Une Dernière Bataille

Chapitre 20 : Fraternités Renouées - Seconde Partie

14560 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/06/2024 07:51

15 janvier 1996

Norvège, Asgard, Province Est, quelque part dans les profondeurs sous l’Echine du Jötunn

Un peu plus d’une cinquantaine d’heures de marche et d’épreuves en tous genres, incluant sauts et reptations – Ylva était d’ailleurs soulagée d’avoir à nouveau troqué sa robe contre un pantalon –, les séparait désormais de leur point de départ. Pareil périple souterrain les avait amenés à franchir des fleuves de lave en fusion, des éboulis et des crevasses allant de la faille d’un mètre au gouffre béant large de plusieurs. Tendre des ponts de corde dont la traversée en avait fait suer plus d’un, sans que l’effort déployé y joue un quelconque rôle, avait également été une nécessité. Par leur nombre et leur nature, ces péripéties avaient clairement miné les membres de la petite troupe, puisqu’ils avaient effectué le trajet sans presque prendre de repos, si ce n’était une poignée de minutes par-ci par-là afin de se restaurer.

D’après les cartes étudiées, Beldin avait calculé qu’il leur restait moins de la moitié du chemin à parcourir avant d’atteindre leur destination. Aussi, le groupe comptait s’octroyer un repos bien mérité avant de repartir. A l’aide de l’éclairage fourni par leurs torches, ils avaient poursuivi leur route jusqu’à une aire dégagée bordée d’un précipice aux profondeurs abyssales, où ils purent établir leur campement provisoire. Une heure plus tard, tout le monde dormait. Ou presque.

Sous ses fourrures, Narya entendit son ventre gargouiller. Dans l’obscurité totale, impossible de savoir s’il faisait jour ou nuit. Seuls leurs estomacs grondant à intervalles plus ou moins réguliers leur permettaient de situer le moment de la journée – bien qu’avec de moins en moins de fiabilité. A la faveur des ténèbres, Morgan s’était empressé de se glisser sous les couvertures de l’Islandaise, cependant la belle devait désormais se soustraire à ses bras pour satisfaire un besoin naturel pressant. A tâtons, elle se dirigea vers un groupe de rochers repérés plus tôt à la lueur de leurs torches.

Elle ne l’aurait jamais avoué de son plein gré, mais la touffeur ambiante et la pesanteur écrasante de ces lieux menaçaient de la submerger. Ce n’était pas qu’elle souffrait de claustrophobie. Non. Néanmoins, à évoluer sous ces milliers de tonnes de roche, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver un irrépressible sentiment de suffocation. Dans ces boyaux étroits, où l’on ne pouvait pas voir au-delà de son bras tendu devant soi, elle ne pouvait que regretter les immenses plaines sous-marines du royaume de Poséidon. Bien que paradoxalement comparable à la pression actuelle au-dessus de sa tête, celles des océans ne l’oppressaient pas autant. Peut-être était-ce parce que son champ de vision s’étendait bien au-delà de son bras ? Elle gloussa intérieurement.

Elle resta absente à peine plus de cinq minutes, mais lorsqu’elle revint sur ses pas, à la place du silence sépulcral – tout juste perturbé par d’irréguliers ronflements –, elle perçut un étrange bruit. Une série de sons humides suivis de légers craquements. Son rythme cardiaque s’emballa subitement. Là, dans le noir le plus complet, se trouvait quelque chose qui ravivait la peur ancestrale tapie au fond du cœur de chaque être humain ; celle de l’inconnu, de la mort aveugle qui frappe depuis là où l’on ne peut la distinguer. Un fin voile de sueur froide couvrit son épiderme. Lentement, précautionneusement, l’Islandaise dégagea de sous son corsage l’amulette qu’elle portait autour du cou. Une timide lueur bleutée en émana lorsqu’elle y envoya une étincelle de son cosmos. Non pas pour contacter le seigneur Poséidon, mais afin de dispenser le peu de lumière dont elle se sentait avoir cruellement besoin en cet instant. La jeune femme leva le pendentif au-dessus de sa tête, révélant ce qui se trouvait devant elle. Instinctivement, elle porta sa main libre à sa bouche, contenant ainsi le cri de surprise qui avait menacé de jaillir. Le chiche halo azuréen exposa brièvement deux billes d’un blanc laiteux en guise d’yeux. De fortes mâchoires occupées à mâchouiller … des tendons ? Un soudain bris d’os lui fit l’effet d’une détonation. Les traits élémentaires composant le faciès de la créature se plissèrent tout d’un coup, tandis qu’elle humait l’air lourd autour d’elle. Les rais contrariant l’opacité des ténèbres qu’elle connaissait si bien semblaient la déranger et un grondement guttural s’éleva.

A la vitesse de l’éclair, Narya se dirigea au jugé vers ce qu’elle se rappelait être le bivouac, en proie à un terrible sentiment d’inquiétude. A qui appartenait ce membre ? La possibilité qu’il pût s’agir de la reine ou même de Morgan lui noua les entrailles. Elle se jeta sur la couverture où ils étaient encore enlacés peu de temps auparavant et secoua la forme dont ses doigts devinèrent la présence au-dessous.

- Morgan ! siffla-t-elle entre ses dents serrées.

Le murmure indigné qui en monta la soulagea.

- Qu’est-ce …

- Des trolls rôdent tout près, ils ont déjà tué. Réveille les autres, vite !

Dès qu’il se fut dépêtré de ses fourrures, l’Ecossais s’empara immédiatement d’une torche et en enflamma l’extrémité. Seul un fou chercherait à rester dans une telle obscurité !

- Debout ! cria-t-il à la ronde. Allez, levez-vous !

Dans un concert de bruit d’étoffes, de couvertures repoussées au loin et de jurons, les membres de leur groupe se tinrent très vite parés.

- Où est Arne ? s’enquit Kostya.

- Inutile de le chercher. Il est mort, annonça Narya.

- Il nous faut rapidement quitter cet endroit, les prévint Beldin. Nous sommes probablement en plein milieu du territoire des trolls.

- Guidez-nous, l’enjoignit le Dragon des Mers.

Le Nain prit la tête du détachement et commença à trottiner, entraînant un martèlement de bottes dans son sillage.

Subitement, le steinklok fut soulevé à deux mètres du sol, puis projeté avec force sur le côté. Tous entendirent distinctement le bruit des os qui se brisent lorsqu’il heurta la roche. Son hurlement leur indiqua son point de chute aussi sûrement qu’un fanal guide un bateau dans le noir. Narya et Ylva, accompagnées de Kostya, rejoignirent Beldin, tandis que le Chevalier et Morgan se ruaient vers le danger le plus proche. Un rocher – ou une épaule ? – percuta l’Ecossais, l’envoyant s’étaler sur le granit.

 

Sans s’inquiéter du sort de son binôme, Andrei enflamma son cosmos, inondant soudain les ténèbres d’une lumière dorée. Tous aurait pu croire que le soleil venait de s’écraser sur terre. Et l’espace d’un bref moment, avant que son éclat décrût, ils purent voir les traits de leurs ennemis et estimer leur nombre. Une quinzaine de trolls à la stature oscillant entre deux mètres et deux mètres soixante, grondèrent leur mécontentement. Ils levèrent leurs grosses mains pourvues de quatre doigts aux griffes noires pour se protéger du brasier étincelant qui les indisposaient. Un air glacial surgit de nulle part et fouetta les visages présents de ses doigts acérés. L’Armure du Verseau réagit à l’appel de son porteur et fusa presque de son Urne pour recouvrir le corps de l’adolescent.

Le prince de Blue Graad bondit vers le premier troll et asséna deux rapides coups de poing suivis d’un uppercut. A chaque impact, il eut littéralement l’impression de frapper un énorme et dense bloc de pierre. La créature tituba avant de tomber à la renverse dans un bruit digne d’une avalanche.

- Ça n’a rien de terri …

Un choc sur le côté gauche de son visage, lui meurtrissant la pommette, le coupa net dans sa phrase. Ses cervicales crissèrent tandis que son cou accusait l’attaque. Chancelant, il recula de plusieurs pas, avant de se retrouver plaqué contre le sol, tandis qu’une seconde attaque le manquait.

- Bordel, qui …

- Ferme-la, lui intima Morgan dans un murmure. S’ils sont aveugles, ça signifie qu’ils se repèrent aux sons, ou à l’odeur, voire les deux.

Le Marina avait également revêtu son Ecaille et maintenait la tête du prince en étroite proximité avec le granit.

- Harmonise ton cosmos avec le mien, lui chuchota-t-il.

- Et je fais ça comment !? cingla l’autre, que sa position actuelle enchantait de moins en moins.

Le froid qui engourdissait dangereusement la main de Morgan tendait à appuyer sa contrariété.

- Baisse d’un ton ! asséna ce dernier, en l’écartant juste à temps d’un projectile. Tu dois simplement accorder le niveau de ton énergie à la mienne.

Autant lui demander de réécrire les notes d’une partition juste après l’avoir écoutée d’une seule traite. Quoique en ce qui concernait ce type d’exercice de contrôle, il tirait suffisamment son épingle du jeu.

Sitôt qu’il eût réussi, l’Ecossais lui saisit fermement la tête. Un rocher ricocha près d’eux.

- Dréagan Glif.

Le Gardien du Onzième Temple voulut regimber, mais il se sentit inexorablement envoûté par l’intense regard ambré, au fond duquel se dessinait un étrange symbole. A la lisière de son esprit, territoire pourtant unique et propre, Andrei perçut une espèce de présence. Le prince entendit résonner son nom dans les méandres de ses pensées confuses et douloureuses. Un intrus ? Ici ? Au milieu de son espace mental personnel ?

- Qu’est-ce que …

- Andrei, c’est moi, Morgan. Je suis en train de m’adresser directement à ton esprit.

- De la télépathie ?

- C’est le principe général, oui.

- Je peux savoir pourquoi tu t’es introduit dans ma tête ?

L’écho mental était chargé de colère.

- D’habitude, je demande au destinataire s’il m’autorise à initier le processus. Cependant, je n’avais pas vraiment de temps à perdre en permission cette fois-ci.

- N’empêche, tu pourrais prévenir que c’est aussi douloureux.

- Oh arrête, Narya ne s’est pas montrée aussi douillette que toi.

- Ah parce que tu utilises tes petits tours de passe-passe également sur elle. Je me demande bien à quoi ça te sert ?

- Et bien, tu apprendras que c’est assez utile pour se livrer à certaines choses.

Une image où les amants se trouvaient enlacés sous leurs couvertures apparut d’un seul coup en guise de toile de fond. Celle-ci disparut aussi vite qu’elle s’était manifestée.

- Désolé, fit le Marina un brin gêné, il m’arrive encore de ne pas parvenir à fermer totalement toutes les portes de mes souvenirs. Mais comme tu viens de le voir, les idées, les pensées voyagent bien plus vite que les mots. Et contre des créatures qui te localisent aux sons, c’est plutôt pratique de ne pas avoir à s’adresser la parole.

- Effectivement, c’est une technique tout en finesse. Venant d’un rustre tel que toi, ça m’impressionne. Mais à papoter tranquillement de cerveau à cerveau, on ne risque pas de se retrouver aplatis ?

- Je te l’ai dit, le temps de réponse est quasi-inexistant, tout au plus une poignée de microsecondes.

La connexion se rompant brièvement, Andrei entendit le bloc lancé plus tôt rebondir une seconde fois.

Convaincu ? Bon, je crois que le moment d’établir une voie de fuite est venu.

Quoi !? Certainement pas. Ces bestiaux ont frappé un prince de sang et je ne tolérerai pas qu’ils s’en sortent impunément.

Une fresque de cadavres gelés se matérialisa à la simple évocation de l’affront.

- Je te rappelle que ces mêmes bestiaux t’ont envoyé dans les cordes, il n’y a pas si longtemps. Et rien n’est plus aisé pour eux de recommencer jusqu’à ce que tu te retrouves à l’état de pulpe. Sang bleu ou pas. Mais ne t’inquiète pas, à part quelques taches, ta magnifique Armure d’Or n’aura rien, elle.

- On ne t’a pas appris la notion d’amour-propre, très bien. Seulement, ce n’est pas mon cas. Du moment que je les vois, ça me suffira pour les pulvériser.

En jouant les phares ambulants, je te le concède. Sauf que tu les exposes autant que toi quand tu le fais. Ravale …

Il s’interrompit alors qu’une clameur issue du monde "extérieur" lui parvenait.

 

De son côté, Kostya tira l’épée, la dressant devant lui, pareille à un rempart d’acier. Dès qu’il entendait un bruit, le moindre gravier roulant sous un pied, son bras armé décrivait automatiquement de larges moulinets. Derrière lui, la reine Ylva et Narya s’occupaient du Nain blessé.

L’Islandaise mit le bras du steinklok en écharpe à l’aide d’une de leurs ceintures. Ce dernier grogna aussi bas que possible, mais cela ne manqua pas d’attirer l’attention d’un troll sur leur position. Entre les flaques de lumière projetées par les torches fichées dans le sol, Kostya distingua une énorme main se tendre vers eux. D’un geste ample, il envoya sa lame à la rencontre du membre, sentit le métal mordre dans la chair dure et un liquide asperger son avant-bras.

- L’acier Asgardien t’a plu, mon gros ? le railla-t-il

Un unique geignement caverneux lui répondit, gâchant quelque peu l’effet de sa répartie. L’air vrombit à sa gauche et il leva inconsciemment son épée pour parer. Malheureusement, cela se révéla insuffisant pour empêcher la créature de forcer le passage en le repoussant rudement sur le côté. Entre deux éclairs de lumière tremblotante, il discerna le troll s’approcher du trio sans défense. C’était toutefois oublier la présence de Narya et son statut de Marina.

Revêtue de son Ecaille céruléenne, la jeune femme enflamma un cosmos aux nuances aigues-marines et donna un coup de poing qui brisa le rocher que tenait le troll ainsi que sa main. Le beuglement qu’il lâcha révolta le capitaine.

 

Morgan, appela l’Islandaise, nous devons partir avant que l’irréparable ne soit commis. Beldin comme Ylva sont des cibles trop faciles. Et sans eux …

Je sais, pas besoin d’en dire plus, répondit celui-ci. Demande à Kostya de porter Beldin. Ensuite, rejoignez-nous. Andrei et moi allons ouvrir un passage vers le chemin indiqué par le steinklok.

- Très bien, nous serons juste derrière vous.

Ses pensées s’évanouirent aussi vite qu’elle s’étaient manifestées.

- Andrei ? Est-ce que ceci calmerait tes envies de vindicte ?

Tel le tableau d’un peintre, la toile de son esprit se colora succinctement à chaque coup de pinceau qu’il y appliquait, formant l’ébauche d’un plan.

- Une idée amusante. Elle pourrait bien me faire pardonner ton manquement de dignité.

 

Le Chevalier du Verseau intensifia son cosmos qui se mit soudain à briller tel un fanal. L’Ecossais profita que le voile nébuleux soit levé pour décocher une salve d’énergie pure à une créature qui se tenait à quelques mètres d’eux, l’expédiant dans le précipice où elle disparut en criant. Une autre écopa d’un enchaînement martial qui s’avéra tout aussi mortel pour son destinataire.

Suite à ça, les autres trolls entamèrent une cacophonie plaintive, martelant de leurs énormes poings les parois. Les fondements même de la terre en vinrent à vibrer face à ces grondants assauts. Des pans entiers de la voûte commencèrent à grêler sur les têtes des intrus.

Grâce à son aura, le prince de Blue Graad entreprit de faire chuter la température, transformant progressivement l’air autour de lui en particules de glace. A force de gestes, il les dirigea sous la forme d’une puissante bourrasque, en direction de l’accès qu’ils avaient tenté de rejoindre plus tôt.

- Dépêche-toi, lui enjoignit Morgan, ou nous risquons de finir écrasés comme tu le craignais tant.

- Monsieur le télépathe perdrait-il son sang-froid au point de hausser la voix, le piqua Andrei.

Les cristaux s’amoncelèrent en une pellicule épaisse, créant un revêtement givré, pareil à une route tirant tout droit.

 

Cependant qu’un véritable déluge tellurique les assaillait, Narya et sa petite compagnie gagnèrent en sinuant la position tenue par les deux guerriers.

- Montez là-dessus, leur intima Morgan.

Des miroitements près du sol attirèrent l’attention de la Marina de la Selkie. A l’origine de ces derniers, un vague assemblage ressemblant à s’y méprendre à … une luge. Là, entre jeux d’ombre et de lumière, elle distinguait clairement la construction à ses pieds.

- Tu te fiches de moi !? se hérissa-t-elle mentalement. Tu penses vraiment qu’une idée aussi saugrenue nous permettra de nous enfuir.

- Moi ? rit-il. Je n’en suis pas sûr, mais lui le pense vraiment, alors je puise l’inspiration où je peux.

Un roc de taille respectable s’écrasa sur le pied de Kosyta. Un juron lui échappa.

- Qu’est-ce qu’on attend, bon sang !?

- Une ouverture, répondit Andrei tout bas.

De profil sur le robuste esquif, le Chevalier pointa l’une de ses mains vers l’avant, l’autre vers l’arrière. Sa senestre soufflait un air glacial, congelant sous eux la moindre particule d’eau pour former les rails qui les guidait au fur et à mesure de leur avancée. Conjointement, sa dextre s’ingéniait à leur fournir une force de propulsion par le biais d’un flux constant d’énergie réfrigérée. La luge de glace s’anima, laissant dans son sillage une poussière blanche bleutée, dont l’éclat chatoyant renvoyait la lumière dorée du cosmos du Chevalier du Verseau.

En dépit du bon train qui était désormais le leur, les entrailles de la montagne n’en faiblissaient pas moins de déverser sur eux la colère de ses habitants. A ce rythme, ils risquaient de ne pas parvenir à s’échapper sans égratignures s’ils n’accéléraient pas l’allure.

Poussant son aura à croître davantage, Andrei sentit bientôt le vent de leur course siffler à ses oreilles, aussi étrange qu’un tel phénomène pût paraître sous terre. Un sourire s’épanouit sur les fines lèvres du prince de Blue Graad, tandis que le gagnait l’ivresse de la vitesse. Manœuvres après manœuvres, il s’enhardissait, zigzaguant pour éviter une saillie du relief par ci, bondissant par là, glissant d’un côté puis de l’autre afin d’éviter les éclats de la colère des trolls, pour finir par jaillir à travers d’étroits passages où leurs crânes frôlaient le plafond.

Les rares fois où il s’était exercé aux rudes techniques d’attelage et de conduite de traîneaux, c’était sur les plaines gelées de Sibérie, lorsque le chef de la garde de la cité lui faisait grâce de son savoir en la matière. Tout ça pour faire bisquer son précepteur – avant que celui-ci ne soit le Chevalier du Cygne – qui se demandait chaque fois où il était passé. A l’époque comme aujourd’hui, le sang fouetté par ces sensations et le goût des flocons sur la langue, il s’amusait. Tout n’était qu’un jeu d’obstacles.

Un moustique tapageur vint tout à coup titiller son esprit. D’une pichenette mentale, il chassa l’importun. Cependant, à peine l’eut-il fait, qu’il revint à la charge, en bourdonnant plus fort encore.

Qu’est-ce qu’il y a !? rugit-il.

Une secousse déstabilisa la luge l’espace d’un instant.

Tu peux arrêter tes cabrioles, nous sommes tirés d’affaires.

Lentement, à regrets, renâclant jusqu’au tout dernier centimètre, l’adolescent stoppa l’esquif. Un par un, ils descendirent du vaisseau de glace qui commençait à se désagréger. Narya offrit son soutien à Beldin.

- Tu es complètement fou ! s’emporta Kostya dès que ses pieds touchèrent le granit et que les torches furent allumées. Tu essayais de nous tuer ou quoi !?

- Ça va, je contrôlais parfaitement la situation. Ce n’est pas parce que tu es un pleutre qu’il faut …

Un poing le cueillit exactement à l’endroit atteint précédemment par le troll. La pommette doublement meurtrie se déchira un peu plus sous l’impact et le diadème qui coiffait le Chevalier du Verseau tomba. Des flammes se seraient figées face au regard qu’il retourna au capitaine. Le souffle qu’exhala celui-ci se changea instantanément en vapeur au contact de l’air devenu subitement glacial.

- Du calme, les enjoignit l’Ecossais, pressentant la confrontation sur le point d’éclater.

- Il a raison, Kostya, renchérit la souveraine d’Asgard. Le principal est que nous nous en soyions sortis, peu importe la manière. Je ne tolérerai plus ce genre de débordement de la part du chef de ma garde, est-ce clair ?

- Pardonnez-moi, votre Majesté, s’excusa-t-il, contrit. Mes états d’âme n’interféreront pas davantage avec ma mission.

De son côté, Andrei affichait un sourire plein de morgue, qui tourna vite à l’aigre.

- Et toi, tout prince que tu es, le tança-t-elle, ne méprise pas pour autant les moins nobles de naissance, car ce sont eux qui donnent un sens à ce que tu es. Un souverain sans peuple ne règne sur rien, il serait temps que tu le comprennes. Kostya pensait uniquement à ma sécurité.

Le Chevalier acquiesça sans mot dire, donnant à croire qu’il méditait ce qu’elle venait de lui dire.

Narya remarqua les tremblements de la reine. Elle avait tout de même craint pour sa vie, mais elle tâchait de le cacher et l’accrochage entre Andrei et Kostya lui avait offert l’occasion de s’en détourner. En bonus, la jeune femme réaffirmait son autorité auprès de ceux qui avait encore besoin qu’on leur rappelle son statut.

- Comment allez-vous Beldin ? demanda tout à trac Morgan.

- Si l’on oublie que mon bras me lance continuellement, déclara le vieux Nain, et que notre petite escapade a dû faire blanchir les rares poils encore noirs qu’il me restait, je vais bien.

 

Environ huit à neuf heures plus tard leur parvinrent les clameurs d’une bataille depuis l’extrémité du tunnel emprunté, au bout duquel se devinait une certaine clarté. A pas mesurés, malgré le sentiment d’urgence qui les aurait voulu pressés, ils s’approchèrent.

Emergeant dans une vaste caverne, au centre de laquelle s’ouvrait un puits de noirceur juste sous le surplomb que le groupe occupait, ses membres repérèrent rapidement d’où provenait la luminosité. Un énorme pilier conique descendant depuis la voûte, allait en se rétrécissait vers son milieu pour se perdre dans l’abîme. Des gemmes cristallines dont le cœur semblait receler un éclat de lumière, les aveuglant presque après une éternité passée dans les ténèbres, ponctuaient sa surface rugueuse. Sans même l’avoir déjà vu, la reine et ses alliés devinèrent qu’il s’agissait d’heltemotstein. Plusieurs paliers de pierre s’arrachaient aux parois, certains reliés entre eux et d’autres se tendant vers cette colonne, telles d’avides langues, la touchant pour certaines.

Un peu partout, à la base comme à la pointe de ces plateformes, pullulaient des créatures corrompues de toutes sortes et de toutes tailles. Charbonneuses d’aspect, elles arboraient un réseau de veines à la teinte purpurine partant du cœur et dont les ramifications s’étendaient vers les membres supérieurs et inférieurs. Parmi elles se dénombraient des Nains, des trolls et mêmes des humains, ainsi que des êtres à l’identité rendue floue par le passage des siècles.

Une explosion agrémentée d’arcs électriques vit une dizaine d’entre elles être balayées, tendant à prouver que peu importait leur forme première pour leur adversaire actuel. Entre deux éclairs et malgré la distance, la reine Ylva parvint à reconnaître le combattant : Gôrd.

Le Fléau de Fafnir portait une armure au patron de coloration similaire à celle des svartond : violacé et noir huileux. Son aspect massif et rugueux rappelait l’animal lui servant d’emblème, dont la tête aux cornes courbées ornait son épaule gauche. Son casque ressemblait à une couronne dotée de pics sur tout son pourtour et d’un nasal en supplément de protège-joues. Le plastron, épais, présentait une combinaison entre écailles, plates, mailles et cuirs. La queue du reptile s’enroulait en différentes parties autour de sa taille, agrémentée de pièces rondes semblable à … des pièces de monnaie. Les jambières correspondaient aux membres inférieurs du dragon, tandis que les gantelets évoquaient des morceaux du cou hérissé de petites pointes. Les ailes repliées dans le dos formaient comme une cape, dont l’agrafe figurait la menue griffe située au bout de chacune d’entre elles.

 

En retrait, sur une rampe différente, la reine discerna une troupe de soldats sur le point d’être submergée par les vagues successives de ses assaillants. Tant bien que mal, ils résistaient, menés par un leader à l’efficacité redoutable. Au centre de leur formation se distinguait la forme plus petite de Dalgad. Enfin, sur une autre position, une silhouette solitaire fendait la masse noire, la fauchant à l’aide de sa longue arme.

- Les récits dont j’avais eu vent ne faisaient pas état d’une telle multitude, dit Beldin, troublé.

- Je suppose que ces "gardiens" n’avaient jamais eu à faire face à tant de candidats, fit remarquer la souveraine d’Asgard depuis le bord du surplomb.

- Il n’en demeure pas moins que nous devons nous hâter, ajouta l’Islandaise.

Soudain, les violentes secousses résultant d’une décharge d’énergie entraînèrent la désolidarisation du pan où se tenaient Ylva et Kostya.

Impuissant, le quatuor restant suivit des yeux leur chute quelques mètres en contrebas, presque au milieu d’une bande de svartond.

- Vite, il faut les rejoindre, s’écria Narya.

Constatant que Morgan ne lui emboîtait pas le pas, elle se retint de sauter.

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- Tu dois y aller seule. Andrei, réitère ta technique de tout à l’heure et conduis Beldin jusqu’à l’heltemotstein.

- Et toi ? l’interrogea le prince de Blue Graad.

- Je vais me confronter à eux, déclara-t-il en indiquant Gôrd et l’autre guerrier.

- Tu n’y arriveras jamais, s’alarma la Marina de la Selkie.

- Je n’ai pas dit que j’allais les affronter en même temps. Pas plus que je ne comptais les vaincre.

En occuper un sera déjà bien suffisant, ajouta-t-il en pensée.

- Allons-y, lança-t-il à la volée en faisant brusquement exploser son cosmos irisé pour allonger sa détente.

Narya suivit son dos l’espace d’un battement de cœur et plongea à son tour.

- Prêt à remettre ça ? demanda alors le Chevalier d’Or au steinklok blessé, qui déglutit lentement.

Andrei éleva son cosmos et de la glace commença à se former au niveau de ses pieds. Puis elle prit son essor au-delà du rebord pour présenter les premières formations d’un pont. Le mouvement se ralentit, le temps que Beldin s’arroge une place sur l’arc d’eau solidifiée, avant de reprendre de plus belle.

 

- Votre Majesté, vous allez bien ? s’enquit l’Islandaise dès qu’elle arriva à leur niveau.

- Oui. Kostya a ralenti notre chute.

Celui-ci se redressa, une plaie au front et diverses écorchures un peu partout. Des mouvements en périphérie de son champ de vision alertèrent le jeune homme. L’acier chanta en jaillissant hors du fourreau. Des regards phosphorescents étaient braqués sur eux.

 

Morgan prit appui sur une saillie rocheuse, y laissant son empreinte, et fusa par-dessus le gouffre en effectuant un saut périlleux couplé à une vrille, au cours de laquelle il projeta une rafale énergétique sur Gôrd.

L’Ecossais n’attendit pas de voir le résultat de sa tentative pour se concentrer sur l’adversaire qu’il s’était désigné. Se réceptionnant impeccablement, il se dressa face à lui. Ou plutôt elle. L’inconnue était indéniablement asiatique, en attestaient ses yeux noirs en amande, de même que ses cheveux d’une couleur identique coiffés en un carré plongeant. Jusqu’à son armure confirmait son analyse.

Alliant diverses teintes céruléennes et céladons, le buste de sa protection comprenait de longues lamelles, que l’on aurait dites laquées, entremêlées de lianes et un haut col. Sa taille supportait un ensemble de pièces tenant à la fois du bois et du métal, reliées en une sorte de jupe. De part et d’autre partaient de longs pans d’un tissu fait de feuilles tressées, où perlaient de nombreuses gouttes de rosée qui flottaient en suivant la courbe de ses membres inférieurs. Gantelets comme sune-ate couvraient respectivement avant-bras et jambes d’une couche d’écailles et d’épines. Seule l’épaule gauche disposait d’un semblant de défense symbolisé par un large panneau en forme de squame de dragon. Le diadème ceignant son front rappelait un réseau de ligaments végétaux desquels émergeaient des cornes similaires aux bois d’un cervidé.

- Je suis Seiryû, le Dragon d’Azur de l’Est, déclama-t-elle, tandis qu’elle ajustait sa prise sur le manche de son arme.

Pourvue d’une longue hampe, celle-ci se terminait par une gueule draconique de laquelle émergeait une lame à un seul tranchant. Ni aussi effilée qu’une naginata japonaise, ni aussi lourde qu’un guan dao chinois, elle paraissait être à mi-chemin entre les deux.

L’Ecossait lui rendit la politesse.

- Morgan, Marina du Dragon des Mers.

- Une autre dragon se joint donc à la bataille.

Sitôt dit, elle lança une estocade vers son visage, suivie d’une autre plus basse. En dépit de sa vivacité, décuplée grâce à son cosmos, le jeune homme faillit y laisser un œil et hérita d’une coupure au menton.

- Je présume que vous êtes les soutiens de l’opposant à Dalgad.

Un coup de taille manqua séparer tronc et jambes. Le suivant fut paré dans une gerbe d’étincelles.

- Au moins vous semblez être des adversaires de valeur.

- Merci du compliment, répondit le Marina après avoir dévié la lame une énième fois.

- Mais ne vous y trompez pas. Je vais vous tuer et nous allons récupérer cette pierre. Et une fois la reine éliminée, la guerre s’achèvera rapidement.

 

Elle dit ça de manière sereine, sans arrogance, songea-t-il. Elle le pense réellement.

Baissant la tête pour éviter de s’en faire priver, il embrasa subitement son énergie et contre-attaqua enfin. Il tenta un coup de pied haut qu’elle bloqua facilement avec le manche de son arme. La force résultant de leur confrontation engendra une onde de choc, puis d’autres à mesure que s’enchaînaient les techniques martiales. En quelques secondes, des centaines, des milliers de frappes se succédaient, creusant çà et là des cratères et des fissures, égratignant corps et protections. Parfois, ils devaient compter avec l’intervention des svartond qui se jetaient sans distinction sur l’un comme sur l’autre.

Alors qu’il écartait l’un d’entre eux, le Dragon des Mers ne vit qu’au dernier moment l’éclat acéré de l’acier bondissant vers lui. Prestement, il se décala et s’empara de la hampe de sa main gauche, stoppant net l’avancée fulgurante de la lance. Tirant à lui, Morgan administra un premier crochet au flanc suivi d’un direct à l’estomac suffisamment puissant pour soulever de terre la Gardienne Céleste. Expectorant un caillot sanglant, celle-ci profita du fait qu’il avait relâché son arme pour tout bonnement la lui jeter à la figure.

Ahuri par la manœuvre, Morgan la réceptionna maladroitement au lieu de la rejeter et, les mains ainsi occupées, subit un coup de talon qui le plia en deux, son Ecaille se craquelant légèrement à l’abdomen. La balance penchant en sa faveur, Seiryû attrapa le manche de sa lance, tenue désormais à quatre mains, et s’en servit à l’instar d’une barre fixe pour bondir par-dessus le Marina, sans la lâcher. Positionnée dans son dos, elle exerça une traction sur le bois pour étrangler le jeune homme qui, de son côté, tentait de la repousser. Une lutte acharnée s’engagea, où la sueur se mêlait aux halètements rauques.

Leurs cosmos brûlant à l’unisson, chacun tâchait de l’emporter. Le Dragon d’Azur, d’un savant afflux gratifia la hampe, d’épines qui mordirent puis traversèrent le métal pour attaquer la chair du pauvre Ecossais. Un cri de douleur s’insinua d’entre ses dents serrées pour s’ajouter aux feulements de la bête d’ombre qui sauta sur le dos de la Japonaise. Cette dernière sentit les crocs, aussi pointus que des aiguilles, perforer l’épiderme de son épaule droite dénudée. Du sang ruissela, trempant la manche de son vêtement, gouttant depuis l’angle de son coude. D’un geste de froide colère, elle saisit la créature par le cou, non sans avoir recouvert le bout de ses doigts d’une sorte de rude écorce au préalable, et la projeta à ses pieds, la nuque entamée par les griffes sylvestres. Pour faire bonne mesure, Seiryû la cloua au sol de sa lame.

Bien entendu, le Marina en avait profité pour se dégager et lui infligea un revers du coude pour ensuite la saisir et effectuer un fauchage, la précipitant à terre. Le heurt coupa la respiration au Dragon d’Azur et fendit sa Yoroi au niveau des omoplates.

Ne l’entendant toutefois pas de cette oreille, elle répondit par un coup à l’aine et effectua une roulade arrière pour se relever. Elle développa aussitôt un cosmos aux nuances verdâtres.

- Amai Kaori.

 

A mesure qu’ils avançaient, le Chevalier d’Or ajoutait des piliers et étayait sa création lorsque le poids de celle-ci risquait de la faire s’effondrer sous sa propre masse. Encore une poignée de minutes, et ils seraient à destination.

Un abrupt tremblement parcourut la structure, donnant à croire au prince de Blue Graad qu’une partie venait vraisemblablement de se détacher. Seulement le steinklok n’y voyait pas la même origine.

- On nous tire dessus ! avertit-il l’adolescent blond.

- Quoi ?

Pour toute réponse, une salve supplémentaire les heurta, mettant davantage à mal l’assemblage et envoyant une pluie d’éclats de glace et de roche marteler le gardien du Onzième Temple.

- Salopard !

Il n’eut guère l’occasion de l’invectiver plus longtemps car un ultime assaut vint à bout de la résistance de la rampe givrée. Son esprit s’échauffa. En à peine vingt-quatre heures, on l’avait raillé à de nombreuses reprises. Cette fois, la coupe était pleine.

La dislocation totale n’étant qu’une question de secondes, Andrei attrapa le Nain par le col.

- Qu’est-ce que vous faites ? s’inquiéta-t-il.

- Je ne me laisserai pas chasser comme un vulgaire volatile. Vous descendez ici.

- Mais vous ne pouvez pas ! Notre but est de récupérer l’heltemotstein. Nous n’avons pas le temps !

Le Verseau préféra clore la discussion en balançant Beldin sur un rocher tout proche. D’un bond, il quitta les ruines branlantes qui s’écroulaient au même moment. A mi-chemin de sa chute, il pétrifia l’humidité ambiante afin de créer un toboggan de glace et se à glisser le long. A peine eût-il touché le sol, son aura dorée flamboyante, qu’il s’exclama :

- Est-ce que tu sais au moins à qui tu t’attaques, espèce de demeuré !?

Sous ses pas, une trace gelée subsistait. Un Nain perverti tenta de s’en prendre à lui, mais il n’y récolta qu’une immobilité éternelle. Du pied, il en repoussa un autre en le projetant dans le vide. Face à lui, son adversaire venait de se débarrasser de trois créatures aux identiques intentions belliqueuses. L’homme écarta une mèche de cheveux de son front et le dévisagea. Ses yeux étaient pourvus d’une couleur singulière ; un premier cercle brun encerclait son iris, lui-même ceint d’un autre vert sombre.

- A vrai dire, non, répondit-il d’une voix doucereuse en grattant ses favoris blonds. Je te serais donc gré d’éclairer ma lanterne.

 

D’un mouvement circulaire de la jambe, Narya écarta l’humain enténébré s’approchant d’elle par la droite, alors qu’elle était déjà aux prises avec un duo de ses congénères. Son aura brillant autour de sa silhouette, l’Islandaise esquiva un poing qui aurait pu lui balafrer le visage et saisit l’avant-bras qui y était rattaché. Dans le même élan, elle tira à elle son opposant tout en plaçant sa paume à l’angle de la mâchoire et poussa de tout son poids sur le côté. Si la manœuvre ne brisait pas la nuque lors de l’appui initial, le choc consécutif à la projection s’en chargerait. C’était en effet le meilleur moyen d’abattre définitivement ces créatures puisqu’une rafale de coups, une épée pénétrant les organes vitaux, ou un membre tranché n’y suffisait pas.

Non loin, Kostya décapitait son propre ennemi, se fut aspergé d’un liquide épais et encore plus noir que la peau de son propriétaire.

En retrait, la reine Ylva observait leurs combats, progressant au milieu des cadavres qu’ils abandonnaient dans leur sillage, impuissante. Les narines fripées par les odeurs nauséabondes des fluides déversés, son esprit finit par battre la campagne. Jusque-là, elle s’était simplement contentée de se montrer forte et présente pour son peuple comme pour se convaincre elle-même de son utilité. Cependant, à cet instant précis, elle se donnait d’autant plus l’air de n’être qu’une bannière que l’on agite pour indiquer qu’elle existe encore. N’était-elle donc finalement qu’un symbole ? Par ses actions et ses discours passés, elle avait cru s’être libérée de ce rôle apathique dont on l’avait accablée du temps de feu son époux.

Ses paumes étaient moites, ses mains tremblaient, son cœur battait aussi vite qu’après une course. Elle avait participé aux planifications de batailles et constaté l’issue de plusieurs d’entre elles, mais elle n’y avait jamais pris part. Et sans cette expérience, elle était persuadée que son rôle demeurerait à jamais "vide". Que ne possédait-elle pas une arme pour se joindre à ...

- Narya, attention ! hurla-t-elle à l’adresse de l’Islandaise, reprenant brusquement pied dans la réalité. A droite !

 

La Marina n’eut guère le temps de voir ce qui venait de la percuter. En revanche, elle sentit parfaitement les énormes mâchoires se refermer sur la moitié de son buste, entre sa hanche et son sein droit. Les crocs perforèrent l’Ecaille de la Selkie, entamant le tissu et la chair au-dessous, rompant trois côtes sous leur pression et malmenant les organes internes. Narya perçut le goût métallique de son propre sang remontant depuis sa gorge jusque dans sa bouche. Une cuisante douleur irradia de la blessure, hachant son souffle.

Le poumon est-il atteint ? pensa-t-elle instantanément, tandis qu’elle rassemblait son énergie, se mettant à luire d’un intense éclat.

La grosse créature leva sa tête triangulaire, sa proie toujours coincée dans sa gueule et la secoua dans tous les sens, avec l’ambition manifeste de lui rompre l’échine. Au faîte de sa puissance, l’Islandaise libéra d’un coup l’accumulation de pouvoir.

- Stjörnu Dreitill !

Du bout de ses doigts filèrent des dizaines de rayons qui, se heurtant à l’apogée de leur courbe ascendante, déclenchèrent une pluie de projectiles semblables à autant de minuscules comètes à la chevelure aigue-marine. L’averse cribla de trous le corps massif de la bête, qui trembla, se convulsant sous les impacts. Son sang gicla à de multiples reprises, souillant le bleu azuréen de l’Ecaille ainsi que le corps de sa propriétaire. La force d’écrasement continua pourtant de la torturer, menaçant de la couper en deux. La panique la gagna. En désespoir de cause, elle se mit à cogner le monstre de ses poings et de ses coudes, lorsque enfin l’épais crâne finit par éclater sous les ultimes retombées de l’arcane, répandant des humeurs visqueuses et purpurines. Les mandibules du monstre s’ouvrirent enfin pour la libérer, la laissant choir au sol.

Alors seulement, Narya s’autorisa une inspiration plus profonde que les précédentes, dont la conséquence fut une souffrance fulgurante dans tout le côté droit de son tronc. Le sang suintait de ses plaies, imbibant le cuir qu’elle portait et des étoiles dansaient devant ses yeux vert clair. Même à ses propres oreilles, sa respiration s’avéra sifflante. A force d’examen précautionneux, elle supposa que son épaule avait été démise et son poumon touché. Sans le soutien de son cosmos, elle se serait déjà probablement évanouie.

Ces mauvaises nouvelles ne l’empêchèrent pas de s’inquiéter davantage pour la reine. Elle la chercha du regard, craignant qu’un malheur se fût produit. D’abord, elle aperçut Kostya bataillant ferme, non pas avec des svartond, mais un bretteur humain. Entre deux éclairs de douleur, Narya réalisa que le combat avait dû se déplacer plus en avant, et gagner la zone où s’échinait à survivre ce qu’il restait des séides de Loki. Enfin, elle distingua la souveraine d’Asgard et se maudit pour son manque de concentration qui privait la jeune femme de sa protection. Voyant les yeux de cette dernière s’arrondirent, certainement sous la stupeur, l’Islandaise tourna la tête, et comprit.

 

Morgan secoua la tête pour tenter de remettre de l’ordre dans ses idées. Peine perdue. Il percevait l’engourdissement gagnant l’extrémité de ses mains et de ses pieds, le bruit assourdi de ses expirations et des battements de son coeur.

Dès lors que Seiryû avait déclenché son arcane, il avait respiré les pollens toxiques qui, l’affaiblissant, permirent à la Japonaise de placer quelques techniques de poing bien senties. Lutter contre un agresseur qui s’en prenait à soi à la moindre inspiration était aussi improbable que terrifiant. Et retenir son souffle ne constituait pas une solution viable. L’Ecossais raviva son cosmos pour tenter une approche différente.

L’ennui était qu’il n’avait jamais pensé utiliser cet arcane dans cette optique. Levant les bras, il libéra son énergie par petites vagues successives dans l’air ambiant, afin d’en abaisser sensiblement la température. La vapeur d’eau commença à se condenser et un nuage opaque les enveloppa tout deux.

- Loch Ceò.

Une épaisse nappe de brouillard le dissimulait à présent. Mais surtout, l’altération de ses sens se stabilisa petit à petit : l’importante humidité contrariait la dispersion des pollens ainsi que leur efficacité, les noyant littéralement. En définitive, une autre utilité découlait de sa technique. En temps normal, il la couplait à son Dréagan Glif dans le but de détecter et manipuler les pensées de son adversaire, et l’attaquer mentalement et physiquement depuis l’intérieur du brouillard. Dans le cas présent, il n’en avait pas eu la possibilité.

 

- Tu ne penses pas réellement pouvoir l’emporter avec ce tour de passe-passe, le nargua le Dragon d’Azur, tandis que ses prunelles noires le cherchaient.

Un tir de cosmos bouscula son bras blessé, lui faisant comprendre deux choses. La première était qu’elle venait de se comporter comme une imbécile en s’adressant au Marina de la sorte, lui permettant de la localiser précisément. La seconde, qu’il n’avait certainement pas besoin de ça pour la trouver – ce qui ajouta à son sentiment d’avoir agi en idiote. Sinon, à quoi servirait un arcane qui rend les deux parties aveugles ?

 

Un sacré coup de chance, pensa Morgan de son côté. Toutefois, ayant saisi la pleine mesure de la guerrière, il sut qu’elle ne lui offrirait pas une autre ouverture de ce genre. Une onde de pouvoir le traversa, provoquant des frissons le long de sa colonne vertébrale. Apparemment, la jeune femme jugeait préférable de prendre les devants et le Dragon des Mers se prépara à subir la déferlante. Attentif, il entendit distinctement des bruits de "perforations", de quelque chose de rapide heurtant une surface dure. Ses yeux sondaient le brouillard en quête de leur source quand soudain, une sorte de tentacule jaillit du granit un peu à sa gauche. Non, plutôt une liane. Une liane garnie d’épines.

Il se décala légèrement, pour au final être juché sur le sol ondoyant sous l’influence de ce qui s’y tapissait. Vives comme l’éclair, d’autres ronces brisèrent la gangue de pierre et vinrent s’enrouler autour des membres et du buste du Marina, s’arrêtant à la base de son cou. Il tira pour tester la résistance de ses liens, mais ne parvint qu’à se faire écorcher. Les griffes végétales entaillèrent la chair tendre de ses bras et de ses cuisses, de même que son Ecaille qui crissa face à ce supplice.

- Plus tu te débattras, le prévint une voix perdue au milieu du nuage, et plus mes ibarasô se resserreront jusqu’à te scier en deux.

A ses mots, l’emprise des liens acérés augmenta, creusant de plus belle dans le corps du supplicié qui lâcha un hurlement, les nerfs incendiés par la douleur, tandis que son sang ruisselait, souillant son armure.

- A moins que je n’en décide autrement, trancha-t-elle froidement. La partie est terminée.

 

Morgan !

L’appel de Narya éclata dans son esprit tel un coup de tonnerre qui le détourna momentanément de son calvaire. Il se façonna aussitôt un îlot de tranquillité.

Je ne suis plus en état de protéger la reine.

Une image rouge surgit fugacement, zébrée par les foudres de la souffrance.

Quoi ? Mais dans quel é…

On n’a pas le tempsEcoute, Gorahk est sur le point de s’en prendre à la reine, il faut absolument s’en occuper !

- Kostya ?

Il ne sera pas de taille. Gorahk a reçu un cadeau de la part des mages des runes.

Merde ! Andrei ! tenta le Dragon des Mers. Andrei, dis-moi que tu as pu déposer Beldin sans encombres.

La fresque spirituelle se colora cette fois d’une teinte carmine froissée par la colère.

Tu as vraiment le don pour surgir dans ma tête de façon indésirable. Et pour répondre à ta question, je suis en plein milieu d’un duel !

Où est le steinklok ? Il va bien ?

Il allait bien quand je l’ai laissé à l’abri sur son bout de rocher il y a plusieurs minutes.

Tu étais censé ne pas le quitter d’une semelle !

Après que ce Gôrd m’a pris pour cible et essaie maintenant de me faire la peau ? Sûrement pas ! Il en va de mon honneur !

Ton orgueil, oui, lâcha Morgan lassé par ce comportement. Défais-en toi pour une fois et désengage le combat. Tu dois porter secours à la reine Ylva.

Justement, je vais pour une fois m’occuper de ce qui ne devrait souffrir d’aucune discussion. Et si Narya est trop cruche pour rosser quelques bestioles, qu’y puis-je ? Maintenant, ferme-la. Plus vite je terminerai ce combat, plus vite j’irai la sauver.

Andrei ! And … (Ses paroles rebondirent dans le silence.) Petit con !

Il ne perçut pas plus de réponse de l’Islandaise. Avait-elle perdu conscience ? Morgan s’en inquiéta d’autant plus qu’elle n’était pas du genre à essuyer pareille insulte. Au creux de son ventre, les braises de la peur furent attisées. Il s’imagina perdre tour à tour la reine, la guerre et … Narya. Il aurait alors manqué au serment de servir son dieu au mieux, mais aussi, et surtout, la servir elle. Une volonté farouche l’anima alors, chassant l’effroi qu’il n’avait déjà que trop goûté par le passé, balayant la souffrance qu’il endurait. Il avait envie de vivre, avait besoin de courage, de force et surtout … surtout de veiller à gratifier Andrei d’une putain de bonne leçon d’humilité !

Une goutte tomba et rida la surface du lac de son âme. Des remous en agitèrent la calme onde, donnant à croire qu’elle bouillonnait. Dégoulinante d’eau, une colossale tête reptilienne ornée de crêtes et de nageoires, et à la gueule garnie de dents coniques en émergea lentement. Par centaines, des silhouettes ombreuses se manifestèrent aussi à la surface, tels des spectres blafards, se tenant immobiles aux côtés du dragon marin. L’animal – son animal totem – plongea ses pupilles verticales dans les yeux ambrés de l’humain qu’il toisait. Une de ses crêtes se hérissa et sa bouche s’ouvrit, tout comme celles des apparitions, sans qu’aucun son n’en sortît. Une seule et unique voix s’adressa à lui, pareil à un puissant chant, union de tout un chœur.

 

Il ne s’écoula qu’une poignée de secondes durant le processus, néanmoins Seiryû n’en modifia pas pour autant sa décision. D’une impulsion de son cosmos, la jeune femme augmenta la force de constriction afin de mettre un terme à cet affrontement. Toutefois, elle comprit par ce bref contact qu’il y avait un problème. Une puissance incroyable se manifesta dans la direction où elle sentait ses ibarasô, le pouvoir la harcelant par rafales et la repoussant comme si elle se trouvait en périphérie d’un violent cyclone. Une perle de sueur roula de sa tempe jusqu’à son menton. Un instant, elle crut qu’une paire d’yeux de quelque monstre l’observait depuis l’intérieur du brouillard.

Tout à coup, le rideau opaque se fendit en deux, comme sous l’action invisible du fil effilé d’une lame. Et à l’extrémité de celle-ci se tenait le Dragon des Mers, sa silhouette brillant d’un feu blanc. Une force nouvelle l’investissait, mettant à mal les ronces qui l’emprisonnaient. Bien que par endroits sa chair souffrait de lacérations profondes atteignant presque l’os, il n’en paraissait nullement affecté. Un brusque afflux de cosmos fit exploser les liens en l’espace d’un battement de cil.

L’instinct prit d’office le contrôle du corps de Seiryû et elle croisa les bras pour se protéger dans un réflexe désespéré.

L’arcane se profila sous la forme d’une face draconique se superposant au visage de l’Ecossais.

- Doimhneachd nan Eigh.

Gueule et bouche s’ouvrirent de concert pour libérer un formidable son, semblable aux "clics" produits par les grands cétacés. Sauf qu’il s’agissait là, non pas d’étourdir une potentielle proie, mais de tuer. Les vagues sonores se déplacèrent de façon rectiligne en suivant un schéma conique. Les décibels oppressèrent immédiatement le cerveau de la Gardienne Céleste et s’attaquèrent également à sa Yoroi en amenant le métal à vibrer au point que certaines parties se fissuraient alors que d’autres éclataient. Un filet de sang se mit à couler des narines et des oreilles de la Japonaise au bord de l’évanouissement. Tout son organisme avait été mis à mal. A l’image de celui de Morgan qui dut rapidement interrompre sa technique, incapable de la maintenir plus longtemps sans en périr lui-même.

Essoufflé, meurtri, le crâne bourdonnant, le Marina contempla son adversaire désormais à genoux, très probablement inconsciente, les bras ballant le long du corps. Il se sentait défaillir à chaque nouveau pas qu’il enchaînait, laissant une piste sanglante derrière lui. Bientôt, ses mouvements se firent malgré tout plus fluides, à mesure que persistait le sentiment d’euphorie provoqué par cette communion parfaite – une première pour lui ! Et pour un tout petit nombre d’élus – avec l’essence profonde qui habitait tout Marina. Porté par sa volonté et ce qui lui restait de cette formidable énergie, il boitilla en direction de ceux qui avait besoin de lui.

Très vite, il aperçut des flammes se manifester et accéléra, clopinant plus qu’il ne courait. Dans son dos, une voix faible murmura :

- Ryû no Toge.

Tournant la tête, il vit que Seiryû s’était en partie redressée, vacillante sur ses jambes flageolantes. Son aura brillait faiblement autour d’elle. Du sol, pointèrent des écheveaux de ronces similaires à l’échine d’une bête mythique. Tournant sur elles-mêmes, elles avançaient vers lui en sinuant à la vitesse de l’éclair. Morgan se remit aussitôt en mouvement.

 

Ayant saisi l’urgence de la situation dès qu’il avait été délaissé, Beldin s’était attelé à la poursuite de l’ascension. En contrebas, il repéra Dalgad. Ce dernier paraissait avoir eu des pensées similaires et gagnait du terrain.

Encore plus au-dessous, des hommes et des femmes jouaient leurs vies pour permettre à son peuple et à lui-même de demeurer libres. Cela suffit au steinklok pour redoubler d’efforts, parce que s’il y parvenait le premier, ils pourraient tous s’en aller d’ici sans avoir à verser une goutte de sang supplémentaire.

 

La Marina de la Selkie évita elle ne sut comment le jet ardent qui la ciblait et se remit debout, chancelante.

- Tu esquives bien, petite catin, maugréa Gorahk.

Depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu, l’ancien chef la garde paraissait avoir pris quinze ans. Sa barbe naguère parfaitement entretenue s’apparentait aujourd’hui davantage à un enchevêtrement broussailleux et ses yeux, soulignés de cernes, étaient profondément enfoncés dans leurs orbites. Une lueur de folie y couvait. Son bras d’épée demeurait toujours aussi fort, alors que le droit était une chose à l’aspect flétri, enserré par endroits de bandes de métal couverte de runes rougeoyantes.

Il s’avança vers elle d’un bond et la frappa de son arme. Narya para le puissant coup de taille de son bras valide, des étincelles pleuvant de leur rencontre. Glissant le long de son avant-bras jusqu’à atteindre les excroissances des jambières de son Ecaille, la lame, légèrement déviée, lui mordit le haut de la hanche.

- Vois à quel être j’en suis réduit par la faute de tes fourberies, cracha-t-il.

Il porta une nouvelle botte qui entailla la peau nue de l’épaule déboîtée de l’Islandaise. Elle riposta vivement d’un crochet à la mâchoire, une dent sautant en réponse. Le regard du rebelle s’assombrit d’autant plus.

- Mais tout ça va s’achever. Je vais m’occuper de ma reine juste après toi et le royaume sera à moi. Il me l’a promis, alors que je souffrais mille morts pour ça ! (Il exhiba son immonde bras droit couturé de métal.) Tu entends, Kostya ! Je vais massacrer ta putain !

Celui-ci ferraillait âprement avec des mercenaires qui l’empêchaient de passer.

- C’est terminé ! grogna-t-il en écartant le rempart brandi par l’Islandaise, pour lui balancer un coup de pied qui l’envoya s’affaler sur le granit dans un cri de douleur. Tout l’intérieur de sa poitrine n’était plus qu’un enfer brûlant qui la torturait. Elle hoqueta du sang.

- Mourir allongée est une fin qui te sied à la perfection.

L’épée, pointe vers le bas, amorça sa descente pour l’épingler aussi sûrement qu’un insecte. Cependant, elle s’échina à rouler sur le côté pour se soustraire à l’estocade. Furieux, il la bloqua en posant son pied sur sa poitrine et réamorça son mouvement. Morgan percuta Gorahk au terme d’un prodigieux bond, l’empêchant d’achever sa mortelle course et les envoya rouler tout deux loin de Narya. Il avait perdu son casque dans l’action.

Couché sur le renégat, l’Ecossais l’abrutit d’une série de coups de poing, lui brisant le nez et lui éclatant une lèvre. Gorahk trouva le moyen de lui rendre un crochet, puis de le faire passer par-dessus lui après avoir intercalé son pied au creux de l’abdomen du Marina. L’Asgardien roula pour se relever, l’œil fou et la bouche couverte de vomissures écarlates. Il avait perdu son épée.

Le cœur de la jeune femme rata un battement lorsqu’elle constata l’état dans lequel se trouvait son compagnon, et un second quand elle remarqua qu’il lui manquait le pied gauche à partir de la moitié du tibia. Il demeurait allongé sur le dos, vraisemblablement étourdi.

Une flamme courut de l’épaule à la main droite de Gorahk, rendant les runes gravées dans le métal incandescentes. Bien qu’il ne s’agisse pas de cosmos, elle percevait qu’une importante accumulation d’énergie était en train de se faire. Le renégat serrait les mâchoires à s’en briser les dents.

- Quel dépit de devoir en arriver là, grimaça-t-il.

De là où ils étaient, ses deux adversaires ne le voyaient pas, mais un gros éclat de roche saillait au bas de son dos, perforant un rein et une partie des intestins. Ses chances de survie étaient nulles.

L’Islandaise ne parvenait plus à bouger. Elle n’avait pas la moindre idée de la puissance que leur ennemi était sur le point de déployer, mais elle doutait pouvoir y survivre dans cet état. De même que la reine qui n’avait guère eu le temps de s’enfuir ou de se mettre à l’abri. A une dizaine de mètres de là, Kostya luttait toujours, à ceci près qu’il n’affrontait plus qu’un seul homme. Elle croisa alors le regard cerné de Morgan, tout juste réveillé, plein de mélancolie.

Ce dernier embrasa les ultimes brandons de son cosmos, jetant des irisations partout alentour, et se propulsa à la rencontre du suicidaire. Trop abasourdi par la manœuvre, en plus d’être pris au dépourvu par sa vélocité, Gorahk ne réagit pas lorsque le Dragon des Mers entra en collision avec lui. Néanmoins, au lieu de percuter la paroi, Morgan rebondit dessus d’une seule jambe et se jeta avec lui dans l’abîme.

Le tuer n’aurait pas empêché le sort de se consumer, vint souffler un murmure à l’esprit de l’Islandaise. C’était le seul moyen. Ne m’en veux pas, Narya.

Des souvenirs s’ajoutèrent à son message mental formant un diorama d’images et de teintes ; leur première rencontre sur une plage écossaise, leur apprentissage en tant que Marina auprès de Sorrento, le moment où elle l’avait quitté pour partir à Asgard, leurs retrouvailles et l’échange de baisers, le début de leurs ébats amoureux, et enfin, elle, elle en train de dormir paisiblement, de rire, de sourire, d’afficher une mine boudeuse ou coléreuse. Armé d’une véritable palette, allant du rouge passionné, au jaune joyeux en passant par le bleu serein, il venait de lui résumer l’entièreté de leur courte vie.

Une supplique muette – aussi bien de mots que d’images –, des yeux mouillés de larmes et un bras tendu furent tout ce qu’elle réussit à opposer à son geste.

Enlacés dans une étreinte mortelle, ils sombrèrent sans un cri. Le silence qui s’était abattu sur la scène se prolongea jusqu’à être rompu par les échos d’une énorme déflagration répercutés des centaines de fois.

- Un sacrifice digne d’un dragon, dit une voix féminine surgie de nulle part.

La Selkie découvrit Seiryû à quelques pas de la reine Ylva. Son armure portait les stigmates de son précédent combat, à l’instar de son corps. Tenir debout devait lui réclamer une volonté surhumaine. Son arme ébréchée luisait d’un éclat mauvais.

- En abattant la reine, je remporte la partie. Echec et mat.

Telle une étoile filante, la lame fusa en avant.

 

Le prince de Blue Graad vit arriver le coup qui ne manquerait pas de lui accorder un œil enflé, sans parvenir à s’y soustraire. Pas plus qu’il n’avait pu empêcher celui qui lui avait fendu la lèvre de l’atteindre, ni ceux le conduisant à embrasser le granit du sol plus de fois qu’il ne l’aurait voulu. Il réussit malgré tout à placer quelques coups à son adversaire, cette espèce de … barrique blonde.

S’éloignant, Andrei enflamma son cosmos et généra un grand courant de particules glacées tournoyant autour de lui. Figeant définitivement les molécules d’eau, il se retrouva cerné de multiples pics de glace noire – en effet, il avait réuni la poussière et la saleté durant le processus, trouvant cette couleur plus impressionnante.

- Smuglyjkholodnyi Kop’ë ! scanda-il en sautant.

D’un mouvement de main, il en envoya une fraction tandis qu’il était encore en l’air et l’autre depuis le sol.

Le Fléau de Fafnir regarda les projectiles aux formes acérées d’un œil attentif, conscient de leur dangerosité s’ils le touchaient. Il y en avait une bonne vingtaine. Son aura flamboyant, Gôrd entreprit de les pulvériser d’une salve savamment dosée. Ses poings s’agitant à la vitesse de l’éclair, l’Asgardien en fit exploser la plus grande partie dans des gerbes de vapeur froide, mais en manqua quelques unes qui assénèrent une morsure glacé à ses bras et ses jambes. L’une d’entre elles pénétra même le plastron de son armure, sans faire plus qu’égratigner sa peau au-dessous. Son attention focalisée sur l’attaque multiple, il ne vit pas la piste givrée atteignant ses pieds.

Semi accroupi, Andrei glissait sur ce chemin, un épieu dans chaque main. A proximité, il détendit ses bras, comprimés tels des ressorts, pour frapper. Pris au dépourvu, le Fléau eut toutefois le réflexe de dévier le premier ainsi que le deuxième, au prix d’une paume transpercée. Le froid commençait à engourdir sa main lorsqu’il pulvérisa le pic en refermant brusquement le poing.

Le sourire inscrit sur la face du Chevalier d’Or s’estompa quand Gôrd le saisit prestement à la gorge et le souleva. Il envoya un direct au visage, qui se retrouva bloqué par l’avant-bras cuirassé.

- Et oui, mon Armure d’Or, c’est autre chose que la carapace que tu possèdes, argua Andrei.

Il agrippa le poignet de l’Asgardien et y diffusa son froid.

Réagissant au quart de tour, le Fléau entoura son poing libre d’une importante concentration de cosmos. Son intensité en vint à faire frémir le Verseau l’espace d’un instant, juste avant qu’il doive se protéger derrière ses bras de la lourde frappe qui s’ensuivit. La puissance de l’impact l’arracha à la poigne de Gôrd et l’expulsa à plusieurs mètres, atterrissant cul par-dessus tête. En se relevant, assorti d’une nouvelle collection de bleus et de bosses, le Chevalier lança :

- Quand est-ce que tu saisiras que …

Sous son regard horrifié, il découvrit les petites fissures parcourant le gantelet de sa protection. Ces dernières progressèrent en s’élargissant, forçant quelques éclats à se détacher.

- Non, non, non !! Comment …

- Tout simplement parce que ton Amure a subi ma Auriferous Banneord. Grâce à mon pouvoir, je peux agir sur les métaux, jouant sur leurs propriétés, leurs caractéristiques. Rien n’est alors plus simple que de rendre ton Armure subitement plus fragile.

 

Beldin, hors d’haleine, arriva le premier. La lumière de l’heltemotstein se reflétait dans ses yeux, lui inspirant un profond respect et une crainte plus abyssale encore. Si près du but, il hésita pourtant. Pléthore de récits narrait les destins de ceux s’étant adonné à cette entreprise. Et ceux à la finalité sombre étaient suffisamment nombreux pour y réfléchir à deux fois. Considérait-il sa quête comme juste ? Y croyait-il corps et âme ? Car il n’y n’aurait pas de demi-mesure possible. Malheureusement, le temps de l’introspection était révolu et seule la foi pouvait avoir encore son mot à dire.

Il tendit sa main valide dont les doigts rencontrèrent la dureté du cristal et … la forme d’une autre main. Dalgad se tenait face à lui, en miroir de sa propre position.

- Lâche cette pierre, Beldin, lui intima-t-il. Tu n’en es pas digne.

- Pas plus que toi, m’est avis.

- Aborde la question de façon honnête et reconnais que tu es ici sous un faux prétexte. Tu auras beau t’échiner à user de masques derrière lesquels dissimuler tes secrets, l’heltemotstein les mettra tous à jour. Prends exemple sur moi qui admets mon ambition.

Beldin repensa aux paroles de la reine à la fin du conseil, à ses propres réponses et sonda le fond de son cœur. Les ombres autour de sa personne parurent s’épaissirent. Dalgad, de même que la souveraine avaient raison. Peut-être se leurrait-il. Seulement …

- Hier encore, tu m’aurais convaincu, dit-il en raffermissant sa prise. Aujourd’hui, je ne crains plus rien.

Les ténèbres se dissipèrent et son vis-à-vis disparut également.

- Que … ? s’étonna le steinklok.

Le cristal se détacha de sa gangue sans qu’il eût à produire de gros efforts. Il avait encore du mal à croire en sa réussite, quand il remarqua que la pierre contenait autre chose. On aurait dit un …

Un caillou lancé le heurta à la tempe, lui ouvrant l’arcade. De surprise, il lâcha l’heltemotstein qui se brisa en touchant le sol. La plupart des fragments se trouvèrent être trop petits pour se révéler utiles. Avisant un morceau moitié moins grand que l’original, il s’en empara, tandis que Dalgad, le vrai cette fois, en ramassait un autre. Il ne sembla nullement être affecté par son contact.

- Jetez le dans le gouffre, ordonna-t-il aux deux hommes d’armes le précédant. Qu’ils y disparaissent, lui et son cristal.

Une partie du visage couverte de sang, Beldin détala aussi vite que lui permettaient ses vieilles et courtes jambes, la mort à ses trousses.

 

Un tintement de métal retentit au moment où l’épée de Kostya empêcha la lance de Seiryû de fendre le crâne de la reine d’Asgard. D’un mouvement souple, le chef de la garde dégagea son arme et enchaîna diverses attaques qui ne rencontrèrent guère de succès en dépit de l’état diminué de son adversaire. Cela lui faisait mal de le reconnaître, mais elle était bien meilleure combattante que lui, et ce, sans qu’il lui soit nécessaire d’user de son étrange pouvoir.

Une mauvaise parade le conduisit à essuyer une profonde balafre à la cuisse, le mettant à genoux. Son épée sauta pour aller se perdre ailleurs. Kostya attendait de recevoir le coup de grâce, honteux de son échec quant à protéger sa reine, lorsqu’il avisa le pétale rose qui flottait doucement devant ses yeux. Plusieurs autres le rejoignirent, attirant finalement l’attention du Dragon d’Azur. Il y en eut bientôt une myriade, effleurant la peau de la Gardienne Céleste pour y laisser une coupure.

Au-delà de la douleur, Seiryû ressentit l’influence d’un cosmos. Elle s’écarta du tourbillon tranchant et se retrouva face à face avec un nouvel opposant dont la couleur de l’armure renvoyait à celle des pétales de fleurs de cerisier ; une Japonaise à peine plus jeune qu’elle, armée d’une paire de kodachi.

 

Beldin trébucha, glissa en s’écorchant sur deux ou trois mètres, mais se releva pour découvrir que ses poursuivants l’avaient rattrapé. Cependant, tout comme il n’eut pas le temps de paniquer, le premier guerrier eut à peine l’occasion de s’étonner de la lame le transperçant. Son regard, déjà vitreux, s’attarda à suivre le trajet de son sang le long du métal. Le liquide s’écoulait jusqu’à la garde, puis le manche où étaient reployées de fines mains. Celles d’une femme s’avisa-t-il, alors qu’il rendait son ultime soupir.

Le steinklok jeta un œil, littéralement, étonné à la reine qui venait de le sauver. Déconcerté, la jeune femme l’était tout autant. Ça, et tout un tas d’autres choses – le dégoût et la fierté n’en étant pas des moindres – s’entremêlaient pour composer les traits de son visage.

Momentanément stoppé, le second homme de main reprit son offensive. Ylva interposa le cadavre entre eux et dégagea la lame en le repoussant du bras. Gêné par cette manœuvre, il ne vit pas venir le coup qui lui perfora botte et pied. Privé d’un appui ferme, il dû se dandiner en parant les attaques furieuses de la jeune souveraine. Et force lui fut de reconnaître qu’elle savait y faire, lorsqu’il encaissa finalement l’estocade fatale.

Sortant de sa torpeur, le vieux Nain s’approcha de la reine, parcourue de légers tremblements.

- Vous allez bien, votre Majesté ? s’enquit-il, passablement inquiet.

Sa voix rocailleuse lui parvint comme au bout d’un tunnel.

- Ça … ça va, oui. Et toi, Beldin ?

- Mieux, grâce à vous.

De sa main gauche, la jeune femme décrispa un à un les doigts de la droite enroulés autour du manche de l’épée. Celle-ci tomba avec un fracas métallique. Ylva fixa d’un œil presque ahuri ses membres rougis, peinant à croire que c’était les siens. Elle inspira et expira à fond.

- La pierre-coeur ? questionna-t-elle.

Pour toute réponse, le Nain lui présenta le cristal qu’il tenait tout contre sa poitrine, tel un nouveau-né.

- Bien …

Avant qu’elle eût pu ajouter quoi que ce fût, le mugissement d’un cor retentit. Un appel à la retraite comprit la souveraine. Son cœur s’emballa.

- Ont-ils également récupéré … ?

Le steinklok coupa court à ses inquiétudes.

- Dalgad le croit. Mais ce qu’il a pris pour de l’heltemotstein n’en était pas, je puis vous l’assurer.

- En ce cas, nous discuterons de ça plus tard. Je m’inquiète pour les autres.

 

- Ah, le signal que j’attendais, reconnut Gôrd, visiblement soulagé. Le début du duel était intéressant, mais je sentais poindre l’ennui sous peu.

Il considéra la forme agenouillée qui étreignait son bras d’un air chagrin.

- Excuse-moi mon garçon, le devoir m’appelle.

- Attends ! l’apostropha Andrei. Pareil affront ne peut rester en l’état. Pas pour un prince de Blue Graad !

- Je ne sais absolument pas ce qu’est ce Blue Graad dont tu te réclames l’héritier à tort et à travers, mais si cela peut apaiser ta frustration, sache que je ne suis pas sans posséder moi-même quelques gouttes de sang noble, bien que ma famille ait été dépouillée de ... . Enfin, je ne suis pas sûr que tu prêtes une oreille attentive à mon histoire de toute manière. La logique voudrait que j’en finisse avec toi dès à présent, mais le temps me fait défaut et je ne crois pas que tu vailles la peine.

Un cosmos noir l’auréola, les ailes de sa protection se déployèrent et il se propulsa d’un bond sur une saillie rocheuse, puis sur une autre.

Seul, le Chevalier d’Or ressembla les morceaux épars du gantelet brisé de son Armure, de même que les lambeaux de sa fierté déchiquetée. Des larmes amères emplirent ses yeux marron sans pour autant couler. Il ne le permettrait pas. Péniblement, il se mit sur ses deux jambes et entreprit la création d’un nouveau pont de glace. Depuis ce point surélevé, il discerna les silhouettes des membres de son groupe et se dirigea vers eux.

Dès qu’il les eut rejoints, il constata la présence de l’inconnue aux traits asiatiques. Celle-ci était penchée au-dessus de Narya, ses mains croisées diffusant une aura rosâtre sur les blessures de l’Islandaise. Kostya finissait quant à lui d’enrouler et de nouer un morceau de tissu autour de sa cuisse.

- Qui est-ce ? lui demanda-t-il en la désignant du menton.

- Une alliée, je crois. Elle dit qu’elle s’appelle Ayame. Pour le reste, je n’ai pas compris grand-chose, mais à avoir de quelle façon la reine l’observe, elle va avoir à répondre à beaucoup de questions.

Le Verseau fit quelques pas, avant de se rendre compte de ce qui l’avait dérangé dès son arrivée.

- Où est Morgan ? Son cosmos était incroyable ! J’ai du mal à l’admettre, mais …

- Il est mort ! Mort par ta faute ! clama une voix sur le point de se briser. Il s’est sacrifié parce que tu n’as pas été un tant soit peu capable de ravaler ta foutue fierté !

Un hoquet sanglant secoua la poitrine de la Selkie, la pliant en deux, tarissant instantanément le flot de ses paroles. Sa respiration se fit laborieuse. Toutefois, ses yeux humides, braqués sur Andrei, continuaient de l’accuser. Jusqu’à ce qu’ils finissent par se révulser.

- Narya ! s’alarma Ylva.

- Elle a perdu connaissance, annonça Ayame. J’ai traité ses maux les plus légers et réussi à la stabiliser, néanmoins, il lui faut rapidement voir un guérisseur.

- Elle ne sait plus ce qu’elle dit ! s’exclama Andrei. Je ne suis pour rien dans …

Il sentit alors le feu glacé des prunelles de la souveraine qui le couvait.

- J’entends bien faire toute la lumière sur ces accusations. Pour l’heure, le plus urgent est de sortir d’ici.

- Le tunnel s’est effondré derrière nous, rappela le chef de la garde. Par où allons-nous passé ?

- Je possède toujours les cartes, dit Beldin, seulement trouver une autre voie va prendre un certain temps.

- Si le chemin par lequel vous êtes venus est impraticable, il reste le mien. Bien que j’aie suivi le groupe de Loki, je l’ai perdu à un moment donné, aussi j’ai dû me débrouiller seule. Ce qui explique mon retard, je m’en excuse.

- Les explications attendront. Nous avons peu de temps devant nous et des créatures pourraient revenir.

Sans plus attendre, ils élaborèrent un brancard avec des lances prises auprès de cadavres et de tissus prélevés à droite et à gauche. Leur fragile chargement solidement arrimé, ils se mirent en route, Beldin en tête accompagné de la reine – lestée d’une épée cette fois – et d’Andrei, suivis par Kostya et Ayame portant l’Islandaise.

Les faibles truchements d’une pierre sur ses sœurs firent dresser soudainement l’oreille à la Japonaise. Elle compta deux, trois, puis quatre secondes, avant de finir par hausser les épaules et reprendre sa marche.

 

27 janvier 1996

Norvège, Asgard, Province Ouest

 

L’astre sélénite, colossale figure vérolée de cratères, étendait un voile sanglant sur l’intégralité de la scène. Jusque-là empli d’un silence si lourd qu’il en devenait assourdissant, l’air fut déchiré par les échos sauvages émanant d’une mer de centaines de gueules avides. Tout en crocs noirs et aigus, celles-ci érodaient, emplissant l’espace de crissements de pierre meurtrie, les fondations de l’îlot central où reposait une étoile à l’éclat bleuté. De l’onde bondit un nageur aux nageoires doubles dont les écailles possédaient l’éclat du soleil, inondant, écrasant la fange de sa lumière.

Figé soudainement dans ses mouvements par l’action scélérate de la glace, il disparut dans un éclair aveuglant de feu blanc. Brutal. Impitoyable. Puanteur insoutenable de chair carbonisée.

Au faîte de son incandescence, le brasier infernal laissa s’échapper une comète d’argent parée de la teinte du ciel le soir venu. Traçant un sillon diaphane, le fugitif stellaire couvrit mainte distance avant d’être à nouveau rattrapé par des flammes, anéantissant toute échappatoire. Une ardeur glacée l’étreignit. Une douleur cuisante. Le néant.

 

Deux paupières s’ouvrirent instantanément pour laisser apparaître une paire de pupilles dilatées et folles, s’animant en tous sens, pareilles à des moineaux pris en chasse. Sa gorge sèche rendait sa respiration rauque et le sang battait à ses tempes. Sa tête lui donnait l’impression d’être prise dans un étau dont on s’ingéniait à resserrer l’étreinte à chaque mouvement des muscles de son visage. Pleinement conscient de la vision qu’il venait d’avoir – ou subir si on le laissait libre du choix du vocabulaire – Arion sortit de son lit de camp et enchaîna quelques pas hésitants sur le plancher de la pièce qu’il occupait. Il attrapa une bouteille tout près et en lapa le fond en trois brèves gorgées. Dans l’âtre, il ne restait plus que des braises rougeoyantes, mais rien que deux ou trois bûches accompagnées d’un soufflet ne pourraient relancer. Ça, en sus d’un carreau brisé, expliquait la chute de température qu’il déduisit en observant la vapeur qui s’échappait à chacune de ses expirations.

Malmené par les bourrasques hivernales, un volet de sa chambre venait buter de temps à autre contre le rebord. La seule dans cette auberge, parmi toutes celles réquisitionnées par les officiers de l’armée. Voire l’unique au milieu des quelques bâtiments intacts dans cette petite bourgade, qui avait dû compter pas loin d’un demi millier d’âmes en des jours meilleurs.

Si ce n’est pas jouer de malchance, songea-t-il en ébouriffant sa crinière auburn.

Le Tibétain ne s’appesantit néanmoins pas sur le sujet pressé comme il l’était. Un étrange sentiment de fatalité pesait sur son esprit, telle une chape de plomb, depuis son réveil. Il enfila rapidement son pourpoint matelassé et chaussa ses lourdes bottes. D’un pas souple, il rejoignit l’Urne armoriée d’une face de bélier et tira sur la chaîne pour en révéler le contenu. Avec des gestes nés de l’habitude, il revêtit son Armure d’Or pièce par pièce en l’espace de quelques battements de cœur. A un niveau intrinsèque, Arion sentait l’énergie qui parcourait le métal, vibrant de pouvoir sous ses doigts. Il jeta une pelisse par-dessus le tout.

Face à la fenêtre, le jeune homme l’ouvrit, cinglé au passage par une rafale neigeuse, et bondit. Il se réceptionna sans dommages environ quatre mètres plus bas, aussi léger qu’un énième flocon s’écrasant sur la couche de poudreuse. Les têtes d’un groupe de soldats, pelotonnés devant une maigre flambée, se tournèrent vers lui, intriguées par cette entrée en scène peu commune. Arion les évita.

La ville d’Alskögg se trouve à une journée de cheval, se souvint-il. Par beau temps et si la bête peut supporter une allure soutenue sur une longue période.

A foulées rapides, il gagna l’enclos des chevaux. Saluant à peine le garde assigné, il récupéra un harnachement à un clou et en équipa le premier cheval qui lui parut satisfaisant, une jument à la robe alezane et aux crins clairs. La menant par la bride, il la guida hors du camp et se hissa promptement en selle lorsqu’il en atteignit la limite. Encore quelques années auparavant, il ne se serait pas attendu à apprendre l’art de la monte et passer autant d’heures juché sur un cheval. Une ébauche de sourire troubla sa mine fatiguée. Seulement, ça c’était une autre époque. Arion jeta un regard en arrière, ayant l’impression de ressentir le pouls de chaque dormeur. Il lui sembla même déceler la présence de Tristan, il en était persuadé.

D’une secousse, Arion lança sa monture au trot ; droit dans la tempête qui s’annonçait. Le galop ne tarderait pas à suivre.

Sa récente vision accaparait désormais toute son attention. Il allait à la rencontre de l’auteur de ces flammes. Aussi noires que la nuit et aussi froides que la mort. Et quand il lui ferait face, ce dernier devrait répondre de certains actes.


                                                                                                 

 

Naginata :

Fauchard de 2 à 3 mètres de long, dont soixante centimètres à un mètre, selon les modèles, sont constitués par une lame incurvée avec un seul tranchant sur son côté convexe. Modèle d’équilibre et de finesse, elle fut surtout utilisée par les femmes de samouraï et les moines-guerriers à partir du XVème siècle.

 

Guan Dao :

Lourde hallebarde à lame de sabre large. Cette arme particulièrement tranchante connaît quantité de variantes et est l’ancêtre de la Naginata des guerriers japonais. Au IIIème siècle, Guan Yin, l’un des mythiques « Généraux Tigres », héros au centre de quantité de légendes, véritable dieu de la guerre, lui laissa son nom.

 

Dréagan Glif :

Glyphe Draconique

 

Amai Kaori :

Suave Fragrance

 

Stjörnu Dreitill :

Larmes Stellaires

 

Loch Ceò :

Brouillard Lacustre

 

Ibarasô :

SerresRonces

 

Doimhneachd nan Eigh :

Hurlement des Profondeurs

 

Ryû no Toge :

Epines du Dragon

 

Smuglyjkholodnyi Kop’ë :

Epieux de Sombreglace

 

Auriferous Banneord :

Malédiction Aurifère

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