurais dû intervenir plus tôt.
- Tu as trop tardé, c’est vrai, mais peut-être que sans ton intuition ainsi que les ennemis que tu as défaits, les personnes qui se sont échappées n’auraient pas pu me prévenir, relativisa Oreste. Ce qui signifie que je n’aurais pas pu sauver cet enfant, ni sa mère. Peut-être commences-tu à entrevoir ce dont je parlais, Rikimaru.
Les secondes s’étiraient lentement, longuement, sans qu’aucun n’ajoute quelque chose.
- Va, dit finalement le Chevalier des Poissons.
Rikimaru le salua une ultime fois et se laissa engloutir par les ténèbres, disparaissant à la vue du gardien du Douzième Temple.
Celui-ci gravit les marches pour atteindre le chemin de ronde. Une bise froide laissa courir ses doigts sur sa joue. Au-dessus de lui, le ciel arborait sa mante crépusculaire encore à mi-chemin entre un bleu profond et un noir d’encre. Les Managarm, meute sauvage constituée d’une centaine de bêtes, s’étiraient sur toute la longueur du passage nouvellement créé. De leur pesante course, malgré la distance, il endurait chaque tremblement lors de leurs prises d’appui. Le vent guida leur odeur musquée jusqu’aux narines de l’Italien.
Etrangement, il ne ressentait pas cette espèce de calme intérieur dont il avait tant entendu parler, celui remplissant l’entièreté d’un être à l’approche de la mort. Celui qui faisait que l’on acceptait son sort. Non, rien de cela. Résolu, il l’était. Mais davantage à tout tenter pour survivre et sauver ces gens. Mourir en martyr ne l’intéressait guère.
Son cosmos doré enfla, atteignant graduellement une intensité propre à alourdir l’atmosphère, faire vibrer la pierre et le bois sous ses pieds et déclencher d’irrépressibles fourmillements dans ses membres. Sur ses avant-bras se dessinèrent les contours de petites écailles aux formes acérées, dards prêts à filer. Les Managarm, sensibles, grondèrent de défi en réponse.
Lorsque les premiers, bousculant dans leur hâte leurs prédécesseurs, parvinrent à proximité des portes, closes et barricadées, pour se jeter contre, Oreste croisa les bras et les déplia d’un geste rapide, les faisant claquer dans les airs tels des fouets.
- Pioggia di Squame !!
Les projectiles, échardes nimbées de lumière, trouvèrent leurs cibles, leur infligeant autant de dommages à travers peau et chair, que lorsqu’ils s’égaraient au sol. Certaines créatures se retrouvèrent écrasées museau contre terre tandis que d’autres, leur élan brisé, parcouraient encore maints mètres en roulant sur elles-mêmes, masses rompues de muscles et de fourrures. Douze, quinze, peut-être vingt furent stoppées de cette manière, réduites à pousser de pitoyables geignements, claquant futilement des mâchoires, comme si elles pouvaient mordre l’objet de leurs tourments.
A peine amputé par ces négligeables pertes, le reste de la horde se rua en un puissant mouvement de flux contre les battants, avec une sauvagerie exacerbée. Vacillant sur leurs gonds, ils ne tiendraient pas longtemps, leur résistance s’amenuisant au fur et à mesure que crocs et griffes leur arrachaient d’audibles craquements. Oreste renforça son aura, avant de basculer dans le vide, tournoyant pour se réceptionner dans la cour du château, sept mètres plus bas, face à un déferlement de violence lorsque les Managarm enfoncèrent les portes. L’Italien projeta aussitôt une salve supplémentaire dans leur direction, terrassant derechef plusieurs bêtes et observa les suivantes se précipiter dans la brèche.
Fort de l’énergie s’engouffrant à toute vitesse dans ses veines, il fusa littéralement en avant, se portant à leur rencontre. L’écoulement du temps suspendit son cours, alors que le Chevalier des Poissons augmentait sa vitesse de déplacement, pour la perception de laquelle même les sens suraiguisés des Managarm ne leur étaient d’aucun secours. Dans chacune de ses paumes, le jeune homme aggloméra les particules d’eau en suspension, engendrant deux grandes sphères aqueuses. Interrompant brusquement sa course, il ramena d’un coup, d’un seul, ses bras devant lui.
- Frangente !
Pareille à la colossale gerbe d’eau issue de vagues percutant des brisants, l’arcane heurta la colonne ennemie dans un fracas assourdissant. Les créatures ployèrent sous la force du courant qui emprisonna d’abord leur souffle dans leurs poumons, les conduisant au bord de l’asphyxie, puis les repoussa jusqu’à être disloquées par l’intense pression. Celles situées plus en retrait connurent un sort moins funeste, néanmoins l’attaque les laissa sonnées, chancelantes ou avec des membres cassés. Une fine bruine s’installa.
Des vivats saluèrent sa prouesse sitôt le calme revenu. Sur les remparts, Oreste aperçut quatre ou cinq gardes près de la barbacane, agitant leurs mains à son encontre. Dans son dos, il découvrit également une poignée de spectateurs le fixant de leurs yeux ronds, tour à tour émerveillés et effrayés.
- Restez cachés ! leur hurla-t-il.
Les échos de son avertissement retombaient tout juste quand il entendit des grondements, le son de la pierre qui s’effrite face aux griffes qui y laissent leurs marques et les hurlements de proies mises à mort.
Levant la tête, l’Italien sentit des gouttes chaudes tomber sur sa joue et son front. D’instinct, il recula afin d’éviter la chute d’un corps. Eventré, le malheureux souffrait de la perte d’une moitié de sa tête : il ne subsistait au-dessus du nez qu’un amas d’os, de cervelle et de chair en bouillie. De lourdes formes à l’aspect lupin ne tardèrent pas à suivre le même chemin, s’égayant en tous sens dans la cour. Sur le point de s’interposer, Oreste se figea en détectant la véloce approche du propriétaire du cosmos haineux. Faisant volte-face, le jeune homme eut tout juste l’occasion de parer le coup qui le propulsa contre les rudes fortifications. Quelques lézardes aux murs et des fissures similaires aux côtes du Chevalier découlèrent du choc. Un mince filet de sang à la commissure des lèvres, il se redressa, attentif à l’éventuelle poursuite de l’assaut.
Son agresseur le toisait stoïquement. Il s’agissait d’une femme à peine plus âgée que lui, dont les longs cheveux bruns cascadaient de part et d’autre de ses épaules jusque sur sa poitrine. Sous ses paupières maquillées de rouge, plongeaient des lignes écarlates. De teinte cendreuse, son armure enveloppait ses courbes graciles, les protégeant tout en les révélant cependant suffisamment pour demeurer suggestives. Des jambières aux formes disparates revêtaient ses membres jusqu’à mi-cuisses. Une jupe rapiécée de cuir sombre et de maille enserrait sa taille par-dessus laquelle se bouclait un ceinturon d’où pendaient des pseudo-lames aux formes acérées. Un unique gantelet remontant jusqu’à son coude enveloppait son avant-bras droit, tandis que le gauche était sanglé jusqu’à l’épaule. Un bustier souligné d’un croissant de lune descendant un peu en-dessous des côtes bardait sa poitrine. Enfin, les protège-joues de son masque rappelaient une gueule animale squelettique fendue par le milieu.
- Cette fois, grinça-t-elle, tu ne m’échapperas pas. A moi, le Fléau de Hati.
Elle bondit, exhibant sur ses traits sa terrible volonté belliqueuse d’en venir au corps à corps.
Ayant été entraîné par un maître dont la spécialité tenait au combat à distance, nul n’aurait pu croire que l’Italien avait de grandes chances si son adversaire en venait au contact. Seulement, Oreste, depuis son séjour à Asgard, avait partagé les séances d’entraînement de Raul, Tristan et même Nikolaï, élargissant dès lors ses domaines de compétences.
Il évita le coup du Fléau d’une torsion du bassin, et bloqua assez aisément le poing et le coude qui suivirent. Attrapant d’un geste vif le bras non ramené en garde, il le tordit et tourna sur lui-même, entraînant son ennemie dans sa ronde. Brutalement, Oreste la relâcha. Déséquilibrée, la jeune femme trébucha, mais se releva bien vite lorsqu’elle sentit les projectiles lancés par le Chevalier fondre sur elle. Deux l’atteignirent à l’épaule droite, passant outre son armure. Un cri de douleur resta coincé dans sa gorge, réduit à l’état de simple grondement, tandis qu’un liquide carmin coulait le long de son bras.
- Pas mal, souffla-t-elle.
Son cosmos s’intensifia, le métal de sa protection donnant l’illusion de refléter des braises soudain ranimées et elle courut vers lui. Surpris par ses changements abrupts de trajectoire et de vitesse, Oreste encaissa l’uppercut qu’elle lui envoya. Ses dents s’entrechoquèrent brièvement, entaillant l’intérieur de ses joues, un goût métallique emplissant sa bouche. Le Fléau n’en resta cependant pas là, poussant son avantage en y ajoutant une volée de coups supplémentaires, toujours plus rapides, plus frénétiques. Lorsqu’elle tenta de lui enfoncer son genou dans l’abdomen, l’Italien para et ressentit une vive brûlure au niveau de sa paume, fumante. Profitant de son attention détournée, elle lui asséna un coup de tête, enchaîné d’un puissant crochet plongeant semblable à coup de marteau qu’elle paracheva par un pied alourdi par son cosmos en plein dans ses côtes flottantes déjà fragilisées.
Le Chevalier des Poissons en eut le souffle coupé sous l’impact et se retrouva projeté sur plusieurs mètres, juste entre les pattes d’un trio de Managarm. Crachant des glaires sanglantes, il aperçut les membres épars d’une victime, puis l’éclat menaçant de crocs dégouttant de bave et le chant lugubre de ceux passant de vie à trépas. A ce moment-là, le jeune homme réalisa, la peur au ventre, qu’il n’y avait sans doute plus rien à sauver. Uniquement confronté aux bêtes, l’espoir aurait pu continuer à brûler. Mais c’était sans répit que le Fléau s’en prenait à lui, étouffant toutes tentatives. Il aurait dû le savoir.
D’une roulade, il se dégagea du guêpier au milieu duquel il se trouvait. Se plier à cette réalité ne lui convenait pas, puisque cela signifiait qu’il avait menti. Et il allait prouver qu’il ne faisait pas ça pour rien, que sa décision avait été la bonne, que tout ça n’était pas que du vent.
Une première créature fonça sur lui, le contraignant à mettre son avant-bras gauche en gage pour sauver son cou. L’étreinte des mâchoires était terrifiante, au point que l’Armure des Poissons accusait la morsure en émettant de sinistres crissements. Sans pour autant parvenir à la traverser, les dents y laisseraient des marques et le membre en son sein allait finir broyer. Oreste abattit son poing libre à deux reprises sur le crâne de la bête, sans succès. Son cosmos explosa pour lancer son arcane à l’intérieur de la gueule du Managarm dont la tête vola en éclats. Esquilles d’os, fragments spongieux et humeurs rougeâtres composèrent un tableau macabre sur la toile vierge qu’était le sol recouvert par les flocons blancs. Les secondes s’égrenaient et il devait déjà accueillir le duo de survivants. Son aura dorée flamboya en réponse à son besoin croissant de pouvoir. Les molécules d’eau répondirent à son appel, convergeant vers ses poignets, pour former deux longs rubans aqueux à l’aspect aussi lisse que la surface sans rides d’un lac.
- Catene Polimorfe !
D’une torsion, l’Italien en expédia un directement au travers de la cage thoracique du premier, lui fendant le cœur, et enroula le second autour du cou de l’autre. Devinant que le Fléau de Hati ne resterait guère plus longtemps sans s’en mêler, il décida de se servir de son prisonnier à la manière d’un projectile. L’ensemble des muscles de son buste ployant sous l’effort, le Chevalier d’Or lança le Managarm. Comme prévu, la jeune femme stoppa net son approche et ancra ses pieds pour maximiser ses appuis. D’un revers du bras, renforcé par son cosmos, elle écarta la créature de son chemin à l’instar d’un vulgaire moucheron. Malheureusement, un corps aussi massif en dissimulait aisément un autre plus petit. Parvenant presque au contact, Oreste déclencha son arcane :
- Frangente ! Tre Sorelle !
La déflagration toucha sa cible. Une fois. Deux fois. Trois fois. L’écrasant, la malmenant au sein d’une vague de pouvoir brut encore plus intense que la précédente. Cela ne dura que le temps de moucher une bougie, jusqu’à ce que l’arcane eût atteint son apogée et éclate telle une bulle instable. Etrangement, au milieu des gouttes retombant en pluie, un nuage de vapeur apparut face à l’Italien, esseulé. Ses sourcils froncés adoptèrent une forme arquée au moment où un bras jaillit de la fumée pour tenter de saisir son visage. In extremis, il parvint à l’intercepter. Au toucher, l’Italien constata que sa peau était à vif là où ses propres doigts s’attardèrent. Un vent chaud le gifla, asséchant instantanément son épiderme.
- On dirait que tu as découvert mon petit secret, dit une voix s’extirpant de la brume.
Le Fléau se tenait devant lui, intact. Ou presque. Si ce n’était les petites fissures parcourant son armure comme autant de minces rivières, et les vagues meurtrissures marquant son corps, elle en était ressortie quasiment indemne.
- Ma technique Blodig Ild rend mon corps toujours plus ardent à mesure que ma haine pour mon adversaire s’accroît. (Elle esquissa un sourire.) Ne dit-on pas être consumé par la haine ?
Son aura gagna en intensité aussi bien qu’en proportions, devenant plus "épaisse". Le sentiment de brûlure augmenta en conséquence.
- Tout ce qui me touche à des chances de finir carbonisé, précisa-t-elle lascivement. Et tu ne dérogeras pas à cette règle.
Se tenir à côté de cette jeune femme revenait à côtoyer une fournaise. Une énorme fournaise, presque un soleil miniature. La sueur perlant aux tempes de l’Italien n’avait pas le temps de parvenir jusqu’à l’angle de sa mâchoire avant de sécher. En dépit de la protection fournie par son Armure d’Or, Oreste sentit son corps tout entier le démanger, l’échauffer. D’ici moins de cinq minutes, il cuirait littéralement à l’intérieur. Et la retirer pour éviter ça reviendrait au suicide. Cet arcane était redoutable en combinant attaque et défense, réduisant d’autant son champ d’action.
Du plat du pied, il repoussa avec force le Fléau de Hati, avant de bondir en retrait tout en relançant ses Catene Polimorfe. Densifiant la structure de ses rubans grâce à son cosmos, il en effila la pointe à la manière d’une tête de flèche. Parfaitement fluides, leurs mouvements évoquaient les déplacements vifs et ultra coordonnés de bancs de poissons.
Le Fléau bloquait les assauts sans peine, se contenant de légères parades, les regardant se heurter à son bouclier ou creuser de fines failles dans les pavés autour d’elle. L’une des lanières se trouva dotée de multiples extrémités pour continuer l’offensive, tandis que l’autre plongeait sous terre pour en déloger les pavés qui s’envolèrent en direction de la jeune femme sous une impulsion amorcée par l’Italien. Ses tentatives échouèrent l’une après l’autre, aiguillonnant le sentiment d’urgence à en finir au plus vite qui l’oppressait.
Son cosmos s’amplifia encore, s’exaltant en puissance et en éclat. Il s’approcha avec toute la vélocité dont il se savait capable et remodela la forme des rubans, pour en faire des pointes semblables à des rostres, son imagination s’emballant au rythme des pulsations de son énergie. Ses estocades n’y purent rien, de même que ses tailles lorsqu’ils adoptèrent l’allure d’ailerons soudés à ses avant-bras. Tout autre ennemi aurait été réduit en pièces, toutefois le Fléau n’avait qu’à les effleurer pour en amoindrir l’impact, corrompant jusqu’à l’opiniâtreté du Chevalier. Capturant subitement ses poings dans un étau infernal, elle lui administra un premier coup de pied, brisant des os, puis un second qui fissura son plastron fumant. Un dernier autrement plus puissant l’expédia vers le haut, l’envoyant s’écraser sur les remparts.
Allongé sur le dos, il toussa en se mettant à quatre pattes, du sang entachant ses mains. Quand il releva la tête, il croisa le regard écarlate de la jeune femme dont l’armure arborait à présent une coloration blanche, tel un morceau de métal porté à incandescence. Il ne faisait aucun doute qu’elle comptait en finir.
- Avsky av Eskplosjon ! scanda-t-elle.
Une formidable quantité de cosmos, probablement emmagasinée à l’intérieur de son corps depuis un moment, se retrouva libérée provoquant une énorme détonation. Oreste fut balayé par-delà le chemin de ronde par l’onde de choc, et tomba vers la forêt au milieu d’une nuée incandescente.
Depuis la fenêtre de sa chambre, Idda observa le mur dont une partie manquait désormais à l’appel, comme emporté par un gigantesque coup de cuillère, et frissonna en portant une main à sa bouche.
Elle perçut un bruit dans son dos et se retourna, alors qu’on la saisissait à la gorge.
- Vous ? parvint-elle à croasser.
Haletante, vidée, le séide de Loki vit son aura refluer, l’exposant à l’ultime soubresaut de l’Italien dont un ruban transperça l’épaule blessée, suspendant sa chute. La jeune femme résista à la traction un bref laps de temps, mais finit par suivre le Chevalier, dix mètres plus bas. Un cri de souffrance accompagna l’impact de son plongeon forcé, une mauvaise réception entraînant une fracture ouverte de son avant-bras gauche. Ses yeux reflétèrent instantanément la dureté du silex et scrutèrent la zone à la recherche de la cible de sa colère. Elle la trouva en train de se mettre péniblement à genoux. Décidément, le Chevalier ne manquait pas de ressources.
Oreste avait perdu son casque, la partie droite de son Armure d’Or – incluant épaulière et gantelet – avait été arrachée et de nombreuses fissures parcouraient celle-ci. Du sang suintait d’une plaie au front, une parmi tant d’autres, et des brûlures marquaient sa chair. Par chance, ces dernières demeuraient relativement bénignes, eût égard à sa présence d’esprit de dresser un semblant de mur aquatique au moment du heurt. Sans cela, il serait probablement mort.
A grandes enjambées rageuses, le Fléau de Hati le rejoignit.
- Je ne sais pas par quel miracle tu as survécu, mais tu vas payer pour ça, lui susurra-t-elle en exhibant l’os saillant de son bras blessé.
L’Italien sentit une main empoigner un côté de son visage et le serrer. Une brûlante torture s’appropria la moitié gauche de son crâne, comme si on lui collait un tison ardent contre la peau. Une vapeur grasse s’éleva. Son épiderme se cloqua très vite, ses cheveux s’enflammèrent en partie et de sa gorge se déversa un cri inhumain, véritable ode à la douleur. Il se cambra, trembla, gigota.
Toute à sa mise à mort, la jeune femme remarqua à peine la main qu’il posa sur son abdomen. En revanche, elle perçut clairement l’émanation de cosmos sur le point de se déchaîner.
- Onde Disturbate.
La décharge se répandit dans le corps tout entier du séide de Loki. Au début, rien ne se produisit. Puis subitement, elle vomit du sang ; liquide qui ruissela également depuis ses oreilles, ses yeux et ses narines. Ses jambes refusèrent de la soutenir plus longtemps et se dérobèrent sous elle.
- Qu’est-ce … qu’est-ce que tu m’as fait ?
Oreste déglutit, un filet de bave collé à son menton, luttant contre le calvaire que lui infligeait ses blessures pour parler.
- J’ai envoyé une onde de cosmos … se répandre dans l’ensemble de ton organisme via l’eau présente à l’intérieur, endommageant tes organes. Néanmoins, l’intensité était insuffisante, sans quoi tu ne serais plus en vie. (Il se remit péniblement debout.) Mais ne t’inquiète pas, contrairement à toi, je sais faire preuve de compassion.
Le Chevalier des Poissons s’apprêtait à l’achever lorsqu’il ressentit un autre cosmos sur les remparts. Face à ce qu’il y découvrit, un unique mot franchit ses lèvres desséchées.
- Idda …
A plusieurs dizaines de kilomètres de là, un cavalier était sur le point de tuer sa monture. Pressé par un sentiment de danger imminent, il avait encore augmenté l’allure et maintenant la pauvre bête en payait le prix. Agacé, il se focalisa sur le dégagement d’énergie ressenti plus tôt et disparut purement et simplement du dos de l’animal. Libéré de son tourmenteur, ce dernier s’effondra, les flancs trempés de sueur et la respiration sifflante. Ereinté, mais vivant.
Depuis sa selle, Rikimaru se contenta d’un bref coup d’œil en arrière, et piqua des deux pour accélérer. A dire vrai, il aurait préféré user de son pouvoir, seulement, l’enfant qu’il gardait contre lui n’aurait guère eu de chance de résister aux brusques accélérations ; enfourcher un cheval avait représenté le meilleur compromis entre sûreté et rapidité.
Inopinément, l’équidé se cabra en poussant un hennissement de peur, lorsqu’un mur de flammes apparut devant lui. Surpris par son comportement, son cavalier eut toutes les peines du monde à le calmer.
- On dirait que j’ai manqué la fête, dit une silhouette tapie au cœur du brasier.
Bien que son visage demeurât dissimulé au gré des ondulations du feu, le Shinobi Lunaire n’eut aucune peine à en identifier le propriétaire grâce à son timbre et à la couleur fuligineuse de la barrière ardente. Suzaku, l’Oiseau Vermillon du Sud se tenait face à lui.
Que fait-il ici ? s’interrogea le Japonais.
Toujours tendue et nerveuse, sa monture ne demandait qu’à s’écarter de l’enfer. Le regard argenté du jeune homme glissa sur le petit être plaqué contre sa poitrine, noyé au milieu d’un monceau de fourrures. La mort l’attendait à coup sûr si le jeune homme engageait les hostilités. Faisant volter son cheval d’un mouvement de bride, Rikimaru le lança au triple galop à travers les bois.
Des flammèches noires vinrent presque s’enrouler aussitôt autour des pattes de l’animal qui hennit autant de douleur que de terreur. En quelques instants, elles remontèrent le long de ses jarrets, consumant toute matière sur leur passage. Sans prévenir, l’équidé s’écroula dans un nuage de poudreuse, tandis que son cavalier bondissait de la selle. A deux pas de distance, il observa le mal noir recouvrir et grignoter son infortunée monture. Une légère brise apporta à Rikimaru une insoutenable odeur de viande brûlée. La vision de ce macabre spectacle le ramena plusieurs années en arrière, lorsqu’il en avait constaté les effets pour la première fois. Et le dégoût qu’il lui inspirait n’avait pas faibli.
Le crissement de pas dans la neige le fit se retourner.
- Hé là, hé là, c’est terriblement grossier de s’enfuir comme ça, lâcha Suzaku, son épée posée sur l’épaule. (La surprise amena un sourire sur ses traits blafards, accentuant les cernes qui soulignaient ses yeux.) Je reconnais ce bleu profond. Tu es le gamin de l’autre fois. Tu as l’air en forme et ton regard … hum, oui, l’ombre que j’y vois me plaît énormément.
La perversité contenue dans cette dernière réplique hérissa Rikimaru, alors que lui revenait en mémoire les précédents propos du Gardien Céleste : « la rage anime chacun de tes coups » ; « tu prends plaisir à te battre » ; « tu me ressembles ».
Des rires fantomatiques naquirent un peu partout, quand bien même les lèvres de son détracteur étaient demeurées scellées.
- On ne peut pas dire que ces Fléaux soient mauvais, enchaîna l’Oiseau Vermillon en coulant un regard en direction de la ville d’Alskögg, mais leur efficacité laisse à désirer puisque tu te retrouves ici.
Ces ? nota mentalement le Shinobi Lunaire. Il avait cru que le Chevalier des Poissons n’aurait à affronter qu’un seul adversaire. Cependant, ses chances de s’en sortir contre deux, voire plus étaient quasi-inexistantes. Et cette explosion d’énergie survenue un peu plus tôt n’était pas pour le détromper.
Suzaku se mit à glousser.
- Enfin. Ça tombe bien. Je me demandais quand est-ce que nos chemins se croiseraient à nouveau.
Il réalisa quelques moulinets, avant de pointer son arme sur le Japonais.
- Débarrasse-toi de ce poids mort, ajouta-il en indiquant le bébé. Je te veux pour moi seul et au mieux de tes capacités … tu t’es amélioré au moins, j’espère. Oui, oui, d’une manière ou d’une autre, tu es définitivement différent. Allez, ne te fais pas prier, je suis persuadé que tu en as autant envie que moi.
Effectivement, sans qu’il en eût vraiment conscience, sa main s’était retrouvée à effleurer la poignée du sabre dépassant de son épaule droite. Sitôt qu’il l’eût remarqué, il la baissa. La présence de Suzaku engendrait un étrange sentiment chez lui. Une forme de fureur bouillonnante nichée au creux de son estomac, une boule de rage ayant de plus en plus de substance. Il aimerait tellement lacérer ce monstre !
Les yeux fauves du Gardien Céleste s’étrécirent. Il bondit soudainement en faisant décrire un arc de cercle mortel à sa lame. Rikimaru para en catastrophe en dégainant promptement. Le chant du fracas des armes, dont les puissantes vibrations ébranlaient jusqu’aux tréfonds des deux combattants, se mit à résonner dans la forêt. Tailles, feintes et estocs multiples se succédaient à un rythme effréné. Du moins, aux yeux de simples spectateurs. Pour des observateurs plus avertis, le duel n’aurait semblé guère plus rapide que ça, et Suzaku ne s’y trompait pas.
- Ce mioche va finir par me gâcher mon plaisir !
Le souffle de la lame passa à un cheveu du ventre de Rikimaru – et de son précieux protégé –, le forçant à reculer d’un pas. Suzaku amorçait tout juste un revers lorsque l’épaule du jeune homme le cogna en pleine poitrine. Au moment du heurt, ce dernier sentit la courte pointe ornant le pommeau de l’épée adverse passé outre la jointure entre l’épaulière et le plastron, pour s’enfoncer dans sa chair. Tirant profit de la posture déséquilibrée du Gardien Céleste, le Shinobi poussa son avantage et enchaîna avec un coup de pied afin de le repousser sur plusieurs mètres.
Sitôt que son attaque eut porté, il tourna les talons et courut se perdre dans la forêt.
Zigzaguant entre arbres, souches et troncs couchés, Rikimaru perçut clairement les bruits de poursuite. Un peu à sa droite, il avisa un groupe de conifères dont la disposition servirait ses desseins. Il enflamma son cosmos, le diffusant de la garde à la pointe de son sabre, barbouillé par le sang coulant de sa blessure.
- Gessetsu !
A chaque arabesque de sa lame, de multiples croissants bleu vif voltigèrent vers les géants sylvestres. Rikimaru dépassa ses cibles en trombe et, d’un mouvement tournoyant, en projeta trois supplémentaires sur son poursuivant. Le premier parvint à laisser une balafre sur son biceps. Les autres n’eurent pas autant de succès.
L’espace d’un court instant, Suzaku perçut un bruissement d’aiguilles et de sinistres craquements autour de lui, puis des arbres s’abattirent sur lui, l’ensevelissant.
Sans prendre le temps de se risquer à jeter un coup d’œil, Rikimaru se plaqua contre un tronc en partie creux et utilisa un autre arcane :
- Shingetsu no Yami.
L’aura qui l’entourait, oscillant entre le bleu et le noir, s’assombrit pour devenir un véritable pan de ténèbres dans lesquelles il s’enveloppa, devenant partir intégrante de l’obscurité qui régnait dans la forêt.
Sa technique venait d’atteindre son apogée lorsque des ondes de pouvoir firent vibrer ses perceptions. Le tombeau de bois explosa dans un jaillissement de flammes noires et d’échardes d’où Suzaku émergea. Comme le Shinobi Lunaire s’y était attendu, celui-ci ne souffrait guère plus que de quelques bosses et égratignures. Toutefois, le principal objectif de sa manœuvre avait été de le ralentir. Le reste n’était que du bonus. Se rencognant dans son abri camouflé, il vit la tête du Gardien Céleste pivoter de droite à gauche, telle celle d’un oiseau de proie.
- Allons, allons, un peu de sérieux, lâcha-t-il après une énième observation infructueuse. Te cacher ? J’admets que cela ajoute un peu de piquant à la situation, mais je ne suis pas persuadé que cela soit à ton goût. Ne préférerais-tu pas te confronter à moi ? Je perçois d’ici les effluves de ton pouvoir prêt à se déchaîner.
Derrière son voile d’ombres tissées, Rikimaru retenait sa respiration. Il leva son sabre à hauteur de son épaule blessée, malgré les élancements dont elle le gratifiait, et dirigea une pointe assassine sur le dos du Gardien Céleste. Une réelle opportunité s’offrait à lui. Néanmoins, il lui faudrait certainement sacrifier l’enfant qu’il portait pour cela. Dans le cas contraire, il ne pourrait pas déployer suffisamment de puissance. Ce qui aboutirait à un combat à l’issue incertaine.
- Ah, le plaisir que j’ai eu à voir voler la jolie tête blonde de cette prêtresse à l’époque. Te rappelles-tu les magnifiques volutes que le sang qui s’en échappait dessinait dans les airs ?
Les yeux fauves scrutaient chaque recoin de la zone.
- Es-tu … là !? clama Suzaku en libérant une gerbe de feu sur un groupe d’arbres tout proches.
Les troncs éclatèrent sous l’effet de la chaleur, arrosant le tapis neigeux d’une sève brûlante, faisant s’élever des fumerolles. A trois mètres près, il aurait fait mouche. Le Shinobi Lunaire préféra se couler au coeur d’une autre ombre, se déplaçant aussi silencieusement qu’un flocon tombant depuis les cieux. Et même ainsi, il sentit le regard acéré de son ennemi qui s’attardait un peu trop longuement sur lui, transperçant l’obscurité pour le débusquer presque instinctivement.
Son salut ne résidait définitivement pas dans la fuite. Seule la confrontation semblait pouvoir mener à un aboutissement. Tuer Suzaku reviendrait à empêcher que l’orbe ne tombe entre les mains de Loki, et par extension de Susanoo, en sus de le priver d’un atout. Tout en octroyant une vengeance amplement méritée à toutes les victimes dont les souffrances avaient délecté ce démon.
Sa lame se mit à trembler comme sous le coup d’une langueur insidieuse.
L’offrande d’un petit être, qui avait déjà eu beaucoup de chance de pouvoir prendre une inspiration dans ce monde, pouvait-elle contrebalancer tout ça ?
Une nouvelle gerbe ardente, une nouvelle perte pour la forêt. Et toujours ce sentiment que ses flammes aspiraient littéralement ses ombres, le révélant un peu plus.
L’ancien aurait répondu à la question par un peut-être tout en pensant oui. Le nouveau se rappela le regard de la mère, à qui il avait promis sa sauvegarde et dit non. Catégoriquement non. Seulement, sa situation paraissait inextricable. Partagé entre un besoin belliqueux irrépressible et une retenue liée à son engagement, il ne savait que faire.
- Et as-tu déjà entendu les hurlements d'enfants à l’agonie ? poursuivit subtilement son tourmenteur. Leurs petits cris rendus désespérément aigus par la peur, alors qu’ils s’étouffent presque avec leurs larmes. Leurs échos se prolongeant à l’infini dans ton esprit. Ah, tout cela résonne telle une sérénade à mes oreilles quand j’y repense. (Il se laissa à esquisser les mouvements de main d’un chef de chœur.) Tu ne les as jamais entendus, n'est ce pas ? Pourtant, je suis certain que tu as toi-même joui de ce genre de fruit d’une manière ou d’une autre depuis notre rencontre. Viens donc partager cette expérience avec moi.
Rikimaru en avait assez de ses piques, de ses insultes qui l’asticotaient, comme autant de mouches bourdonnant autour d’une charogne. Tous ses muscles étaient tendus, douloureusement maintenus dans une immobilité dont ils ne souhaitaient que se libérer, pareils à des fauves en cage. Là, tout de suite, il n’avait qu’une seule envie : hurler. Agonir Suzaku par rapport aux cauchemars qu’il avait instillés en lui, sur ce à quoi il l’avait conduit à faire, sur les pentes de la folie vers lesquelles risquaient de l’entraîner l’obsession qu’il avait fait naître ne lui. Il ne rêva soudain plus que de vomir le poison qui le rongeait. Il allait rompre son arcane, charger et lui planter son sabre en plein dans le ventre, là où la douleur est la pire, et capturer à jamais les hurlements retentissants qu’il lui ferait pousser dans la prison de son esprit.
Sa poigne s’affermit sur le manche de son arme.
- Ah, tu hésites ! souligna l’Oiseau Vermillon. Tu t’es pourtant toi-même désigné comme ma Némésis cette fois-là. Alors viens t'enorgueillir de tuer ... prouve-moi que tu es bien le guerrier que je te prétends être. Musaborikuu Hi !
Dans son incapacité à déterminer sa position exacte, le Gardien Céleste avait décidé de lancer un véritable raz-de-marée ardent. Celui-ci déferla à une vitesse terrifiante dans la direction du Shinobi Lunaire.
Brusquement, un écran translucide se matérialisa devant Rikimaru, l’éloignant du rebord de l’abîme où il avait menacé de plonger.
Les flammes s’attaquèrent à cet obstacle imprévu avec férocité pour, étonnamment, se retrouver être en partie renvoyées vers leur invocateur. Les traits de ce dernier reflétèrent la surprise avant de disparaître sous ses propres créations.
Et tout aussi mystérieusement, un jeune homme à la crinière auburn se manifesta dans un tourbillon de lumière. Fait pour le moins étonnant – en-dehors de son apparition subite, la conférant presque à une technique de prestidigitation –, la paire de points lui tenant lieu de sourcils. A l’instar d’Oreste, il était revêtu d’une protection complète à l’éclat solaire, dont le plastron était doté de cornes à l’aspect courbe, lui conférant un air agressif. Et même en exceptant cela, ses yeux bleu violet paraissaient refléter les émotions qui avaient déferlé sur Rikimaru encore une poignée de secondes auparavant.
Les flammes se mirent à tourner sur elles-mêmes, se convulsant pour finir par se dissiper, comme soufflées par un vent invisible. Au milieu d’un cercle de terre calciné, trou noir sur un tapis blanc, l’Oiseau Vermillon affichait un sourire ravi.
- C’est parfait, un nouveau joueur vient se joindre à la partie ! Seulement tu vas devoir attendre ton tour pour m’affronter. Je suis déjà pris.
- Qu’est-ce que tu racontes ? demanda le nouveau venu en employant prudemment son regard de droite et de gauche. Il n’y a que nous ici.
Le Gardien Céleste secoua son index dressé.
- Non, non, non. Il y en a un autre caché dans les environs. D’un genre différent du tien en tout cas. (Il agit sa main.) En moins … lumineux.
- Tu n’es qu’un fou. Je suis un Chevalier d’Athéna, Arion du Bélier.
De là où il était toujours dissimulé, Rikimaru pu observer à loisir le visage crispé de son inopiné sauveur. La paume de sa main appliquée sur sa tempe, un œil fermé, une douleur sourde semblait l’accabler.
- Te trouvais-tu dans les montagnes himalayennes, il y a une quinzaine d’années ? parvint-il à articuler entre deux grognements.
- Et après, c’est moi le fou … (Suzaku secoua la tête.) Pourquoi veux-tu savoir ça ?
- Réponds simplement, lui intima Arion, son aura crépitante.
- Peut-être que oui et … peut-être que non. Y aurais-je commis des choses répréhensibles ? s’amusa-t-il.
Un éclair d’énergie fusa près de sa joue, y laissant une légère coupure. Du bout du doigt, il récupéra une goutte de sang et la porta à ses lèvres.
- Apparemment oui. (Il se frotta le menton.) J’ai tué quelqu’un là-bas, c’est ça ?
Le Shinobi Lunaire eut presque du mal à suivre le mouvement du Chevalier d’Or lorsque celui-ci se propulsa sur Suzaku en armant son poing, prêt à lui éclater le crâne. Poing qu’attrapa aussitôt le Gardien Céleste, les cendres à ses pieds s’envolant sous l’impact. La senestre du Bélier bondit aussitôt à la rescousse de la dextre. Suzaku lâcha son épée et captura également cette dernière.
- Hé là, hé là, ce n’est pas de cette façon que l’on se comporte quand on veut une réponse.
Les muscles des bras gonflés, ils se dévisagèrent jusqu’à ce qu’Arion tente un coup de tête. Reculant la sienne en conséquence, le Gardien Céleste reçut néanmoins un choc venu de nulle part, son arête nasale se brisant.
- De la psychokinésie ? coassa-t-il d’une voix pincée à cause de son nez subitement empli de sang.
Des flammèches étincelèrent en remontant le long de ses bras jusqu’à ses poignets, bondissant tels d’infâmes petits monstres voraces. Voyant cela, Arion lâcha prise et bondit en retrait. D’un mouvement du pied, son opposant fit passer l’épée du sol à sa main et fendit l’air de quelques taillades véloces. Le jeu de jambes rapide d’Arion lui permit de se sortir de la trajectoire. En dernier recours, il provoqua une petite explosion psychokinétique pour repousser la lame. Suzaku recula en faisant mine de masser son poignet endolori.
- Tes pouvoirs et ton visage me rappellent quelqu’un à présent … (Il claqua des doigts.) Ça y est ! Tu es de la même ethnie que cette personne que j’ai tuée.
- Massacrer serait un terme plus approprié, grogna Arion, son poing droit émettant un craquement.
- On ne va pas jouer sur les mots. L’idée était qu’il meure. D’ailleurs, au début, il n’a pas été très coopératif. Il a voulu m’éloigner de la caravane qui l’accompagnait, certainement pour éviter des dommages collatéraux. Néanmoins, je n’étais pas d’humeur à lui courir après ce jour-là.
- Tu t’es donc acharné sur les membres du convoi …, déduisit Arion, au bord de la nausée.
- C’était une première pour moi de voir tous ces rochers voler droit sur moi. Un véritable ballet tellurique ! Pendant un instant, ç’a même été difficile d’esquiver les projectiles tout en m’occupant de ceux qui s’ingéniaient à fuir. Après, il n’a plus cherché à m’éviter.
- Pourquoi lui ? murmura le Bélier.
- Je ne sais plus trop, répondit Suzaku qui avait malgré tout entendu sa question. Il avait déplu à la mauvaise personne, alors j’ai dû m’en charger. Le reste, c’était une espèce de prime en supplément.
- Déplu ? Moi je ne parlerais pas de déplaisir, mais de crainte ! Mon père était capable de discerner les évènements à venir. Je suis certain que ton commanditaire en avait pleinement conscience et s’en inquiétait. Et je vais te prouver qu’il vaut mieux avoir raison d’éprouver de la peur.
L’oiseau Vermillon laissant échapper un rire.
- Moi qui me demandais pourquoi des Chevaliers d’Athéna, une déesse grecque, avaient eu la lubie de venir à Asgard … la réponse, c’est toi. Tel père, tel fils ! Enfin, presque. Tu m’as l’air beaucoup plus intéressant que lui.
- Tu es mort, promit Arion en marchant sur lui.
La figure d’un bélier aux cornes d’or et à la toison ardente se matérialisa brièvement, tandis que des paillettes dorées virevoltaient dans le sillage de son cosmos grandissant. Entre ses mains, le Bélier concentra une importante quantité d’énergie, engendrant un prisme lumineux. L’air vrombit sous la pression de cette formidable énergie. Adoptant progressivement une forme oblongue, la création se plaça au-dessus de la tête du Chevalier, entre ses paumes orientées vers le haut. On aurait dit qu’une brèche venait de s’ouvrir dans le tissu de la réalité, laissant entrevoir une parcelle nébuleuse de l’univers.
- Skarama-r-dala Aklarala-a-khyarastanja-sá !
Des centaines de petits météores se déversèrent avec force vitesse et puissance depuis la fissure. Sifflant, ils voltigèrent en spirale en direction du Gardien Céleste dont l’aura cramoisie répondait déjà à son appel. La pointe de son épée se dressa, crachant des boules de feu noir qui engloutirent de nombreux projectiles. Toutefois, ceux qui franchirent le barrage martelèrent de toutes parts le corps de Suzaku, désormais semblable à une poupée de chiffon malmenée par un déluge de grêle. Ses talons se retrouvèrent à labourer le sol, avant qu’il ne soit éjecté à plusieurs mètres de distance. Le bris d’un premier tronc ne l’empêcha pas de poursuivre sa course jusqu’à un second qui se fendit toutefois à l’impact.
Malgré la violence du choc, Rikimaru l’observa se relever, une trace carmine tachant son menton et sa Yoroi enfoncée par endroits. Une moitié de son masque à face d’oiseau avait été arrachée, le laissant écoper d’une plaie au front.
Le cosmos du Chevalier d’Or explosa sous l’assaut de sa fureur, et celui-ci réitéra son attaque, selon le même schéma. Sa cible en fit autant. A ceci près que le Gardien Céleste enchaîna par la suite avec un autre arcane.
- Kôki Taifû !
Ses pieds, ses mains et même la lame de son épée se parèrent de flammes ténébreuses. Dans un mouvement tourbillonnant, Suzaku propulsa ses membres, pulvérisant une à une les étoiles filantes qui menaçaient de l’atteindre, dans un bruit de détonation apte à ébranler le ciel. Déplaçant ses appuis à la vitesse de l’éclair, tout en poursuivant son mouvement cyclonique, il se reprocha d’Arion. Ce dernier écarta les bras, alors que le pied de Suzaku volait à la rencontre de son crâne.
- R-tsa Shalarda-ida !
Dans un espace équivalent au double de cette envergure, les particules de son cosmos, jusque-là en plein essor, se figèrent. Un réseau de veines s’établit entre les différents grains de lumière, démultipliant entre eux les liaisons, au point qu’il ne subsista bientôt plus le moindre accroc dans cette structure. Similaire à celui réalisé plus tôt, un rempart à l’apparence du cristal, s’érigea.
- Ça ne m’arrêtera pas cette fois, l’avisa l’Oiseau Vermillon, dont le coup rebondit néanmoins sur la surface transparente.
Il martela alors frénétiquement le mur, à tel point que celui-ci montra rapidement des signes de faiblesse, des fissures apparaissant sous les coups de boutoir. Des flammes se manifestèrent au niveau de la plante de ses pieds, lui procurant une brusque accélération à partir de laquelle il réalisa un salto arrière. Au cours de celui-ci, il balaya le rempart à l’aide de ses jambières griffues, le tout accompagné d’une puissante langue de feu.
La barrière venait juste d’éclater en une myriade d’éclats qui se dissipèrent en touchant le sol, que déjà Suzaku se réceptionnait pour se jeter, épée en avant, sur Arion.
Réagissant au dernier moment, le Bélier dirigea une offensive psychokinétique qui frappa le plat de la lame, écartant l’arête aiguë de sa trajectoire meurtrière … pour lui faire mordre le haut de sa propre cuisse. Il sentit l’acier entailler plus profondément dans sa chair à mesure qu’il poursuivait sa progression. Sans plus attendre, le jeune homme lança une salve supplémentaire qui projeta violemment l’arme sur le côté, l’arrachant à la poigne du Gardien Céleste. Désarmé, celui-ci n’en percuta pas moins Arion.
Empoignant son adversaire en retour, le Chevalier d’Or bascula en arrière, roulant au milieu d’un enchevêtrement de bras et de jambes, pour finir par le propulser d’un savant mouvement du pied par-dessus lui, s’arrachant au passage un cri de douleur. Une main posée sur la blessure, d’où sourdait un flot de sang, il regarda Suzaku se remettre debout, tandis que lui-même tenait difficilement sur ses appuis. Leurs souffles formaient de petits nuages de vapeur dans le froid de l’air nocturne.
Mis en appétit par ce sang versé, l’Oiseau Vermillon, faisant fi des meurtrissures qui marquaient son propre corps, retourna au combat sans plus attendre.
Il n’y parviendra pas, songea Rikimaru.
Le Chevalier avait beau être animé par une violente ire et un puissant cosmos, il ne réussirait pas à vaincre le monstre qu’était Suzaku, lui qui se régalait de tout ça.
Arion essuya une rafale de frappes enflammées agrémentées d’une explosion ardente finale qui laissèrent ses gantelets fumants et fissurés. Il se remettait à peine du choc, qu’il reçut un coup de pied asséné en plein dans la blessure barrant le haut de sa cuisse. La souffrance en irradia, terrible et brûlante, consumant la résistance de sa jambe qui céda. Anticipant ce qui allait se produire, Suzaku poursuivit son assaut avec un direct au creux de l’estomac et un uppercut, envoyant le Bélier s’étaler sur le dos au milieu d’un tas d’aguilles de pin.
Celui-ci cherchait à se redresser sur un coude, quand il fut plaqué de nouveau au sol par un pied s’écrasant sur sa poitrine. Le visage de l’Oiseau Vermillon apparut au-dessus de lui. Le jeune homme entreprit aussitôt de ruer dans l’espoir de déloger l’importun. Un hurlement s’échappa de sa gorge alors que son adversaire enfonçait son pouce dans la plaie. Une atroce sensation de chaleur commença à envahir son membre. Il plongea son regard furieux dans celui de son tortionnaire.
- On va jouer à un petit jeu, annonça le Gardien Céleste, tandis que son autre main se paraît de flammes noires.
La scène sonnait comme un affreux écho du passé aux yeux du Shinobi Lunaire. Il avait survécu à ce sentiment d’impuissance, ce mélange de frustration et de colère sans échappatoire, une première fois. Il n’était pas certain d’y parvenir une seconde.
Le Japonais se faufila donc d’ombres en ombres pour se rapprocher davantage, profitant du fait que le dos de Suzaku fût ainsi exposé. Comprenant qu’il n’irait pas plus loin sans être repéré, il se prépara à intervenir.
Sa cible était occupée à tenter de percer le mur mis en place par le Chevalier d’Or dans un ultime sursaut défensif face au supplice ardent qu’on lui promettait.
Sans un bruit, Rikimaru jaillit des ténèbres, sabre au clair. Etait-ce son ombre qu’il devina grâce à la lumière de l’arcane du Bélier ou une espèce d’instinct animal ? Toujours est-il que Suzaku se retourna pour parer l’attaque. La lame se retrouva bloquée dans la paume du gantelet présenté, entaillant toutefois la chair au-dessous.
- Je me demandais quand est-ce que tu réapparaîtrais, s’amusa le Gardien Céleste.
- Merde !
Demeurer aussi près de lui n’étant pas une bonne idée, Rikimaru battit promptement en retraite.
- Oh non, s’opposa l’Oiseau Vermillon, je ne te laisserai pas fuir cette fois.
En courant rejoindre le Shinobi Lunaire, il récupéra son épée qui traînait par terre et dès l’instant qui suivit, il fut sur lui. Evitant un fauchage, après diverses passes d’armes, en s’accroupissant, Rikimaru se fendit, envoyant une pointe destinée à écharper le visage de son opposant. Malheureusement, ce dernier parvint à reculer suffisamment sa tête pour n’écoper que d’une balafre à la joue. Ce fut à ce moment-là que le petit être dont le Japonais avait la responsabilité choisit de se réveiller pour se mettre à vagir. Les traits marqués par une profonde irritation, Suzaku détendit son bras libre tel un ressort. Rikimaru recula en réponse. Pas assez vite cependant pour empêcher l’Oiseau Vermillon de le délester de sa précieuse charge.
- Non ! gémit-il, tandis que l’homme au regard de rapace menaçait d’une lame flamboyante le nouveau-né.
- Je vais te débarrasser de cet encombrant fardeau, lui assura-t-il. Ensuite, tu pourras donner libre cours à ta vraie nature.
Horrifié, le Shinobi entreprit une folle manœuvre, guidée par le désespoir.
- Gessetsu !
Le croissant d’énergie fusa à la vitesse de l’éclair. Suzaku le vit arriver sans surprise, donnant presque à croire qu’il l’avait espéré. Se décalant légèrement en conséquence, il brandit son trophée braillard afin qu’il croise la route du mortel projectile. Un sourire sadique ourla ses fines lèvres. Cependant, là où l’arc de cercle tranchant aurait dû couper le bébé en deux, il lui passa au travers sans infliger le moindre dommage. Deux choses venaient ainsi de le perdre.
D’abord, l’arcane de Rikimaru comportait une particularité spécifique lui permettant de jouer sur la tangibilité de celui-ci, ce qui lui octroyait la capacité de passer à travers la matière. Ensuite, il n’avait pas compté sur le rebond de la technique sur le R-tsa Shalarda-ida du Bélier, toujours actif dans son dos.
L’Oiseau Vermillon arborait encore une expression incrédule lorsqu’il entendit un sifflement menaçant derrière lui. Il eut à peine l’occasion de se retourner, qu’il sentit sa chair être lacérée à la jonction entre son cou et son épaule droite. Un jet carmin jaillit dans les airs, retombant en une pluie de gouttelettes.
- Que …, articula-t-il difficilement, en reculant de quelques pas, vraisemblablement déstabilisé.
Il se mit à ricaner. Tranchant nettement avec la pâleur de sa peau, un flot de sang régulier se déversait depuis la blessure, associant les teintes si proches du fluide vital et de son armure.
- Bien, bien, ça devient très intéressant … mais avant …
D’un ample mouvement, il envoya le bébé en l’air, prêt à le carboniser. De l’extrémité de son épée surgirent des globes ardents qui filèrent droit vers l’infortuné.
D’abord satisfait par la réussite de sa tentative, Rikimaru comprit qu’il n’aurait aucun espoir de sauver l’enfant cette fois. Il enflamma pourtant son cosmos et s’élança, croyant, priant pour parvenir à faire écran de son corps.
Les porteurs de mort, filants à vive allure, étaient à mi-chemin de leur cible, au moment où ses pieds quittèrent le sol sous une formidable impulsion. L’écoulement du temps parut se suspendre, étirant la moindre seconde jusqu’à son extrême limite. La main du Shinobi Lunaire était désespérément tendue vers le petit être.
Il sentit alors à sa droite un étrange souffle balayer la surface de son corps. Il osa détourner son regard l’espace d’un instant et constata, avec stupéfaction, que l’arcane de Suzaku s’était volatilisé. Sans plus s’y attarder, il reporta son attention sur l’enfant qu’il saisit aussi délicatement que possible et amorça sa réception.
Ce qu’il n’avait pas vu, c’était qu’Arion, debout tant bien que mal, avait modifié sa technique encore active pour lui faire arborer, non plus une forme de bouclier, mais celle d’une sorte de filet. Il en étendit le tissage pour capturer ses "proies" et dans un mouvement de fronde, qui l’obligea à serrer les dents pour contenir la douleur induite par sa cuisse, il relâcha le tout directement sur Suzaku.
Couplées à la force centrifuge du lancer, la célérité et la force des projectiles furent décuplées. L’Oiseau Vermillon encaissa le coup de plein fouet, certains de ses os émettant d’audibles craquements, et disparut, comme frappé par la pichenette d’un colosse.
- Puisse-tu pourrir en enfer ! rugit le Chevalier d’Or en le regardant, non sans une profonde satisfaction, se perdre dans la noirceur sylvestre, suivant sa course à l’oreille alors que les bruits de rupture des arbres lui parvenait.
Boitillant jusqu’à Rikimaru, il le trouva agenouillé, tentant de calmer le bébé qu’il tenait dans ses bras. Ce dernier lui adressa un remerciement.
- Pas de quoi, répondit-il d’une voix neutre. Cet enfoiré méritait mille fois pire. (Une lueur mauvaise illumina le bleu violet de ses yeux.) Je devrais d’ailleurs m’assurer qu’il a eu son compte.
- Non, le retint le Shinobi Lunaire en agrippant son bras. Cet enfant est né il y a quelques heures et il a déjà assisté à suffisamment de violence pour le reste de sa vie. Et celle-ci risque de s’achever rapidement s’il ne bénéficie pas de chaleur et de nourriture. Il a davantage besoin de nous que lui, acheva-t-il en indiquant d’un mouvement de tête l’endroit où s’était évanoui Suzaku.
La colère qui animait le regard du Bélier décrut sensiblement. Une lutte semblait s’être engagée en son for intérieur et Rikimaru en saisissait parfaitement les tenants et les aboutissants. Il donnait l’impression de s’être subitement vidé de tout ce qui l’avait animé jusque-là.
- Désolé, finit-il, mais mon intervention ici était purement fortuite. Le destin a simplement voulu que … (Il se remémora toutes les visions qu’il avait eues au cours des années écoulées et prit conscience de la futilité de ses paroles.) Il y a un village pas très loin d’ici, tu y trouveras certainement quelqu’un pour s’occuper de ce bébé. Ayant combattu un ennemi commun, je ne m’enquérerais pas de ton identité. De mon côté, je dois me remettre en route.
Il s’apprêtait à partir quand le Japonais parla à nouveau :
- Tu comptes rejoindre le Chevalier des Poissons. Oreste, c’est ça ?
- Comment …
- Je viens moi-même d’Alskögg. Tout comme cet enfant. Et il n’y a plus à rien à sauver là-bas.
- Qu’en sais-tu ? s’indigna Arion, piqué au vif par la réplique de son interlocuteur. J’ai encore ressenti son cosmos il y a peu.
Même à ses oreilles, cette excuse sonnait comme une pitoyable tentative de nier la dure réalité. Il avait clairement perçu l’extinction du cosmos de l’Italien.
- Il n’avait aucune chance de s’en sortir, crois-moi. Et si c’était le cas, ce que j’aurais souhaité autant que toi, je n’aurais pas été témoin de ce qui sonnait comme ses ultimes volontés et ne serais pas devenu détenteur de ça.
Il écarta un peu plus les fourrures emmaillotant le nouveau-né pour révéler l’orbe qu’il tenait entre ses petites mains.
- Moi qui croyais que plus rien ne pouvais me surprendre …
Frigg :
Ase, épouse d’Odin. Elle patronne le mariage et la maternité dans la mythologie scandinave.
Frangente :
Déferlante (= vague)
Catene Polimorfe :
Chaînes Aux Formes Changeantes
Frangente ;Tre Sorelle :
Déferlante ; les Trois Sœurs
Blodig Ild :
Feu Sanguin
Avsky av Eskplosjon :
Explosion de Haine
Onde Disturbate :
Flots Perturbés
Gessetsu :
Tranchelune
Shingetsu no Yami :
Ténèbres de la Nouvelle Lune
R-tsa Shalarda-ida :
Mur de Cristal
Skarama-r-dala Aklarala-a-khyarastanja-sá :
Littéralement « Poussière d'Etoile qui fait une Rotation Complète »
Kôki Taifû :
Typhon Flamboyant